Death Stranding (2019) est probablement l’expérience vidéoludique la plus marquante que j’ai vécue jusqu’à aujourd’hui, probablement par ce que ce jeu est arrivé à un moment de ma vie qui est particulièrement comme en parallèle avec les propos du jeu. Dès lors, même si j’aimerai parler du jeu pendant des heures, à travers de nombreux articles et sur de nombreuses thématiques, je n’ai pas envie de faire l’impasse sur le partage d’une expérience avant tout très personnelle. C’est donc par l’explication de mes conditions de jeu que L’on peut comprendre les lectures que j’en ai tirées. Le jeu est une caisse de résonance à tout ce que je vis en ce moment, et c’est important de l’écrire.
Attention, vous entrez dans une zone de spoils, lisez à vos risques et périls.
Je suis parent depuis le 25 septembre 2019 dernier. D’un petit être assigné garçon pour le moment mais qui sera libre et ce, avec tout notre soutien. Même si j’ai toujours suivi assidûment les jeux des équipes de Hideo Kojima, Death Stranding ne m’avait pas particulièrement intéressé, au-delà de son univers et de son lore particulièrement marqué et marquant. Pourtant, une semaine avant sa sortie, je me décide à l’acheter. Je ne regrette pas ma décision. Hugo, mon petit garçon, fête à peine ses sept semaines. De fait, au-delà de tout raisonnement scientifique, le lien que j’ai avec Death Stranding, l’objet,est profondément empathique car les thématiques que contient le jeu sont soit des sujets qui me tiennent à cœur que j’ai déjà abordées (l’effondrement, prendre soin des générations futures), soit des choses que je vis présentement en tant que jeune parent.
Des cinquante heures passées à parcourir le récit principale, j’ai dû faire la moitié avec Hugo en train de dormir sur mon ventre. Et encore, je ne compte pas précisément. Pour moi, Death Stranding est une expérience symbiotique. Je me suis retrouvé par exemple à devoir bercer Lou dans le jeu tout en faisant des pieds et des mains pour rassurer mon fils, qui parfois, poussait un cri d’éclat en dormant. C’était des moments particuliers de jeu car il m’était impossible de ne pas comprendre la détresse simulée de Lou, mais réelle pour moi, puisqu’en parallèle je faisais attention à petit bonhomme endormi sur mon ventre. Sam et Lou, Moi et Hugo, il y avait une sorte d’équilibre ultime, celui qui se présentait comme le seul possible à ces moments. De nombreuses fois, je me suis retrouvé à ne faire que peu attention à ce qui se passait à l’écran car si ma main gauche contrôlait une partie de la manette, la main droite était posée sur la tête de Hugo, ou terriblement concentrée à lui faire des chatouilles.
Il ne s’agit pas de dire que j’ai mieux compris le jeu que d’autres personnes parce que devenir parent m’aurait ouvert les voies de la compréhension, non. C’est fondamentalement le lien que j’ai avec Death Stranding que j’essaie d’appréhender ici. Je vivais la relation de Sam et Lou de la même façon que je vis ma relation avec Hugo : un amour inconditionnel et absolu. Autant dire que j’assume intégralement m’être projeté dans le personnage de Sam et que chaque interaction entre lui et Lou dressait un parallèle avec ce que je vis. Je suis Sam. Comme lui, je n’avais jamais porté de bébé dans les bras avant Celui qui, par une relation fortuite, devint le miens.
Plus je réfléchie au parallèles et plus j’en trouve. Je me remémore le jour de l’accouchement de ma conjointe. Il se trouve que mon fils est né prématurément. C’est un tout petit prématuré, nous avons eu la chance, et lui le premier, de ne pas avoir à souffrir de cela. En tout état, immédiatement après son arrivée, tout gris et bleuté de ne jamais avoir vu la lumière, il fallait lui tenir chaud. Sa maman n’a pas pu le prendre immédiatement, ce qui fait que la sage-femme a demandé que je me déshabille pour faire du « peau à peau » avec Hugo pour lui tenir chaud. Ce fut un moment très heureux. De fait, quand, dans le jeu, on voit à deux reprises Sam tenir un bébé contre lui, il m’est impossible de ne pas me projeter, de ne pas comprendre : « oui j’ai vécu ça, comme beaucoup d’autres bien sûr, mais je l’ai vécu ».
Fragile, autre personnage du jeu énonce à un moment : « tiens, je t’ai apporté une métaphore ». Pour moi, la relation entre Sam et Lou est la métaphore de ma relation avec Hugo. Immédiatement je me suis attaché à BB-28 précisément pour cette raison. Le premier choc fut vers le milieu du jeu quand Sam nomme devant nous, l’audience, pour la première fois le prénom qu’il donna au Bridge Baby. Ce moment est d’autant plus marquant qu’il marque une déchirure : dans le récit, Lou, trop heureuse, ne peut plus assurer son rôle. « It’s just a tool, don’t get attached » : nous sommes mis en garde au début du jeu pourtant. Impossible pour moi, il n’a jamais été question de rester de marbre. Ainsi, elle doit partir finalement dans une sorte de service après-vente afin de subir un reboot. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à ressentir de la peur pour ce qui pourrait arriver à Lou dans le jeu. De la même façon que je suis terrifié par ce qui peut arriver à Hugo, Lou cristallisa des frayeurs par rapport à la poursuite de la fiction : « que se passe-t-il si le scénario avait prévu une funeste fin pour ce bébé ? ». Ce qui était sûr, c’est que je ne l’aurai pas supporté. Cela se serait traduit par une rancœur infini pour Kojima Production.
C’est pourquoi ce que l’on vit, à la fin, Sam qui désespère de voir sa fille adoptive revivre, pour finir par la voir réouvrir les yeux fut probablement le moment le plus marquant de mon itinéraire de joueur. Alors bien sûr, je n’évoque pas dans ce billet d’autres moments très forts, comme lorsque l’on comprend que les flashbacks que l’on nous montre depuis le début sont en réalité les souvenirs de Sam. Je n’évoque pas le certains déterminisme qui devient vertueux : comme son père Clifford Unger, Sam perd femme et enfant dans une explosion. Comme sa mère adoptive, il finit par adopter un bridge baby revenu d’entre les morts. Non fondamentalement, Death Stranding est le jeu le plus marquant auquel j’ai joué car c’est une expérience qui est en résonance parfaite avec ce que je vis tous les jours depuis que Hugo est arrivé. Finalement, cette métaphore de la parentalité que je projette sur des personnages de fiction, c’est le lien qui m’unit à Sam et Lou. C’est le lien qui font d’eux des êtres réels. ■
Esteban Grine, 2019.