Du 6 au 9 janvier 2025, la Brainrot Game jam a eu lieu à l’école GOBELINS Paris. Avec une petite centaine de participants et participantes, la jam portait sur la création de jeux correspondant à cette tendance provenant d’internet.
Brainrot est le mot de l’année selon les équipes de recherche en lexicographie et autres du dictionnaire Oxford, ce n’est plus quelque chose d’obscure. Pour ses utilisateurs et utilisatrices, le terme définit les contenus qui sont produits volontairement de mauvaise qualité et qui peuvent heurter la sensibilité et la santé mentale des personnes qui en deviennent le public, selon les brainroté·e·s enquêté·e·s qui ont répondu à mes questions. Cela a été l’occasion également de découvrir que nous avions de véritables connaisseurs et connaisseuses sur ce sujet. L’un des ressentis qui s’est avéré sur le terrain est que pour les étudiants et les étudiantes, ce thème est particulièrement proche de leur quotidien explique un tel engouement.
Cet article, c’est un peu une façon qui me permet de transcrire les premières conclusions que j’ai de ce travail que j’ai mené à la fois dans une perspective pédagogique et dans une perspective de recherche sur les pratiques numériques d’adultes entre 18 et 28 ans finalement : la fameuse skibidi generation. Tout au long de cette Game jam, la question qui tournait en boucle systématiquement dans ma tête était : mais comment les contenus de mauvaise qualité exposés auprès des plus jeunes populations influencent leurs pratiques créatives, et en l’occurrence ici, le Game design ?
A partir de mes observations sur le terrain, des huit entretiens menés à ce jour et d’une analyse comparée des contenus, cet article retranscrit donc les premières réponses qui peuvent être apportées à cette question.
Définir le brainrot en 2025
Tout d’abord, il est peut-être nécessaire de tout de suite répondre ou plutôt adresser la question : y a-t-il des jeux vidéo Brainrot ? Si je m’attache aux 8 premiers entretiens donnés pendant la jam et qui me serviront à la production de connaissances populaires et scientifiques, la réponse est tout simplement non. En revanche, il était intéressant d’apprendre que des jeux servent quand même de parangons lorsqu’il s’agit de définir rapidement des jeux Brainrot ou de mauvaise qualité. Et il faut bien tout de suite comprendre qu’il ne s’agit pas d’un corpus homogène. Par exemple, le jeu getting over it est revenu régulièrement dans les propos des enquêté·e·s. En revanche, ces derniers ne positionnent pas forcément ce jeu-là en l’associant forcément à du brainrot. Pour ce qui le concerne, c’est davantage les mécaniques qui rendent le jeu difficile qui en font le support d’un contenu identifié Brainrot sur les réseaux par la suite. Nous avons donc là un premier élément de réponse à la question. Il y a très probablement une corrélation entre la difficulté d’un jeu dans la façon dont elle est game designée et le marqueur sémantique « brainrot » faisant référence à une certaine compréhension partagée du phénomène. On parle ici d’une difficulté qui n’est pas forcément légitime ou rationnelle ou scientifique, mais bien d’une difficulté qui suscite des émotions comme la rage, l’incompréhension, et cetera.
Un deuxième jeu est également revenu systématiquement et il s’agit du pavé dans la mare : Roblox. Ici, l’association entre Roblox et Brainrot n’est pas fonction à la difficulté, mais davantage au contexte de production des expériences accessibles via la plateforme Roblox. En tout cas, c’est ce que suggère mes enquêté·e·s. En somme, l’association entre « brainrot » et Roblox existe du fait de l’exploitation de genre qui résulte de la structure même de Roblox en tant que plateforme permettant à la fois une création extrêmement accessible à toutes et à tous et Roblox en tant que place de marché dans laquelle il n’y a aucun coût relatif à l’entrée d’une expérience. Ce qui fait que tout peut être partagé dessus, théoriquement, et tout peut être laissé également en jachère sans aucun maintien, sans aucune update, sans aucune amélioration.
À partir de ces deux premières observations, peut-être que nous avons là le fondement de la relation entre jeux vidéo et brainrot. D’un côté, des expériences extrêmement injustes du fait de leurs difficultés ou d’une fonctionnalité suggèrent une affordance pour la viralité sur les réseaux. De l’autre, l’absence de barrière à la création et au partage d’expériences aboutit à des phénomènes d’exploitation de genre et de productions culturelles laissées en jachère.
Ce que le brainrot fait aux jeux vidéo ?
Ce qu’il a ensuite été intéressant d’observer lors de cette Game jam, c’est également les productions mêmes des étudiants et des étudiantes. En effet, à l’issue de la Game jam, 20 jeux ont été produits et uploadés sur la plateforme itch.io. Ces 20 jeux sont les artefacts d’une certaine prise de température de ce qu’est le Brainrot aujourd’hui finalement.
Pafleucha.exe (illustré plus haut) est par exemple un jeu assez remarquable dans la façon dont il esthétise une idée du brainrot. Ici, il est question d’une esthétique très internetcore avec des dégradés de couleur assez violents, des fenêtres clairement identifiées comme provenant de l’esthétique ou Windows avant XP. Rotbuster lui est un jeu qui nous propose globalement une expérience proche du mode zombie de Call of Duty, mais opte pour des espaces liminaux comme les backrooms. DoomScroller est peut-être le jeu qui à mes yeux de millennial boomer représente le plus l’idée du ludique que je me fais chez les générations plus jeunes : nous sommes sur une map et devons échapper à un monstre qui nous poursuit sans arrêt. Kaizen est quant à lui un jeu à la façon d’un only up, qui est déjà une reprise de Getting Over It.
D’un point de vue purement relatif au discours, peut-être que l’expérience qui m’aura le plus marquée est Lobo Tommy, habile jeu de mots qui prend en compte une pratique numérique qu’il a fallu m’expliquer longuement durant mes entretiens : le lobotomycore. Contrairement aux expériences précédentes, ce jeu fonctionne à la façon d’un Paper, Please. L’intérêt de cela et que cela positionne l’audience joueuse dans une situation dans laquelle elle a pour obligation de faire des choix moraux. En effet dans ce jeu on incarne Tommy, un psychiatre qui doit déterminer si les patients sont brainroté·e·s. En fonction de ce que nous disent les patients, on doit déterminer s’ils sont sains d’esprit ou s’il est nécessaire de les lobotomiser (ce qui est tout somme particulièrement violent, reconnaissons-le).
Un dernier jeu qu’il est intéressant d’évoquer est Memelord Give Me Strength. Il s’agit d’un jeu de cartes physiques qui met en scène les conflits intergénérationnels à la façon d’un pierre-papier-ciseaux. Dans ce jeu les boomers insultent les X qui insultent les Z qui insultent les alphas qui enfin insultent les boomers, et la boucle est bouclée. On y obtient également différents pouvoirs qui font référence évidemment à de nombreux mêmes sur internet. À ce gameplay, le côté Brainrot n’est donc plus propre forcément à un style de contenu, mais prend également en compte les locuteurs et locutrices ainsi que leurs propres connaissances et références. Finalement le Brainrot cela peut alors être tout et n’importe quoi, mais surtout du contenu de mauvaise qualité et produit par l’autre.
Ce n’est que le début
Alors forcément, il s’agit ici d’un très court article qui ne prend pas en compte tout ce qui a été fait lors de la Game jam et tout ce qu’il y a à dire sur les relations entre les contenus de mauvaise qualité et les pratiques créatives qui aboutissent à des expériences vidéoludiques. Mais en conclusion, on a quand même quelques observations pertinentes. La première et que la notion de Brainrot est associée a la viralité et surtout aux plateformes médiatiques qui suggère la création de contenu potentiellement viral.
Secondement, la notion de contenu Brainrot est associée à partir des entretiens que j’ai menés à l’idée que la facilitation de création sur les réseaux fait émerger davantage de contenu de mauvaise qualité ou qui ne seront pas entretenus dans le temps. Au niveau des jeux vidéo même, il est difficile de dire qu’il existe des gameplays clairement Brainrot. Cependant si l’on parcourt les jeux produits lors de cette jam, il y a des redondances : l’usage des mêmes et des références internet, des gameplays qui vise l’accomplissement de choses extrêmement difficiles à réaliser ou encore des phénomènes sociaux plus généraux comme les conflits générationnels ou le sens des choses (au travail, dans la vie). Il n’y a qu’un pas à faire pour suggérer que finalement, le brainrot questionne fondamentalement la pertinence de notre existence.
Assurément, je n’ai pas pu parlé de tout les jeux développés, ni même vraiment encore pu rendre honneur aux entretiens que j’ai menés. Ce sera pour de prochains travaux. ■
esteban grine, 2025.
Post-Scriptum
Originellement, la jam devait porter sur un thème bien plus « intelligent ». En effet, avec les autres enseignants coordinateurs, j’avais proposé de donner aux étudiants et étudiantes le thème « On ne parle pas du thème de la Game Jam ». Dans une certaine mesure, j’espérais donner aux étudiants un thème qui les oblige à adopter une posture méta réflexive qui les aurait forcés à penser des expériences dans lesquelles on ne doit pas faire référence à ce dont il est question en jeu.
D’un point de vue purement artistique et de design, être contraint de créer des objets dont il ne faut pas designer la signification est une problématique formidable. En revanche, dun.de, vue purement pédagogique. Et peut-être aussi qu’au regard du quotidien des étudiants, il s’agissait d’un sujet trop éloigné qui les aurait perdus dans des considérations qui nous auraient également dépassés au niveau de la coordination.
En contrepoint, l’idée du Brainrot semblait complètement résoudre ce problème. Et c’est une intuition qui s’est avérée pertinente. Surtout si je m’attache aux premières observations que nous avons faites. En effet à l’annonce du thème, je ne m’attendais pas à ce que l’assemblée éclate de joie et une semaine après je regrette de ne pas avoir pu filmer ce moment.
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