Appréhender le monde, promesse non tenue de Zelda Breath Of The wild
Rassembler ses pensées pour écrire sur Breath Of the Wild est un exercice complexe. L’immensité du monde qui nous est proposé rend la tâche difficile. De facto cela peut être un excellent point d’entrée : cette impossibilité à concevoir Hyrule comme un monde fini, entier. Dans une précédente tentative de billet, je comparais Zelda Majora’s Mask et SUPERHOT. Je considère ces deux jeux comme des oxymores. Dans le premier, nous errons dans un monde qui ne fait pas attention à nous tandis que le second nous place au centre de tout, de l’espace et du temps. C’est d’ailleurs l’un des points remarquable de SUPERHOT : la façon dont il critique le nombrilisme de l’acte vidéoludique mais peut-être que j’y reviendrais un jour. Ce qui importe, c’est que dans ces deux cas, nous nous retrouvons malgré tout face des jeux nous laissant prendre la mesure de la grandeur, de la taille des environnements explorables.
Dans Majora, le monde est finalement très bien circonscrit et les actions du joueurs aussi, autant dans l’espace que dans la temporalité du jeu. Au bout d’un certain moment, on arrive à comprendre l’ensemble des enjeux qui y sont développés. On peut, malgré le fait qu’en tant que joueur nous soyons rejetés, appréhender le monde. C’est cette notion qui m’intéresse particulièrement ici : appréhender le monde. Au contraire, dans SUPERHOT, nous sommes dès le début du jeu totalement au contrôle d’absolument tous les paramètres et le jeu (ou plutôt les game designers) en est totalement au courant. Nous appréhendons les mondes qui nous sont proposés. Ce sont des matières plastiques avec lesquelles les joueurs composent. Dans ce billet, je résume finalement les propositions que nous font les jeux vidéo à cette appréhension du monde.
A travers ces deux exemples, ce que j’essaie de démontrer, c’est que peu importe la place du joueur, à côté ou central dans la trame scénaristique, les mondes sont finis dans leur code informatique et dans leurs représentations. C’est à mon sens la promesse la plus banale que peut nous faire un jeu vidéo. A mesure que notre compétence et notre maitrise grandissent, le monde perd de sa splendeur, de son immensité pour être ramené à sa représentation rationnelle. C’est peut-être ce désenchantement du monde qu’évoquait Damastès en citant Max Weber. Pour reformuler simplement la chose, les game designers & designeuses nous font la promesse de désenchanter le monde virtuel dans lequel nous évoluons.
Je ne vois absolument pas cela comme un problème. A aucun moment, dans ma vie de joueur, je ne me suis questionné sur cela et c’est sur ce point que Zelda Breath Of The Wild tranche totalement dans mon expérience. Je n’arrive pas à conceptualiser le moment où je considérerais le monde dans sa finitude. Pourtant, il est évident que par son code informatique, le jeu « fait œuvre » dans sa complétude et sa complexité. Cependant, dans esthétique, je n’arrive pas à voir le moment où je serais « désenchanté ». J’ai l’impression que ma courbe de compétences n’est pas liée au désenchantement du monde contrairement aux autres jeux et notamment ceux que j’ai cités. Et cela m’a aussi questionné par rapport à d’autres jeux de rôle comme Skyrim ou Oblivion qui sont deux jeux immenses en termes d’espaces explorables mais à aucun moment je ne me suis dit que je ne pouvais pas « maitriser » ces jeux, leurs intrigues, etc. Même dans Horizon Zero Dawn que j’ai beaucoup aimé, j’ai vécu la même chose.
Dans la temporalité de l’acte de jouer, c’était la maitrise et la compréhension qui précédait l’ennui. Rétrospectivement, j’ai l’impression que cela a toujours été le cas dans tous les jeux auxquels j’ai joués. Pour Breath Of The Wild, j’ai l’impression que c’est l’inverse qui va se produire. Je vais d’abord m’ennuyer avant de comprendre ou de rationaliser les terres d’Hyrule. Mes propos peuvent sembler durs ou trop scientifiques mais autrement formulés, cela veut dire que l’univers restera (après mon passage) enchanté, merveilleux. C’est une nouvelle promesse vidéoludique qui s’offre. Sans forcer la rationalisation du monde, les comportements ludiques deviennent, pour paraphraser Guillaume Grandjean : « gratuits et cela ouvre… des perspectives… artistiques ? ». ■
Esteban Grine, 2017.