Tout commença avec un tweet d’un certain vidéaste qui prônait alors la suprématie d’un certain jeu par rapport aux autres. Parti de cette réflexion, je décidai de démarrer un thread avec pour hashtag #VréJeu qui interrogeait alors nos représentations du Jeu et du Jeu Vidéo en général. Vous pouvez retrouver l’intégralité de ce thread sur cette page.
[Bonjour Internet et merci encore une fois de lire cet article. Les jeux sont incroyables. Le concept de “jeu” en lui-même relève du pur génie. Comment sommes-nous arrivés à considérer que certaines de nos activités relèvent du Jeu ? Il y a bien des choses sur lesquels nous arrivons très simplement à nous mettre d’accord pourtant, pour certaines, il devient totalement impossible de s’entendre. Alors, comment avons-nous pu nous accorder sur l’idée du jeu ?
Que se passe-t-il dans nos têtes qui nous rend capables de définir ce qui est jeu de ce qui ne l’est pas ? Pourquoi un certain Jeu Vidéo serait plus jeu vidéo qu’un autre Jeu Vidéo ?
Pareil, dans la vie, il y a de plus en plus de situations dans lesquelles on peut penser que les individus sont en train de jouer, même inconsciemment. Prenons un cas concret : la vidéo “Her Story is Our story” que je vous invite à voir si vous avez déjà joué au jeu de Sam Barlow. Il y a quelque chose d’assez étrange avec cette vidéo : très peu de gens l’ont regardé comme une simple vidéo avec une narration linéaire et la quasi majorité de l’audience a respecté les règles que j’ai proposées et les mécaniques ludiques. Pourtant, ce n’est pas un jeu… Alors pourquoi les gens ont joué le jeu ?
Nous avons donc deux questions à traiter dans cette nouvelle capsule technique : pourquoi des gens jouent pendant des situation qui ne sont pas “jeu vidéo” et pourquoi certains jeux sont plus considérés comme des jeux que d’autres ? Et bien pour répondre à cela, je vais mobiliser le concept de gamification ou ludification et cela devrait permettre d’y voir un peu plus clair.
La ludification dans le sens commun
Dans le sens commun, lorsque l’on parle de ludification, nous faisons référence à un seul mécanisme. On intègre des éléments de jeu dans des situations qui ne sont pas “jeux”, où du moins qui ne sont pas considérées comme “Jeux”. Donc en gros, en ludifiant une situation, on lui inclut un caractère “jouable”. La jouabilité ici, c’est tout simplement le degré accordé aux gens afin qu’ils rendent ludique une situation. Plus une situation possède un degré élevé de jouabilité et plus facilement nous pourrons observer l’émergence de situations de jeux. Prenons , un exemple simple : il y a 50 ans à l’école, il y avait des situations jouables et des situations non-jouables. La cours de récréation était une situation avec un grand degré de jouabilité tandis que la période de classe empêchait l’émergence de jeux. Or, depuis cette époque, nous avons ludifié la classe aussi en créant des situations ludiques comme des activités de groupes, des activités manuelles, l’inclusion de systèmes de bons points etc. etc.
De plus en plus on ludifie le travail où ce qui peut s’assimiler comme étant du travail. Par exemple, il existe de nombreuses applications proposant des systèmes de jeux ludifiant la vie de tous les jours. C’est le cas par exemple de Quest : level up your life ou Habitica qui sont tout simplement un gestionnaire de tâches avec des mécaniques de jeux de rôle incluses. Et là, nous ne venons que d’évoquer les pistes empruntées par des applications informatiques, mais de nombreuses entreprises ou encore des sites internet incrémentent des éléments de gameplay à leur design.
C’est très récemment le cas de Youtube Heroes qui proposent aux internautes de participer à la vie et à la gestion du site en échange d’un système de badges et de niveaux. Pour ce dernier cas, il faut bien comprendre qu’il y a énormément d’enjeux économiques liés à cette forme de ludification puisqu’à terme, il s’agit bien de réaliser du crowdsourcing.C’est-à-dire que le site Youtube souhaite externaliser une partie de ses équipes afin de diminuer les coûts internes de la gestion de cette plateforme.
Donc là, nous avons une première définition de la ludification. Mais pour être précis, nous avons La définition de Raessens de la Ludification. Il énonce aussi qu’en plus de cela, la numérisation de nos cultures a grandement facilité la mise en place des formes de ludifications. Il existe pourtant un second type de ludification. Cette nouvelle forme que nous allons voir énonce que l’on peut ludifier les jeux eux-mêmes.
Quoi ? Vous ne comprenez pas bien ce que cela veut dire ? Alors faisons un bref parallèle avec la notion d’infini. Si je vous demande de définir l’infini, vous me diriez probablement en première réponse que c’est l’existence d’un nombre toujours supérieur au précédent. Mais, il y a en réalité plusieurs forme d’infinis. Il y a aussi “moins l’infini” mais surtout il y a aussi des infinis entre chaque nombres.
Par exemple il y a entre 0 et 1 un une infinité de nombres. Et bien c’est pareil pour les Jeux vidéo ! essayons un peu de représenter tout cela sur un graphique. Essayons d’imaginer un jeu simple qui va nous servir de référence, disons par exemple, Pierre-feuille-ciseau, ou Chifoumi ou Jankenpon ! Dans ce jeu, il y a deux joueurs et le but est globalement de faire un pari. Ce pari se résume de la manière suivante : la forme que vous allez choisir va battre la forme choisie par votre adversaire. Bon, nous avons déjà parlé du processus de ludification de Raessens. Cela veut dire que le gameplay du Pierre-Papier-Ciseau va être implanté dans certaines situations de la vie courante. Plein d’exemples peuvent venir en tête puisque ce jeu peut servir de méthode rapide de décision ! Donc à vous d’imaginer les enjeux qui peuvent y avoir derrière une partie de JanKenPon. Maintenant, si on regarde dans l’autre sens, on peut se dire que le JanKenPon, ce n’est pas un jeu très “rationnel”.Par exemple, qui fait le décompte ? Est-ce que les deux joueurs donnent leur réponse en même temps ? Est-ce qu’on est sûr que les deux joueurs connaissent les mêmes règles et pas seulement des variantes ? Est-ce qu’un joueur ayant plus d’expérience à ce jeu peut abuser un joueur novice ? Bref, on s’aperçoit vite que le Jeu Pierre-Papier-Ciseau n’est pas très rigoureux, précis. C’est pourquoi par exemple, il y a des développeurs qui ont proposé des solutions. Le site roshambo permet de rationaliser à l’extrême un jeu de JanKenPOn : il ne peut y avoir de triche puisque les adversaires révèlent leurs choix exactement au même moment, etc.
Ludifier un jeu ?
Cette forme de ludification a été mise en avant par deux chercheurs : Grimes et Feenberg. Et pour ces derniers, ludifier un jeu signifie rationaliser un jeu. Donc plus un jeu est ludifié, plus ses règles seront clairement établies et plus l’activité sera encadrée par une structure solide. Et cette ludification est le résultat de trois formes de rationalisations de l’acte de jouer.
Tout d’abord, il faut que les échanges soient équivalents : par exemple, les mouvements des joueurs doivent être standardisés afin de réduire les imprécisions et les abus.
Deuxièmement, il est nécessaire de tenir une certaine classification des règles et de toujours vérifier leur application quasi bête et méchante pour laisser le minimum de place au jugements de valeurs ou tout simplement pour limiter les défaillances humaines.
Dernièrement, il s’agit d’optimiser le calcul de l’effort et des résultats. Par exemple, les systèmes d’attribution de points en fonction des exploits des joueurs doivent être les plus impartiaux possibles afin que la décision finale soit incontestable.
Maintenant si l’on souhaite reprendre mon graphique expliquant les formes de ludifications, nous avons donc quelque chose qui ressemble au schéma ci-dessous. A gauche, nous avons donc l’emploi de certaines mécaniques de jeu dans la vie de tous les jours, parfois des stratégies ludiques se mettent en placent mais cela ne se différencie pas vraiment des autres activités que nous avons. Au milieu, nous avons une mise en place d’une sphère ludique, d’un cercle magique pour reprendre Huizinga, qui va définir un espace dans lequel les individus jouent sans pour autant forcément avoir un support de jeu. C’est là que l’acte de jeu n’est pas forcément rationnel : les règles changent souvent, les objectifs sont variables et ne sont pas forcément perçus comme une finalité à atteindre. Enfin, à droite, il s’agit vraiment de jouer de manière structurée avec des supports de jeu et plus nous continuons vers la droite, plus les supports proposeront des expériences rationalisées où par exemple, les règles ne peuvent être modifiées.
Mais pour revenir à mon exposé : les jeux vidéo sont majoritairement des expériences ludiques extrêmement rationnelles d’un point de vue du game design : ils ne laissent en réalité que très peu d’espaces de liberté à l’expression des joueurs. Attention, n’allez pas me faire dire qu’un joueur ne peut pas ressentir une forme de liberté d’expression lorsqu’il joue, mon propos est surtout de dire qu’une structure de jeu vidéo ne lui laissera qu’un espace plus ou moins grand mais jamais avec une infinité de variations possibles.
Et donc du coup, plus un jeu vidéo va être rationnel et plus nous aurons tendance à le considérer comme un jeu vidéo. Pourquoi me demanderiez-vous ? Et bien l’une des explications qui peut être avancée est qu’un jeu vidéo “rationnel” correspond plus ou moins à la représentation que nous nous faisons généralement des jeux vidéo. Par exemple, vous pouvez faire l’exercice suivant par vous même en répondant à la question suivante : quels sont les caractéristiques des jeux vidéo en général ? C’est bon ? Vous avez quelques idées ?
Si vous avez répondu qu’un jeu vidéo doit avoir : un système de points, proposer un mode de compétition, avoir une histoire transmise par une forme de narration, posséder des boucles de gameplay, être progressif dans sa difficulté et j’en passe : bravo ! Vous avez bien repéré les caractéristiques les plus présentes dans les jeux vidéo de la décennie 2006-2016.
Et inversement, plus un jeu proposera une expérience proche du “Play”, moins il sera ludifié et moins il aura l’air d’un jeu vidéo puisqu’il ne correspondra alors pas à l’idée que l’on se fait des jeux vidéo en général. Nous avons donc une réponse à la question que nous nous posions en début de vidéo à savoir : Pourquoi un certain Jeu Vidéo serait plus jeu vidéo qu’un autre Jeu Vidéo ?
Et pour que ces idées de ludification soient définitivement claires, je vous propose de parcourir rapidement trois jeux vidéo qui sont plus ou moins rationnels et d’observer pourquoi ils sont de moins en moins ludifiés, tout en restant des jeux vidéo !
3 exemples pour illustrer la ludification de l’idée du jeu
Pour faciliter la chose, j’ai choisi trois jeux qui possèdent des caractéristiques du Walking Simulator et nous allons voir comment ces jeux rationalisent ou pas l’expérience du joueur. Commençons avec celui que je considère comme le plus ludifié de tous : FireWatch ! Quoi ? Vous n’êtes déjà pas d’accord avec mon choix ? bon attendez je m’explique.
Dans FireWatch, vous incarnez un homme un peu perdu et qui décide de mettre sa vie en pause en devenant garde forestier. Ce jeu fait partie de ce genre que les gens aiment appeler “jeux narratifs”, ce terme ne veut pas dire grand chose car tout jeu est narratif mais disons que les jeux narratifs sont des jeux mettant l’accent sur la mise en récit d’une histoire. Alors, c’est déjà un jeu qui interroge pas mal de personnes sur son statut de jeu mais si l’on regarde de plus près et que l’on décompose un peu les éléments de FireWatch, on s’aperçoit qu’il possède de nombreuses caractéristiques du jeu vidéo.
Par exemple, on comprend très vite que la progression est linéaire et que le jeu ne nous ouvre des portes que si nous avons rempli un certain nombre de critères. Nous avons bien entendu des objectifs avec des indicateurs visuels. Ensuite, on remarque que nous possédons un inventaire qui se remplit de “clefs”, c’est-à-dire d’objets qui nous permettent de débloquer la suite de l’aventure. Et bien entendu, nous avons quelques collectibles pour les plus observateurs d’entre nous. Donc finalement, FireWatch contient pas mal de marqueur “rationnels” du jeu. Un dernier élément très simple à observer concerne la présence de l’interface et de tous les signaux extra-diégétiques. “Extra-diégétique” signifie que les signaux ne font pas partie de l’univers du jeu. ils font partie d’une surcouche en dehors de la diégèse et seulement visible par le joueur. Certaines personnes ont finalement beau dire que les jeux comme FireWatch ne sont pas des jeux vidéo, on s’aperçoit qu’en les dénouant éléments par éléments, et bien, ils possèdent de nombreuses caractéristiques du jeu vidéo.
Maintenant, passons à The Witness. Dans ce jeu, vous vous promenez sur une île abandonnée qui a été aménagée par on ne sait quelle entité pour vous en plaçant des énigmes de la forme de panneaux sur lesquels vous devez tracer une ligne allant d’un point A à un point B en respectant les règles établies. Et c’est tout, rien de plus. Il n’y a pas de mystère, pas de grande histoire qui se résout à la fin avec un twist. Bref, le jeu ne vous propose qu’une expérience d’exploration d’une île avec des énigmes qui ne sont finalement pas obligatoires sauf si l’on décide que le but du jeu est de le terminer. Et là, le jeu propose une expérience bien moins ludifiée que FireWatch. Il n’y a pas vraiment d’objectif explicite, quasiment aucun didacticiel formel et c’est aux joueurs de comprendre les règles régissant les énigmes. Même si l’on s’attache à l’interface, celle-ci est réduite au stricte minimum : aucune information sur l’état du joueur, seul un viseur au centre et un rebord blanc lorsque nous résolvons les énigmes. De même, le jeu ne transmet aucune information extra-diégétique : pas de distribution de point, pas d’aide, de conseil, etc. Enfin, l’expérience est sans compromis, il n’y a aucune coupure dans le gameplay : pas de cinématiques, pas de temps mort, le joueur reste seul maître à bord dans sa progression et dans le rythme qu’il souhaite imposer au jeu.
Dans The Witness, il y donc moins de marqueurs pragmatiques qui nous indiquent que c’est un jeu ; et cela se remarque d’autant plus lorsqu’on le compare à FireWatch. Cependant, le fait de voir toutes ces énigmes fournit un indice sur ce que doit faire le joueur pour “progresser”, si l’on peut vraiment utiliser ce terme pour définir l’expérience que nous avons dans ce jeu. Donc si l’on reprend notre graphique ci-dessus, TheWitness est toujours un jeu, mais son expérience est moins ludifiée que celle de FireWatch.
Vient maintenant notre dernier exemple, dans Proteus, vous vous réveillez au large d’une île qui a peut être accueilli, fut un temps, une civilisation et vous explorez. C’est tout, aucune information extra diégétique ne vient indiquer aux joueurs ce qu’il se passe. Ce dernier ne sait d’ailleurs pas vraiment ce qu’il fait là, ni comment, ni pourquoi. Bref ce jeu n’est quasiment pas ludifié. Nous ne faisons que nous promener sur une île déserte tout en observant cette dernière et faisant des rencontres. Est-ce que c’est un jeu ? Je crois bien que poser cette question n’a pas de sens. Pourtant, si l’on regarde maintenant le comportement que j’ai eu, et bien il s’avère que j’ai joué à quelque chose. Pendant ma promenade, j’ai joué à poursuivre les grenouilles, embêter gentiment les poules, chercher à m’échapper des abeilles et j’ai poursuivi des lucioles. Rien ne vient nous dire si ce que nous faisons est bien ou pas, il n’y a aucun feedback qui nous félicite ou nous punit, il n’y as pas de règles du jeu donnant des objectifs au joueur, c’est à ce dernier, en observant le monde autours de lui, de l’accepter comme un terrain de jeu. Proteus est un jeu qui ne transmet pas, ou très peu, le message “je suis un jeu”. Il interroge le joueur qui lui joue sans pour autant être capable de définir ce qu’est l’objet du jeu. C’est d’ailleurs pour cela que mon expérience est sûrement très différente d’une autre personne. Cette dernière ne considérera peut-être pas Proteus comme un jeu. Au delà de savoir qui a raison ou qui a tort, il devient intéressant d’émettre l’hypothèse que Proteus n’est pas assez ludifié pour mettre tout le monde d’accord sur son statut de jeu (ou de non-jeu).
Conclusion
Au travers de ces 3 exemples, je pense avoir expliqué ce que pouvait représenter la ludification des jeux eux-mêmes. Bien sûr les comparaisons que je vous ai proposées sont très personnelles et peut-être que certains d’entre vous ne seront pas d’accord avec mon agencement, et bien à mon sens, ce n’est pas grave. Sans tomber dans un relativisme extrême, il est possible que ma classification de ces trois jeux ne conviennent pas à tous. N’hésitez pas à me dire en commentaire si vous n’êtes pas d’accords. Je serai très content de pouvoir en discuter.
En attendant, Internet, n’oublie pas que la ludification est un terme qui possède au moins deux définitions. D’un côté, cela nous permet de comprendre comment des éléments de la sphère ludique sont appliquée dans les autres sphères de la vie. De l’autre côté, la ludification nous permet de comprendre comment les game designers et les joueurs rationnalisent les expériences de jeux. Donc pour répondre à notre question du début, il n’y a pas de vrais jeux vidéo, seulement des objet plus ou moins ludifiés avec lesquels des individus peuvent jouer et s’amuser. ■
Esteban Grine, 2016.
Sources
Genvo, Sébastien, « Penser la formation et les évolutions du jeu sur support numérique », mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches, 2013.
Grimes, Sara M., et Andrew Feenberg. « Rationalizing Play: A Critical Theory of Digital Gaming ». The Information Society 25, no 2 (11 mars 2009): 105‑18. doi:10.1080/01972240802701643.
Lange, Michiel de, Sybille Lammes, Joost Raessens, Jos de Mul, et Valerie Frissen. Playful Identities: The Ludification of Digital Media Cultures. 1re éd. Amsterdam: Amsterdam University Press, 2015.
J’ai lu le dernier livre de Ian Bogost et je me suis dit, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas essayer de vous partager ce que j’en ai retenu ? Play anything n’est pas un livre sur le jeu ou sur le jeu vidéo. Bogost a déjà écrit ce qu’il avait à dire sur le sujet. Non. Play Anything, c’est un essai philosophique sur comment appréhender la vie de manière générale.
Ce livre n’a pas pour objectif d’être exhaustif dans ses sources, ni même scientifique dans son contenu. On pourrait alors critiquer cette démarche qui se veut plus sensorielle et personnelle que factuelle et rigoureuse. Et pourtant, j’ai beaucoup aimé ce livre et les propos qui y sont tenus mais peut-être que pour expliquer cela, je dois vous parler un peu de moi.
J’ai une certaine tendance à visualiser tout ce qui m’entoure sous la forme de jeux respectant des mécaniques ludiques. La loi, les relations sociales et les comportements des individus respectent pour moi des règles de jeux. C’est très loin d’une représentation parfaite du monde, je vous le concède. Pourtant, c’est celle que j’ai choisi et qui me convient le mieux aujourd’hui pour appréhender l’univers et ses règles.
Tout commence par un Terrain de Jeu
Alors, je ne dis pas que l’univers est un jeu, et Bogost ne serait pas d’accord avec cette idée non plus. Au contraire, pour lui la réalité n’a pas à être définie comme un jeu. Cependant, elle contient ce qu’il appelle des situations pouvant devenir des terrains de jeux. Et potentiellement, tout peut être propice au jeu. Là, il fait référence au concept de jouabilité d’un chose. Plus une situation possède une jouabilité élevé et plus il est possible de mettre en place un jeu à l’intérieur de celle-ci. Bogost nous dit que la plupart des situations de la vie sont jouables : se balader dans un magasin, aller au cinéma, se promener dans la rue, faire la vaisselle, le ménage. Toutes ces situations sont propices à la mises en place de ce qu’il appelle un “terrain de jeu”. Même s’il n’évoque pas le concept de Ludification au sens de Raessens. Nous pourrions y voir une critique, cependant, il convient dès à présent de dire que le concept de ludification est un concept anthropocentriste : c’est-à-dire que c’est de l’humain qui est ) l’origine des terrains de jeu . Or, Bogost, comme nous l’apprenons plus tard dans le texte, propose une vision de excentrée : les terrains de jeu proviennent des objets eux-mêmes selon Bogost. Le concept de ludification ne fait donc pas sens dans l’ouvrage de Bogost.
Et contrairement à de nombreux chercheurs qui le précédent (Huizinga entre autres), Bogost rejette l’idée que le jeu est une forme d’échappatoire, qu’il serait distinct de la réalité. Au contraire, la mise en place de “terrains de jeu”, c’est-à-dire un espace plus ou moins définis dans lequel le jeu se produit, nécessite selon Bogost précisément d’accepter la réalité telle qu’elle se présente à nos yeux. Et pour ce faire, il est nécessaire d’observer les choses qui nous entourent et de reconnaître leur existence sans jugement de valeur. En effet, Bogost nous pose une question très simple au début de son livre : pourquoi les enfants arrivent toujours à inventer des jeux dans n’importe quelle situation ? L’on peut penser aux enfant qui dans un magasin cherche à ne marcher que sur certaines dalles du sols par exemple. Bogost demande au lecteur pourquoi les adultes ne font pas la même chose ? Selon lui, les adultes observent et acceptent moins les objets qui les entourent. Or, en reprenant Don Norman, Bogost pose l’hypothèse que c’est en observant et en acceptant les choses que l’on peut voir leurs affordances, c’est à dire l’ensemble des possibilités qu’elles offrent.
L’Ironie : l’ennemie du Jeu
Et si en tant qu’adultes, nous ne voyons plus les affordances des objets et des choses qui nous entourent, c’est, selon Bogost, à cause de l’ironie dont nous faisons preuve la plupart du temps. Il définit l’Ironie comme une stratégie de distanciation. Nous faisons preuve d’Ironie au sens de Moquerie comme d’une forme d’autodéfense. L’objectif est alors de pouvoir rapidement se protéger lorsqu’un objet nous fait défaut. Il énonce alors que nous souffrons de ce qu’il appelle l’Ironoïa : la peur des choses. Cette ironoïa doit se comprendre comme une forme de paranoïa dirigée vers les objets. Mais ce n’est pas tout. L’ironoïa est aussi paradoxale dans le sens où c’est aussi une méthode pour garder les objets qui nous entoure à une certaine proximité. Ainsi, nous gardons les choses, les phénomènes à proximité mais sommes prêts à nous en distancer au moindre problème qui pourrait survenir. Par ailleurs, Bogost rapproche beaucoup l’Ironoia du sentiment de nostalgie : cet idéal inatteignable nous obligeant à limiter ce que nous pouvons attendre des choses puisque de toute façon, nous serons déçus. Dès lors, notre ironie nous empêche de pouvoir voir la jouabilité des situations. C’est pourquoi Bogost critique cette posture puisque c’est ce qui celui-lui nous empêche de jouer.
Pourtant, malgré notre inhérence à être ironique, cela ne nous empêche pas de rechercher l’amusement lorsque l’on joue. Mais Bogost questionne véritablement notre capacité à définir ce qui est l’amusement, ce qui est fun. En effet, on utilise l’adjectif “fun” pour caractériser un bon jeu vidéo. Mais ici, nous utilisons “fun” comme si nous utilisions l’adjectif “bon” pour un livre ou un film. De même, nous associons l’idée d’amusement à l’idée de plaisir mais Bogost confronte cette hypothèse à la réalité. Le constat qu’il propose serait même plutôt l’inverse. A partir d’une série non exhaustive d’exemples, il énonce que les situations mémorables et celles durant lesquelles nous nous sommes le plus amusés ne sont pas forcément liés aux situations pendant lesquelles nous avons été les plus heureux.
Définir l’amusement par la nouveauté
De même, ce n’est pas quand nous nous sentons en équilibre dans une situation que nous nous amusons, au contraire, nous serions plutôt dans un état proche de l’ennui. Bogost en profite également pour critiquer ouvertement l’association d’idées entre l’amusement et la théorie du flow. En effet, la théorie du flow énonce qu’il existerait une zone intermédiaire entre facilité et difficulté dans laquelle les individus sont totalement en phase avec l’activité qu’ils sont en train de réaliser. Dès lors, habituellement, cette zone est vue comme l’espace dans lequel les individus peuvent s’amuser. Or, Bogost critique ouvertement cela en expliquant qu’au contraire, la théorie du flow ne nous pousse pas à découvrir et à sortir de notre zone de confort, même si la difficulté augmente par rapport à ce que nous avons connu, celle-ci se retrouve toujours équivalente à ce que nous pouvons réaliser.
Ainsi donc, pour Bogost, la recherche de l’amusement ne correspond pas à la recherche du plaisir mais plutôt la recherche de ce qui sera mémorable. Autrement formulé, le fun est fortement lié à la recherche de la nouveauté. Et découvrir la nouveauté n’est possible qu’en observant les choses et le monde sans faire preuve d’ironie. Il est nécessaire d’accepter les choses telles qu’elles sont afin de pouvoir voir la nouveauté, symbolisée par la découverte de nouvelles affordances. S’amuser, c’est donc chercher de nouvelles applications aux choses qui nous entourent. Et pour cela, il faut savoir poser son regard sans jugement. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le mot “fun” anglophone provient de “Fool”. Ce personnage est lui aussi pertinent puisqu’au moyen-âge, le fou avait le rôle d’observer et de proposer des interprétations afin d’épauler les décideurs dans leurs choix. C’est en adoptant la posture du Fou que nous pouvons voir ce qui nous entoure sous la forme de terrain de jeu. Bogost nous dit qu’il suffit d’accepter la réalité telle qu’elle sans ironie et avec humilité pour comprendre que de nombreuses situations sont jouables.
C’est l’objet qui est ludique, l’humain n’a rien à voir avec cela.
Ces derniers propos sont aussi révélateurs de ce que que pense Bogost de ses prédécesseurs. En effet, pendant les premiers chapitres, il décrit un être humain qui n’est pas forcément par nature joueur, dans le sens où l’attitude ludique si chère à de nombreux chercheurs, est en fait quelque chose de bien plus complexe qu’il n’y paraît. Dès lors, Bogost fait le postulat que l’attitude ludique est bien plus contextuelle qu’intrinsèque. En effet, plutôt que de voir l’humain comme étant le point de départ d’un acte de jeu, il propose d’orienter la discussion vers les objets. C’est dans ces derniers que se trouve le jeu et non dans les Femmes et Hommes. C’est donc un objet quel qu’il soit qui possède le caractère (l’attitude ?) ludique, caractère attribué à l’humain par Huizinga et tous les chercheurs s’en inspirant.
Bogost propose de rompre avec la tradition mais il est évident que cette remarque peut très facilement s’inscrire dans une démarche constructiviste. De même, il ne s’agit finalement que de réencastrer l’acte de Jeu dans un contexte fait de relations sociales et dans un milieu précis. Ainsi, si les propos de Bogost sont pertinents, il ne sont ne sont pas novateurs. Ils cristallisent cependant dans la recherche anglosaxonne des propos qui ont déjà été abordés dans la recherche francophone (lorsque l’on parle de la nécessaire prise en compte du contexte de jeu et la mise en exergue des relations entre les agents de l’acte de jeu).
Cependant, outre cette critique que nous venons de lui adresser, il convient de faire remarquer notre sympathie pour les propos tenus. De même, la définition de “jouer” proposé par Bogost est relativement pertinente. En effet, il définit l’acte de jouer comme “The work of processing something”, ce qui donne en français moyen : “l’acte de manipuler quelque chose”. Si cette définition semble naïve, il convient de prendre en compte tous les propos précédemment tenus par Bogost. En effet, selon l’auteur, pour jouer, il est nécessaire d’observer sans ironie le monde et les objets qui nous entourent. Autrement dit, cette définition indique que jouer signifie “découvrir les affordances d’un objet”. Encore une fois, il est nécessaire de rappeler que l’amusement se trouve dans la découverte de la nouveauté selon Bogost et cette découverte n’est rendue possible qu’en exploitant, qu’en manipulant sans ironie les objets qui nous entourent.
Pour parler du Jeu, il faut parler des Contraintes
Dès lors, avec tout ce qui vient d’être dit, nous pourrions supposer qu’il est très facile de s’amuser puisqu’il ne suffit finalement que d’observer et de manipuler. Or, Bogost prend le contrepied de cette hypothèse. Cependant, encore une fois, ses propos ne sont en rien novateurs. Bogost énonce que c’est sous la contrainte que le “jeu” peut naître. Pour soutenir son propos, il part de la création artistique et énonce que si l’artiste est totalement libre de créer ce qu’il veut, il risque de ne finalement rien créer. Or c’est en s’infligeant des contraintes techniques, matériels ou comportementales que l’artiste peut créer des oeuvres d’Art. Nous retrouvons ici un postulat relativement classique dans l’Histoire de l’Art, en esthétique et dans la recherche sur le Jeu puisque les premiers travaux de Huizinga énonçaient déjà que les jeux nécessitent l’installation de contraintes. Ces contraintes prennent la forme de règles du jeu plus ou moins permissives.
Ainsi, plus on va se fixer de contraintes et plus nous aurons de facilités à adopter une attitude ludique. Cependant, Bogost critique la vision anthropocentriste des précédents penseurs ayant travaillé sur cette notion. Ici, l’une des faiblesses de Bogost est qu’il se repose principalement sur les apports de Huizinga, qui datent de 1936, or de nombreux penseurs ont retravaillé cette notion, Henriot (1969 et 1989, faisant de lui un précurseur avant Caillois) entre autres. Ainsi plutôt que d’énoncer que le jeu provient des êtres vivants, il énonce contrairement à cela qu’il provient originellement des objets entourant les êtres vivants. Ainsi, reformulé, nous jouons non pas sur notre propre initiative mais parce que ce sont les objets eux-mêmes qui possède dans une certaine mesure une ou des affordances propices à l’apparition de terrains de jeu. L’être humain quand à lui doit se défaire de son ironie, de son ironoïa, afin de pouvoir observer et comprendre les applications ludiques, déjà présentes intrinsèquement, des objets. Finalement, “jouer” pour Bogost, c’est discerner le(s) sens ludique(s) que peuvent avoir des objets et qui existent déjà. Il n’est donc pas question d’inventer des jeux mais plutôt de les découvrir. Enfin, Bogost conclut cette partie sur la nécessité de respecter les objets pour ce qu’ils sont. Il s’agit ici d’appuyer son propos sur l’origine des jeux. Ceux-ci proviennent d’abord des objets et ce sont ensuite les humains qui les “découvrent”.
Conclusion de l’ouvrage
Ainsi donc, comme nous avons pu le montrer lors de notre note de lecture, “Play Anything” soutient la thèse suivante : ce sont les objets et l’environnement eux-mêmes qui contiennent ce que Bogost nomme les “terrains de jeu”. Ce n’est donc pas l’humain qui donne un sens ludique aux choses qui l’entourent mais c’est celui qui découvre ce sens intrinsèque aux objets, à condition de s’être défait de son ironoïa, de sa peur des objets.
L’ouvrage de Bogost, comme énoncé, ne propose pas une réflexion particulière sur les jeux vidéo ou sur les jeux. Au contraire, il s’agit plutôt d’un essai philosophique sur notre conception du jeu et de comment jouer avec/dans la vie de tous les jours. Contrairement à ce qui a pu être ébauché en philosophie ou dans la recherche par le passé, Bogost choisit de détourner son regard de l’être humain (ou tout être vivant) pour valoriser les objets et l’environnement. L’intérêt de cette démarche est bien entendu de se défaire d’une vision anthropocentriste du jeu en considérant que le ludique fait partie intrinsèquement des objets. Pour Bogost, c’est aussi une façon proposer une vision plus humble de ce qu’est le jeu et ce pour deux raisons. Premièrement, ôter cette caractéristique de l’être humain permet de minimiser l’importance de son rôle dans l’acte de jouer tout en revalorisant les objets (les structures de jeu) et secondement, comme il énonce au début de sa réflexion, “jouer” nécessite d’observer le monde qui nous entoure tel qu’il l’est et de l’accepter. Bogost nous dit clairement qu’il faut “embrasser le monde qui nous entoure”, que jouer, c’est « faire ce que l’on veut avec les choses qui nous sont données ».
Discussions, limites et ouvertures
Cependant, plusieurs limites se font sentir dans cette réflexion. Premièrement, il nous aurait semblé plus pertinent de s’intéresser de manière plus approfondie aux relations entre les objets et les joueurs. En effet, à force de vouloir mettre en avant les objets et le contexte, Bogost formule non pas une représentation fondamentalement différente de ce qu’est le jeu mais simplement une inversion des rôles. Cependant, force est d’admettre que l’idée d’associer la caractéristique du jeu directement à l’objet est séduisante mais cela suscite de nouvelles questions que Bogost n’aborde pas. En effet, il place l’humain en tant que “découvreur” du sens ludique préexistant mais nous pouvons interroger dans quelle mesure celui-ci peut prétendre à ce rôle. Selon Bogost, il suffit de se défaire de son ironie afin d’observer le monde à sa juste valeur, cependant, des travaux comme ceux de José P. Zagal (2010) ont déjà approfondi cette piste de recherche en questionnant la littératie vidéoludique des individus. Dès lors, bien que les travaux de ces deux auteurs ne soient pas exclusifs, il convient de s’interroger sur les similitudes et les réponses qu’ils proposent.
De même, dans la réflexion de Bogost, le contexte historique et sociologique des individus n’est que très peu abordé or d’autres chercheurs (Henriot, Genvo entre autres) ont déjà noté l’importance de la prise en compte de ce contexte pragmatique dans la mise en place d’une situation de jeu : ce qui est jeu dans un contexte historique et géographique ne l’est pas forcément dans un autre. De même, malgré les revendication d’humilité de Bogost, la thèse du livre se repose beaucoup trop sur une vision individualiste. Proposer des axes de recherches à un niveau macro socioculturel aurait été pertinent. Par exemple, nous pourrions nous demander dans quelle mesure le regarde de l’Autre impacte la mise en place d’un terrain de jeu ? Comment un jeu est socialement validé ou critiqué ? Pour reprendre Bogost, il suffirait d’énoncer que tout cela se regroupe dans ce qu’il appelle les contraintes nécessaires à l’apparition du jeu mais afin de poursuivre cette réflexion, il conviendrait de s’interroger sur la part que chacune des contraintes peut avoir sur les terrains de jeu.
Par ailleurs, il convient de remarquer qu’à un moment dans l’ouvrage, Bogost critique la théorie du Flow de Mihaly Csikszentmihalyi en énonçant que finalement, si l’on cherche toujours à rester dans une certaine zone de confort, cela ne correspond pas à la définition de Bogost de l’amusement. Bogost accuse à raison la théorie du Flow d’un certain conservatisme. Cependant, la conclusion de Bogost ne propose finalement pas non plus de s’émanciper d’un certain « statu quo » avec l’environnement dans lequel on se trouve. Bien que l’on pourrait argumenter que sa proposition permet efficacement de justifier les processus d’innovations (l’on pourrait d’ailleurs s’amuser à tisser des liens entre la pensée de Bogost et celle de Schumpeter à propos de l’entrepreneur), cela ne s’appliquerait pas forcément dans des situations critiques comme celle d’une dictature. En effet, l’une des limites de la thèse de « Play Anything » est que le jeu n’émerge que de situations et de règles préexistantes au joueur, or cette réflexion ne prend pas en compte de manière détaillée et constatable les changements de règles formalisés par exemple par des changements de paradigmes scientifiques (l’apparition d’une nouvelle théorie) ou politiques (les révolutions sont justement le renversement d’un système de règles). ■
Esteban Grine, 2016
(modifié le 18/10/2016, ajout d’un paragraphe dans la partie « discussions, limites et ouvertures »)
Il existe de plus en plus de poncifs dans la critique vidéoludique. Avec l’augmentation des compétences ludiques des individus, ces derniers sont devenus de plus en plus exigeants vis-à-vis de ce médium et c’est une très bonne chose. Par exemple, aujourd’hui, de plus en plus de joueur demandent de la variété et beaucoup de développeurs cherchent aussi à diversifier les expériences. De même, les joueurs comprennent de mieux en mieux le game design. Ils sont aujourd’hui de plus en plus capables de justifier et d’expliquer un univers d’un jeu par rapport à son gameplay. Ainsi, il est très facile de trouver aujourd’hui des vidéos expliquant les liens entre la diégèse d’un jeu comme Super Mario et son gameplay.
Pourtant, est-ce que des liens plus proches entre diégèse et gameplay font des Super Mario des jeux plus cohérents ? Pas forcément, est-ce que quelqu’un est aujourd’hui capable d’expliquer pourquoi Mario continue de tuer tant de Koopa ? De même si un jeu propose un trop gros écart entre ses différentes phases de gameplay et de cinématique, ce que l’on appelle de plus en plus des dissonances ludonarrative, la critique aura tendance à pointer cela comme étant une mauvaise chose. Prenons l’exemple d’Uncharted, poncif de la dissonance aujourd’hui. Dans ce jeu, vous incarnez un personnage au premier abord résolument bipolaire : lors des cinématiques, Nathan Drake est présenté comme un type sympa, rigolard et amical mais devient un tueur de masse pendant la plupart des phases de gameplay. Cette distinction semblerait nuire à l’expérience du joueur. Ainsi, l’objectif de cette nouvelle critique dans laquelle je m’inscris serait de chercher quelle forme vidéoludique serait la plus parfaite pour proposer une expérience ludique optimale à un joueur-modèle, type.
Cependant, il me semble que la dissonance, comme beaucoup d’autres concepts, la difficulté entre autre, devient un terme galvaudé à cause de son utilisation abusive et de la trop grande place qu’on lui attribue dans le médium “jeu vidéo” par rapport aux autres médias. De même, il me semble que ce terme est largement réducteur quand on regarde certains concepts bien plus intéressants pour comprendre le jeu vidéo. Par ailleurs, et c’est particulièrement présent chez moi, le concept de dissonance ludonarrative se raccroche plus à une certaine idéologie de ce que doit être le jeu vidéo. Il crée de nombreux doubles-standards et de biais cognitifs. Tout cela me pousse sincèrement à me demander si finalement les incohérences inhérentes aux jeux vidéo sont si mauvaises pour le joueur que cela ?
Abusons-nous du concept de dissonance ludonarrative ?
Pour répondre à la première question, il faut revenir aux premiers grands travaux en science de l’information et des communications ayant étudié les médias. Marshall McLuhan vient donc en tête de liste lorsqu’il s’agit d’évoquer une référence dans la recherche sur les médias. Celui-ci a développé une théorie qui reste encore aujourd’hui fondamentale dans la compréhension que nous avons des médias : “le message, c’est le médium”. En énonçant l’idée que le médium est le message, il énonce que c’est la forme prise par le médium qui est importante, ainsi que sa combinaison avec le message. Dès lors, un même message peut théoriquement être diffusé par plusieurs médias mais comme les combinaisons vont être différentes, le message final transmis sera lui aussi différent. Ainsi, un message initial diffusé par un jeu Ratchet and Clank et un film Ratchet and clank, aboutira à deux messages finaux. Cette première réflexion nous permet déjà de relativiser énormément sur l’importance des dissonances ludonarratives sur la cohérence des jeux vidéo. Les joueurs vont eux aussi déterminer ce qu’ils vont retenir de ce qui est diffusé par un jeu. A la vue des lectures que j’ai sur internet, Nathan Drake est plus vu comme un joyeux aventurier que comme un tueur de masse et le lieutenant Shepard est plus présenté comme un ou une sauveuse de la galaxy que comme un Don Juan lubrique et patriarcale.Cela n’empêche pas d’énoncer clairement qu’Uncharted porte un système de valeur et diffuse des idées très archétypales comme la colonisation mais aussi la masculinité militarisée. Cependant, je nuancerais quand à l’impact que cela a sur l’expérience du joueur en termes ludiques.
Si l’on reprend l’exemple d’Uncharted, je ne pense pas qu’il proposerait une expérience plus cohérente s’il s’agissait d’un film. Les incohérences entre la narration et le gameplay ne seraient alors que des incohérences entre scènes d’exposition et scènes d’actions. A la vue de ces quelques éléments, le concept de “dissonance ludonarrative” commence déjà à s’effriter. Ainsi donc, noter l’existence de dissonance n’est pas une mauvaise chose, cela permet de pointer du doigt les limites dans la réflexion que le game designer a eue.
Cependant, il est nécessaire aussi d’observer dans quelle mesure cela impacte véritablement l’expérience vécue par le joueur. Par exemple, je ne suis pas sûr que les incohérences d’Uncharted soient un problème. Par contre, si des jeux comme Undertale avaient des dissonances, cela aurait grandement endommagé l’expérience. Dans ce dernier, si le joueur peut obtenir la true pacific ending tout en tuant des personnages non joueurs, le jeu perdrait intégralement son intérêt. Encore une fois, cela permet de relativiser sur l’importance qu’on lui accorde. Il est nécessaire de ne parler de dissonances qu’au cas par cas.
Ainsi, pour reprendre mon exemple sur Nathan Drake, au lieu de conceptualiser ce personnage comme contradictoire, il devient plus intéressant de le concevoir comme un personnage qui vit totalement bien avec son statut de meurtrier. De même, observer que son entourage accepte de manière naturelle son statut de tueur dit bien plus de choses sur la façon dont nous nous représentons ce qui est ludique dans nos systèmes de valeurs, et dans cette conception, nous avons là quelque chose de cohérent.
Dans tous les cas, il faut toujours mettre en avant les messages portés par les jeux vidéo. Il est aussi toujours intéressant de noter à quel moment on observe des incohérences entre les valeurs portées par le jeu et les phases de gameplay, mais, il est tout aussi important de comprendre que pour certains jeux, les dissonances ludonarratives vont être déterminantes dans l’expérience du joueur tandis que pour d’autres jeux, ces mêmes dissonances n’impacteront pas le plaisir de jeu (et très peu leur message). Malgré mes centres d’intérêts vidéoludiques, il est difficile de dire que l’on « joue moins » avec un jeu dont je n’apprécie pas les dissonances.
La dissonance ludonarrative, ce concept galvaudé et restrictif
Tout cela m’amène à mon deuxième point. Le concept de dissonance ludonarrative est bien trop restrictif pour véritablement proposer une compréhension du médium jeu vidéo. Dans son livre de 2005 : Half Real, Jesper Juul parlait alors d’incohérences inhérentes au jeu vidéo. Notons avant toute chose que le concept de dissonance n’a quand à lui émergé qu’en 2007 mais revenons à Juul. Son propos est simple, le jeu vidéo, de part sa nature double de média et de jeu possède forcément des incohérences fondamentales. Pour constater son hypothèse, il prend l’exemple d’un jeu de la série Mario Bros et pose la question suivante : pourquoi le personnage principal a 3 vies ? Pour un joueur lambda, la question ne se poserait pas. Elle n’a d’ailleurs jamais vraiment été reposée dans le débat après Juul. Cependant, l’auteur de Half Real met le doigt sur une l’une des incohérences fondamentales qui sont présentes dans les jeux vidéo. Absolument rien n’explique dans la narration des jeux Mario pourquoi notre avatar moustachu accumule des vies. Si la question vous semble hors-sujet, laissez-moi la reformuler ainsi : pourquoi après l’écran “vous êtes mort” de GTA, nous retrouvons notre personnage frais et disponible à la sortie d’un hôpital ?
Bien entendu, il n’y a pas de réponse à ces questions si ce n’est qu’il s’agit d’une règle de gameplay. Autre exemple, la présence d’un HUD et autres phénomènes extra-diégétiques n’est généralement expliquée que dans très rares occasions. Pourtant, ces quelques constats ne nous empêchent pas de penser comme d’autres auteurs tels que Edward Wesp que le jeu vidéo est un medium cohérent par rapport à lui-même.
Les incohérences entre la narration et le gameplay sont donc perçues de la sorte lorsqu’on les considère de manières distinctes telles deux sphères éloignées l’une de l’autre.De même, le concept de dissonance ludonarrative, crée un biais supposant que seuls les jeux vidéo souffrent d’incohérences. Or comme précédemment montré, tous les médias possèdent leurs incohérences dont certaines sont très similaires et d’autres sont plus spécifiques. Ces fameuses dissonances ne sont finalement pas si distinctes des incohérences de traitement de certains personnages de film. Rappelons que les plus grands héros du cinéma et de la télévision sont aussi des meurtriers. N’oublions pas que les rebelles de Star Wars déciment trois fois les populations habitants sur les planètes-armes de l’empire. Pourtant, il serait malhonnête de dire que nous ne prenons pas plaisir à les regarder faire.
L’incohérence fondamentale du Jeu Vidéo et mess doubles standards.
Enfin, il y a une dernière incohérence fondamentale que je souhaite aborder avant de poursuivre mon argumentation. Les dissonances ludonarratives ne sont finalement pas si spécifiques au jeu vidéo puisque nous avons montré que cela consiste simplement en des incohérences entre phases d’exposition et phases d’action. Par contre, contrairement aux autres médias et arts comme la peinture, la littérature et le cinéma, le jeu vidéo est piégé par sa double nature du jeu et de média. Comme Umberto Eco l’a montré, tous les textes doivent mettre en place ce que l’on appelle une stratégie discursive dans le but de s’assurer que le lecteur ira jusqu’à la fin de l’œuvre. Si Eco, n’avait écrit que pour la littérature, sa théorie est transposable finalement à tous les arts. Ainsi, chaque œuvre de cinéma, de musique ou d’arts plastiques met en place une stratégie pour qu’elle soit parcourue dans son intégralité. Il en va de même pour le jeu vidéo. Sauf que ce dernier est contraint par une majorité de son public qui demande à obtenir un sentiment d’accomplissement lié au parcours d’un jeu ; et cet accomplissement est créé par les différentes mises en échec que le joueur finira par surmonter. Ainsi, nous avons là une incohérence intéressante du jeu vidéo : ce dernier doit en même temps mettre en échec son joueur et lui permettre de continuer à progresser.
Maintenant que cela est dit, il convient de revenir à mon argumentation initiale. Ainsi, j’ai ce sentiment que l’on accorde bien trop d’importance aux dissonances ludonarratives. Lorsque je regarde le comportement que je peux avoir vis-à-vis de certains jeux, j’ai l’impression de mobiliser ce concept uniquement lorsque cela arrange ma propre idéologie de ce que doit être le jeu vidéo. Ainsi, pour des jeux avec lesquels j’ai de la sympathie, j’ai tendance à minimiser l’impact des dissonances tandis que pour les jeux que je critique, je mets en avant leurs incohérences de manière disproportionnée. Je rejoue en ce moment énormément à Batman Arkham City. Il s’agit d’un jeu extraordinaire pour lequel j’ai beaucoup d’affection. La dissonance principale repose sur le fait que Batman, dans le scénario, ne tue pas mais l’illustration des combats montre clairement l’opposé dans les diverses séquences de gameplay que l’on peut parcourir. Donc, spécifiquement pour ce jeu, j’ai décidé de suspendre mon incrédulité vis-à-vis de cette dissonance alors que je n’accepterais peut-être pas de faire de même pour un jeu Ubisoft ou ElectronicArts par exemple.
Conclusion
Voilà tout ce que j’avais à peu près à dire dans ce billet d’opinion et de plus, il n’y a pas véritablement de bonne façons de conclure cette réflexion, surtout qu’il s’agit plus d’un travail sur moi-même que je partage avec vous. Les jeux vidéo sont une forme d’art, un média et un moyen de communiquer. Ainsi, par essence, ils possèdent forcément des incohérences fondamentales comme j’ai pu le montrer précédemment. Cependant, le concept de dissonance ludonarrative fait passer le jeu vidéo comme le seul média à posséder ce type d’incohérences entre les différentes étapes de la progression de son public à travers l’œuvre.
Or, les films ou les romans possèdent ces mêmes problèmes qui sont inhérents à toute forme narrative. Ainsi je serais plutôt d’avis à cesser d’utiliser ce concept. Enfin, il est bon de rappeler que les jeux vidéo diffusent sans arrêt des messages politiques ou idéologiques, que ce soit sur des représentations ou sur ce qu’est fondamentalement l’acte de jouer. Cependant, il est difficile de dire que l’on « joue moins » avec un jeu diffusant un message politique que l’on apprécie pas ou avec un jeu possédant de nombreuses incohérences.Tel les univers littéraires que nous adorons, il est plus intéressant de considérer les univers des jeux vidéo comme incomplets plutôt qu’incohérents. ■
Esteban Grine, 2016
Sources
Juul, J. (2011). Half-real: Video games between real rules and fictional worlds. MIT press.
Wesp, E. (2014). A Too-Coherent World: Game Studies and the Myth of “Narrative” Media. Game Studies, 14(2).
Eco, U. (2006). Lector in fabula: la cooperazione interpretativa nei testi narrativi (Vol. 27). Bompiani.
Coté vidéoludique, il est impossible de dire que 2016 n’est pas une excellente année. Si 2015 a été l’une des meilleures années du Jeu Vidéo, il n’y a aucun doute quand à la supériorité de 2016. De même, à titre personnel et dans ma vie de joueur, je n’ai jamais été aussi comblé par mon média préféré. Depuis janvier, je n’ai jamais joué à autant de jeux variés dans leur gameplay, dans les émotions qu’ils transmettent et dans les plaisirs qu’ils procurent. Entre le mastodonte OverWatch qui me permet de m’éclater dans tous les sens du terme avec mes amis et le petit jeu indépendant Cibele qui nous raconte la première rupture amoureuse d’une adolescente, on peut dire que je suis comblé.
Cependant, comme tout le monde, j’ai appris avec tristesse ce qu’il s’est passé à Nice dans la nuit du 14 au 15 juillet 2016. Je n’ai pas la prétention de dire que je comprend l’ensemble de ce qu’il se passe. J’ai beau avoir une vague idée et des opinions politiques sur le sujet que je n’aborderai pas ici, je serai bien incapable de rappeler pourquoi aujourd’hui la France est en guerre et tout aussi incapable d’expliquer en détail comment, depuis 2001, la France tente de lutter contre ce terrorisme si effrayant dans les médias. Je serai encore moins capable d’affirmer la pertinence de telles actions. Pour tout dire, c’est cette obligation de créer une dualité entre « nous » les gentils et « eux » les méchants qui m’effraie le plus pendant l’écriture de cet article.
L’article Lu <3
Cet ennemi qui nous définit.
Cette dualité, nous avons l’impression qu’elle a toujours été là, peu importe l’époque. Il nous faut un ennemi. Nous sommes tellement incapables de nous définir par nous-même que nous devons choisir un antagoniste pour au moins savoir ce que nous ne sommes pas. C’est de cette logique triste que j’essaie de m’émanciper tous les jours en lisant des essais et en jouant à des jeux qui m’interrogent sur qui je suis et comment j’interagis. Cet ennemi est aussi différent pour tous, certains vont penser que ce sont un peuple en particuliers, d’autres vont viser une communauté dont l’orientation sexuelle est différente. Les derniers penseront qu’ils s’agit de sociétés secrètes et conspirationnistes.
Ainsi, cet ennemi, si cher à notre définition, semble aussi nécessaire pour définir ce qui est ludique dans les jeux vidéo. Pendant très longtemps, l’ennemi a été Russe. Ainsi, tant que nos cibles vivantes étaient soviétiques, cela ne posait pas de problème de massacrer des centaines voire des milliers de personnages non jouables. Alors oui, cela ouvre la porte de la violence dans le jeu vidéo, mais permettez-moi de la refermer gentiment. Il ne s’agit pas dans ce papier de parler de la violence. Non, nous nous intéressons ici aux idées véhiculées par les Jeux Vidéo. Implicitement, lorsqu’un jeu définit l’ennemi à abattre par sa nationalité ou encore son orientation sexuelle, sa religion, ses origines ethniques, il définit ce qui est socialement acceptable d’abattre dans la sphère du jeu. Le Jeu définit ce qui relève du ludique comme tuer un ennemi de ce qui n’est pas ludique comme tuer un concitoyen. Cette acceptation sociale est définit par sa zone géographique mais aussi par son époque. C’est pourquoi il est tout-à-fait compréhensible que l’Iran ait censuré Battlefield 3. Celui-ci met en scène une attaque sur la ville de Téhéran. Il est facile de comprendre l’absurdité de la scène : imaginer des enfants iraniens incarnant des étasuniens participant à l’assaut d’une ville iranienne.
Ainsi, nos jeux vidéo, comme tout média, véhiculent l’image de notre ennemi, notre antagoniste et alimentent sa représentation. De fait, et bien, nous ne pouvons pas décemment conclure que le Jeu Vidéo propose quelque chose de plus intéressant ou novateur que la télévision ou le cinéma. Pourtant, et fort heureusement, il existe des jeux dont les mécaniques de gameplay créent des passerelles pour comprendre l’Autre. Je dois bien avouer que sans ces jeux, je trouverais notre média favori bien terne et je soutiens qu’en ces temps difficiles pour tout le monde, il est nécessaire de mettre en avant les jeux vidéos qui favorisent le dialogue, la compréhension tout en faisant disparaitre la peur de l’Autre.
Comprendre l’Autre comme mécanique de gameplay.
Prenez Her Story par exemple. Dans ce jeu, vous vous retrouvez à visionner des extraits d’entretiens entre la police et la principale suspecte d’un meurtre conjugale. En parcourant les extraits vidéos, le joueur finit par s’attacher à cette femme qui raconte simplement sa vie. Il s’avère à la fin du jeu qu’elle est véritablement la coupable du meurtre mais en attendant, les mécaniques du jeu nous ont permis de comprendre que ce n’est plus si simple d’accuser quelqu’un. Oui, dans Her Story, cette femme est coupable et oui elle doit être punie pour son crime. Cependant le joueur ne peut s’empêcher de ressentir de l’empathie. Dans ce cas très précis, le jeu nous fait comprendre que l’on peut aussi se sentir triste pour la méchante. Si notre vision semblait manichéenne ou tout simplement tranchée, on ressort de cette expérience vidéoludique avec un regard nouveau et une compréhension plus fine du monde.
Mais ce n’est pas le seul jeu éblouissant à ce titre. Les Visual Novels Va11-Hall A et Read Only Memories sont deux exemples incroyables diffusant des messages féministes et militants forts sans jam ais forcer le joueur à voir ce qui pourrait rentrer en conflit avec ses représentations. Ainsi, ces jeux introduisent le plus naturellement du monde des personnages hétérosexuels, homosexuels, transgenres, cisgenres. Et cela fonctionne. Les personnages étant cohérents avec l’univers futuriste de ces jeux, le joueur ne passe pas son temps à s’interroger sur la pertinence des choix du game designer pour « une meilleure représentativité si critiquée par les mouvements haineux comme celui du Gamer Gate » et tout de suite, il éprouve de la sympathie et de la tendresse pour des personnes qui lui sont étrangères. Dans Read Only Memories, le joueur fait plusieurs fois la rencontre d’humains génétiquement modifiés et dans le jeu il va lutter pour leurs droits à être égaux aux humains non modifiés génétiquement. Il est évident qu’il s’agit ici d’une allégorie des luttes contre le racisme et pour l’égalité des droits.
Undertale est lui aussi un cas d’école lorsqu’il s’agit de susciter la compassion et l’empathie. A ce jour, Undertale est le seul jeu de rôle où le joueur peut faire le choix de ne tuer personne. Sauf que pour cela, Undertale aurait pu simplement proposer une règle permettant d’esquiver tous les combats or, il nous oblige aussi à participer aux combats. Ainsi, le seul moyen que le jeu met à notre disposition pour ne tuer personne est une option « agir » signifiant au joueur qu’il doit installer un dialogue avec ses potentiels ennemis. Voilà l’une des forces de ce jeu. Il nous indique que les conflits peuvent toujours se résoudre par le dialogue et qu’il ne doit jamais y avoir d’escalade à la violence. Prenons un exemple simple dans ce jeu : pour éviter de tuer le premier boss, le joueur doit choisir l’option « fuir » plus de 20 fois de suite. C’est quelque chose de totalement contre intuitif dans les jeux vidéo. Tout le monde abandonnerait au bout de 2-3 essais voyant que rien ne se passe. Le jeu teste ici votre détermination à éviter les conflits. Il montre aussi que l’usage de la violence est la méthode la plus facile mais aussi celle qui génère le plus de regrets.
Ces jeux qui peuvent changer notre avenir.
Et encore, il existe tant de jeux vidéo qui nous poussent à comprendre cet Autre. J’aurais pu parler de Metal Gear Solid qui a toujours su donner une représentation complexe de la guerre et des conflits économiques impliqués. J’aurais aussi pu parler de Spec Ops : The Line qui interroge les joueurs sur ces notions de bien ou de mal. J’aurais pu évoquer l’extraordinaire Papers, Please qui propose une vision des dérives racistes d’un état autoritaire. Il y a tellement de jeux qui proposent des messages de paix. Alors oui, bien sûr, je peux comprendre l’intérêt ludique de tuer des ennemis mais je mettrai toujours en avant des jeux qui montrent à quel point cela peut être ludique de chercher à comprendre cette ennemi et d’en faire un allié.
Finalement, la liste de jeux dont je voudrais vous parler est longue mais je ne souhaite pas écrire ce soir un livre. Ainsi, comme le jeu vidéo est un art encore peu connu pour nos femmes et hommes politiques je ne saurais que trop leur conseiller de jouer aux jeux que j’ai cités, aux quatre premiers du moins qui ne présentent pas de difficultés motrices. A Notre président, puisque celui-ci semble vouloir contrattaquer rapidement, je recommande vivement de jouer à Undertale. Il me rappelle le personnage d’Asgore, ce roi qui dans le jeu, succombe à l’escalade à la violence. Aux personnes qui pensent que la peine de mort ou tout jugement décomplexé est un mal nécessaire, je leur propose de jouer à Her Story pour comprendre que ces peines sont bien plus faciles à appliquer quand nous ne sommes pas juges. Aux personnes se revendiquant proches d’un mouvement extrémiste, il faut que vous puissiez essayer VA11-Hall A ou Read Only Memories, je parie que votre comportement dans le jeu et les sentiments que vous développerez pour certains personnages iront à l’encontre des propos que vous tenez habituellement. Pour tous les autres, cessez de glorifier les jeux qui font de la violence quelque chose de ludique. Il ne s’agit pas de les interdire loin de là, mais disons que je pense que ce serait bien si on jouait aussi à d’autres jeux, des jeux qui ne font pas des « autres » des ennemis à abattre. ■
The beginner’s Guide est un jeu fantastique, non pas que son gameplay soit particulièrement incroyable. Je n’irais pas non plus jusqu’à dire qu’il s’agit d’un jeu auquel il faut avoir joué pour justifier d’une certaine culture vidéoludique. Sorti en 2015, TBG offre quelque chose de très rare et d’extrêmement précieux dans le paysage du Jeu Vidéo : il propose une vision d’auteur, une véritable réflexion sur le médium et sur la relation qu’entretient le joueur avec le développeur. Cependant, serait-il trop prétentieux de supposer qu’il n’y a qu’une seule et unique façon de comprendre TBG ? Parce que finalement, c’est contre cette idée que lutte Davey Wreden dans ce jeu. Il lutte d’ailleurs contre beaucoup de préconçus autour du jeu vidéo mais clairement, dans The Beginner’s Guide, Wreden dresse une critique acerbe de la façon dont les joueurs et les critiques récupèrent des œuvres vidéoludiques et transforment le message initial du jeu, ou du moins, tentent d’imposer une certaine vision, une certaine compréhension comme étant la seule et unique “bonne” compréhension.
Et plus je parcourais le jeu, plus je commençais à raccrocher le propos de Wreden à un très grand penseur du XXème siècle. Par le passé, lorsque j’avais parcouru pour la première fois le très intéressant Stanley Parable j’avais tout simplement aimé cette expérience. La relation que l’on développe avec le narrateur m’avait bluffé à l’époque. Cependant, je n’avais pas poussé la réflexion plus loin. J’y voyais alors un jeu qui invitait le joueur à s’interroger sur la notion de choix dans les Jeux Vidéo, comme toutes les analyses qui ont été publiées à ce moment d’ailleurs. Cependant, avec The Beginner’s Guide, l’œuvre de Wreden a fait sens nouveau. J’ai cette impression que Wreden est en train de formaliser une théorie du jeu vidéo. Alors quand je parle de “théorie” je ne pense pas qu’il s’agit d’une théorie absolue qui s’appliquerait dans toutes situations mais plutôt une certaine réflexion sur Jeu Vidéo, à l’instar de ce que Jonathan Blow est lui aussi en train de faire dans une autre direction.
Et cette réflexion, soutenue par Wreden, existe depuis quelques temps dans la recherche. En effet, je soutiens la thèse que Stanley Parable et The Beginner’s Guide sont des relectures et des adaptations vidéoludiques de deux œuvres fondamentales de la pensée d’Umberto Eco que sont respectivement Lector in Fabula et les Limites de l’interprétation.Ce qui est donc extraordinaire dans les œuvres de Wreden, c’est à quel point ses jeux présentent des similitudes avec les réflexions proposées avec les travaux d’Umberto Eco.
Le rôle du joueur-lecteur
Pour faire très simple, Lector In Fabola, sous-titré “le rôle du lecteur”, est un essai sur la participation du lecteur dans la co-construction du récit avec l’auteur. Je ne vais pas revenir sur l’intégralité de l’essai mais je vais aborder l’une des idées et théories centrales. Celle-ci concerne le concept de “Lecteur-Modèle”. En effet, dans son essai, Eco critique énormément le schéma “classique” de la communication. Ce schéma “classique” représente l’acte de communication sous la forme d’un transfert d’un message entre un émetteur et un récepteur. Adapté à la lecture, ce schéma prend la forme d’un acte de communication entre un auteur et un lecteur au travers d’un medium : le livre. Or, Umberto Eco propose de conceptualiser le lecteur comme une figure extrêmement active dans la construction d’un récit. En effet, le message transmis par l’auteur est composé de “codes”. Cependant, ces “codes” ne font pas forcément référence aux mêmes choses chez le lecteur et l’auteur. Ainsi, lorsque le lecteur décode le message d’un livre, il apporte de nombreuses références personnelles. Eco utilisait notamment la très belle expression de “promenades inférentielles” pour exprimer le fait que le lecteur puise dans son “stock” de connaissances pour décoder le message d’un livre ; et ce décodage ne correspond pas forcément aux idées de l’auteur. Dès lors et avec cette conception de la littérature, on s’aperçoit du caractère interactif de l’acte de lecture. Cette acte conduit forcément à la co-construction d’un texte final qui n’est de facto pas totalement le texte que l’auteur souhaite transmettre. Ainsi, ce dernier a pour tâche de mettre en place une stratégie discursive, un terme un peu barbare qui signifie une idée plutôt simple : une stratégie qui doit susciter l’adhésion du lecteur ciblé et le maintenir dans son acte de lecture. Donc au travers de l’œuvre, l’auteur doit mettre en place toute une stratégie dont le seul but est de s’assurer que le lecteur parcourra l’intégralité du texte.
Cette idée est forcément connexe de la notion de choix dans le parcours d’une œuvre ou d’un média. Le lecteur fait le choix de “coopérer ou non” avec l’auteur afin que le récit se poursuive ; et cela suscite une question directe à notre sujet : le joueur fait-il plus de choix qu’un lecteur ? Voilà une question forcément enflammée qui est au centre de nombreux débat entre joueurs de Jeux (vidéo, de rôle, de plateaux). Ainsi, la stratégie d’un Jeu ou d’un livre est de restreindre le plus possible les choix du joueur/lecteur afin que le message transmis corresponde le plus possible à ce que souhaite transmettre l’auteur, tout en donnant l’illusion d’une très grande liberté d’action. Dans cette logique, le choix est une illusion nécessaire pour le joueur car ce sont les choix qu’il pense faire qui donnent véritablement “sens” à l’expérience. L’art du Game Designer est donc de créer de la contingence tout en créant l’illusion de la prise de décision. Nous pourrions aller plus loin en énonçant que selon Wreden, l’art du Game Design est de créer l’illusion de la contingence.
L’illusion du choix comme mécanique central chez Wreden
Cette illusion du choix et la participation volontaire et active du joueur est le cœur du gameplay de Stanley Parable. Dans ce jeu, Wreden, au travers du narrateur, propose une expérience scriptée au joueur. Cependant, contrairement à un jeu d’aventure du type TellTale, le jeu laisse le “choix” au joueur de poursuivre ou non l’aventure selon le script prévu par le narrateur. Tout l’objectif du joueur va donc être de s’émanciper du script et de créer de l’émergence, attention spoiler : sans jamais y arriver. La thèse de Stanley Parable est donc très tranchée : le joueur ne peut pas sortir du cadre du jeu, il n’y a pas de “liberté” qui ne soient pas déjà prévues par l’auteur (cela correspond notamment à l’idée de Colas Duflo qui énonce que c’est la règle du jeu qui crée la liberté du joueur). Malgré la sensation de contrôle, c’est toujours le game designer qui est aux commandes. Cette thèse est sans compromis puisque cela remet aussi en cause l’idée de gameplay émergent. Pour Wreden dans Stanley Parable, l’émergence n’existe tout simplement pas dans une activité ludique aussi rationalisée que le jeu vidéo.
Finalement, on retrouve dans ce jeu de nombreuses idées d’Umberto Eco concernant la nécessaire participation du joueur au bon déroulement de l’histoire. Le joueur doit être “volontaire”, il doit accepter de se laissé convaincre afin de poursuivre l’œuvre. Cependant, tout le gameplay du jeu réside dans la proposition suivante : le joueur doit essayer de s’émanciper de la narration, il doit tester les limites du jeu pour constater par lui-même que la liberté dans un jeu n’est qu’une illusion. Le fait est que nous nous apercevons bien vite que toute les situations imaginées par le joueur pour “sortir” du jeu ont déjà été imaginées par le développeur. Autrement dit, toutes les actions ont déjà été prévues, déterminées. Il n’y aurait donc que des jeux à progression : où le gameplay est totalement scénarisé par le game design.
Quand les jeux « refusent » de faire progresser le joueur
On retrouve aussi cette même thématique dans The Beginner’s Guide. Cependant, celle-ci est présentée d’une autre manière. Dans Stanley Parable, la progression est relativement simple. Or, TBG propose des expériences vidéoludiques qui sont en réalité quasiment insurmontables pour le joueur. Contrairement à ce qui a été énoncé concernant la stratégie discursive d’une œuvre, les jeux de Coda, le développeur des jeux qui nous sont présentés, ont mis en place une stratégie empêchant la progression du joueur. Ce dernier ne peut avancer que grâce à la présence de Davey, le narrateur qui au fur et à mesure, nous créer des passes-droits. Encore une fois, la volonté du joueur est mise à rude épreuve car bien que parfois, il lui est possible de résoudre par lui-même les situations de gameplay et bien, nous supposons qu’il va plutôt choisir de faire confiance au narrateur pour que celui-ci lui face vivre les expériences plus rapidement. Encore une fois, Wreden soutient la thèse que le joueur ne peut quasiment rien faire sans le développeur et qu’il ne peut interagir que parce que cela a été déterminé et autorisé par le développeur. Il y a d’ailleurs dans The Beginner’s Guide des passages impossibles à passer sans que le joueur “consente” à se faire aider par le narrateur.
Ainsi, nous constatons que TBG et Stanley Parable sont de formidables incarnations vidéoludiques du concept de Lecteur-Modèle développé par Umberto Eco. Les deux œuvres proposent chacune une réflexion de Wreden sur le rôle du joueur lorsque ce dernier joue et c’est une vision finalement très marquée, volontairement ou involontairement, par la pensée d’Eco mais TBG va encore plus loin en abordant la récupération d’une œuvre par le lecteur ou le critique. On entend par “récupération” le moment un individu ajoute du sens à une œuvre qui n’est pas souhaité pour l’auteur originel de ladite œuvre. Nous abordons donc maintenant le cas de la sur-interprétation des œuvres ou le fait de les dénaturer dans le but de mettre en valeur sa personne, en tant que critique, plutôt que l’œuvre elle-même. Wreden dresse donc une critique acerbe de ce phénomène mais aussi de la critique en général. Je conseille vivement au lecteur d’aller se renseigner concernant l’analyse de la personne du “développeur” dans TBG car nous ne nous y attarderons pas ici.
The Beginner’s Guide : les limites de l’interprétation
Dans le dernier jeu de Wreden, l’histoire est la suivante : la personne de Davey nous propose d’explorer les jeux d’un développeur obscure nommé Coda. Il s’agit donc finalement d’une visite guidée puisque l’œuvre de Coda est commentée par Davey en même temps que nous la partageons. Pour continuer les parallèles que nous dressions auparavant. The Beginner’s Guide est la version vidéoludique d’une œuvre littéraire commentée dans laquelle le lecteur lit, par exemple, un livre de Zola et en même temps les commentaires de bas de pages faits pour nous aider à comprendre la diégèse ou la volonté de l’auteur. Ainsi, si le titre semblait assez abscons, on comprend ici qu’il s’agit d’une sorte de manuel d’introduction à l’œuvre d’un auteur ; Coda, dans ce cas. A mon sens finalement, il s’agit aussi d’une introduction à la pensée d’Umberto Eco. Le jeu nous propose donc un contexte similaire puisque nous ne jouons pas seuls les jeux développés par Coda. Nous sommes simplement invités à parcourir les niveaux selon l’angle du narrateur. Ainsi, au tout début du jeu, il s’agit surtout d’une expérience qui cherche à nous partager la compréhension qu’a le narrateur des œuvres de Coda.
Ainsi, nous avons vu dans les précédents paragraphes que l’expérience proposée par The Beginner’s Guide est un pari risqué. Il s’agit véritablement de quelque chose d’atypique puisque si nous devions résumer le jeu en une phrase, il s’agirait d’énoncer que TBG est un jeu qui a pour objectif de partager la compréhension d’un corpus de Jeux d’un développeur par un Critique ou tout simplement une personne appréciant le travail du-dit développeur. Cependant, le twist final du jeu nous énonce que le narrateur, le critique, a en réalité modifié les jeux du développeurs afin que ceux-ci correspondent à sa représentation, à ses théories, d’où la référence au deuxième livre d’Umberto Eco : Les limites de l’interprétation. Dans ce second livre, Eco propose une méthode pour définir ce qu’est le travail de critique et les limites que ce dernier doit se fixer afin de respecter la volonté de l’auteur. C’est ce constat qui est dressé dans The Beginner’s Guide.
Dans l’un des derniers niveaux du jeu, Coda s’adresse directement au narrateur en lui demandant explicitement de ne plus détourner le message originel de ses jeux. En tant que joueur, on apprend par la même occasion que le narrateur nous a menti. En effet, très tôt dans le jeu, ce dernier nous énonce que Coda conclut ses jeux en ajoutant un lampadaire dans le dernier lieu visité par le joueur de chaque expérience. Or, il apparait à la fin du jeu qu’il s’agissait en fait du narrateur qui rajoutait ces lampadaires à la fin. Nous pouvons interpréter cela de deux façons. Premièrement, nous comprenons cela comme une critique de la quête éternelle de sens de la part des fans. Au fil de leurs réflexions, ceux-ci se sentent obligés de rationaliser et de combler tous les trous laissés par l’auteur. Cela peut atteindre son paroxysme lorsque ces fans modifient les œuvres initiales pour mieux correspondre à leur représentation de l’œuvre. Secondement, et conséquence de du premier point, Wreden dresse une critique acerbe des biais de confirmation que les lecteurs-joueurs mettent en place lorsqu’ils élaborent leur théorie pour comprendre l’œuvre. Selon Wreden, ces derniers supposent automatiquement que leur représentation est la seule “bonne” représentation et une fois cette dernière élaborée, les lecteurs-joueurs vont chercher dans l’œuvre uniquement des faits confirmant leur représentation/théorie. C’est ce que l’on appelle en épistémologie un biais de confirmation. C’est ce qui se produit avec Davey, le narrateur. Si au début du jeu, sa réflexion semble cohérente, On s’aperçoit rapidement qu’il ne cherche dans les jeux de Coda que des phénomènes qui viennent soutenir ses théories en occultant de nombreux pans des jeux. Wreden critique aussi le public des critiques qui ne remet pas assez en question les schèmes logiques de ces derniers. Dans le jeu, cela se traduit par la totale confiance que l’on accorde extrêmement rapidement au narrateur. Il est aussi intéressant de noter que l’on va suspend alors notre esprit critique puisque nous avons en face qui fait office d’autorité. Il a tout un discours du narrateur expliquant sa relation avec le développeur. Une brève étude du discours fait apparaitre qu’il s’agit là d’une simple stratégie cherchant à convaincre le récepteur que l’émetteur est “compétent” et que le premier peut accorder sa confiance au second.
Les jeux de Davey Wreden sont des introductions à la sémiotique.
Davey Wreden, au travers de ces deux jeux a su nous proposer une conception intéressante du jeu vidéo. Celui est un médium (un message donc si l’on souhaite faire référence à Mc Luhan) qui met en place une stratégie discursive créant de la contingence et un sentiment de liberté au joueur tout en sachant que cette dernière est fictive. Cependant, on s’aperçoit que Wreden fait finalement référence aux propos d’Umberto Eco, volontairement ou involontairement. En effet, Wreden et Eco sont tous les deux d’accord pour énoncer que le lecteur-joueur est un acteur important dans la co-construction d’un récit, d’une histoire narrée. C’est finalement ce dernier qui effectue l’action et qui poursuit l’histoire, l’écrivain et le développeur ont donc énormément besoin d’obtenir la validation du lecteur-joueur. Sans cela, le récit ne peut se mettre en place.
Wreden et Eco semblent aussi d’accord pour placer des limites à l’interprétation, cette dernière ne doit pas porter atteinte au message que l’auteur souhaite transmettre. Ainsi, bien que les deux penseurs acceptent le nombre infini de possibles interprétations, ils mettent tous deux l’accent sur le besoin d’une méthode afin de limiter ce qui peut être des biais cognitifs difficilement repérables. ■
Esteban Grine, 2016
Sources :
Eco, U. (1985). Lector in fabula ou coopération interprétative dans les textes narratifs (trad. de l’it. par M. Bouzaher). Paris, Grasset.
Eco, U. (1992). Les limites de l’interprétation. Grasset.
Lorsque l’on souhaite commencer une critique que l’on veut intéressante, il est normalement souhaitable d’accrocher le lecteur avec une citation courte dont l’impacte se fera ressentir pendant toute la lecture. C’est pourquoi si je souhaitais parler de Lieve Oma, un petit chef-d’oeuvre vidéoludique créé par Florian Veltman et sorti en 2016, et bien je commencerais par citer le titre d’un célèbre article de Gonzalo Frasca sorti dans le premier volume de la revue scientifique Game Studies en 2001.
“Les Grands-mères sont plus cools que les trolls”. Pour le lecteur averti, il deviendra donc évident que nous allons soutenir cette thèse puisque l’ensemble des mécaniques de gameplay de Lieve Oma n’ont pour seul objectif que de prouver cela. L’objectif de Frasca, dans cet article, était de soutenir l’idée que les jeux vidéo sont des œuvres tout à fait capables pour diffuser des émotions fortes aux joueurs et pas seulement celles liées à l’amusement, le fun et l’humour. Les jeux vidéo permettent aussi de partager la tristesse, la compassion ou tout simplement l’empathie. En 2001 donc, Frasca militait pour l’apparition de plus de jeux qui proposaient des expériences émotionnelles fortes liées au partage d’histoire de la vie ordinaire. Je vous rassure, il milite toujours pour cela mais en 2016 et avec les extraordinaires jeux que sont Paper Please, Undertale, Hyper Light Drifter, Cibele, Lieve Oma et tant d’autres, on peut dire que son vœu a été exaucé.
« Partons à la cueillette aux champignons »
Mais revenons à notre sujet. Lieve Oma vous met dans la peau d’un jeune enfant qui part à la cueillette aux champignons avec sa grand-mère suite au récent divorce de ses parents. Cependant, ce serait une erreur de penser que le jeu ne se résume qu’à cela. Il est tout d’abord intéressant de noter qu’il fait parti du genre des “Jeux Expressifs”. Ce concept, qui a été mis en avant par Sébastien Genvo, permet de regrouper les jeux vidéo dont l’objectif est la transmission d’émotions sans imposer un discours ou une vision. Ainsi, contrairement aux Persuasive Games de Ian Bogost, les Expressive Games sont seulement là pour vous partager des émotions sans chercher à convaincre ou persuader le joueur. Ils ne vous disent pas s’il y a une bonne façon de penser ou tout simplement s’il y a une bonne façon de vivre une expérience. Ils sont là et c’est après au joueur uniquement de s’installer confortablement dans une posture réflexive. C’est ce dernier qui doit tirer ses propres conclusions. Lieve Oma fait donc partie de cette seconde catégorie. Son game design nous permet de ressentir ce qu’a vécu Florian Veltman à un moment particuliers de sa vie : le divorce de ses parents et la période de transition qui a suivi.
Lieve Oma, derrière ses couleurs pastels, est un jeu aux thématiques graves : il s’agit de faire ressentir aux joueurs ce qu’est la perte de ses repères lorsque le cadre familiale se déconstruit. Ce jeu, c’est aussi une lettre d’amour aux relations entre grands-parents et petits-enfants. Lorsque la cellule familiale se déconstruit, les grands-parents sont là pour assurer une forme de relais dans la construction identitaire de l’enfant. Enfin, Florian Veltman voulait nous faire partager l’importance de la relation qu’il entretient avec sa grand-mère.
Un gameplay focalisé sur « Oma »
Ainsi, après avoir défini les objectifs de ce jeu, nous allons maintenant montrer comment il arrive à faire cela par son game design et son gameplay.
Tout d’abord, il est particulièrement intéressant de noter comment le gameplay du jeu est focalisé sur la Grand Mère et non sur l’avatar du joueur. Ainsi, plutôt que de centrer le cadre de l’action sur notre personnage, le jeu centre notre attention sur la grand-mère et c’est véritablement en s’éloignant que le jeu recadrera la caméra sur le personnage du joueur. Cependant, ce recadrage n’intervient qu’au tout dernier moment, lorsque l’on est le plus éloigné. Ici, implicitement, l’objectif est de nous faire comprendre que nous en tant que joueur, nous devons concentrer notre attention sur cette “Oma”. Un autre mécanisme s’ajoute à cela pour venir renforcer ce sentiment. Le jeu nous permet de courir. Cependant dès que nous sommes trop loin de notre grand-mère, nous ne pouvons plus que marcher. Ici, le jeu nous oblige à évoluer en fonction d’un certain périmètre dont le centre est “Oma”.
Ainsi, le jeu nous oblige par son gameplay à rester proche de la grand-mère. Cependant, un dernier mécanisme s’ajoute pour nous faire comprendre que nous sommes un enfant. Lorsque nous marchons tranquillement aux cotés d’Oma, nous nous apercevons que celle-ci marche plus vite que nous. Nous devons donc nous remettre à courir par à-coup pour rester au même niveau. Dans d’autres jeux, cela serait perçu comme un défaut classique, un syndrome qui fait tâche dans tous les jeux comportant des quêtes d’accompagnement. Ici, ce mécanisme est utilisé pour symboliser notre jeune âge : nous incarnons un enfant et le jeu nous rappelle ce que c’est d’en être un marchant à coté d’un adulte grâce à cela.
Tout cela permet de constater que le jeu nous installe dans une position vulnérable. Nous ne sommes pas en équilibre dans nos interactions sociales. Ce sentiment est renforcé par les couleurs utilisées par Veltman dans le character design et l’environment design de son jeu. En effet, “Lieve Oma” nous installe dans une forêt en automne. L’environnement fait parti d’un tout. Notons particulièrement les couleurs de la grand-mère. Celles-ci symbolisent la relation qu’a ce personnage avec la forêt. Le manteau d’Oma est d’ailleurs de la même couleur que celle des arbres et c’est doublement intéressant. Premièrement, cela attache forcément des connotations de longévité et de résistance au temps et aux chocs de la vie. Il devient facile d’assimiler la grand-mère à un arbre, une force de la nature, quelque chose d’immuable et qui ne peut pas s’effondrer. Secondement, Et bien cela donne le sentiment que la forêt et la grand-mère ne sont en faite qu’une seule et même entité qui accueille de manière bienveillante l’enfant que nous incarnons.
Les jeux de couleurs sont aussi extrêmement intéressants entre notre avatar et le reste du jeu. Nous avons démontré dans le précédent paragraphe que la forêt et notre grand-mère partageaient un ensemble de points communs or, notre personnage se retrouve en bleu. Alors bien entendu, il est facile de dire qu’il s’agit de la couleur complémentaire de l’automne et des couleurs utilisées pour la forêt. De plus, nous pouvons aussi noter que cela permet de créer un sentiment d’étrangeté. Notre avatar ne se sent pas encore à sa place dans ce nouvel environnement et cela se manifeste par sa couleur bleue qui dénote totalement du reste du jeu. Cela nous fait enfin ressentir qu’en incarnant cet enfant, nous ne nous sentons pas encore à notre place dans cette environnement, dans cette forêt, avec notre grand-mère.
La poésie dans le game design de « Lieve Oma »
Nous avons déjà bien étayé notre propos sur le jeu et pourtant, il faut maintenant que nous abordions comment la mécanique principale du jeu est amené par le game design. En effet, nous avons montré comment le jeu arrivait à nous faire comprendre que nous devions nous concentrer sur notre grand-mère et qu’en tant qu’enfant, nous ne sentions pas à l’aise dans cet environnement. Florian Veltman propose un game design tout en finesse et poésie. En effet, il veut que le joueur se comporte d’une façon très précise pour lui communiquer une certaine expérience. Très tôt dans le jeu, on nous indique par un feedback extra-diégétique qu’il faut ramasser des champignons. Ici, le jeu trompe complètement le joueur. Ce dernier va partir tête baissée à la recherche de champignons sans faire attention à la grand-mère qui poursuit quand à elle son chemin. Cependant, progressivement et grâce aux mécaniques que nous avons déjà expliquées, le joueur va moins se concentrer sur les champignons et finir par tout simplement marcher aux cotés de sa grand-mère. L’auteur, par les mécaniques qu’il a mises en place, veut nous faire vivre son jeu de cette façon précise : il veut que l’on se comporte comme un enfant courant partout au début d’une balade puis finissant par rester aux cotés des adultes. N’est-ce pas de cette façon que tout le monde s’est comporté étant enfant ? Veltman ajoute tout de même une incitation pour pousser le joueur à faire cela : lorsque ce dernier est proche d’Oma, cela déclenche des boucles de dialogues. par cette simple mécanique, le joueur est incité à resté près de sa grand-mère vidéoludique.
Et avec ce dernier constat, nous venons de mettre l’accent sur la boucle fondamentale de gameplay : le joueur marche à coté d’Oma et les récompenses de ce comportement sont les lignes de dialogues pour enfin comprendre les enjeux de l’histoire de Lieve Oma. Au fur et à mesure des dialogue, nous apprenons, que les parents de l’enfant ont divorcé et que celui-ci, ne comprend pas véritablement pourquoi tout est en train de se déconstruire : tous ses repères s’effondrent. C’est pourquoi il décide de partager avec sa grand-mère ses inquiétudes. Ces dernières portent sur l’abandon progressif de ses anciens amis, la peur de rencontrer de nouveaux camarades et enfin, de ne plus avoir d’espace lui appartenant avec ses objets, son univers.
La diégèse du jeu prend aussi en compte cette ouverture de l’enfant à sa grand-mère. En effet, Veltman a bien su designer le moment où le joueur commence à vraiment écouter la discussion entre l’enfant et la grand-mère. En même temps, le jeu nous fait traverser plusieurs tableaux allant de l’automne symbolisée par ses couleurs marrons orangées puis Hiver et enfin le printemps. Le jeu nous fait aussi traverser dans ce même ordre les saisons mais en incluant un écart d’une quinzaine d’années entre le premier automne que l’on traverse et l’hiver. Ainsi, c’est toute une symbolique passionnante qui se met en place : l’automne correspond au problème que l’enfant vit et sa fermeture sur le monde extérieur. L’hiver laisse beaucoup de place à l’interprétation : n’étant pas accompagné par notre “Oma”, on peut supposer que cela correspond au moment de sa (future) disparition. Enfin, le printemps est symbolisé par la venue progressive de la couleur verte dans la forêt et c’est précisément le moment où l’enfant finit d’exposer l’ensemble de ses angoisses à sa grand-mère et quand il commence à se sentir réconforté.
Lieve Oma, un petit trésor du Jeu Expressif
Lieve Oma est donc un petit jeu qui cache un trésor de game design. Son seul objectif est de nous faire comprendre la relation que Veltman entretient avec sa grand-mère et quelle importance elle a eu lors du divorce de ses parents. Au début du jeu, si l’on ne comprend pas bien pourquoi nous partons cueillir des champignons, il est évident après coup qu’Oma nous y a emmené pour nous faire changer d’air. Et Clairement, le jeu réussit parfaitement son objectif. Veltman s’impose aussi comme l’un des grands Game Designers de la vie ordinaire, des gens normaux et des situations banales.Lieve Oma fait partie des rares expériences à nous engager émotionnellement de manière aussi douce-amère. Ce petit roller-coaster émotionnel nous a fait traverser une forêt et une tranche de vie difficile. Il nous fait comprendre ce que vit un enfant qui doit affronter la déconstruction d’une famille pour en reconstruire une nouvelle, peut-être plus petite ou plus grande, çà, le jeu ne nous le dit pas. Cependant, il précise bien que tout finit toujours par s’arranger et qu’il y a un après. ■
Esteban Grine, 2016
Sources :
Frasca, G. (2001). The Sims: Grandmothers are cooler than trolls. Game Studies, 1(1).
Bonjour Internet, c’est Esteban Grine et encore une fois merci de lire ce texte issu de “Capsule Technique”, une émission francophone qui parle de Game Design.
Dans cette étude de cas, nous allons démontrer que Hyper Light Drifter peut être interprété comme une allégorie de la maladie et du parcours d’un patient en phase terminale.
Hyper Light Drifter est un jeu de Heart Machine sorti en 2016, son game designer est Alex Preston. Celui-ci vous fait incarner un “drifter”, c’est-à-dire un aventurier qui parcourt un monde en ruine à la recherche d’anciennes technologies. Très tôt dans le jeu, on s’aperçoit que notre avatar est souffrant et qu’en plus de technologies, il est à la recherche d’un remède à sa maladie.
Parler d’hyper light drifter est difficile. Le Jeu a complètement échoué sa campagne de communication. La stratégie pré-discursive du titre était de nous proposer une expérience ressemblant à Zelda. Les joueurs ont donc été pris au dépourvu lorsqu’ils se sont retrouvés face à un Dark Souls pixelisé.
Concernant le jeu en lui-même, hyper light drifter propose un gameplay assez conventionnel reposant sur l’alternance de phases d’exploration et de phases de combats en arène. Une fois les règles du jeu maîtrisées, celui-ci devient extrêmement plaisant à parcourir. La sensation de contrôle et de maîtrise des actions in-game est visible et une fois que tout cela est acquis, le gameplay se transforme quasiment en une danse parfaitement exécutée.
De même, l’environment design du jeu offre un pixel art somptueux qui après FEZ, définit un nouveau standard en termes de créativité et de réalisation. Chaque scène est un tableau en pixel’art. De même, il est impossible de ne pas voir Hyper Light Drifter comme un hommage au “Château dans le Ciel” et “Nausicaa” de Myazaki et du studio Ghibli.
Bref, HLD est un exercice très propre, quelque chose de parfait qui est difficilement attaquable sur sa forme. Un peu comme un devoir rendu par un premier de la classe. Aux premiers abords, le travail respire la qualité mais il faut vraiment creuser pour savoir si le jeu n’est pas qu’une application mécanique de concepts de game design.
Par contre, à la première lecture, la courbe de difficulté de HLD est assez éprouvante. Le premier boss est un pic de difficulté qui contraste énormément avec la difficulté précédemment maîtrisée par le joueur. Globalement, HLD est un Dark Souls tout en pixel Art et en mode quasiment de boss rush. cependant, il ne faut pas nécessairement voir le coté castrateur et la quête identitaire qui cela implique dans la série de Miyazaki.
Bref, une fois le jeu fini, et bien je ne savais pas trop quoi penser. Je me suis retrouvé un peu bête devant un exercice de style parfaitement mené par Alex Preston et son équipe. Et puis c’est tout, rien de plus, j’ai pensé que le jeu avait été un peu trop rapide dans sa conclusion et cela a créé un sentiment d’incompréhension avec une question en tête : “suis-je passé à coté du jeu et de son message ?”
Hyper Light Drifter, une allégorie de la maladie
Et puis plus rien, pendant 2 jours, je n’ai plus pensé à HLD. Finalement, après la lecture de quelques paratextes, j’ai appris qu’Alex Preston souffrait d’une condition au cœur et qu’il a plusieurs fois été hospitalisé pendant le développement du jeu. C’est à ce moment que je compris la volonté de Preston de partager son expérience de la maladie dans un jeu vidéo. HLD pourrait presque être considéré comme une autobiographie vidéoludique.
Mais cela pose une question fondamentale pour le game design. Comment représenter par le gameplay ce que cela fait de souffrir d’une condition similaire à celle d’Alex Preston ?
Et c’est à partir de ce moment que HLD devint un véritable chef-d’œuvre à mes yeux. Là où certains jeux ne représentent des émotions ou des phénomènes uniquement par l’environnement, les décors, Preston a su retranscrire la maladie dans le gameplay et notamment la courbe de difficulté du jeu.
tout d’abord, l’environment design suggère la maladie au joueur. Le monde dans lequel on évolue est détruit, il ne s’agit quasiment que d’îlots comme si la destruction se faisait à petit feu. Tout dans la diégèse du jeu suggère que ses habitants subissent une forme d’aliénation par la maladie et la destruction.
L’aliénation du corps
Chaque zone du jeu incarne une forme d’aliénation et de maltraitance. Ainsi, au nord, les corps des habitants ne leur appartiennent plus mais sous la possession d’une secte religieuse et cannibale. A l’est, les habitants sont devenus les esclaves des hommes crapauds. A l’ouest, le cristal attaquant la forêt se comporte comme un virus se propageant et enfin, la zone du sud suggère la manipulation génétique et la transformation des corps par la science et la recherche. Ainsi, chaque zone du jeu montre l’aliénation et la destruction de l’homme, un homme qui est d’ailleurs à chaque fois dépossédé de son corps.
Si la diégèse du jeu expose et suggère un rapport à la maladie et à l’aliénation, c’est surtout par le gameplay directement que le jeu propose de nous faire comprendre la maladie. Dès le début, on nous expose que notre personnage est malade. Les pertes de contrôle et les crachats de sang suggèrent une condition au poumon ou au cœur, bref quelque chose de très grave et difficilement soignable par quelques soins de fortune prodigués au début du jeu.
L’un des premiers éléments identifiables concerne la façon dont notre héros regagne de la vie : on a l’impression de voir une injection à partir d’une seringue. C’est une référence directe à ce que Preston doit faire dans la vie de tous les jours.
Les ennemis : métaphores du virus
Concernant les ennemis, il est intéressant de noter la façon dont ils apparaissent aux joueurs. Toutes les zones proposent un ennemi de base identique. Puis au fur à mesure de l’avancée du joueur dans la zone, les ennemis se diversifient et leur puissance augmente. En général, le joueur rencontre à mi-parcourt un nouvelle ennemi plus puissant avant de voir apparaître le boss.
Les ennemis et leur agencement dans le parcours du joueur peuvent être interprètés de deux façons; Premièrement, contrairement à ce que je disais concernant les boss comme des pics de difficulté, et bien nous pouvons contraster cela en disant que la rencontre des ennemis nous prépare aux patterns des boss. Le jeu, par son game design, nous prépare de manière implicite à affronter les boss. Secondement, il est aussi intéressant de voir les ennemis comme des métaphores d’un virus. Même si celui-ci à une base commune, il se développe de manière différente en fonction de son environnement.
Les bosses, allégories des crises cardiaques
Vient maintenant la question des boss. Ceux-ci sont des pics de difficulté gigantesque par rapport à la difficulté absolue du jeu. Même si la courbe de difficulté que j’ai présenté en début de vidéo est erronée, HLD est un jeu à progression. La difficulté est donc totalement maîtrisé par le game designer.
La difficulté absolue du jeu est élevée par rapport à la moyenne des jeux actuels mais les boss représentent des pics de difficulté qui vont frustrer encore plus les joueurs. Le premier boss est particulièrement éprouvant pour celui qui n’a que quelques heures de jeu derrière lui. Mon interprétation de cette difficulté est qu’elle symbolise le fait de vivre avec la maladie.
En temps normal, il est plus difficile de vivre avec une condition. Les boss du jeu représentent alors les crises que peut vivre un malade. Ainsi, en connaissant un peu mieux Alex Preston, j’ai ressenti les boss comme des métaphores de crises cardiaques : des moments particulièrement éprouvants évidemment. Puis, on s’aperçoit que le game design des zones suit exactement les mêmes boucles de gameplay et d’inter-réactions. On peut interpréter cela comme la routine qui s’installe dans la maladie. Le jeu crée donc une routine qui permet au joueur de comprendre ce que c’est de vivre avec une condition au coeur, un cancer ou autre. C’est une routine de vie difficile avec son lot de crises et ses éléments annonciateurs. Il y a donc un parallèle avec la réalité des patients, conscients de cette routine et de ce qui va se reproduire par la suite.
Il est intéressant de noter que dans cette réflexion, les joueurs ayant abandonné le jeu sans avoir battu le premier boss peut presque se comprendre comme un patient abandonnant sa lutte pour rester en vie. Le Jeu nous pousse à lutter pour notre survie, à surmonter les crises auxquelles nous faisons face. Il veut nous faire un tout petit peu comprendre ce que c’est de s’accrocher à la vie, à lutter pour surpasser une crise.
Vient le moment où sans trop le comprendre, les cycles routiniers finissent par s’accélérer, les crises, symbolisées par les boss deviennent de plus en plus fréquentes. Les mini-boss de la dernières zones du jeu sont scénarisés de sorte à faire comprendre cela au joueur si celui-ci n’avait pas remarqué qu’il passait de moins en moins de temps à parcourir les zones.
Alex Preston a particulièrement su maîtriser le rythme du jeu. Bien qu’il nous installe dans une routine, les boss surviennent trop tôt par rapport aux prévisions du joueur. Il y a donc tout un dialogue entre l’installation d’une routine, les anticipations du joueur et l’effet de surprise créé par l’apparition des boss.
Lorsque l’on est souffrant, on sait qu’une crise va de nouveau se produire, on connait les signes précurseurs mais on est toujours surpris. Et ça, Preston le transcrit parfaitement dans on jeu.
Le dernier boss est aussi lourd de sens. Il est extrêmement difficile à battre mais il existe une technique qui permet de gagner presque sans rien faire. Comme si un remède miracle apparaissait trop tard. Peut-être que l’on peut y voir la découverte d’un médicament. Ce dernier boss représente la dernière crise qui vit le malade. Le fait qu’elle soit aussi rapprochée dans le temps des précédentes ainsi qu’il n’y ait pas vraiment de phases exploratoires la précédant crée son imprédictibilité.
La relation patient-médecin incarnée par le personnage du Chien Noir
Vient maintenant la question épineuse de certains objets du jeu : Le chien noir et le cristal symbolisant la quête du joueur.
Hyper Light Drifter possède une histoire qui bien que présente, laisse beaucoup de place à l’interprétation. Comment ont disparu les géants ? Pourquoi avons-nous l’impression que le monde a été créé de toute pièce par une civilisation ancienne ? Comment les habitants ont réussi à survivre depuis cette grande guerre présentée en introduction ? De nombreuses théories ont émergé car la compréhension de l’histoire du jeu passe par un véritable dialogue entre le jeu et le joueur. Bien qu’il existe Une Histoire du Jeu, le joueur va être obligé d’aller chercher des références qui lui sont propres pour pouvoir co-construire un récit qui lui est propre. Umberto Eco parlait de “promenades inférentielles”.
Une théorie qui commence à faire office de standard explique notamment qu’il faut comprendre le chien comme étant la représentation d’Anubis, déité égyptienne de la mort. De même, on peut raccrocher ce chien noir au mythe éponyme dans la culture anglo-saxonne. Ce chien, vous le connaissez déjà puisque c’est notamment celui contre lequel Sherlock Holmes se bat dans le chien des baskervilles. Ainsi, ce personnage du jeu est annonciateur de la mort future du joueur.
J’ai personnellement une autre lecture de cette métaphore. J’aime particulièrement me raccrocher à la réalité ordinaire, la vie de tous les jours. Dans ce cadre là, on peut voir le chien noir comme une métaphore du docteur indiquant à son patient les épreuves qu’il va devoir traverser pour surmonter sa maladie. La toute fin du jeu est aussi extrêmement intéressante à ce sujet. Nous nous retrouvons auprès du feu en train de mourir et le chien noir nous regarde mourir comme un médecin qui resterait au chevet de son patient. La situation aussi est particulièrement grotesque. Les feux de camps sont généralement vus comme des points de repos où les joueurs regagnent leur énergie. Or ici, il s’agit du lieu de notre mort vidéoludique. la situation est donc lourde de sens dans la grammaire vidéoludique. En détournant les codes établies depuis peut-être Golden Axe, Alex Preston crée une situation familière au joueur et lui donne un tout autre sens.
Tout ce qui vient d’être dit me pousse à penser Hyper Light Drifter comme un jeu particulièrement pessimiste. Pendant tout le long du jeu, nous tentons de nous rapprocher du cristal. Celui-ci peut être vu comme notre sauveur ou comme la cause de notre maladie. Le fait de l’atteindre puis de s’en éloigner et le fait de vaincre le dernier ennemi du jeu pourraient nous laisser penser que nous avons surmonté les épreuves nécessaires pour guérir. Or, nous finissons tout de même par mourir malgré tous nos efforts. Ici,le jeu vidéo diffuse clairement un message fataliste sur la maladie et le parcours du patient. Ce dernier est voué à une mort certaine. L’absence de true ending confirme cette volonté d’exprimer la fatalité qui s’abat sur les personnes atteintes d’une maladie.
Conclusion
Aux premiers abords, HLD est finalement très austère, le gameplay est basique mais rigoureux. Nous n’avons pas une palette extraordinaire de mouvements mais ceux à notre disposition doivent être parfaitement maîtrisés. Malgré toutes nos actions, il est difficile de savoir si nous avons sauvé ou tout simplement impacté l’univers du jeu. Le jeu installe une distance entre le joueur et le monde, cette distance ressentie par un patient en phase terminal.
Ma démonstration avait pour objectif d’exposer Hyper Light Drifter comme une allégorie du parcours du malade. La courbe de difficulté du jeu en est l’incarnation dans le gameplay. De même, toutes les étapes du patient sont présentées : la relation avec son docteur et cette lutte impossible contre la mort.
HLD n’est pas un jeu auquel je souhaite véritablement rejouer mais il brille par sa capacité à nous faire comprendre un peu ce que c’est de vivre en souffrant d’une maladie. Injuste, parce que nous ne choisissons pas d’être malade au début du jeu, HLD excelle dans sa capacité à nous raccrocher à la réalité ordinaire de centaines de milliers de personnes souffrant d’un cancer ou d’une condition au coeur, au poumon et tout le reste. Il s’inscrit aussi dans les nouvelles formes vidéoludiques que sont les jeux autobiographiques et les memorial games comme That Dragon Cancer. Tout cela me laisse penser que l‘objectif du Hyper Light Drifter n’est pas spécialement d’être rejouable, car personne ne souhaiterait vivre une deuxième fois la maladie telle qu’elle est dépeinte dans ce jeu.
Et pour tout cela, j’éprouve une affection sans borne pour le travail d’Alex Preston. J’espère que maintenant, vous verrez plus dans ce jeu qu’un simple Dark Souls mais une oeuvre d’art dont l’universalité du message est transcendée par son aspect vidéoludique.
Internet, encore merci du fond du coeur de m’avoir lu, n’hésite pas à me donner ton avis, je serai très heureux de pouvoir discuter avec toi. En attendant, je t’aime beaucoup et te dis à la prochaine. ■
Ah le jeu vidéo ! Surement l’un des sujets les plus abordés sur Internet. Alors comment aujourd’hui, dans la masse d’informations, se différencier ? Et bien l’équipe de LCV va tenter de répondre à cette question de deux façons différentes. Premièrement, nous souhaitons proposer une nouvelle expérience internet. Cela se matérialise par la volonté de conjuguer le potentiel transmédia du contenu internet avec une esthétique proche du journal papier. Deuxièmement, et bien, nous faisons le choix de nous inscrire dans une démarche à forte plus-value intellectuelle.
Nous souhaitons faire de LCV la première revue de vulgarisation et de partage des études, des réflexions pro-amateurs et des diverses sciences dont l’objet principal est le jeu et le jeu vidéo. Serait-ce une démarche prétentieuse, à l’instar des cahiers du cinéma ? Oui, peut-être bien. Cependant, nous pensons que tous les contenus ont le mérite d’exister sur internet. Il ne faut surtout pas croire que LCV serait un repère de journalistes hipsters crachant sur toute la culture mainstream, bien au contraire. Ce sont des amoureux de la culture vidéoludique dans son ensemble. Nous avons fait le choix de proposer un contenu d’inspiration scientifique ici car nous pensons qu’il n’est pas assez présent et visible sur internet mais n’allez pas vous imaginer que nous ne faisons que nous prendre la tête sur le jeu vidéo.
Je le répète : nous aimons tout et considérons que tous les contenus présents sur internet ont le mérite d’exister.
Sur ce, nous vous souhaitons une passionnante lecture de notre revue mensuelle, édition spéciale : L’Essence du Jeu Vidéo. Si l’édition de ce mois vous a plu, n’hésitez pas à vous abonner en nous suivant sur twitter et facebook.
Esteban Grine
la difficulté, cette inconnue – Vidéo
Bonjour Internet et encore une fois, merci de regarder cet épisode de “Capsule Technique”, une émission francophone qui parle de Game Design.
Aaah Dark Souls, dark souls par ci, dark souls par là ! presque deux mois après sa sortie, le titre est toujours autant hypé. La série entière n’en reste pas moins appréciée. Son Game Designer, Hidetaka Miazaki, a souhaité créer une expérience particulièrement éprouvante pour le joueur. Ces jeux sont difficiles. Il demandent une exécution parfaite et une connaissance approfondie de sa diégèse et de ses mécaniques ludiques. Bref, tout le monde est d’accord pour dire que les Dark Souls sont difficiles. Mais personnellement moi, ça va en fait… je les ai trouvé bien plus faciles que… je sais pas… Spelunky, OlliOlli2, tiens ! Je les trouve même plus faciles que Monkey island !
Quoi ? Vous ne voyez pas en quoi Monkey Island est plus difficile que Dark Soul ? Et bien je vous propose alors de parler dans ce nouvel épisode de la difficulté dans les Jeux Vidéo !
La difficulté est un bien grand mot… il est souvent dévoyé pour soutenir une certaine idéologie de ce que doit être le Jeu Vidéo : genre, pour que le jeu vidéo soit un vrai jeu vidéo, il doit être difficile.
De plus, il est utilisé à tort et à travers pour comparer les jeux entre eux sans qu’il n’y ait une réflexion plus aboutie sur ce qui fait la difficulté vidéoludique. Dans cette vidéo, je souhaite donc exposer ce que l’on sait aujourd’hui au niveau de la recherche sur la difficulté vidéoludique et pour cela, je vais principalement me reposer sur les travaux de Guillaume Levieux, Chercheur et Game designer.
Comme l’énonce Jesper Juul dans ses livres “Half-Real” et “the casual Revolution”, les jeux vidéo possèdent une incohérence fondamentale : d’un coté, les game designers ont pour objectif que le joueur parcourt l’intégralité du jeu. Pour cela, ils doivent mettre en place ce qu’on appelle une stratégie discursive : c’est-à-dire un plan d’action pour être sûr à 100% que le joueur a reçu le message que l’on voulait faire passer.
De l’autre coté par contre, les jeux vidéo hardcore ou casual, peu importe, doivent apporter un sentiment de satisfaction dans la réalisation des actions : les joueurs doivent traverser des épreuves. Donc en gros, les jeux vidéo doivent empêcher le joueur d’atteindre son objectif.
Ainsi, pour résumer, d’un coté les jeux vidéo doivent permettre aux joueurs de réussir et de l’autre coté, ils doivent mettre en échec ces mêmes joueurs.
Cette incohérence explique aussi pourquoi très tôt, on s’est interrogé sur l’équilibrage du jeu. Rollings et Adams définissent l’équilibrage de la façon suivante : “un jeu équilibré est un jeu où le talent du joueur est le facteur déterminant de sa réussite”. Bon cette définition reste maigre car elle ne décrit pas ce qu’est le niveau de difficulté ni ce qu’est la difficulté… Par contre, elle permet d’évacuer l’aléatoire et de considérer les jeux reposant principalement dessus comme déséquilibrés. C’est le cas des jeux de loto ou tombola par exemple que l’on retrouve aussi parfois dans le Jeu Vidéo.
Ainsi, cet équilibrage concerne les choix sur la structure du jeu, c’est à dire ses règles constitutives qui forment selon Colas Duflo le système général de règles du jeu. La compétence du joueur revient alors à sa capacité à mettre en place des règles régulatives qui sont cette fois les moyens permettant d’arriver à ses fins. Pour résumer simplement sur la compétence du joueur, c’est en gros sa capacité à trouver et à appliquer les meilleurs strat’. Le jeu, pour être équilibré, doit donc proposer des règles constitutives qui suivent la progression du joueur et pour cela, les game designers ont 2 possibilités pour designer ce que l’on appelle la courbe de difficulté : soit la scénarisation de la difficulté, soit un équilibrage dynamique de la difficulté suivant les progrès du joueurs. Et je souhaite dire une chose : une courbe de difficulté comme ça qui n’est pas titrée : (montrer image), ça n’existe pas, mais alors pas du tout. Ca, C’est à la limite un mix entre une courbe lambda de progression du joueur et la courbe du flow de Mihalyi Csikszentmihalyi.
La difficulté est donc un élément de gameplay. En tant que tel, cela signifie qu’elle fait partie intégrante de n’importe quel jeu. Une première définition de celle-ci pourrait être : “l’effort que doit fournir le joueur pour atteindre ses objectifs et ces efforts sont mis en scène par le gameplay” (Levieux, P25).
Mais avant de poursuivre, il faut comprendre que la difficulté n’est pas un élément en soi dans un jeu, c’est plus la valeur d’une relation entre un jeu et un joueur. Ainsi, par essence, la difficulté est variable et tend à diminuer au cours du temps : Plus un joueur connaît les règles constitutives du jeu et plus il est capable de mettre en place des stratégies optimales.
Ainsi, afin de prendre en compte cette aspect relationnel de la difficulté, il est nécessaire de distinguer les notions de difficulté absolue et de difficulté relative. La première est l’effort que doit fournir un joueur-type, lambda pour atteindre les objectifs proposés par le gameplay. Cette difficulté ressemble à la courbe ci-contre.
Il est important d’aborder un peu ici de la notion de Joueur-modèle. Celui-ci est la représentation que se fait le game designer de la personne qui jouera à son jeu. En fonction de ce joueur-modèle, le Game Designer mettra en place une stratégie discursive, une façon d’amener les éléments de gameplay de manière particulière Ainsi, lorsque vous vous poserez des questions sur la stupidité d’un didacticiel ou d’une difficulté qui semble mal gérée, posez-vous toujours la question : “mais qui est le joueur-modèle auquel ce jeu est destiné ?
Voici la représentation de la difficulté absolue d’un jeu. Celle-ci a une forme d’escalier due au séquençage des jeux vidéo.
La seconde forme de difficulté, quant à elle, prend en compte l’évolution des capacités du joueur tout au long du jeu. C’est cette seconde difficulté qui se repose sur l’équilibrage du jeu pour toujours proposer un challenge correspondant à la progression du joueur. et elle ressemble à çà (ci-dessous). On voit bien que la difficulté diminue en fonction du temps et que le jeu doit la rehausser périodiquement.
Tout ce travail d’ajustement en fonction des progrès du joueur définit la courbe de difficulté d’un jeu et c’est Ed Byrne, level designer de son état, qui fut l’un des premiers à vraiment théoriser sur le sujet.
Mais vous allez me demander : “mais comment créer cette courbe de difficulté ?”
Et bien tout d’abord cela dépend du type de jeux que vous souhaitez. En effet, aujourd’hui, il existe deux types de jeux vidéo : les jeux de progression et les jeux d’émergence. Dans les premiers, les designers ont fixé le plus précisément possible le parcours du joueur : les situations rencontrés sont donc réfléchies, calibrées et encoder dans le contenu du Jeu. C’est ce que l’on appelle : scénariser le gameplay. Ces jeux sont très faciles à reconnaître : pokemon, Zelda, les campagnes solo des Call of Duty, même Yokai Watch tiens ! A l’inverse, dans les jeux émergents, les designers ne peuvent pas prévoir le contenu de chaque partie : les échecs et le football en font partie. Dans le JV, ce sont principalement des jeux multijoueurs comme Street Fighter, les multi de Battlefield, les jeux de sport et d’arcades.
Bon bien sûr, il faut comprendre que ces deux notions ne sont pas deux catégories distincte mais bien entendu les deux extrêmes d’un même axe indiquant l’intervention du game designer dans le parcours du joueur. Certains jeux allient d’ailleurs très bien la scénarisation du contenu et émergence. resident Evil 4 est un cas d’école à ce sujet puisque Shinji Mikami a 1/ scénariser l’intégralité du gameplay du jeu avec l’évolution des ennemis, la présence de boss etc. et 2/ Rend le jeu plus facile ou plus difficile en fonction des succès et échecs du joueur.
Bon, on commence à y voir vraiment plus clair concernant la difficulté et son design mais il y a une question à laquelle nous n’avons toujours pas répondue ! Monkey Island est-il plus difficile que DarkSouls3 ?
Ainsi, la difficulté sensorielle décrit l’effort que doit fournir le joueur pour obtenir des informations nouvelles sur l’état de l’univers du jeu. Il faut comprendre toute information que le joueur ne peut pas déduire de faits et règles logiques qu’il connait déjà. La difficulté sensorielle est la difficulté principale des jeux d’aventure comme les monkeys Island ou tout autres LucasArt.
La difficulté logique quant à elle décrit l’effort que doit fournir le joueur pour exploiter les informations dont il dispose, c’est à dire comprendre le fonctionnement de l’univers par l’induction, par remontée d’information et choisir la prochaine action à effectuer par déduction. On retrouve ce type de difficulté dans les premiers tomb raider où l’on devait actionner des leviers, utiliser certaines clefs pour ouvrir des portes et continuer à progresser.
Enfin, il reste la difficulté motrice. Celle-ci décrit le niveau de précision spatiale et temporelle dont le joueur doit faire preuve lorsqu’il exécute une action. C’est tout simplement la difficulté la plus facile à présenter. Elle est particulièrement présente dans les jeux de plateforme comme Mario, Spyro, Ratchet & Clank et bien entendu les titres indé comme super meat boy. Elle est présente dans tous les jeux d’action, bien évidemment dans les jeux de scoring comme les schmups et aussi dans les RTS comme Starcraft dans lesquels la rapidité d’exécution et primordiale.
Voilà !
Nous avons fait un tour d’horizon de ce qu’est la difficulté vidéoludique. Bien entendu, je n’ai pas pu parler de tout mais il faut retenir qu’il existe une difficulté absolue et une difficulté relative. Cette dernière prend en compte le gain de compétence au cours d’une partie par le joueur et afin de toujours lui proposer du challenge, le game designer doit faire un gros travail au niveau de l’équilibrage de son Jeu. Cela se formalise par la mise en place d’une courbe de difficulté qui aura une forme différente en fonction du type de jeu ; jeu dont le gameplay se situe sur un axe entre gameplay progression ou gameplay émergent. Certaines techniques de game design comme l’équilibrage dynamique de la difficulté permettent d’allier facilement les deux. Enfin, il existe 3 sphères de difficulté qui sont la sphère sensorielle, la sphère logique et la sphère motrice.
Maintenant que vous connaissez tout cela, j’espère qu’il sera plus facile pour vous de qualifier la difficulté à laquelle vous êtes confrontés. Nous n’avons pas aborder le fun qui peut être créé par la difficulté, mais je réserve cela pour une prochaine vidéo.
En attendant, comme d’habitude, je vous remercie de m’avoir écouté, je vous aime beaucoup et vous dit à la prochaine. ■
Esteban Grine, 2016.
===== Sources scientifiques de la vidéo =====
La thèse de Guillaume Levieux : Mesure de la difficulté, 2011
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00612657/document
Les références à Rolling et Adams sur la difficulté dans le Jeu Vidéo
Rollings & Adams, 2003. « Andrew Rolling and Ernest Adams on game design », https://books.google.fr/books?id=Qc19ChiOUI4C&lpg=PA359&ots=W-E5XnlL7g&dq=andrew%20rolling%20ernest%20adams%20on%20game%20design&hl=fr&pg=PP1#v=onepage&q=andrew%20rolling%20ernest%20adams%20on%20game%20design&f=false
Adams, « The Designer’s Notebook: Difficulty Modes and Dynamic Difficulty Adjustment »
http://www.gamasutra.com/view/feature/132061/the_designers_notebook_.php?print=1
Byrne, Ed, 2005, « Game Level Design », https://books.google.fr/books/about/Game_Level_Design.html?id=iX3oWHNf9hMC&redir_esc=y&hl=fr
Les gameplays ne sont pas de moi, aucune utilisation commerciale n’est faite. Retenez la run de Spelunky par Bananasaurus Rex. Une question récurrente sur la difficulté est de savoir si finalement, c’est fun ou pas ? Sans trop aborder ce sujet que nous aurons l’occasion de traiter plus tard. Et bien nous pouvons distinguer le Hard Fun du easy fun. La première notion est permise grâce à la résolution d’objectifs tandis que la seconde est plus accès sur la compréhension du monde, de la découverte du monde et ce, indépendamment de la réussite (voir Lazarre sur le sujet entre autre).
Bonjour Internet, ce pixel d’opinion est une réponse faite à l’article«“Uncharted 4”: et le jeu vidéo dépassa le cinéma » de Herwan Higuinen, paru le 16 mai 2016 sur le site des Inrocks. Je vous conseille donc de le lire avant de continuer ici 😉
Tout d’abord, je souhaite préciser qu’en aucun cas il ne s’agit d’une critique du jeu ou une critique de l’auteur dont j’avais apprécié certains articles comme « La Vieillesse dans le Jeu Vidéo ». Je précise aussi que malgré la critique faite, l’article de Herwan Higuinen n’en reste pas moins intéressant.
Maintenant que cela est dit, je vais donc pouvoir approfondir mon propos qui ne se résume pas à un tweet un peu sauvage « LoL Non » assez putassier, je le reconnais. (Je présente aussi mes excuses à l’auteur car il est vrai que sur twitter, j’ai tendance à me comporter de manière plus méchante et vindicative qu’à l’habituelle).
Critique de l’essentialisme dans le Jeu Vidéo
La grosse critique que je fais à l’article de Higuinen concerne l’idéologie (volontairement ou involontairement) soutenue concernant la représentation de ce que doit être le Jeu Vidéo. Celle-ci propose une vision essentialiste du Jeu Vidéo à laquelle je m’oppose fermement ; et certains de mes collègues vidéastes savent déjà à quel point je peux être tenace sur ce point.
Lorsque l’on évoque le JV, l’un des gros problèmes récurrents que j’observe est le fait de l’encastrer uniquement au sein des formes médiatiques tout en délaissant son aspect d’Objet Ludique. Par sa nature « double », le Jeu Vidéo doit être perçue et comme un média (un Art) et comme un phénomène communicationnel entre des individus (voir entre autres Habermas, Jakobson, Huizinga, Caillois, Henriot et bien entendu Eco). Ainsi, l’objectif du Jeu Vidéo ne doit pas être le « dépassement d’une autre forme d’art » aux objectifs distincts. Même des jeux extrêmement proches du cinéma (comme les productions de David Cage) ne fonctionneraient pas, une fois les mécaniques ludiques soustraites. Tout comme certaines œuvres cinématographiques qui une fois soustraites de leur grammaire cinématographique, perdent tout leur intérêt. Sur le vif, je pense par exemple à « Memento » de Christopher Nolan qui s’il était monté de manière chronologique comme un film lambda, perdrait tout la spécificité de sa narration et ne proposerait qu’une histoire banale et mal écrite d’une vengeance.
Le titre de l’article prête aussi à confusion concernant la volonté de la stratégie pré-discursive de l’auteur. S’agit-il du Jeu vidéo « Uncharted » qui dépasse le cinéma ou s’agit-il du Jeu Vidéo en général ? A la lecture de l’article, il semblerait que cela soit ce second point de vue qui est défendu. Or, dans ce cas, l’article tient un propos essentialiste sur ce à quoi doit ressembler le Jeux Vidéo pour être considéré comme Jeu Vidéo. Dans ce cas, il s’agit d’une représentation du Jeu Vidéo proche des codes du cinéma. Cependant, de nombreux exemples démontrent l’absence de liens facilement observables entre le Jeu Vidéo et le 7ème art. Je pense notamment à de nombreux jeux se passant de cinématiques voir à l’extrême des jeux qui s’émancipent totalement d’interfaces représentant une diégèse réaliste : c’est le cas des aventures vidéoludiques textuelles ou encore des roguelikes comme NetHack qui passent par une représentation en ASCII de leur monde.
Bien entendu, je ne renie pas l’apport du langage cinématographique dans le jeu vidéo ni les liens entre les deux. La place de la caméra et des angles de vues sont d’ailleurs extrêmement importants pour les jeux vidéo ayant une diégèse réaliste. Des auteurs comme Alexis Blanchet ont d’ailleurs travaillé sur les relations entretenues entre le cinéma et le JV. Mais le langage cinématographique n’est qu’un outil pour le JV qui ne sert ni les mêmes objectifs que le cinéma, ni transfert les mêmes émotions. Par exemple, le jeu vidéo est capable de transmettre par sa grammaire vidéoludique un sentiment de culpabilité mais celui-ci n’est possible que par l’inter-réaction entre le joueur (son attitude ludique et ses inputs), le gameplay et les cinématiques quand elles existent.
Critique de la cohérence d’Uncharted
Concernant plus précisément les propos tenus sur Uncharted, je suis en désaccord avec certains points. Premièrement, bien que le titre cherche à se rapprocher de la réalité ordinaire dans ses cinématiques (vie de tous les jours, parcours de vie détruits/déconstruits), considérer le titre « cohérent » est une erreur. Naughty Dog reconnait lui-même qu’il ne l’est pas du tout entre ses cinématiques et son gameplay puisque l’existence d’un succès « dissonance ludonarrative » existe. Par ailleurs, notons que le terme « dissonance ludonarrative » est un terme qui a émergé du fait d’une critique du premier Uncharted par un Game Designer d’Ubisoft mais Jesper Juul parlait bien avant « d’incohérences » inhérentes à la nature même des Jeux Vidéo dans son livre « Half-Real ». Concernant la présence de Crash Bandicoot, j’interprète aussi cela comme un aveu de Naughty Dog sur son titre. A bien des égards, Uncharted est la même formule de parcours de niveaux en couloir que ce que proposait Crash Bandicoot déjà en 1997.
Secondement, concernant l’écriture et la mise en forme du récit dans le Jeu Vidéo, il a plusieurs fois été démontré que le JV ne propose rien de plus que la littérature, même concernant la co-construction des récits grâce à la collaboration du lecteur-joueur. Cela a déjà été travaillé par Espen Aarseth en 1997 dans son livre CyberText. D’ailleurs, ce livre arrive finalement à une impasse dans la définition du Jeu Vidéo comme forme littéraire distincte des autres. Umberto Eco avec son concept de Lecteur-Modèle a lui aussi démontré l’importance de la posture active du lecteur (dans » Le Rôle Du Lecteur » entre autre). Aujourd’hui, les chercheurs dont l’objet est le JV ne cherchent plus à le distinguer par la mise en forme du récit. Par exemple, Karhulahti dans son papier « Defining the Videogame » propose de définir le JV de manière totalement contre-intuitive en rejetant l’aspect interactif du medium (qui ne lui est pas spécifique). Celui-ci ne définit le JV que par le fait que cet objet ludique évalue de manière autonome la compétence du joueur.
bon je commence à m’égarer un peu dans mes élucubrations, je vais donc m’arrêter. Cependant, je souhaite revenir sur la conclusion de l’article qui me plait, en fait. J’aime l’idée que le JV et le cinéma peuvent se nourrir l’un et l’autre. Cependant, placer l’un en tant que donneur de leçon de l’autre… cela peut sembler présomptueux et cela suppose aussi que les deux médias ont les mêmes objectifs, ce qui se discute comme je l’ai expliqué.
Esteban Grine, mai 2016. <3
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