Aujourd’hui, pour la première fois de ma vie de chercheur,
j’ai abandonné la rédaction d’un article scientifique en cours de relecture. De
mon côté, j’entamais la cinquième réécriture. Du côté du comité scientifique,
nous commencions la quatrième réécriture, car la troisième nécessitait de
nouveau en réécriture de fond. Pour cette dernière session, seul un mois
m’avait été accordé, un mois qui finalement est passé bien vite entre mon
emploi à temps plein, la parentalité et donc mon doctorat à temps-partiel. Actuellement,
le contexte de production dans lequel je me situe m’oblige à faire des choix, à
« dégraisser » comme certains gestionnaires diraient, dans mes
activités de recherches. L’écriture d’un
article est une charge mentale que je ne suis plus en mesure de supporter face
aux autres que j’ai évoquées.
La situation que j’ai décrit n’est pas isolée. En évoquant
mon abandon, j’ai découvert que certain·e·s collègues avaient ils et elles
aussi abandonné : parfois au début, parfois à la fin, parfois après une
relectures, parfois entre la troisième et la quatrième. Certain·e·s sont
parfois aller jusqu’à la septième ou la huitième réécriture pour enfin voir
leur article publié. Parfois aussi, c’est tout simplement des explications que
certain·e·s chercheur·euse·s peuvent se permettre : « je n’ai pas le
temps, je suis sous l’eau, j’ai oublié ». Inutile de préciser ici que ce
ne sont clairement pas les doctorant·e·s qui peuvent s’autoriser ce genre de
propos. Pour ces dernier·e·s, l’abandon d’un article est, à mon humble avis et
vécu, anxiogène, stressant, honteux, déprimant, difficile, délicat, risqué,
conflictuel et enfin, terriblement déceptif.
Pourtant, malgré le fait qu’il semble s’agir d’une pratique courante et connue, c’est insupportable de ne trouver absolument aucune ressource utile pour la personne s’interrogeant sur l’abandon d’un article académique. Bien entendu, on trouve des travaux sur le malaise des doctorants (par exemple Lhérété, 2011), mais lorsqu’il s’agit d’aborder frontalement la question de l’abandon d’une rédaction, internet semble être l’endroit le plus vide du monde : aucun témoignage, aucune méthode, aucun modèle de courriel d’excuses. Par ailleurs, je n’ai pas écho d’une quelconque formation doctorale ou d’un accompagnement à la rédaction ou à l’abandon (voir même d’un suivi psychologique pour cela) existant et ce, dans les établissements supérieurs français. C’est pourquoi cet article, écrit dans un excès de colère mais aussi d’empathie, existe : pour rappeler l’importance de l’abandon dans la recherche doctorale.
Etant donné que certains se permettent dans mon champs
disciplinaire (les game studies), des top 10 bâclés et particulièrement
discutables réunissant des conseils à destination des auteurs et autrices
(Aarseth, 2019), je ne vois pas pourquoi il faudrait que je m’en prive dans mon
carnet de recherches. Donc, voici donc une liste de bonnes raisons d’abandonner
la rédaction d’un articles. La première étant la suivante : si je ne la
fais pas, personne d’autre n’abordera frontalement cette problématique qui
restera tabou à l’écrit, alors que c’est un malaise collectivisé et oralement
discuté.
Résumé. — Après
avoir modélisé l’évolution de la vidéo sur le jeu vidéo sur internet, nous considérons
la période actuelle comme une période de « science populaire » dans
laquelle les vidéastes médiateurs de savoirs interagissent entre eux, se citent
et citent ponctuellement des acteurs des sciences académiques et techniques. A
travers le traitement de deux enquêtes, l’une comprenant 11 interviews, l’autre
reprenant 17 réponses à un questionnaire, nous constatons que les créateurs se
consacrant à l’objet culturel « jeu vidéo » sur YouTube ont un
rapport parfois conflictuel avec la légitimité qu’ils s’attribuent ou non. Nous
proposons de les catégoriser à travers trois profils théoriques qui partent de
leur relation avec la légitimité et qui sont corrélés à des objectifs, des
situations de productions et des intentions différentes.
Mots
clés. — jeu
vidéo, vulgarisation, youtubers, science populaire, vidéaste
Between mediation and
militancy about videogaming: a case study about French-speaking youtubers.
Abstract. — After
modeling the evolution of informative videos about the video game on the
Internet, we consider the current period as a period of « popular
science » in which the videomakers mediating knowledge interact with and
quote each other, quote academic and technical sciences from time to time.
Through the treatment of two surveys, one consisting of 11 interviews and one
containing 17 responses to a survey, we found that these creators who devote
themselves to the cultural object « video game » on YouTube have a
conflicting relationship with the legitimacy that they attribute themselves or
not. We propose to categorize them through three theoretical profiles which are
based on their relation to legitimacy and which are correlated with objectives,
production situations and different intentions toward their audience and their
creations.
Keywords. — video games, vulgarization, youtubers, gaming, popular
science,
Pour citer cet article, merci d’utiliser la citation de ma communication de colloque :
Giner, E., (2017). Entre médiation des savoirs et militantisme vidéoludique : le cas des vulgarisateur.ice.s francophones sur le jeu vidéo. Communication donnée lors du colloque « YouTubers, YouTubeuses », Université de Tours : Tours.
(une version pdf sera déposée sur HAL prochainnement)
Death Stranding est
un jeu que la presse spécialisée s’amuse à catégoriser comme clivant. IGN ne
s’embarrasse pas de superlatif en le qualifiant de jeu le plus clivant de
l’année : « Death Stranding has
been, quite simply, the year’s most divisive game around the IGN office. Some
of us love its gameplay, others find it frustrating, and aspects some of us
enjoy others find annoying » (IGN, 2019). La presse généraliste n’est
pas en reste puisqu’à l’instar de l’article de Daniel Dawkins pour The Gardian qui écrit : « Hugely ambitious and hugely divisive, it
tasks players with delivering packages across a barren America where the living
and dead coexist » (Dawkins, 2019).
L’une des explications que je vois à cette façon de catégoriser le jeu repose sur le fait que Death Stranding s’inscrit déjà dans le registre du walking simulator, déjà sujet à controverses, pour en plus prendre la définition de ce genre fondamentalement au premier degré : il est fondamentalement question de marcher dans Death Stranding, là où les walking simulators que l’on se représente ne nécessitent que peu d’efforts. Comme l’énonce Maxime Deslongchamps-Gagnon : « le joueur n’a qu’à appuyer sur la touche « W » de son clavier pour avancer dans un espace en 3D, ce qui n’a rien à voir avec le réalisme actionnel et la complexité systémique de jeux comme les simulateurs de vol » (2019 : 138).
Si Deslongchamps-Gagnon a fait du walking simulator l’une de ses spécialités de recherches – il tient
notamment un podcast consacré au sujet (et que je n’ai pas pris le temps
d’écouter malheureusement) –, je m’intéresse pour ma part particulièrement au
fait de marcher dans les jeux vidéo, autant dans une perspective esthétique que
de recherche, toutes deux basées sur mes pratiques vidéoludiques. Sur Twitter,
je me suis de nouveau exprimé sur ce sujet étant donné ma récente expérience de
Death Stranding. Le message
volontairement provocateur fut le suivant :
J’aime bien le fait quand même que #DeathStranding est le premier walking-sim qui fait de marcher une vraie mécaniques de jeu…. Contrairement à tous les walking-sim finalement… qu’on devrait peut-être appeler…. Des witnessing-sims ? (L’Esteban Grine de Twitter, 2019)
A la suite de sa publication, je me suis remis forcément à penser et c’est ce que je souhaite formaliser ici. L’objectif ici est de répondre à la question suivante : comment appréhender l’expérience de la marche dans les jeux vidéo ? Finalement, il n’est donc pas question de définir ce que sont les walking simulators. Je compte surtout proposer des clefs permettant de caractériser et qualifier la pluralité des expériences permises par les simulateurs de marche.
Death Stranding (2019) est probablement l’expérience vidéoludique la plus marquante que j’ai vécue jusqu’à aujourd’hui, probablement par ce que ce jeu est arrivé à un moment de ma vie qui est particulièrement comme en parallèle avec les propos du jeu. Dès lors, même si j’aimerai parler du jeu pendant des heures, à travers de nombreux articles et sur de nombreuses thématiques, je n’ai pas envie de faire l’impasse sur le partage d’une expérience avant tout très personnelle. C’est donc par l’explication de mes conditions de jeu que L’on peut comprendre les lectures que j’en ai tirées. Le jeu est une caisse de résonance à tout ce que je vis en ce moment, et c’est important de l’écrire.
Bonjour à toutes et tous, tout d’abord, je tiens à remercier
les organisateurs de ces journées de m’avoir convié afin de pouvoir vous
présenter, je l’espère, des propos qui alimenteront vos réflexions. Mon
intervention s’intitule « l’esprit critique des joueurs et des
joueuses : une simple question de profils ? ». Outre le fait
qu’en réalité, une question n’est jamais simple, j’ai eu beaucoup de mal à
trouver une amorce qui pourrait lancer ce sujet. Puis, je suis tombé hier sur
un article de TechRadar recensant les propos d’Hideo Kojima à propos des
retours mitigés que son dernier jeu reçoit actuellement.
Cet article est la retranscription de mon intervention donnée au séminaire 2019 de Games For Change. Pour citer cet article : Giner, E. (2019). L’esprit critique des joueurs et des joueuses : une simple question de profils ?. Communication donnée lors du séminaire « Esprit critique / Esprit ludique », organisé par l’association Games For Change. Paris : les 18 et 19 novembre 2019.
Pour situer, Death Stranding est un jeu se déroulant dans un
univers postapocalyptique et nous incarnons Sam Porter Bridges, un livreur de
colis. D’ailleurs, nous passons le plus clair de notre à temps précisément à
livrer des colis pendant la cinquantaine d’heures que dure l’aventure
principale. Alors, je ne l’ai pas encore fini donc je n’irai pas m’aventurer à
spolier l’histoire. Ce qui m’intéresse vraiment ici, ce sont les propos de
Kojima. Expliquant les mauvaises notes que le jeu reçoit en provenance des
Etats-Unis, Kojima énonce : « it’s a difficult game to
understand ». Plus loin dans l’entretien, il explique la réception du jeu
est fonction d’une sensibilité artistique qui ne serait pas la même en fonction
des nationalités :
« I always try to create new
things and disputes and discussions are fine, but it must be said that the
Italians or the French have a different artistic sensibility that allows them
to appreciate this kind of very original products, they are not in video games
but also in the cinema. » (Kojima, 2019)
Il me semble que cette dernière citation illustre bien la
problématique de mon intervention. Ici Kojima fait une distinction géographique
entre les profils de joueurs. Par ailleurs, nous sommes habitués, soit par
réflexe, soit par simplicité, à toujours procéder à des catégorisations de
joueurs. Celles-ci peuvent reposer sur des dichotomies typiques, par exemple on
distingue les casual des hardcore gamers (Ip, Jacobs, 2005), Les whales des non-consommateurs, etc. Ces
typologies peuvent aussi reposer sur des matrices multifactoriels, surtout
lorsque l’on s’intéresse particulièrement à des jeux de niches comme par
exemple les queer games, des jeux
vidéo principalement destinés à des personnes queers.
De fait l’objectif de cette communication n’est pas de
savoir si Hideo Kojima a raison ou pas mais plus d’interroger les productions
académiques afin de discuter la notion d’esprit critique : avons-nous des
outils afin d’analyser si oui ou non les jeux vidéo peuvent être des outils de
développement de l’esprit critique et si oui ou non il y aurait des profils de
joueurs et de joueuses ayant une appétence particulière pour cela ?
Lorsque l’on commence à décortiquer la notion d’esprit
critique, on s’aperçoit que pour le jeu vidéo, il s’agit surtout d’un mouvement
circulaire entre l’esprit critique à l’égard d’un jeu, d’un genre ou d’une
production et l’esprit critique à l’égard d’un phénomène social qu’aborderait
un joueur ou une joueuse en jouant à une production vidéoludique. Pour la
première, nous avons déjà un terme : il s’agit de la littératie
vidéoludique, notion définissant la compétence d’un joueur à se saisir d’un
message contenu dans un jeu pour étendre sa propre compréhension du monde.
Les fondamentaux de l’exprit critique : entre catharsis et apprentissage
social
Pour répondre à ces questions, il semble important de situer
que depuis une perspective académique, nous pouvons raccrocher la question de
l’esprit critique aux problématiques plus larges liés aux jeux vidéo comme
support d’apprentissages, de discours et de représentations. Par exemple, José
Zagal, qui travaille sur la littératie vidéoludique résument les positions des
chercheurs et chercheuses à deux grandes écoles de pensées. D’un côté, il y
aurait les tenants de l’apprentissage social. Dans ce cas, cette théorie
suggère que les comportements que nous avons en tant que joueurs alimentent les
comportements que nous avons dans d’autres pans de nos vies, et ce, via des
mécaniques de renforcements notamment. Je suis violent dans un jeu, alors je
deviens plus violent IRL et inversement, j’éprouve de l’empathie ingame et je serai plus empathique dans
ma vie de tous les jours. De l’autre côté, il y aurait les tenants de la
catharsis qui comme son nom l’indique suppose que les jeux vidéo semblent être
des espaces-temps déconnectés de toutes réalités proches.
Dès lors, si l’on pense les jeux vidéo comme des supports
nourrissant et accompagnant l’esprit critiques des joueurs et joueuses, cela
suppose implicitement que l’on va se positionner sur une sorte de continuum
entre ces deux catégories, relativement poreuses, et ce, en fonction des objets
que l’on étudie. Il est toujours intéressant d’ailleurs de prendre ces
positions pour étudier la façons dont certains groupes de joueurs se
positionnent idéologiquement comme lorsque par exemple, certains vont
considérer qu’un jeu de conflit militaire présente parfois un agenda politique
particulier sur l’histoire comme c’est le cas de Battlefield 1 qui présente des
erreurs factuelles majeures selon certains notamment vis-à-vis de la
représentation des femmes. Alors qu’un autre jeu dans la même veine ne fait que
proposer un espace vidéoludique sous couvert de pratiquer le
négationnisme.
En tout état et tout autant que dans les discussions entre
amateurs et amatrices, ces deux grandes positions au semblants idéologiques
dans le champs des game studies se
retrouvent dans les productions académiques. Et particulièrement dans ce que je
regroupe sous le terme d’études d’impact. Il s’agit là d’un corpus d’articles principalement
issus de la psychologie et de la psychologie sociale anglo-saxonne qui vient
régulièrement ponctuer l’actualité médiatique autour des effets que les jeux
vidéo peuvent avoir sur leurs audiences.
Plonger dans les études d’impact est absolument passionnant
car cela nourrit tout une histoire de la recherche sur les jeux vidéo depuis
les années 1980. A première vue, il semble que ces travaux puissent nous donner
de meilleurs clefs de lectures que simplement la conception très binaires
proposé par José Zagal. Cependant, la quantité de productions scientifiques
portent d’avantage sur des questions connexes à l’esprit critique. Par exemple,
on peut noter tout un corpus consacré à l’emploi du jeu vidéo dans le cadre de
pratiques pédagogiques. Même si ces études restent importantes car elles
structurent le champs, leurs résultats sont souvent nuancés comme celle de
l’équipe de Jereon Bourgonjon qui en 2010 tentait de mesurer la pertinence de
l’usage de jeux vidéo l’école et qui conclut :
The results showed that students cannot be regarded as one homogeneous group of video game consumers, as there were large differences between groups of students in their video game consumption patterns. (2010)
Cet conception des pratiques vidéoludiques comme socialement
située fait qu’il est difficile d’avoir un positionnement clair sur ces
questions sans prises en compte d’un contexte particulier de jeu, mais pour
cela, c’est Vincianne Zaban qui sera plus à même de parler de cela. Finalement,
l’étude de ce type de corpus n’apporte que peu d’indices hormis de grandes
conclusions relativement faibles sur les impacts au sens très large. Par
ailleurs, il s’agit au passage d’un corpus miné par des controverses entre
chercheurs, controverses que j’ai pu déjà abordées hier soir et dans d’autres
textes. De fait, à l’issue de ce premier travail, hormis les enjeux liés entre
les tenants de la catharsis ou de l’apprentissage social, il semble difficile
d’en apprendre plus sur l’esprit critique des joueurs et son développement via
l’usage de jeux vidéo.
Donc à la première question qui était : avons-nous des
outils pour analyser si oui ou non les jeux vidéo peuvent être des supports de
développement de l’esprit critique, la question semble beaucoup trop ambitieuse
pour ne pas procéder plutôt au cas par cas. Pourtant, les données statistiques
se heurtent régulièrement aux récits des joueurs et joueuses qui font preuves
de réflexivité, de détachement et de pertinence. La question que l’on va donc
maintenant explorer est donc : l’esprit critique est-il fonction de
certains profils de joueurs et joueuses ? Pour cela, il se trouve qie tout
un pan de la recherche académique s’est concentré sur la formalisation de
typologies variées de joueurs et de joueuses.
Les profils de joueurs, méthodes pour inférer l’appétence des joueurs et
joueuses au développement de leur esprit critique ?
Donc finalement, encore heureux qu’en parallèle de ces
études d’impacts qui offrent en tant que corpus des conclusions en
demi-teintes, il existe aussi de nombreux travaux en sociologie et en
anthropologie qui vise à constater d’un côté les façons dont les jeux vidéo
renforcent ou discutent certaines perceptions du monde et de l’autre la façon
dont on peut faire des hypothèses sur la transmission d’un message en fonction
de caractéristiques particulières des joueurs et joueuses. Pourtant finalement,
la grande interrogation porte sur le fait de savoir si un joueur ou une joueuse
va être capable de décoder le message d’un jeu. De même, lorsque l’on crée un
jeu vidéo, on se représentant généralement la personne qui va y jouer.
Sébastien Genvo a proposé le concept de « joueur-modèle » pour
représenter la personne qui est considérée comme la destinataire principale du
jeu. Pour Genvo, le joueur-modèle ou la joueuse-modèle fait donc référence à un
ensemble de compétences qui sont mobilisées dans un contexte social particulier
de jeu. Alors bien sûr, on pourrait tout de suite énoncer qu’à partir du moment
où l’on souhaite créer un jeu qui va interroger les représentations et qui va
solliciter l’esprit critique des joueurs et des joueuses, alors,
automatiquement, les joueurs et les joueuses vont développer leur esprit
critique. Et parce qu’ils et elles sont critiques, ils seront plus exigeants
pour les jeux suivants. On se retrouve alors avec une sorte de cycle de
renforcements mutuels.
De fait, la promesse semble alléchante : s’il on arrive à catégoriser les joueurs et joueuses de la sorte, il devient possible de déterminer les joueurs-modèles et donc les personnes les plus à même de développer leur esprit critique en jouant. A ce titre, les chercheurs Janne Tuunnanen et Juho Hamari ont catégorisé quatre façon de créer une typologie de joueurs et de joueuses (2012). On retrouve des segmentations en fonction des aspects géographiques, démographiques, psychographiques et comportementalistes.
Et c’est intéressant de constater que les typologies typiques de joueurs et de joueuses se retrouvent dans cette segmentation. Par exemple, la typologie de Bartle opte pour une segmentation comportementaliste des joueurs et joueuses (1996). Dans la typologie qu’il propose, il identifie les achievers, les explorers, les socialisers et les killers.
Je n’ai pas le temps ici de développer étant donné le nombre de typologies existantes dans la sphère académique à propos des joueurs et des joueuses. Tuunnanen et Hamari en retiennent douze pour une méta-analyse qu’ils ont faite à ce sujet. Ce que je retiens cependant, c’est qu’elles ne proposent pas vraiment d’interroger la notion d’esprit critique. Cet esprit critique est implicitement associé à des comportements ingame et encore, ce n’est pas si sûr. A ce moment de la communication, on pourrait supposer celle-ci finalement comme déceptive. Les études en psychosociologie sont prises dans des controverses et les typologies de joueurs et joueuses ne permettent que de faire des suppositions. Or, on sait, grâce aux données ethnographiques que des chercheurs et des chercheuses produisent que des jeux vidéo peuvent être le support d’interrogations nouvelles pour leurs audiences.
De fait, là encore, la seconde question semble insoluble.
Celle-ci « y aurait des profils de joueurs et de joueuses ayant une appétence
particulière pour cela ? » semble induire une caractéristique
presqu’innée chez les joueurs et les joueuses et c’est finalement problématique
car cela invite à déconsidérer certain joueur par rapport à d’autres soit parce
qu’ils et elles n’auraient pas les compétences, soit parce qu’ils et elles
n’auraient pas atteint un certain niveau de compréhension d’un sujet. Dans tous
les cas, il y aurait systématiquement une raison ou une autre pour qu’un joueur
ou une joueuse ne fasse pas suffisamment preuve d’un esprit critique.
Finalement, c’est peut-être cet esprit critique, en tant que caractéristique
d’un profil de joueur qui me semble problématique.
Ce que je suggère ici, c’est qu’il s’agit, il me semble,
d’une porte d’entrée intéressante pour interroger l’esprit critique, non pas
comme une caractéristique intrinsèque des joueurs et des joueuses mais plutôt
comme un moment de jeu qui apparaitrait du fait d’une communication entre le game design et une audience dans un
contexte précis. De fait, la question n’est plus de s’adresser aux joueurs et
joueuses avec des profils particuliers, les vrais
gameurs par exemple, mais plutôt : comment faire pour structurer
l’expérience de jeu de sorte accompagner le développement l’esprit critique des
joueurs et des joueuses ?
La perspective que je défends est donc double. Premièrement, il me semble important de considérer l’esprit critique ou la littératie vidéoludique non pas comme des caractéristiques propres, au contraire. Il me semble important de considérer cela comme des moments issus d’une rencontre entre des expériences et des joueurs et des joueuses qui viennent avec leur vécu, leurs itinéraires de joueurs et tout ce qui les définisse dans leurs identités. Ainsi, suivant cela, il semble que l’esprit critique, en tant que moment, est d’avantage l’affaire d’une controverse finalement entre la machine et l’opérateur·ice. Secondement, partant du postulat que je viens d’énoncer, l’esprit critique ne précède pas l’apprentissage en jeu. Je considère et défend l’idée que tout·e joueur·euse est à même de développer son esprit critique, sa littératie vidéoludique, pourvu qu’il ou elle soit accompagné·e, soit par le game design soit par le contexte de jeu via par exemple des accompagnateur·ice·s qui complètent l’expérience de jeu.
Le 7 novembre dernier, j’ai présenté lors du colloque
« Lusor In Fabula », organisé par l’université de Rouen, ma
proposition théorique qui s’intitule : « la narration à
n-corps ». C’est une théorie importante pour moi car cela fait maintenant
un peu plus d’un an qu’elle mûrit. De même, si j’ai l’impression d’en avoir été
le premier instigateur, c’est un travail que j’ai réalisé en réseau, notamment
avec mes collègues Rémi Cayatte, Charles Meyer et Martin Ringot. C’est avec eux
que j’ai particulièrement échangé durant la formalisation de cette théorie,
encore balbutiante, mais je reviendrai là-dessus plus tard.
Pour citer ma communication lors du colloque : Giner, E. (2019). Pour une théorie radicale et dynamique des récits vidéoludiques : la narration à n-corps. Communication donnée lors du colloque « Lusor In Fabula ». Université de Rouen : les 7 et 8 novembre. Pour citer ce billet : Grine, E. (2019). Modéliser les récits de jeu vidéo avec la narration à n-corps. [Carnet de recherches] Les chroniques vidéoludiques. URL :
Note aux lecteur·ice·s : il s’agit ici d’un article qui n’est pas le texte de ma communication. Le texte sera déposé plus tard sur la plateforme HAL probablement et peut-être soumis à une réécriture en vue d’une publication pour des actes ou pour une publication future.
L’objectif de ce billet est donc de proposer un nouveau
texte sur cette théorie. Finalement, il aurait pu se nommer : « la
narration à n-corps : enjeux et méthodes ». Aussi, il ne s’agit pas
du texte de la communication que j’ai donnée lors du colloque. Celle-ci sera
publiée plus tard aux Archives Ouvertes et je ne manquerai pas de venir y
réinsérer un lien vers sa page de téléchargement.
Ainsi donc, ce billet va suivre l’organisation de ma
communication : après avoir formalisé un contexte théorique, je présente
la narration à n-corps pour enfin aboutir à ses applications.
Pour bien comprendre le point de départ de la narration à
n-corps, il m’est important de rappeler d’où je pars. N’étant ni littéraire, ni
narratologue de formation, je m’appuie principalement sur les articles qui se
trouvent dans le champs des game studies.
Par ailleurs, ce qui m’a fondamentalement toujours intéressé, ce n’est pas un
débat de concept. Au contraire, mon objectif est plutôt de modéliser les formes
et les trajectoires que peuvent prendre un ou des récits en jeu. Si au passage,
cela me permet de faire fi de certaines conventions scientifiques, comme par
exemple en me positionnant contre certaines théories qui ont légitimement
structurer le champs, c’est un plus.
De fait, la narration à n-corps est partie d’une représentation atypique des récits que je vivais en jeu. Par exemple, plutôt que de tenter une analyse sémiotique poussée du jeu The Witness, je me représente dorénavant son récit comme la figure ci-dessous. Cela ressemble vaguement à un système solaire. De fait, tout le propos de cet article est d’expliquer pourquoi et comment je conceptualise les récits vidéoludiques de cette façon.
Cependant, il m’est d’abord nécessaire de situer le contexte
de cela. L’un des premiers phénomènes que je note est que les game studies ont toujours fait un usage
poussé des métaphores de sorte à expliciter ce que sont les jeux. Je tire cette
conclusion des travaux d’Olivier Caïra (2014). Ce que j’ajoute à son propos est
que finalement, on peut aisément agencer ces métaphores sur différents plans de
l’existence : de la fiction quantique (Blanchet, 2010) aux « bacs à
sable » en passant par la théorie atomique du gameplay (Alvarez, 2018),
toutes les métaphores s’inscrivent de sorte à mobiliser des éléments inscrits
dans une spatialité à plus ou moins grande échelle.
« Comme l’huile et le vinaigre » : penser les jeux vidéo
Du coup, si nous avons déjà exploré les métaphores de
l’infiniment petit, autant aller à l’opposé en optant pour les objets les plus
lourds que nous connaissons actuellement : les corps célestes. En
particulier, je tire cette théorie d’une lecture de science-fiction :
« le problème à 3 corps » de Liu Cixin (2016). Dans ce roman, une
planète gravite autour de trois soleils, ce qui lui empêche alors d’avoir une
trajectoire stable. Dans la narration à n-corps, cette planète est l’équivalent
d’un récit qui se développe : il gravite autour d’astres et même s’il
apparait qu’il y a bien un commandant à bord, la gravité exerce une attraction
qui oblige ce récit à emprunter une trajectoire plutôt qu’une autre. C’est
cette métaphore que je vais garder pendant toute la durée de ce billet.
Durant la première partie de ma communication, je suis
revenu sur plusieurs propositions théoriques qui semble, à mon sens, faire
consensus dans le champs des game
studies. J’ai le sentiment que l’on structure nos conceptions des jeux
vidéo en nous reposant systématiquement sur des dichotomies qui viennent soit
positionner deux termes en oxymores, soit positionner deux termes dont l’un
serait le contenant de l’autre. Bien entendu, j’entends que l’on reste
permissif et qu’il ne s’agit pas ici de cloisonner de manière exclusive les
termes. J’interprète généralement ces lectures comme des continuums entre par
exemple récits encastrés, présents dans les jeux, des récits émergents (ceux
qui apparaissent du fait de l’action du joueur ou de la joueuse. J’ai aussi le sentiment
que ce type de conceptions, en plus de reposer sur la façon dont le faux débat
« ludologie – narratologie » qui structura les chercheurs et les
chercheuses en fonction de prises de positions marquées, fait référence à une
certaine tradition McLuhanienne de la conception des médias dont les plus
récents contiennent toujours ceux qui les précédent.
Dès lors, on pourrait pousser cette analyse en formalisant
de facto un tableau à double entrée qui agencerait ces théories en fonction des
dichotomies qu’elles proposent pour définir les jeux vidéo. D’un côté, il y
aurait les théories reposant sur une dichotomie game/play et celles s’appuyant
sur une distinction entre narrativité et ludicité. De fait, la naissance de la
théorie des n-corps repose aussi sur une volonté personnelle de tenter de
« penser autrement » : est-ce que cela est possible ?
Comment formaliser cela ? J’avoue qu’il y a aussi une volonté de ma part
de me challenger. En tout état, on
peut avoir dans la figure ci-dessous un exemple de ce que je veux
établir : une théorie ne reposant sur aucune dichotomie pour formaliser et
modéliser les récits vidéoludiques.
Aussi, il est important de noter, car il m’a semblé que
c’est quelque chose que j’aurai dû préciser durant le colloque : je suis
assez flexible lorsqu’il s’agit de changer de cadre théorique de sorte à
appréhender un objet d’une nouvelle façon. Je ne considère absolument pas la
narration à n-corps comme une théorie plus vraie que les autres, que j’emploie
toute autant dans mes travaux.
Modéliser les récits vidéoludiques avec la narration à n-corps
En tout état, lorsque je présentais cette théorie comme
étant « radicale », c’était pour précisément signaler mon intention
de remercier les auteur·ice·s me précédant de sorte à mieux leur fermer la
porte, et ce, uniquement dans le cadre de cette théorie qui reste une
construction n’ayant pas pour objectif de formaliser une réalité : il
s’agit d’un modèle, qui je l’espère, permet de mieux appréhender cette réalité.
De fait, l’adjectif radical fait aussi principalement référence à la façon dont je définis le « récit ». Celui-ci est dans cette théorie le résultat d’un enchaînement de controverses entre la machine et l’opérateur et ce, dans un contexte socialement ancré de jeu. Positionner le récit de cette façon aboutit à deux effets importants.
Tout d’abord, je m’extraie de la définition du récit de
Gérard Genette : « l’énoncé narratif, le discours oral ou écrit qui
assume la relation d’un événement ou d’une série d’événements » (Genette,
1972). De facto, le récit en tant que telle ne précède pas l’expérience de jeu
dans la théorie des n-corps. Tout au plus, il existe des éléments de langage,
des événements mais le récit, en tant que tel, repose alors sur une co-construction
entre machine et opérateur·ice.
Le deuxième effet de cette conception est que dans le cadre de la théorie de la narration à n-corps, je refuse systématiquement de distinguer le récit, de l’expérience et de la narration. Je précise cela car cela m’a été demandé à la suite de mon intervention. En effet, à partir du moment où je réintègre ce type de distinctions, cela contredit l’intention initiale de la proposition de s’extraire d’une conception typique de la narration, du récit, etc. Je comprends que cela puisse frustrer certaines personnes qui considéreraient alors que ce modèle n’a aucune valeur. Je ne peux que leur répondre que leur frustration ne me dérange pas, au contraire, tout en précisant qu’il ne s’agit pas de la seule conception des récits que je considère avec intérêt et que je n’ai aucun mal à m’appuyer sur des conceptions typiques. Ici, je recherche précisément une façon dont laquelle je peux m’extraire de tout cela. C’est pourquoi on peut aussi envisager la narration à n-corps comme simplement un exercice de style qui apporte des éléments intéressants de compréhension et de formalisation.
Le deuxième concept important de la narration à n-corps est
celui des corps vidéoludiques que je définie comme des ensembles homogènes de
situations-séquences rencontrées dans les jeux vidéo. De fait, je laisse libre
les utilisateur·ice·s du modèle de formaliser et de sélectionner les critères
d’homogénéité. Par exemple, je m’appuie personnellement sur des événements
communicationnelles (voir le continuum persuasif-expressif, Giner, 2019) mais
dans d’autres contextes, j’aurai pu m’appuyer sur les médias qui composent ce
corps ou encore sur les ludèmes, etc. L’objectif est de rendre le modèle
relativement plastique et applicable à des questions variées de recherches.
Par exemple, j’ai représenté le récit de Super Mario Bros (Nintendo, 1985). Pour
ce jeu, j’ai identifié trois corps principaux. J’aurai pu en ajouter d’autres
dans l’objectif d’être plus précis mais il s’agit surtout ici clarifier un
propos. Dans ce jeu, il y a donc un corps correspondant aux niveaux, un corps
correspondant aux « briefs de mission » qui sont les écrans noirs
disposant des informations avant chaque niveau et les cinématiques/cliffhangers
qui sont les cinématiques reposant sur un texte à l’issue de chaque monde (et
nous indiquant généralement que la princesse Peach se trouve dans un autre
château).
De fait, la trajectoire du récit prend la forme d’une rosace
sur la figure ci-dessous (gauche). Sans revenir sur les implications de la
chose, je fais l’hypothèse que plus un jeu va proposer des récits ayant des
trajectoires géométriques et plus le récit sera stable. A l’inverse, plus la
trajectoire semblera désorganisée et plus je considérerai le récit comme
chaotique. J’ai poussé un peu le vice en réalisant six runs de SMB et même si je ne suis pas mort aux
mêmes endroits, on remarque que le récit est relativement stable.
Là où le jeu Undertale propose finalement un récit plus chaotique. Après avoir séquencé les vingt premières minutes d’une run pacifist et d’une run genocide, je me suis à formaliser l’ensemble en reprenant la méthodologie que je propose. Cette fois, j’ai identifié huit corps principaux plus deux autres qui émergent du fait du comportement génocidaire du joueur ou de la joueuse (figure ci-dessous, à droite). De fait, voici dans la figure ci-dessous (à gauche) les représentations que je propose des récits d’Undertale du début jusqu’à l’apparition du titre après le combat contre Toriel.
Avant de présenter les applications du modèles en conclusion, voici dans les grande lignes les éléments essentiels de la théorie de la narration à n-corps :
Les jeux vidéo sont considérés comme des systèmes dans lesquels un ou des récits, qui nécessitent l’action et l’agentivité du joueur ou de la joueuse, gravitent autour de corps vidéoludiques.
Penser les jeux vidéo comme des systèmes ne présuppose pas les relations entre les éléments le composant. Ceux-ci sont fonction d’un réagencement suivant les actualisations progressives faites par le ou la joueuse.
L’objectif de la narration à n-corps est de représenter la spatialité et la temporalité d’un récit. Il est donc d’avantage question de représenter la trajectoire d’un récit plutôt que d’en connaitre sa teneur.
Les corps vidéoludiques sont définis par les observateur·ice·s et ce, en fonction de leur question de recherches.
Un même jeu peut être représenté par plusieurs systèmes de corps vidéoludiques déterminés finalement en fonction des questions de recherches.
La teneur métaphorique de la narration à n-corps ne se substitue pas à une méthodologie de recherche reposant notamment sur l’usage de séquenciers de sorte à proposer un travail falsifiable.
Il est possible de présenter un système « ouvert » dans le sens ou celui-ci va intégrer des « corps médiatiques » qui ne sont pas présents dans le jeu vidéo étudié. Par exemple, on pourrait intégrer un corps « réseaux sociaux » pour formaliser la trajectoire d’un récit qui s’effectue à l’intérieur et à l’extérieur d’un jeu (et donc, on rapproche cette théorie de la transmédialité et de l’intermédialité).
Conclusion
Il me semble qu’avec ce billet, la modélisation du récit du jeu The Witness semble plus clair : il gravite autour du corps « exploration » de l’île et ponctuellement, on résout des énigmes.
A ce jour, l’application principale de cette théorie est de pouvoir objectifier des interprétations particulières d’un jeu, faisant le pont entre game et play. Durant ma communication, j’ai présenté aussi les prémisses d’une typologie de jeux vidéo à un corps, deux corps, trois corps, à n-corps, des récits stables, des récits chaotiques. C’est quelque chose que je n’ai pas encore formaliser plus en détails.
Par ailleurs, la narration à n-corps semble être un outil de modélisation de sorte à constater la persuasivité et l’expressivité des jeux vidéo, ce qui défait est totalement raccord avec mon travail de thèse. Aujourd’hui, la principale limite est que je n’arrive pas encore à respecter la temporalité de l’expérience à l’échelle de l’expérience effective. De fait, on a l’impression que les corps semblent équivalant à tout moment d’une expérience, or je vois les choses beaucoup plus en mouvement. En tout état, les séquenciers permettent tout de même de prendre en compte cela. Enfin, une représentation qui semble efficace et utilisable semble celle que j’ai mobilisée pour le cas d’Undertale. C’est aussi une représentation que je vais prolonger et améliorer. Une excellente proposition de Martin Ringot durant le colloque fut aussi de représenter l’attractivité des corps entre eux en plus des trajectoires des récits et cela un nouvel axe de travail. Cependant sur ce, je m’arrête là, car si mon modèle nécessite de nouvelles améliorations, mon train arrive en gare : l’heure tourne, en plus de mon modèle. Ce sera donc pour de prochains billets.
Dans cet article de corpus, je vais principalement m’intéresser aux jeux vidéo proposant l’exploration d’espaces non euclidiens. Ce sont des jeux que je suis depuis très longtemps pour leurs extraordinaires topographies. A cheval entre représentations à la limite du surréalisme et de l’impression de réel. Bien entendu, ces jeux n’ont rien à envier à une grande majorité de jeux de rôle dont les maisons, tels des TARDIS en puissance, ont toujours « semblé plus grande à l’intérieur ». En tout état, la question qui va alimenter ce corpus sera la suivante : dans quelle mesure est-il possible de catégoriser ces jeux ?
Lorsque je propose de conceptualiser les jeux vidéo comme
des systèmes sociaux, c’est parce que je fais l’hypothèse qu’un jeu propose une
structure composée de relations sociales entre des individus joueurs et des
individus non joueurs. En septembre, j’ai joué à plusieurs jeux qui se
focalisent particulièrement sur l’empathie qu’un joueur ou une joueuse peut
ressentir à l’égard soit d’autres êtres humains, soit à l’égard de personnages
fictionnels. Cependant, il est plus question ici de partager deux brefs
ressentis sur deux jeux qui m’ont rappelé cette problématique : kind words et Sayonara Wild Hearts. Chacun de ces jeux installent un lien
empathique et c’est ce que je veux aborder maintenant, dans la façon dont ces
jeux instaure un rapport à l’autre ou à soi.
Lors d’une intervention sur Europe1 partagée le 20 septembre 2019 sur Twitter, Michel Desmurget s’exclamait que toutes les études « faites proprement » constatent que les jeux vidéo ont un effet négatif sur les résultats scolaires, qui sont selon lui un marqueur visible des compétences, de la structuration intellectuelle et émotionnelle et des compétences sociales des enfants. Paradoxalement, Desmurget énonce aussi que les jeux vidéo empêcheraient les enfants d’être concentrés et ce, malgré le fait que ces mêmes jeux vidéo leur apprendraient à être attentifs ou tout ce qu’il se passe dans le monde. Il associe alors cela à la distraction.
Ce type de propos n’est pas nouveau. L’ouvrage de Desmurget,
« la fabrique du crétin digital », fait d’ailleurs étrangement écho
aux propos de Colas Duflo dans une discussion avec Raphaël Enthoven datant du
19 novembre 2010 pour l’émission Philosophie
diffusée sur Arté. Devant une photographie de joueurs prise lors d’une
gamescom, Duflo, répondant à Enthoven, s’exclame : « cette image est
pathétique, ils ont des têtes d’abrutis, c’est terrifiant ». Le
site TricTrac fait état d’un droit de réponse de Duflo publié sur
Arté mais il semble que la page n’existe plus aujourd’hui.
Cette mise en contexte pourrait suffire mais de manière plus générale, j’ai envie d’aborder la question des impacts des jeux vidéo sur leurs audience puisque fondamentalement, c’est de cela dont il est question. Pourtant, il convient de s’attaquer autant aux discours évangélistes que dénonciateurs, en particulier lorsqu’il s’agit d’interroger les jeux vidéo comme supports d’apprentissage. Il me semble qu’à partir des discussions que je lis sur internet (Twitter principalement), il y a de véritables lacunes qui nécessitent d’être corrigées pour faire avancer un débat empêtré dans des postures bien plus que dans des travaux scientifiques. Les réponses au tweet d’Europe1 sont d’ailleurs relativement intrigantes. De fait, j’ai un peu envie de partager quelques clefs de compréhension sur les controverses autour des impacts positifs et négatifs des jeux vidéo.
Quelques études « faites proprement »
A ce jour, les principales recherches portant sur les
questions d’impact sont issues d’une littérature en psychologie sociale. En
fait, c’est socialement marqué de parler « d’impacts des jeux
vidéo ». J’ai accumulé plus d’une trentaine d’articles identifiés
formellement comme des études visant à constater les effets des jeux vidéo.
L’un des travaux les plus anciens que j’ai identifié est une
étude de Joseph Dominick qui écrit : « school performance was not significantly related to home or arcade
videogame playing. Those who spend a lot of time in the arcades
did not necessarily perform badly at school » (Dominick 1984:146). Il constate
également une très maigre corrélation entre jouer à des jeux vidéo et
comportements violent : « the
correlations between the videogame playing variable and the aggression measures
were modest (as were the correlations between the viewing of television
violence and aggression) and were influenced by sex » (Dominick
1984:146). Pourtant, deux années plus tard, Craig Anderson et Catherine Ford énoncent
une corrélation importante entre la violence ingame et les comportements agressifs des joueurs : « the highly agressive game led to increased
hostility and anxiety, relative to the no-game control. The mildly agressive
game incresed ont the hostility of the game players. » (Anderson
& Ford, 1986:398).
En 2004, Jeanne Funk revient sur les travaux de la décennie
précédente (dont les siens. Funk,
1993) : « a positive
relationship between empathy and prosocial behavior is typically identified
(Miller & Eisenberg, 1988; Krevans & Gibbs, 1996; Roberts &
Strayer, 1996; Hastings, Zahn-Waxler, Robinson, Usher, & Bridges, 2000)» (Funk
et al 2004:26). Elle conclut dans son étude à une plus grande précision
des corrélations potentiellement en jeu puisque au lieu de parler de
comportement violent, elle énonce notamment que la violence représentée en jeu
est associée non pas à des comportements violents en dehors du jeu mais plutôt
à des attitudes légitimant socialement la violence de certains individus dans
certains cas. On passe donc d’une corrélation vague à une corrélation bien plus
précise : « as anticipated,
exposure to video game violence was associated with lower empathy and stronger
proviolence attitudes. This finding provides further
support for concern about children’s exposure to video game violence,
particularly if granted that lower empathy and stronger proviolence attitudes
indicate desensitization to violence » (Funk et al 2004:34).
Dans une étude de 2009, Douglas Gentile et al (dont Craig Anderson, le citer a son importance car il revient très régulièrement dans cette littérature et plusieurs controverses le suivent), les chercheurs et chercheuses arrivent à une conclusion plus optimiste puisqu’ils observent une corrélation entre exposition à des jeux vidéo prosociaux et des comportements prosociaux de la part des joueurs exposés, et ce, sur le long-terme : « in the short-term players’ behaviors were predicted by the prosocial and violent content of the games they played. In the long-term, players with high prosocial game exposure had higher prosocial traits and behaviors » (Gentile et al 2009:761).
J’ai principalement recensé ici des études portant sur les comportements prosociaux ou violents mais cela n’a pas empêcher d’autres études d’impacts sur d’autres sujets d’être menées. Par exemple, en 2013, Sandro Franceschini et al observent une corrélation entre pratiques du jeu vidéo et une amélioration de la lecture chez des enfants dyslexiques.
En 2018, Benoit Bediou et
al publient une méta-analyse dont l‘une des conclusions est que les
jeux vidéo ont « a medium size
impact of habitual action video game play on cognition and a small-to-medium
size effect of training young adults with action video games on a few cognitive
domains » (Bediou et al 2018:103).
Je n’ai cité ici qu’une infime partie de mon corpus. Cependant, il me semble que ces études révèlent que globalement, les chercheurs et chercheuses ont de grandes difficultés à appréhender la question des impacts avec une méthodologie reposant sur des études quantitatives. Et lorsque ces chercheurs et chercheuses proposent des conclusions, celles-ci semblent alimenter un ensemble de controverses. Cela amène aussi une grande partie de ces études à proposer des conclusions en demi-teinte qui ressemblent à ceci : un protocole constate des corrélations faibles entre les jeux vidéo et un comportement, une caractéristique, une attitude, et ce , peu importe si la conclusion se montre positive ou négative. A mon sens, ce qui est important ici est qu’aucune étude en psychologie sociale n’a apporté de réponses formelles et catégoriques et ce, peu importe l’impact discuté (que cela soit un apprentissage, la violence, etc.). Là où justement, d’autres disciplines amènent des constats bien plus éclairants. Je passe aussi sur le fait que la plupart des études que j’ai lue ne s’attache que trop peu à définir les concepts employés (entre autres : « violence, jeux de combat, jeux violents ») par les chercheurs et chercheuses. Cela fera l’objet d’un prochain billet.
Réencastrer les controverses sur la question des impacts des jeux vidéo
Une conclusion plus globale de l’état de l’art que j’ai mené
serait d’énoncer qu’à ce jour, la psychologie sociale n’est pas en mesure
d’appréhender la question des impacts : elle est limitée par sa propre
méthodologie. Pourtant, d’autres disciplines développant d’autres méthodologies
de recherches sont susceptibles d’apporter des réponses plus catégoriques.
L’anthropologie et la sociologie sont particulièrement en mesure de révéler des
récits de joueurs et de joueuses qui formalisent des impacts et des
apprentissages que des joueurs et joueuses ont pu conscientiser. A deux
reprises j’ai notamment mené ce type de travail. L’objectif de l’ouvrage
collectif « Madeleines
Vidéoludiques » (Giner et al,
2017) et de l’appel à textes « Sans/Regrets » demandaient précisément
aux auteurs et autrices de formaliser des récits narrant l’importance d’un jeu
pour son joueur ou sa joueuse.
De manière plus générale, les réalités statistiques construites par les études d’impact se heurtent aux récits pragmatiques des joueurs et joueuses de jeu vidéo. Ce qui fait que la controverse ne porte pas seulement sur ce qui doit être observé mais aussi sur la méthodologie pour mener l’observation. Un autre problème provient aussi de l’absence de complexité de ces causalités dans le sens où elles font abstraction de nombreux paramètres. Dans les études de psychologie sociale, les chercheurs et chercheuses tentent de réduire un changement de comportement (ou d’une caractéristique) à un seule et unique cause : le jeu vidéo. Pour se faire, on se retrouve avec des protocoles qui tentent de produire une situation en laboratoire, ex situ. Ainsi, on se retrouve avec des hypothèses telles que : « les jeux vidéo enseignent des connaissances à leurs joueurs et joueuses », « on n’apprend pas en jouant » ou encore « les jeux vidéo rendent violent » (si l’on reste dans la lignée de l’état de l’art que j’évoquais). Scientifiquement, ces hypothèses sont aberrantes dans le sens où on les pose tout en les sachant fausses ou alors vraies mais avec des conditions ad hoc interminables. De fait, tenter de tisser des causalités directes n’est probablement pas une direction intéressante sauf si on souhaite se retrouver avec des conclusions en demi-teintes et finalement peu intéressantes.
A l’inverse, il me semble important de considérer les jeux vidéo, non pas comme des éléments perturbateurs aux effets tellement significatifs qu’ils occulteraient tout le reste. Il me semble bien plus pertinent de présenter les jeux vidéo comme éléments d’un système social comprenant de nombreux autres éléments humains et non humains. Avec ce cadre, il devient possible de formuler des hypothèses significativement plus précises. Si l’on prend la question des apprentissages, on pourrait formuler qu’un enfant est susceptible d’apprendre des notions d’histoire en jouant si le système social dans lequel il est déjà favorable à ce type d’apprentissages. Autrement dit, un enfant d’une élite culturelle (par exemple des professeurs d’histoires) est susceptible d’apprendre des notions d’histoire en jouant. Le parallèle est le même d’ailleurs pour ce qui est relatif à l’école : un enfant d’une élite sociale a probablement plus de chances d’apprendre d’un professeur d’histoire. Les travaux de Pierre Bourdieu à propos de la reproduction sociale constatent au moins cela.
Une conclusion nonchalante pour ce débat
Ce que j’essaie de dire, peut-être de manière maladroite, c’est que décontextualiser un élément, ici un jeu vidéo, d’un système social (c’est-à-dire une structure composée de relations sociales entre des éléments (non)humains) n’a pas fondamentalement de sens. Énoncer que les jeux vidéo ont un impact ou non n’est donc pas pertinent. Tout comme essayer de prouver une causalité directe entre « un bon prof » et l’apprentissage d’un élève. Les causes d’un apprentissage sont tellement complexes qu’il semble bien présomptueux d’envisager des causalités depuis une perspective individualiste qui tendrait à mettre en exergue quelques éléments d’un système par rapport à d’autres, et ce, de manière quantifiée. Il est bien plus intéressant de formaliser les contributions des jeux vidéo à un système sous la forme de renforcements ou d’atténuations. En ce sens, un jeu vidéo peut par exemple renforcer un apprentissage ou tout simplement un propos tenus dans le cadre d’une autre communication au sein d’un système.
A défaut de prétendre à une vérité absolue, le cadre théorique du système et les hypothèses que je déroule brièvement ici me semblent bien plus soutenables scientifiquement : un jeu vidéo contribue au système social dans lequel il est joué. Cette théorisation est particulièrement compatible avec les théories sociopragmatiques. Dès lors, plus que le jeu vidéo, ce sont les interactions que celui-ci génère au sein d’un système qui devraient être considérées comme vecteurs d’apprentissages, de communications, d’impacts et de modifications du système.
Esteban Grine, 2019.
Bibliographie indicative
Anderson, Craig A., et Catherine M. Ford.
« Affect of the Game Player: Short-Term Effects of Highly and Mildly
Aggressive Video Games ». Personality and Social Psychology Bulletin
12, no 4 (1986): 390‑402. https://doi.org/10.1177/0146167286124002.
Bediou,
Benoit, Deanne M. Adams, Richard E. Mayer, Elizabeth Tipton, C. Shawn Green, et
Daphne Bavelier. « Meta-Analysis of Action Video Game Impact on
Perceptual, Attentional, and Cognitive Skills. » Psychological Bulletin
144, no 1 (janvier 2018): 77‑110. https://doi.org/10.1037/bul0000130.
Funk, Jeanne B, Heidi Bechtoldt
Baldacci, Tracie Pasold, et Jennifer Baumgardner. « Violence Exposure in Real-Life, Video
Games, Television, Movies, and the Internet: Is There Desensitization? » Journal
of Adolescence 27, no 1 (février 2004): 23‑39. https://doi.org/10.1016/j.adolescence.2003.10.005.
Gentile,
Douglas A., Craig A. Anderson, Shintaro Yukawa, Nobuko Ihori, Muniba Saleem,
Lim Kam Ming, Akiko Shibuya, et al. « The Effects of Prosocial Video Games
on Prosocial Behaviors: International Evidence From Correlational,
Longitudinal, and Experimental Studies ». Personality and Social
Psychology Bulletin 35, no 6 (1 juin 2009): 752‑63. https://doi.org/10.1177/0146167209333045.
L’année 2019 fut très forte pour les joueur·euse·s amoureux·euses des animaux puisque nous avons aujourd’hui une pléthore d’individus s’attelant à la tâche de cataloguer leurs itérations vidéoludiques. Or, en 2016, des comptes comme @CanYouPetTheDog n’existent pas encore, c’est donc la hess académique (HA) sur un sujet en particulier : les animaux dans les jeux vidéo. Cet article de mon carnet de recherche est donc un compte-rendu de lecture commenté de l’article de Krzysztof Jański intitulé « Towards a Categorisation of Animals in Video Games ».
Cet article fait partie de ma série intitulée « Out Of Context Game Studies » (OOCGS). Il a pour la première fois été publié sur twitter. La citation complète : Jański, Krzysztof. « Towards a Categorisation of Animals in Video Games ». Homo Ludens, nᵒ 1(9) (2016): 85‑101.
Dans ce contexte de HA, Janski propose une réflexion à la frontière entre les #AnimalStudies et les #GameStudies.
« The two complementary categories put
forward in this paper are an effort to propose a way to systematise the
recurrent functions and manners of visual representation of animals in the
digital worlds of video games with the aim of further analysis and
interpretation in mind. » (Jański 2016:87)
Son objectif est d’identifier les patterns et les récurrences dans nos façons de game designer des relations humain-animaux et dans quelle mesure cela construit des discours sur nos façons de percevoir ces relations. S’inspirant de la définition de Shapiro dans « Human-Animal Studies« , Janski énonce que les animal studies sont globalement une branche des cultural studies qui s’intéresse particulièrement aux relations entre humains et animaux et ce, avec des méthodologies variées.
« In other words, animal studies may be
perceived as a category with fuzzy boundaries, with human-animal relations
at its core and the diversity of subjects, approaches and methodologies
constituting the remainder of the set. » (Jański 2016:88)
Janski légitime aussi sa problématique en reprenant
l’hypothèse de Steve Baker qui énonce que la représentation que nous faisons
des animaux de manière virtuelle a un impact et des conséquences sur les
animaux vivants. Dès lors, ce postulat oblige quiconque à accepter la pertinence
de ce type d’études.
« as « human understanding of animals
is shaped by representations rather than by direct experience of them »
(2001, p. 190). Baker acknowledges the potential of various media to raise
issues related to animals in their specific ways (ibid., p. 191) » (Jański 2016:89)
Ce sujet est d’autant plus important que Janski note, à
partir des propos de Marl Meister et Phyllis M. Japp, que des récits
médiatiques (comme les jeux vidéo) supportent et structurent des informations
alimentant nos propres constructions du réel. Les récits médiatiques sont alors
des supports de médiations de discours variés dont certains portent sur les
animaux. Ce qui n’est pas évoqué par l’auteur à ce moment, c’est qu’avec le
statut d’objet vidéoludique, cela suppose plusieurs formes de rhétoriques
(procédurales entre autres). Ici, j’extrapole à partir du propos de l’auteur.
Nous verrons dans quelle mesure aussi Janski prend en compte le cadre théorique
des études de discours dans son article. En tout état, Janski adopte une
approche narratologique. Il considère cependant les spécificités des jeux vidéo
par rapport à d’autres fictions qui seraient plus typiques.
« narrative approaches appear to be
currently in demise. In vein of the recent considerable shift from the focus on
narrative qualities of video games to their fictionality, this article adopts
a generalising perspective that video games are works of fiction. » (Jański 2016:90)
Ce qui est appréciable dans cet article scientifique est la dimension militante de celui-ci. En effet, Janski explique que l’objectif des animal studies est aussi de déconstruire les préconçus.
Encore une fois, il
s’inscrit clairement dans le prolongement de Shapiro et de Marion W. Copeland.
Ce sont des auteur·ice·s que je ne connais pas mais qui semblent
particulièrement important pour l’étude des discours sur les animaux dans la
fiction. Dans tous les cas, cet ancrage théorique de l’article – à partir de
Copeland, Shapiro, Atkins, Meister & Japp et Baker – nous amène à la
proposition principale de l’article : une catégorisation des animaux dans les
jeux vidéo. D’emblée, Janski scinde sa proposition en deux :
« this article presents two
categorizations: one functional, one visual. The former divides digital animals
according to what their role is in a virtual environment they inhabit and,
consequently, how a player can interact with them. It is also suggested in
which video game genres the given groups appear most frequently. The latter
focuses on the ontology of a video game which also affects that the
appearance of that animal. » (Jański 2016:91)
Une catégorisation reposant sur la fonctionnalité des animaux ingame et une catégorisation sur leurs visuels (je fais l’hypothèse ici qu’il étend implicitement plus largement aux assets au sens large, incluant le son par exemple). Janski considère 5 catégories dans ce qu’il énonce être la « division fonctionnel » des animaux qu’il effectue. Il s’agit des animaux :
En tant qu’ennemis ;
En tant que backgrounds ;
En tant que héros ;
En tant que compagnons ;
En tant qu’outils.
En tant qu’ennemis, les animaux sont génériquement
considérés comme des prédateurs. De fait, j’interprète son propos en énonçant
que le régime alimentaire des animaux IRL semble légitimer une fonctionnalité
plutôt qu’une autre. Plus un animal est carnivore et plus un JV le positionne
en antagoniste.
Ma compréhension de Janski semble en concordance avec sa seconde catégorie. En effet, il énonce qu’en tant que backgrounds, les animaux ont tendance à être neutre ou amicaux : ce sont des herbivores, des oiseaux, des animaux domestiques, etc. En tant que héros, les animaux ont tendance à être codés de sorte à reproduire des interactions humaines : langage, expressions faciales, capacités. De même, il est nécessaire de prendre en compte dans cette catégorie tout un continuum de degrés d’animaux anthropomorphes. En tant que compagnons, les animaux ont le rôle d’assister le·a joueur·euse. Certaines mécaniques de jeux sont alors orientées de sorte à permettre à susciter un attachement émotionnel. C’est dans cette catégorie donc que la question « can you pet the dog ? » prend tout son sens. Enfin, en tant qu’outils, les animaux sont considérés comme des ressources mobilisables par le·a joueur·euse. Par exemple, il peuvent servir de nourriture dans un jeu de stratégie. A partir de cette première catégorie, il apparaît qu’un même animal d’un jeu peut être dans plusieurs catégories. Par exemple, les loups dans Breath Of The Wild peuvent être des ennemis mais aussi des outils.
Après cette première catégorisation, Janski enchaîne donc sur la « division ontologique » qu’il propose. Celle-ci est donc liée à l’essence (et les sens, oh oh oh) même des animaux en jeu. Il distingue cette fois 4 catégories :
Les représentations actuelles ;
Les légendaires ;
Les extrapolations ;
Les hybrides.
La première est relativement explicite puisqu’il s’agit de tendre vers une représentation ayant des caractéristiques proches des équivalents d’une monde réel. La seconde est elle aussi aisément compréhensible puisqu’elle réunit les animaux issus de mythes et légendes. Les extrapolations sont quand à elle relativement proches des animaux légendaires sauf qu’ils ne proviennent pas de mythes ou de légendes. C’est dans cette catégorie par exemple que l’on intègre des animaux extraterrestres. Cela peut aussi être lié à un contexte futuriste. Enfin, les hybrides sont les animaux anthropomorphes combinant traits humains et animaliers. Les Khajits sont un exemple flagrants de ces derniers, tout comme la ville d’animaux anthropomorphes de Night In The Woods.
Par la suite, Janski présente un exemple de catégorisation à partir des deux divisions que j’ai retranscrites ici. Il est donc nécessaire de comprendre que les deux fonctionnent de pair et que dans l’image ci-dessous n’est présente qu’une seule illustration.
On pourrait par exemple s’amuser à faire un tableau croisé
dynamique en fonction de la division fonctionnelle et de la division
ontologique. Ce serait particulièrement intéressant pour cartographier
l’ensemble d’une population animale d’un jeu.
Au début de son étude, Janski constatait une prédominance
des rapports conflictuels entre huamins et animaux ingame. La raison à cela
selon l’auteur est que ces relations étaient directement tirés des rapports
violents de domination et d’exploitation de l’humain sur la nature.
« At initial stages of research may reveal
on a solely quantitative basis the predominant portrayals of animals. It
appears that animals, especially in the so-called mainstream productions, are
most commonly and notably presented as enemies or tools and as such they are
subjected to violence and exploitation. » (Jański 2016:95)
Dès lors, Janski reprend Miguel Sicart pour questionner la
dimension éthique d’un jeu dans le sens où les jeux vidéo intègrent les valeurs
éthiques de leurs auteur·ice·s et où les joueur·euse·s sont considéré·e·s comme
des agents moraux. Ce qui interroge Jansko concerne aussi le détails des
comportements que l’on peut avoir avec nos animaux ingame. Que cela soit des
relations bienveillantes ou abusives. Pour cela, il se réfère notamment au
travail de Kari Weil (2012). Enfin, les spécificités du médium vidéoludiques
interrogent sur notre capacités à ressentir des remords mais aussi à pleurer
nos animaux morts en jeu. A ce titre, le youtuber PewDiePie fait échos
puisqu’il a menacé plusieurs fois d’arrêter son Let’s Play de Minecraft au cas
où son chien, Sven, mourrait.
Etrangement, la première conclusion du papier se trouve
avant la partie conclusive. Elle porte notamment sur l’importance de mener des
recherches sur les relations humaines-animales dans les fictions dans le but de
sensibiliser le plus grand nombre au « care ».
« One of HAS’ goals is to raise people’s
awareness and this goal might be achieved by incorporating attitudes respectful
to non-humans in game design which would create space for promotion of animal
care and satisfaction. » (Jański 2016:97)
La véritable conclusion de l’article, quant à elle, s’attache d’avantage à réaffirmer le besoin de recherches portant sur les animaux vidéoludiques. En proposant une forme de catégorisation, Janski se positionne comme papier de référence pour les futurs chercheur·euse·s. Il assume donc aussi l’absence de données empiriques recueillies avec une méthode scientifique. Cela devra être un travail futur (et passionnant, ndlr). Sans être particulièrement novatrice, sa catégorisation est un premier jalon dans le croisement des animal studies avec les game studies. Elle nous permet entre autres d’appréhender les animaux en tant qu’objets et de les situer en fonction des relations qu’un·e joueur·euse peut avoir avec. En revanche, elle ne permet pas d’avoir une analyse détaillée de cas particuliers. Cependant, elle ne prétend pas non plus être en mesure d’y répondre.
« some video games may present a more complex network of human-animal relations and allow to stimulate us to rethink our ethical stances and challenge our standards of humanity. In turn, if this potential is recognized, we may attempt to capitalize on it and search for ways of employing video games in helping us understand the complexities of human-animal relations and alleviate the damaging effects of speciecism. » (Jański 2016:98)