HyperDot est un zine que je crée en stream afin de résoudre mes diverses obsessions et hyperfixations du moment. Ces dernières semaines, c’est la série de jeu Hadès, et particulièrement son second épisode qui me font mouliner jours et nuits.
Le lien pour télécharger le pdf du zine si vous voulez vous l’imprimer ou avoir une copie se trouve tout en bas de l’article.
De manière complètement inopinée, j’ai découvert Wanted: Dead, un jeu mettant en scène une escouade de policiers dirigée par Hannah Stone, également avatar de l’audience-joueuse. Selon son studio de développement, Soleil, développer ce jeu avait pour objectif de recréer l’expérience des jeux au game design hasardeux de la période 2000-2005 (comprenant les consoles PlayStation 2, Xbox et GameCube). Oscillant entre 4 et 7 sur 10 dans les critiques, le jeu semble avoir effectivement tenu son objectif. L’expérience y est relativement décousue, incohérente et déséquilibrée. Entre des phases d’actions beaucoup trop longues et éreintantes et phases de tranches de vie, le jeu a du mal véritablement à établir un rythme. L’audience-joueuse est alors téléportée d’une cinématique, à un mini-jeu, puis de l’exploration et enfin de l’action. Cette médiocrité choisie rend difficile l’évaluation et la qualification d’un tel jeu. Certains et certaines pourraient le qualifier de navet au premier degré dans le sens où il s’agit d’un échec pour le studio de développement et d’un problème pour le publisher souhaitant se débarrasser au plus vite de cette « patate chaude » en espérant atteindre un public, quel qu’il soit. D’autres peuvent y déceler un cynisme éhonté : jouer sur la vague des ugly games (c’est-à-dire des jeux maladroits / moches / dont le game design est volontairement mauvais) pour soutirer le maximum d’argent auprès d’un public de niche, comme ce fut potentiellement le cas pour la série de films Sharknado. Enfin, quelques derniers, dont je fais évidemment presque par défaut partie, pourront ériger ce jeu sur un piédestal et s’user à le défendre afin d’en faire émerger une signification esthétique.
Derrière ce déséquilibre, que de nombreuses personnes pourraient qualifier de médiocrité, il se cache un jeu qui offre une véritable nuance par rapport à l’actualité médiatique relative à l’industrie du jeu vidéo. Étonnamment, le jeu nous fait incarner Hannah Stone, une criminelle de guerre reconvertie au sein d’une équipe de « pacification » au service d’une police, privatisée, d’un Hong Kong cyberpunk. Autrement dit, c’est elle et son équipe que l’on envoie afin de résoudre des conflits dont la conclusion est généralement un bain de sang. Derrière ce prétexte pour de l’action ultra-violente, le jeu met en scène des personnes atypiques ayant des difficultés à socialiser. Fondamentalement, le jeu joue de son image de série B. On n’a pas l’impression qu’il se prend véritablement au sérieux. Ses messages et même son récit sont particulièrement abscons. Non pas qu’il s’agisse d’une obscurité choisie comme pour les jeux From Software, mais vraiment parce qu’on a l’impression qu’il n’y a pas eu de script doctor (c’est-à-dire des personnes responsables du récit, du Lore, etc.) au sein de l’équipe. On combat alors une première faction, puis des cyborgs, puis une mafia et enfin la faction militaire d’une gigacorporation. Tout cela donne sincèrement l’impression d’une confusion totale, mais choisie faisant ainsi passer tout élément de récit au second plan.
Et il serait tout à fait légitime de s’en tenir à ça. Conclure que le jeu est défaillant, car il n’est ni ludique ni intéressant sur d’autres aspects. Même pour moi qui défendrai ce jeu, il m’est tout à fait possible de reconnaitre cela. Or si aujourd’hui j’écris à son sujet, c’est parce qu’une fois ce postulat accepté – que ce n’est peut-être pas un bon jeu – j’ai pu orienter mon regard vers l’imaginaire qu’il nous propose. Et cet imaginaire est bien plus intéressant que le jeu laisse le supposer, un peu comme si quelqu’un faisait exprès des erreurs pour masquer son talent. Les cyborgs sont en fait des humains dont on efface la mémoire et l’on fait croire au monde qu’il s’agit de robots, alors que pas du tout. Vivienne Gunsmith, présentée dans la communication autour du jeu comme une eye candy, peut être possiblement une personne autiste. Herzog, un dragueur de rue harceleur, se fait insulté en permanence. Hannah Stone parle ouvertement de sa sexualité, ce qui la rend indisponible (ou moins) à une audience qui souhaiterait la sexualiser. Ultimement, on découvre également les raisons pour lesquelles Hannah s’est retrouvée criminelle de guerre. Tout cela, ce sont des détails, des bribes d’informations que le jeu dispose au cours d’une cinématique, ou d’un document et que mon interprétation a mises en cohérence, en forme. Il ne s’agit pas du message caché du jeu, mais plutôt d’un espace de discussions potentielles.
Voilà pourquoi j’écris cet article. Le jeu, au-delà du ridicule, révèle une expressivité particulièrement riche. Il aborde, à la façon d’un film de série B, des problématiques sociétales que l’on peut totalement occulter. Son gameplay est relativement moyen. Personnellement, ses longs couloirs vides et ses vagues d’ennemis ne seront pas particulièrement mémorables. Ses boss en revanche, qui rappellent ceux de la série Metal Gear Solid, sont mémorables dans le sens où l’on aimerait les connaître plus. Ses décors rappellent des anciennes façons de penser le level design.
De fait, pourquoi parler de ce jeu ? La raison la plus simple est que cela me permet de parler de son aspect merveilleux, obstrué par sa médiocrité choisie, ou non. À titre personnel, je ne le considère pas médiocre, mais cet article n’a pas pour objectif de convaincre de l’inverse. Cet article a pour but de rappeler que l’étude de ces jeux, ceux qui sont affublés d’un tapon « médiocre, passable, 4/10 » ou encore « 6/10 » sont en réalité des objets fantastiques d’études, et ce, pour au moins deux populations. La première, celle des game developers, a intérêt à étudier ces jeux en cherchant ce qu’ils tentent pour ensuite imaginer comment faire mieux. La seconde, celle des chercheurs et chercheuses, des journalistes, a ce travail de révéler leur esthétique plutôt qu’à pointer du doigt leurs défauts. Je considère Wanted: Dead être un beau jeu, car j’ai eu le sentiment qu’il était sincère dans sa démarche, parce qu’il est respectueux de ses personnages et sa médiocrité ne saura m’empêcher de le penser comme tel. Volontairement ou involontairement, le jeu apporte des représentations inédites pour le jeu vidéo, au-delà de son expérience en somme, convenue. C’est pour tout cela qu’il est important de se concentrer sur ces jeux « cassés, moyens, mid, mauvais ». À force de ne regarder que l’excellence, on n’aboutit qu’à l’imitation. Mais en appréciant la médiocrité, on en vient à l’amélioration et l’innovation.
2022 fut une année, comment dire, particulièrement éreintante. Malgré tout, je me décide tout de même, un samedi soir, veille de la nouvelle année, à écrire un article, au moins pour donner quelques nouvelles. En cela, l’académie de Lucaria illustre particulièrement bien l’état (universitaire) dans lequel je suis : je gratte des feuilles, je dessine des réseaux, j’écris et je grogne dès que quelqu’un vient m’embêter.
2022 a donc été une année épuisante. Les raisons sont simples : rédaction de la thèse, un enfant en bas âge, un burnout, des articles et des colloques en pagaille, un contexte professionnel particulier… Tout cela, inscrit dans un contexte social, politique et écologique complètement aberrant, décevant et pessimiste.
Cela étant, je peux tout de même ajouter un nouveau badge à mon veston de chercheur : j’ai été publié dans Sciences du jeu qui n’est pas une mince revue obscure :
Michael Perret et Esteban Giner, « Le bruit des controverses vidéoludiques : entre infobésité et mobilisation politique en réseaux », Sciences du jeu [En ligne], 18 | 2022, mis en ligne le 25 novembre 2022, consulté le 31 décembre 2022. URL : http://journals.openedition.org/sdj/4753 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdj.4753
C’est véritablement un bonheur de voir enfin l’article paraitre, article qui est en plus une belle conclusion au #VGCrisisTracker qui avait animé le carnet durant toute l’année 2021 (et quelle année également). A côté de cela, le colloque que je co-organisais a enfin eu lieu : « Ces petites choses vidéoludiques » fut deux merveilleuses journées passionnantes. Il va véritablement falloir que je m’occupe des captations, mais c’est un side project qui est difficile à mener avec une thèse à boucler.
De manière générale, il fut difficile de poursuivre un ensemble de projets dans tout ce marasme, le premier étant mon carnet de recherches et de notes alors que 2021 avait été une année particulièrement riche en termes de publication. Comme énoncé dans mes précédents billets, dont celui sur Shin Megami Tensei, la rédaction de mon manuscrit de thèse capte l’intégralité de l’énergie qu’il me reste après m’être occupé de ma famille et de mon emploi salarié. La bonne nouvelle est que sa rédaction avance véritablement : les deux tiers sont bouclés et je me prépare à l’envoi du dernier tiers qui conclura définitivement l’ensemble des propositions et des thèses que je soutiens… dans ma thèse. Il ne me restera plus qu’un ultime chapitre auto-ethnographique et la conclusion à rédiger entre janvier et février 2023, ce qui va aller très vite. Durant mes 7 années de thèse, je disais toujours ne vouloir faire qu’une petite thèse de 300 pages… Apparemment, elle en fera malgré tout beaucoup plus…
Quasiment le double en fait…
De fait, je n’ai pas eu beaucoup le temps d’écrire sur mes avancées ou tout simplement de partager sur les quelques jeux auxquels j’ai joué cette année. Pourtant, j’ai tout de même cumulé plus de 520h de jeux. Je le sais car je tiens dorénavant un petit carnet personnel de toutes les expériences auxquelles j’ai joué et que j’ai finies. Sur ce, j’entame mon ultime tunnel avant le dépôt de ma thèse et je reprendrai activement le carnet une fois qu’elle sera soutenue ! À l’année prochaine !
Cela fait maintenant trois mois que je n’ai pas écrit et partagé de billet pour ce carnet de recherches. La raison est simple : je n’ai plus le temps en ce moment pour réaliser des études (et in fine des écrits) en dehors de celles consacrées à ma thèse directement.
C’est pourquoi j’écris ce post : pour dire que le carnet est temporairement en pause, le temps de la rédaction. Cependant, cela ne signifie pas qu’il n’y aura plus de publication durant les prochains mois. Cela signifie juste que je ne m’engage à aucune production et aucun rythme particulier, ni à des formats particulièrement scientifiques. C’est aussi l’occasion pour moi d’explorer d’autres types de publications, peut-être des réflexions plus personnelles sur la thèse et sa rédaction dont j’estime le bouclage entre 2022 et 2023. Sachez en tout cas que cela avance terriblement bien, je crois.
A ce jour, je vois au moins une grosse publication à venir mais celle-ci n’arrivera pas avant décembre, donc d’ici-là, portez-vous bien et n’hésitez pas à me contacter directement via twitter où je reste très actif !
En ce moment, je rédige un segment à propos de ma thèse sur ce que j’appelle la co-construction des discours. J’associe les discours à des interprétations coconstruites et issues de controverses au sein d’un réseau composé d’acteurs : le jeu, les joueur·euse·s, le studio, les audiences secondaires, etc. Tout cela se structure notamment à travers internet par la production de documents, des relations sociales et parasociales, des clusters d’intérêt, etc. Or si ma thèse se concentre effectivement sur des objets que l’on catégoriserait comme «discours», il m’est impossible de ne pas réfléchir également à la co-construction d’autres phénomènes. C’est là que je fais intervenir un principe de circulation des discours qui fonctionnent à partir de plusieurs processus dont les détournements, réappropriations, etc.
Dans tout ce lot de questions, pourtant, une est particulièrement structurante et heuristique lorsqu’il s’agit d’interroger tout cela : pourquoi et comment la communauté s’est coordonnée de sorte que la voix de Papyrus, lorsqu’il est doublé, soit toujours similairement nasillarde, avec des intonations et des expressions récurrentes ? Si la question semble ridicule, ce n’est pourtant pas la première fois qu’elle est adressée. En effet, dans un post publié sur le subreddit[1] dédié à Undertale, un internaute demandait : « pourquoi tous les acteur·ice·s de doublage s’étaient accordé·e·s pour décider d’associer la voix de Papyrus à celle de Skeletor[2] ?» Bien que le nombre d’interactions qu’ait reçu ce post[3] fut limitée, il s’agit d’une association récurrente que l’on retrouve également sur la partie communautaire de la page Steam du jeu[4] ou encore sur Tumblr[5]. Il existe également une capture vidéo du comédien de doublage de Skeletor, Alan Oppenheimer, en train de dire «I’m the great Papyrus» avec la voix de l’ennemi juré de He-Man[6].
Si l’on appréhende cette question depuis une perspective structuraliste, il est possible de faire l’hypothèse que les sons utilisés dans le jeu pour signifier le timbre, les intonations, le débit et l’intensité de la voix de Papyrus ont été codés de sorte à signifier un èthos similaire aux deux personnages. Outre leurs voix, une étude comparée des deux personnages révèle d’autres similitudes puisque les deux squelettes sont des antagonistes[7] au personnage principal et lui tendent des pièges. Ils sont également tous les deux dans des postures paradoxales puisque bien qu’antagonistes, il leur arrive d’être considéré comme «gentil». Si pour Papyrus, c’est observable très rapidement (du fait des descriptions faites par son frère Sans), cela est moins visible pour Skeletor[8]. Leurs objectifs s’inscrivent également dans un certain alignement puisque Papyrus souhaite kidnapper l’humain, Frisk, et Skeletor souhaite tout simplement perpétrer le mal. Enfin, il est également intéressant de considérer plus largement la médiasphère et certaines productions indépendantes. Par exemple, dans la vidéo Fabulous Secret Powers (Slackcircus, 2007)[9], il est possible d’entendre Skeletor s’exclamer «Myaah !» tandis que Papyrus est connu pour son rire commençant par «Nyeh».
Bien entendu, si l’on appréhende cette question depuis une perspective sociologique, il est nécessaire de mettre en place de nombreuses précautions en créant un protocole permettant effectivement de produire une donnée constatant que la communauté organisée autour du jeu attribue aux personnages un éthos similaire et s’accorde dans l’imaginaire collectif sur l’idée que «la voix de Papyrus est effectivement proche de celle de Skeletor». Pour cela, il faudrait constituer un échantillon représentatif des joueurs et joueuses de Undertale et leur poser cette question, formulée de sorte à ne pas non plus les influencer. On peut déjà supposer les résultats d’une telle recherche comme étant non conclusif puisque hormis les anglophones, il est tout de même peu probable qu’une personne joueuse de Undertale ait déjà entendu la voix anglaise de Skeletor. Cependant, cela n’explique pas pourquoi il y a eu une sorte de consensus entre des productions comme celle de Timber Puppers[10], les Game Grumps[11] ou encore Jacksepticeye[12] qui lui donne une voix typique d’un stéréotype de méchant. Même les doublages réalisés pour développer le personnage lors des routes génocidaires s’inscrivent dans les mêmes registres[13].
La façon qu’a Undertale d’orienter mes recherches fait que j’appréhende les discours depuis une perspective socio-constructiviste. Cette perspective positionne les discours comme étant des constructions issues de situations de communications variées entre acteurs qui peuvent être humains ou des documents comme les jeux vidéo ou des productions en ligne comme des vidéos. Par ailleurs, ces discours sont doublement situés. Ils sont situés car premièrement : ils se développent au sein d’un réseau particulier et secondement : parce que même en étant existant au sein d’un réseau, il n’est pas dit qu’un acteur va le transférer dans un autre réseau. De fait, s’il y a un discours qui est de considérer une causalité entre la voix de Skeletor et celle attribuée à Papyrus par des acteur·ice·s créateur·ice·s de contenus en ligne, alors il s’agit de situer ce discours au sein d’un réseau particulier, hypothétiquement celui des let’s play voire des communautés de shitposts. Il est plus prudent en effet de rester sur une interprétation nasillarde directement issue de la structure du jeu. Savoir si la voix nasillarde donnée à Papyrus est effectivement due à Skeletor, la structure de jeu, les let’s player ou un mix de ces acteurs (sans compter l’infinité d’autres) est un dilemme sans fin. Mais scientifiquement parlant, il m’est tout à fait acceptable d’accepter une variété infinie d’éventualités. Nyeh heh heh ! ■
Esteban grine, 2021.
[1] C’est-à-dire une page dédiée à un centre d’intérêt sur le média social Reddit.
[2] L’antagoniste principal de la série animée Les maitres de l’Univers.
[3] URL : https://www.reddit.com/r/Undertale/comments/9okwtu/why_did_all_the_voice_actors_unanimously_decide/ (consulté le 01/05/2021)
[4] URL : https://steamcommunity.com/app/391540/discussions/0/490123938435443377/ (consulté le 01/05/2021)
[5] URL : https://the-quiet-kid-dark.tumblr.com/post/629612096780386304 (consulté le 01/05/2021)
[6] URL : https://www.youtube.com/watch?v=wcN0TbhRRWE&ab_channel=SadCena (consulté le 01/05/2021)
[7] Bien que Papyrus devienne possiblement un allié en fonction des choix de l’audience joueuse.
[8] URL : https://www.youtube.com/watch?v=FjUtGTGrWfg&ab_channel=EmmaDenton (consulté le 01/05/2021)
[9] URL : https://www.youtube.com/watch?v=FR7wOGyAzpw&ab_channel=slackcircus (consulté le 01/05/2021)
Omori est le titre d’un jeu à propos des difficultés de son personnage principal, au nom éponyme, à faire face à ses actes passés et ses démons. Sorti en fin d’année 2020 et développé pendant plus de 6 années par l’artiste Omocat, Omori a été possible grâce à une campagne Kickstarter réussie, les ventes de vêtements et de goodies sur la boutique en ligne omocat.com et l’acharnement de son autrice qui, accompagnée à la fois sur le long terme et ponctuellement (comme avec Toby Fox), a réussi à sortir un jeu possédant aujourd’hui une communauté de fans qui produisent de nombreuses œuvres et univers alternatifs, discutent théories sur théories et utilisent le jeu en tant que tel afin de pouvoir évoquer et traduire des problème de vie qu’ils et elles rencontrent.
Le 14 janvier dernier, je suis intervenu dans le cadre du colloque « Le jeu vidéo : une herméneutique en acte » dans le but de partager mes recherches sur les discursivités vidéoludiques et plus particulièrement la construction et la circulation des discours. Les mothertales sont mon corpus de prédilection. De plus, ces jeux permettent d’appréhender les discours vidéoludiques depuis une perspective socio-constructiviste, chose que j’ai développée dans cette communication.
Il s’agit d’un résumé pour internet de ma communication et non la communication en tant que telle. Une VOD de la communication verra normalement le jour bientôt.
Giner, E., (2021). Penser la construction et la circulation des discours vidéoludiques : l’écosystème discursif des mothertales. Communication donnée lors du colloque « Le jeu vidéo : une herméneutique en acte », Liège, les 14-15 janvier.
La sortie du jeu Tom Clancy’s Elite Squad de l’éditeur Ubisoft en août 2020 a fait éclater un nouveau débat suite aux accusations déjà présentes de management toxique depuis les articles révélateurs, entre autres, d’Erwan Cario, Marius Chapuis et Marie Turcan. Ces dernières controverses s’inscrivent dans une longue traîne d’événements et de débats houleux qui ont marqué l’industrie du jeu vidéo ces quarante dernières années.
Des travaux sont régulièrement menés afin de faire état des controverses académiques au sujet des jeux vidéo. Je peux entre autres mentionner les régulières méta-analyses publiées en psychologie sociale qui rythment une certaine actualité anglosaxonne de la recherche (Drummond, Sauer, Ferguson, 2020). Cela étant, peu de recherches académiques, privées ou indépendantes font une histoire des controverses politiques mêlant directement les entreprises du secteur. L’emploi du terme «controverse» est ici important dans le sens où, contrairement aux débats ou polémiques, il est ici question de suivre et de tracer des confrontation suivies, réitérées et réitérables à l’avenir (Rennes, 2016). C’est fondamentalement ce qui m’a intéressé dans ce travail donc. L’adjectif «politique» ne fait pas ici référence au milieu politique mais à l’objet des controverses et des divergences idéologiques à propos de l’objet, leurs tenant·e·s, etc. Autrement dit, ce travail interroge les controverses qui ont pavé l’histoire de l’industrie vidéoludique : quelles en sont les tendances ? Quel cadre d’analyse peut-on proposer ?
Après avoir présenté le corpus, je prendrai le temps de présenter et définir les changements de paradigmes que j’ai observé en établissant ce corpus de recherche.
Pour citer l’article : Grine, E. (2020). 40 années de controverses dans le milieu du jeu vidéo. [Carnet de recherches] Les Chroniques Vidéoludiques.
Merci à Eugénie Bidet pour sa relecture attentive.
La rédaction d’une thèse est un exercice complexe qui nécessite à la fois rigueur, méthode et sincérité. Ce postulat explique mon choix d’écrire à la première personne dans le cadre de ma recherche doctorale. Ce choix peut s’expliquer dans un premier temps par la volonté d’aligner mon positionnement épistémologique, le socio-constructivisme pragmatique, à mon écrit. En effet, un paradigme épistémologique met en perspective trois problématiques. Marie-José Avenier, citant Le Moigne (1995) énonce :
le questionnement épistémologique s’articule autour de trois questions, à savoir : la question gnoséologique, qui traite de la nature de la connaissance ; la question méthodologique, qui traite de la constitution des connaissances ; et la question éthique qui traite de la valeur ou de la validité des connaissances. (Avenier 2011:376)
L’emploi de la première personne du singulier est pour moi un outil me permettant de prendre en compte ces trois questions et ce, dans l’optique de proposer une production scientifique pertinente dans un cadre particulier qu’est celui de la production d’une thèse : les connaissances et théories proposées s’inscrivent alors dans un courant de pensée assumé qui n’a pas pour objectif de prétendre à une quelconque perfection.
Ce billet est une version pour internet d’une section de mon manuscrit de thèse que je prépublie. Cet article est soumis au droit d’auteur comme l’intégralité de ce blog. Pour citer cet article, merci d’utiliser la citation suivante : Grine., E., (2020) .L’emploi du je dans la thèse. Les Chroniques Vidéoludiques.
Dans un compte-rendu de l’ouvrage Écrire les Sciences Sociales de Howard Becker (2004), Samuel Lézé énonce : « écrire, c’est penser par version » (2005 : 215). Cette lapalissade est observable dans ma pratique de recherches qui repose en grande partie sur l’entretien d’un carnet de recherches (que je détaille dans la partie suivante). Par ailleurs, le « je » circonscrit mes propos : même si j’aspire à la rigueur d’une méthodologie scientifique, je ne prétends ni proposer des travaux visant une objectivité ni porter la parole d’autrui et ce même si j’avais effectué un terrain sociologique ou anthropologique. Au contraire, l’usage du « je » s’inscrit dans non pas dans la neutralité axiologique développée par Max Weber (1919). Il ne s’agit donc pas faire l’hypothèse que l’écriture permet aux chercheurs et chercheuses de suspendre leur jugement mais de reconnaitre :
au chercheur toute sa place dans le processus de construction des savoirs mais qui donne une réelle voix aux acteurs, qui ne sont plus seulement les outils d’une production de la science. Utiliser cette première personnel traduirait alors la capacité de chacun à « se rendre présent dans le texte »[7] en considérant la production de la science comme une relation entre un chercheur, son terrain, ses archives, ses acteurs. (Moummi, 2020)
Enfin, l’emploi du « je » permet d’aligner mon éthique de recherche à ma pratique. En effet, au-delà de mon travail de thèse, le jeu vidéo est un objet de passion comme pour de nombreux·ses autres chercheurs et chercheuses travaillant sur ce média. Comme le note Laurent Di Filippo :
il faut noter l’importance de la passion pour l’objet d’étude, une passion de longue date. Il y a donc un fort attachement émotionnel soutenu par des souvenirs précis de moments passés avec des camarades de jeu qui soulignent l’importance de l’aspect social du jeu dans mon parcours. (Di Filippo 2012:178)
Tout comme Di Filippo, ma pratique de recherche est mêlée à ma pratique de joueur. Il est donc rare pour moi de ne pas conserver une certaine charge mentale à propos de mes recherches lorsque je joue. Réciproquement, l’exercice de rédaction suscite des souvenirs de moments émotionnellement forts que l’emploi du « nous » ne saurait masquer. De même, un panel d’émotions accompagne mes sessions de jeu durant lesquelles des débuts d’analyses se formalisent. Autrement dit, mes analyses se construise alors que je suis engagé dans ma pratique de joueur. L’emploi du « je » permet alors de rendre compte de cela. Cela devient une question éthique donc que de montrer que les constructions de mes raisonnements se font aussi dans une alternance entre moments engagés dans une pratique et moments réflexifs. Cette pratique, entre engagement et réflexivité n’est pas une particularité mais explique les directions prises dans mon travail doctoral et les analyses qui y sont retranscrites. L’ensemble contribue à l’affirmation d’une singularité. Pour citer à nouveau Di Filippo :
« c’est pourquoi l’engagement ne doit pas être entendu comme une limite pour l’analyse, mais bien comme une partie du processus de recherche. « Créer en soi le choc d’une expérience étrange, par l’immersion dans un univers incertain modifie la connaissance » (Peneff, 2009 : 112) » (Di Filippo 2012:184).
Par ailleurs, les jeux de mon corpus ont fédéré des communautés très importantes ayant produites de nombreuses analyses et interprétations. Par exemple, le forum de starmen.net organise régulièrement des concours dont l’objectif est de proposer des théories sur des décors, des lignes de dialogues et autres éléments du jeux (image hélicoptère et image réponse). L’emploi du « je » est donc un outil pour moi de ne pas m’accaparer les propos et les productions d’autrui.
Il semble aussi important de mentionner que j’envisage aussi ce travail de recherche dans une perspective autoethnographique dans le sens où ce manuscrit de recherche est un document définissant mon identité de chercheur à un moment donné dans le temps. Cette conception de l’identité, socialement construite par la mise à disposition de documents et de traces, est une perspective que j’avais soutenu lors d’un colloque sur le sujet des identités des chercheurs et chercheuses (Giner, 2019). Karine Rondeau définit l’autoethnographie comme « un processus de réflexivité » permettant d’analyser sa propre pratique et l’expérience subjective de sa pratique et ce, dans un contexte de production scientifique particulier (2011). Cette thèse est pour moi un outil futur sur lequel j’espère revenir dans ma carrière de recherche. Il est donc important de l’ancrer dans son contexte de production à savoir la décennie 2015-2025. L’emploi du « je » permet d’inscrire ce travail dans une période temporelle précise, tout en respectant mon intention de transparence avec les lecteurs et lectrices de ce travail doctoral. ■
Esteban Grine, 2020.
Avenier, M.-J. (2011). Les paradigmes épistémologiques constructivistes : Post-modernisme ou pragmatisme ? Management Avenir, n° 43(3), 372‑391.
Di Filippo, L. (2012). La dichotomie chercheur-joueur dans la recherche en jeu vidéo : Pertinence et limites. ResearchGate, 171‑192.
Lézé, S. (2005). Howard S. Becker, Écrire les sciences sociales. Commencer et terminer son article, sa thèse ou son livre. Préface de Jean-Claude Passeron. Paris, Economica, 2004, 179 p., réf. Anthropologie et Sociétés, 29(2), 214‑215. https://doi.org/10.7202/011917ar
Moummi, A. (2020, février 6). De l’usage du “je” dans l’écriture scientifique [Billet]. Rêves de laïcité. https://laicites.hypotheses.org/430
Rondeau, K. (2011). L’autoethnographie : Une quête de sens réflexive et conscientisée au cœur de la construction identitaire. Recherches Qualitatives, 35(1), 4‑28.
Weber, M., Aron, R., & Freund, J. (2002). Le savant et le politique. 10 X 18.
Lors d’une intervention sur Europe1 partagée le 20 septembre 2019 sur Twitter, Michel Desmurget s’exclamait que toutes les études « faites proprement » constatent que les jeux vidéo ont un effet négatif sur les résultats scolaires, qui sont selon lui un marqueur visible des compétences, de la structuration intellectuelle et émotionnelle et des compétences sociales des enfants. Paradoxalement, Desmurget énonce aussi que les jeux vidéo empêcheraient les enfants d’être concentrés et ce, malgré le fait que ces mêmes jeux vidéo leur apprendraient à être attentifs ou tout ce qu’il se passe dans le monde. Il associe alors cela à la distraction.
Ce type de propos n’est pas nouveau. L’ouvrage de Desmurget,
« la fabrique du crétin digital », fait d’ailleurs étrangement écho
aux propos de Colas Duflo dans une discussion avec Raphaël Enthoven datant du
19 novembre 2010 pour l’émission Philosophie
diffusée sur Arté. Devant une photographie de joueurs prise lors d’une
gamescom, Duflo, répondant à Enthoven, s’exclame : « cette image est
pathétique, ils ont des têtes d’abrutis, c’est terrifiant ». Le
site TricTrac fait état d’un droit de réponse de Duflo publié sur
Arté mais il semble que la page n’existe plus aujourd’hui.
Cette mise en contexte pourrait suffire mais de manière plus générale, j’ai envie d’aborder la question des impacts des jeux vidéo sur leurs audience puisque fondamentalement, c’est de cela dont il est question. Pourtant, il convient de s’attaquer autant aux discours évangélistes que dénonciateurs, en particulier lorsqu’il s’agit d’interroger les jeux vidéo comme supports d’apprentissage. Il me semble qu’à partir des discussions que je lis sur internet (Twitter principalement), il y a de véritables lacunes qui nécessitent d’être corrigées pour faire avancer un débat empêtré dans des postures bien plus que dans des travaux scientifiques. Les réponses au tweet d’Europe1 sont d’ailleurs relativement intrigantes. De fait, j’ai un peu envie de partager quelques clefs de compréhension sur les controverses autour des impacts positifs et négatifs des jeux vidéo.
Quelques études « faites proprement »
A ce jour, les principales recherches portant sur les
questions d’impact sont issues d’une littérature en psychologie sociale. En
fait, c’est socialement marqué de parler « d’impacts des jeux
vidéo ». J’ai accumulé plus d’une trentaine d’articles identifiés
formellement comme des études visant à constater les effets des jeux vidéo.
L’un des travaux les plus anciens que j’ai identifié est une
étude de Joseph Dominick qui écrit : « school performance was not significantly related to home or arcade
videogame playing. Those who spend a lot of time in the arcades
did not necessarily perform badly at school » (Dominick 1984:146). Il constate
également une très maigre corrélation entre jouer à des jeux vidéo et
comportements violent : « the
correlations between the videogame playing variable and the aggression measures
were modest (as were the correlations between the viewing of television
violence and aggression) and were influenced by sex » (Dominick
1984:146). Pourtant, deux années plus tard, Craig Anderson et Catherine Ford énoncent
une corrélation importante entre la violence ingame et les comportements agressifs des joueurs : « the highly agressive game led to increased
hostility and anxiety, relative to the no-game control. The mildly agressive
game incresed ont the hostility of the game players. » (Anderson
& Ford, 1986:398).
En 2004, Jeanne Funk revient sur les travaux de la décennie
précédente (dont les siens. Funk,
1993) : « a positive
relationship between empathy and prosocial behavior is typically identified
(Miller & Eisenberg, 1988; Krevans & Gibbs, 1996; Roberts &
Strayer, 1996; Hastings, Zahn-Waxler, Robinson, Usher, & Bridges, 2000)» (Funk
et al 2004:26). Elle conclut dans son étude à une plus grande précision
des corrélations potentiellement en jeu puisque au lieu de parler de
comportement violent, elle énonce notamment que la violence représentée en jeu
est associée non pas à des comportements violents en dehors du jeu mais plutôt
à des attitudes légitimant socialement la violence de certains individus dans
certains cas. On passe donc d’une corrélation vague à une corrélation bien plus
précise : « as anticipated,
exposure to video game violence was associated with lower empathy and stronger
proviolence attitudes. This finding provides further
support for concern about children’s exposure to video game violence,
particularly if granted that lower empathy and stronger proviolence attitudes
indicate desensitization to violence » (Funk et al 2004:34).
Dans une étude de 2009, Douglas Gentile et al (dont Craig Anderson, le citer a son importance car il revient très régulièrement dans cette littérature et plusieurs controverses le suivent), les chercheurs et chercheuses arrivent à une conclusion plus optimiste puisqu’ils observent une corrélation entre exposition à des jeux vidéo prosociaux et des comportements prosociaux de la part des joueurs exposés, et ce, sur le long-terme : « in the short-term players’ behaviors were predicted by the prosocial and violent content of the games they played. In the long-term, players with high prosocial game exposure had higher prosocial traits and behaviors » (Gentile et al 2009:761).
J’ai principalement recensé ici des études portant sur les comportements prosociaux ou violents mais cela n’a pas empêcher d’autres études d’impacts sur d’autres sujets d’être menées. Par exemple, en 2013, Sandro Franceschini et al observent une corrélation entre pratiques du jeu vidéo et une amélioration de la lecture chez des enfants dyslexiques.
En 2018, Benoit Bediou et
al publient une méta-analyse dont l‘une des conclusions est que les
jeux vidéo ont « a medium size
impact of habitual action video game play on cognition and a small-to-medium
size effect of training young adults with action video games on a few cognitive
domains » (Bediou et al 2018:103).
Je n’ai cité ici qu’une infime partie de mon corpus. Cependant, il me semble que ces études révèlent que globalement, les chercheurs et chercheuses ont de grandes difficultés à appréhender la question des impacts avec une méthodologie reposant sur des études quantitatives. Et lorsque ces chercheurs et chercheuses proposent des conclusions, celles-ci semblent alimenter un ensemble de controverses. Cela amène aussi une grande partie de ces études à proposer des conclusions en demi-teinte qui ressemblent à ceci : un protocole constate des corrélations faibles entre les jeux vidéo et un comportement, une caractéristique, une attitude, et ce , peu importe si la conclusion se montre positive ou négative. A mon sens, ce qui est important ici est qu’aucune étude en psychologie sociale n’a apporté de réponses formelles et catégoriques et ce, peu importe l’impact discuté (que cela soit un apprentissage, la violence, etc.). Là où justement, d’autres disciplines amènent des constats bien plus éclairants. Je passe aussi sur le fait que la plupart des études que j’ai lue ne s’attache que trop peu à définir les concepts employés (entre autres : « violence, jeux de combat, jeux violents ») par les chercheurs et chercheuses. Cela fera l’objet d’un prochain billet.
Réencastrer les controverses sur la question des impacts des jeux vidéo
Une conclusion plus globale de l’état de l’art que j’ai mené
serait d’énoncer qu’à ce jour, la psychologie sociale n’est pas en mesure
d’appréhender la question des impacts : elle est limitée par sa propre
méthodologie. Pourtant, d’autres disciplines développant d’autres méthodologies
de recherches sont susceptibles d’apporter des réponses plus catégoriques.
L’anthropologie et la sociologie sont particulièrement en mesure de révéler des
récits de joueurs et de joueuses qui formalisent des impacts et des
apprentissages que des joueurs et joueuses ont pu conscientiser. A deux
reprises j’ai notamment mené ce type de travail. L’objectif de l’ouvrage
collectif « Madeleines
Vidéoludiques » (Giner et al,
2017) et de l’appel à textes « Sans/Regrets » demandaient précisément
aux auteurs et autrices de formaliser des récits narrant l’importance d’un jeu
pour son joueur ou sa joueuse.
De manière plus générale, les réalités statistiques construites par les études d’impact se heurtent aux récits pragmatiques des joueurs et joueuses de jeu vidéo. Ce qui fait que la controverse ne porte pas seulement sur ce qui doit être observé mais aussi sur la méthodologie pour mener l’observation. Un autre problème provient aussi de l’absence de complexité de ces causalités dans le sens où elles font abstraction de nombreux paramètres. Dans les études de psychologie sociale, les chercheurs et chercheuses tentent de réduire un changement de comportement (ou d’une caractéristique) à un seule et unique cause : le jeu vidéo. Pour se faire, on se retrouve avec des protocoles qui tentent de produire une situation en laboratoire, ex situ. Ainsi, on se retrouve avec des hypothèses telles que : « les jeux vidéo enseignent des connaissances à leurs joueurs et joueuses », « on n’apprend pas en jouant » ou encore « les jeux vidéo rendent violent » (si l’on reste dans la lignée de l’état de l’art que j’évoquais). Scientifiquement, ces hypothèses sont aberrantes dans le sens où on les pose tout en les sachant fausses ou alors vraies mais avec des conditions ad hoc interminables. De fait, tenter de tisser des causalités directes n’est probablement pas une direction intéressante sauf si on souhaite se retrouver avec des conclusions en demi-teintes et finalement peu intéressantes.
A l’inverse, il me semble important de considérer les jeux vidéo, non pas comme des éléments perturbateurs aux effets tellement significatifs qu’ils occulteraient tout le reste. Il me semble bien plus pertinent de présenter les jeux vidéo comme éléments d’un système social comprenant de nombreux autres éléments humains et non humains. Avec ce cadre, il devient possible de formuler des hypothèses significativement plus précises. Si l’on prend la question des apprentissages, on pourrait formuler qu’un enfant est susceptible d’apprendre des notions d’histoire en jouant si le système social dans lequel il est déjà favorable à ce type d’apprentissages. Autrement dit, un enfant d’une élite culturelle (par exemple des professeurs d’histoires) est susceptible d’apprendre des notions d’histoire en jouant. Le parallèle est le même d’ailleurs pour ce qui est relatif à l’école : un enfant d’une élite sociale a probablement plus de chances d’apprendre d’un professeur d’histoire. Les travaux de Pierre Bourdieu à propos de la reproduction sociale constatent au moins cela.
Une conclusion nonchalante pour ce débat
Ce que j’essaie de dire, peut-être de manière maladroite, c’est que décontextualiser un élément, ici un jeu vidéo, d’un système social (c’est-à-dire une structure composée de relations sociales entre des éléments (non)humains) n’a pas fondamentalement de sens. Énoncer que les jeux vidéo ont un impact ou non n’est donc pas pertinent. Tout comme essayer de prouver une causalité directe entre « un bon prof » et l’apprentissage d’un élève. Les causes d’un apprentissage sont tellement complexes qu’il semble bien présomptueux d’envisager des causalités depuis une perspective individualiste qui tendrait à mettre en exergue quelques éléments d’un système par rapport à d’autres, et ce, de manière quantifiée. Il est bien plus intéressant de formaliser les contributions des jeux vidéo à un système sous la forme de renforcements ou d’atténuations. En ce sens, un jeu vidéo peut par exemple renforcer un apprentissage ou tout simplement un propos tenus dans le cadre d’une autre communication au sein d’un système.
A défaut de prétendre à une vérité absolue, le cadre théorique du système et les hypothèses que je déroule brièvement ici me semblent bien plus soutenables scientifiquement : un jeu vidéo contribue au système social dans lequel il est joué. Cette théorisation est particulièrement compatible avec les théories sociopragmatiques. Dès lors, plus que le jeu vidéo, ce sont les interactions que celui-ci génère au sein d’un système qui devraient être considérées comme vecteurs d’apprentissages, de communications, d’impacts et de modifications du système.
Esteban Grine, 2019.
Bibliographie indicative
Anderson, Craig A., et Catherine M. Ford.
« Affect of the Game Player: Short-Term Effects of Highly and Mildly
Aggressive Video Games ». Personality and Social Psychology Bulletin
12, no 4 (1986): 390‑402. https://doi.org/10.1177/0146167286124002.
Bediou,
Benoit, Deanne M. Adams, Richard E. Mayer, Elizabeth Tipton, C. Shawn Green, et
Daphne Bavelier. « Meta-Analysis of Action Video Game Impact on
Perceptual, Attentional, and Cognitive Skills. » Psychological Bulletin
144, no 1 (janvier 2018): 77‑110. https://doi.org/10.1037/bul0000130.
Funk, Jeanne B, Heidi Bechtoldt
Baldacci, Tracie Pasold, et Jennifer Baumgardner. « Violence Exposure in Real-Life, Video
Games, Television, Movies, and the Internet: Is There Desensitization? » Journal
of Adolescence 27, no 1 (février 2004): 23‑39. https://doi.org/10.1016/j.adolescence.2003.10.005.
Gentile,
Douglas A., Craig A. Anderson, Shintaro Yukawa, Nobuko Ihori, Muniba Saleem,
Lim Kam Ming, Akiko Shibuya, et al. « The Effects of Prosocial Video Games
on Prosocial Behaviors: International Evidence From Correlational,
Longitudinal, and Experimental Studies ». Personality and Social
Psychology Bulletin 35, no 6 (1 juin 2009): 752‑63. https://doi.org/10.1177/0146167209333045.