Quelle vérité peut contenir un jeu vidéo ?

La question « quelle vérité peut contenir un jeu vidéo ? » peut, à première vue, sembler naïve voire abstraite. Pourtant, la récente sortie de Kingdom Come : Deliverance et de Farcry 5 nous pousse à nous interroger sur ce pouvoir mystérieux, volontairement attribué à toute œuvre culturelle, que posséderaient les jeux vidéo. Dans le cas de Kingdom Come : Deliverance, ses auteurs lui attribuent une valeur dans le sens où ce jeu est censé représenter une réalité historique. Il y a donc bien cette idée de « vérité » potentiellement contenue. Cependant, les débats que sa sortie a engendrés ont questionné quelque chose d’autrement plus complexe qu’est la réalité historique. Critiqué pour les biais racistes de ses auteurs, on peut en effet se demander, au-delà du plaisir ludique de jouer à ce jeu, s’il est bien question d’une vérité contenue par le titre. Dans le cas de Farcry 5¸il s’agit d’une toute autre histoire. D’abord présenté comme une critique de l’extrémisme conservateur et raciste étasunien, le jeu a fait réagir des communautés suprémacistes blanches, ce qui a poussé Ubisoft à faire patte blanche en retirant tout discours potentiellement politique contenu dans son jeu. Dans ce cas, les possibles vérités contenues dans le jeu ont fait que des communautés d’interprétation ont pris peur.

Les deux cas que je viens d’évoquer sont révélateurs d’une discussion récurrente autant au sein des recherches sur les média et game studies qu’à l’extérieure entre les différentes communautés pratiquantes. Si la question pouvait sembler naïve, voilà maintenant une perspective intéressante. D’un côté nous avons un jeu qui finalement prend plutôt position pour défendre une représentation de l’histoire, il est donc difficile de parler de « vérité ». De l’autre, nous avons un jeu qui parce qu’il pouvait contenir une vérité a autant effrayé un groupe social que ses créateurs. « Est-ce qu’un jeu vidéo peut contenir une vérité ? » reste donc une question entière. Et si arrêter sa réflexion ici peut satisfaire le Stéphane Bern du jeu vidéo, il reste malgré tout de nombreuses choses à révéler.

Tout d’abord, il est important de qualifier ce que l’on entend par vérité car finalement, lorsque l’on y réfléchie bien, je n’ai encore rien dit qui mérite d’y prêter une oreille attentive. C’est donc à partir de ce moment que les choses sérieuses vont commencer.

Une première chose à noter est que la question, telle qu’elle est actuellement ne définit pas ce que l’on entend par vérité. Cela ne situe pas non plus l’ancrage théorique sur lequel nous appuyons cette définition. Par exemple, un jeu vidéo contient obligatoirement une vérité de manière absolue : celle de représenter fidèlement son code par des procédés graphiques et techniques. En tant que logiciel informatique, le jeu contient obligatoire une vérité : celle d’une machine qui parvient à traduire un code en assets, gameplay, etc. La vérité, au niveau informatique, est donc assimilée à une lecture et une application fidèle du code par la machine. Lorsqu’une erreur de lecture apparait, soit le jeu ne peut fonctionner, soit la vérité que son code contient ne peut être comprise par la machine. Le problème se situe alors, non pas en ce que l’objet contient, mais au niveau de l’interprétation et de la traduction du code.

De manière absolue, tout jeu fonctionnel contient une vérité informatique mais on peut jouer encore plus finement lorsque l’on pense les jeux vidéo comme des logiciels. Pour l’instant, je n’ai fait que l’hypothèse d’une vérité en relation avec le monde en dehors du jeu. Cependant, on peut très bien supposer que le jeu peut contenir une vérité par rapport à lui-même. Undertale¸ qui est certes une expérience cryptique et autonome de gauche, contient de nombreuses vérités que n’en seraient pas si l’on sortait de sa diégèse. Le jeu commence par des éléments de récit nous expliquant que les monstres ont été enfermés sous terre suite à leur défaite et en effet, nous rencontrons ces monstres dans ce monde sous-terrain. Parce que le jeu est un système cohérent d’une multitude d’énoncés, alors il contient de nombreuses vérités.

Cependant, il ne s’agit peut-être pas de cette vérité à laquelle les gens font référence lorsqu’ils et elles se posent cette question. Du coup, il convient alors de changer notre angle de vue pour délaisser le jeu vidéo observé comme un programme informatique ou un système cohérent pour cette fois le considérer comme une œuvre, une création issue d’un être humain. A ce moment, nous entrons donc dans le domaine du jeu vidéo pensé comme une fiction. Le terme est suffisamment parlant pour tout de suite piquer l’oreille : une œuvre de fiction peut-elle contenir une vérité ? Probablement, je ne pense pas avoir à démontrer cela. Si l’on suppose qu’une vérité se définit comme une correspondance entre un énoncé et la chose réelle qu’est censé contenir l’énoncé, alors, on peut accepter l’idée de vérité dans toute œuvre de fiction. Si j’observe que le ciel est bleu dans Call Of Duty alors je peux supposer qu’il y a bien une correspondance avec la chose réelle : nous avons effectivement aujourd’hui un ciel bleu. Dans Night In The Wood¸ le joueur voit des personnages représentant plus ou moins partiellement des réalités sociales étasuniennes. On apprend à un moment que la famille Borowski a obtenu un « crédit subprime ». Etant de « mauvais payeurs », leur maison est potentiellement la propriété de leur banque. Cette fiction correspond partiellement à une réalité : celle de nombreuses familles étasuniennes lors de la crise économique de 2008. Dans ces deux cas, le jeu vidéo contient au moins une vérité, plus ou moins partielle puisque celle-ci n’est pas mathématique mais correspond d’une manière plus ou moins aboutie à des phénomènes réels et issus d’expériences de vie. Ces vérités ne sont d’ailleurs pas forcément liées à des représentations « réalistes ». Les jeux sont des métaphores en acte disait Henriot ou des allégorithmes selon McKenzie Wark, c’est-à-dire des allégories générées par du code informatique. Bound représente particulièrement bien cela. Sous ses airs de conte de fée – nous avons tous les personnages nécessaires : une reine, une princesse, un héros et un monstre – le jeu décrit les relations complexes d’une famille plus que fragile. On y incarne une personne dont le seul refuge pour se protéger de tout est la dance, son havre de paix intérieure. Sous forme de métaphore, nous avons là encore une vérité, quelque chose qui correspond à une réalité. Une réalité finalement très personnelle, très individuelle comme un témoignage.

A partir de ce moment, on peut commencer à amener un élément de réflexion en comparant Night in the wound, Bound, Kingdome Come et Farcry 5. Le jeu vidéo semble pouvoir aisément contenir une multitude de vérités au niveau des individus, à propos d’enjeux concernant une personne ancrée dans sa réalité. Cependant, il apparait complexe de pouvoir prétendre à autre autre chose. Night in the wood reflète cela. C’est un jeu qui ne contient que des situations véritables à l’échelle des individus, rien de plus. Là où il devient important de se méfier, c’est finalement lorsqu’un jeu prétend contenir des vérités à l’échelle d’un pays ou de l’Histoire. Finalement, en disant ces propos, je réinvente plus ou moins la roue en appliquant une réflexion constructiviste à ce média : les jeux vidéo sont des œuvres de fiction. Comme ce sont des œuvres, elles contiennent les représentations que leurs auteurs ont de la réalité. Il ne s’agit donc pas de vérités mais seulement de ce que certains pensent être des vérités.

Ainsi, lorsque la question « quelle vérité contient le jeu vidéo » est posée, il s’agit principalement d’une question d’échelle. Le jeu vidéo a plus de chance de contenir des vérités à hauteur d’individus que des vérités à l’échelle de l’humanité ou de son Histoire. Cependant, il apparait qu’une dernière question subsiste : « quelle vérité contient le jeu vidéo » peut aussi être reformulée de la façon suivante : « est-ce qu’il est possible de faire tenir le jeu vidéo dans une seule et unique vérité » A cela, je répondrais qu’il faudrait d’abord supposer que le jeu vidéo, en tant qu’idée, existe, ce qui n’est pas quelque chose de nécessaire ou d’important. On peut cependant toujours se poser la question. On ne trouve pas toujours, mais il importe de chercher.

Esteban Grine, 2018.

La non-émergence des systemic games

La dernière vidéo de Mark Brown, au-delà de ses aspects plus ou moins intéressants, questionne à nouveaux la façon dont les vidéastes abordent les jeux vidéo et la façon dont ils et elles diffusent des discours sur le jeu vidéo en général. Mark Brown a eu, depuis le début de sa chaîne, le génie de récupérer des concepts en les popularisant mais contrairement à d’autres vidéastes qui proposent des interprétations sur leurs expériences, Mark Brown s’accapare et pose régulièrement des questions ontologiques à propos des jeux vidéo. J’estime que ces questions sont généralement plaisantes à l’oreille d’une audience. Cela donne des possibilités (limitées) de catégoriser des objets culturels tant que l’on ne questionne pas le cadre mais peu importe : Mark Brown donne le cadre, il donne le rythme et les grilles de lectures. Dans une volonté d’institutionnalisation d’une pensée, il s’agit là d’une des meilleures stratégies : donner les outils et les clefs de lecture. Il ne s’agit alors plus de vulgariser pour émanciper mais vulgariser pour mieux recadrer.

Immersive sims et aberrations

Sa vidéo à propos des immersive simulators (datant d’août 2016) est particulièrement évocatrice. S’appuyant lourdement sur l’article de Rick Lane publié en juillet de la même année sans le citer, il évoque le retour médiatique de ces jeux en transposant des éléments de définition tout en les illustrant. Ce fut à l’époque clairement une stratégie gagnante. Dans ma communication donnée lors du colloque « youtubers, youtubeuses » à Tours, j’avais constaté la façon dont ce concept avait, à la suite de sa vidéo, explosé en tant que mot-clef en étant repris et singés par de nombreux et nombreuses vidéastes.

La dernière vidéo publiée sur sa chaîne reprend les mêmes codes que celle-ci. Il ne s’agit alors plus d’un comeback mais de l’émergence et ce, non pas des immersive sims mais des systemic games. Déjà en termes de paratexte, le titre de la vidéo situe son auteur comme un « homme de la situation » prêt à poser un nouveau jalon de définitions permettant aux vidéastes suivant de « penser dans un même schème cognitif ». Le titre pose problème car il suppose un phénomène récent. Or plusieurs biais doivent être mis en exergue. Le premier concerne le corpus de 31 jeux dont seulement 7 remontent avant 2010. Le second repose sur la définition même proposée de systemic games qui fait référence à un degré placé sur un continuum du nombre d’interactions entre objets présents dans un jeu. Parler de « degré placé sur un continuum » est une façon polie de dire que la définition repose sur le « bon vouloir » de la personne qui l’utilise. A la fin de cette vidéo, il y a une idée relativement étrange de l’histoire du développement du jeu vidéo à savoir, qu’à un moment donné dans le temps, il y aurait eu une forme de rupture située autour de 2010 à la vue du corpus discutable malgré quelques éléments annonciateurs (les jeux précédents cette année). Je fais l’hypothèse qu’au contraire, nous avons sous les yeux un processus d’amélioration du développement et des machines permettant de prendre en compte de plus en plus d’interactions entre objets gérés par la machine. Dès lors, cette émergence chère à Mark Brown ne devient que l’un des sentiers technologiques empruntés par l’une des formes du jeu vidéo depuis ses débuts dans les années 1970. De même, revenant encore une fois sur le corpus, je n’y vois que des jeux occidentaux. J’avais observé en Chine des dizaines de jeux ne nécessitant à aucun moment un ou une joueuse. Sont-ils des systemic games  ou simplement des programmes informatiques lambda ?

Institutionnalisation, corpus biaisé

Au fur et à mesure de mon écriture, je remarque que le problème fondamental que j’ai aujourd’hui est le suivant : sur la base d’un corpus très restreint de jeux (et régulièrement cités dans plusieurs des vidéos de sa chaîne), nous avons là un phénomène d’institutionnalisation sans remise en question d’une parole. C’est un problème qui m’avait déjà été partagé par une personne qui se reconnaitra peut-être dans ces mots. De même, je m’aperçois aujourd’hui à quel point Game’s Maker ToolKit est régulièrement un vecteur d’un discours provenant directement de l’industrie vidéoludique : très peu de remises en cause des entreprises en situation de monopole, uniquement des paroles retransmises depuis l’intérieur du milieu sans jamais diffuser les discours sur l’industrie. Pour résumer, j’adresse à Mark Brown la même critique que Christian Metz pouvait faire à l’égard de certains théoriciens du cinéma :

« Les  conditions  objectives  qui donnent naissance  à  la  théorie  du cinéma  ne  font  qu’un avec  celles  qui rendent  cette  théorie précaire et  la  menacent en  permanence d’un dérapage  dans son  propre  contraire, où  le  discours  de l’objet  (le  discours indigène  de l’institution cinématographique)  vient  insidieusement  prendre  la  place du discours  sur l’objet » (Metz, 1975).

Le Corpus régulièrement cité par cette chaîne est un constat de cela : où sont les queer games, où sont les développeurs indépendants n’ayant pas les moyens de créer des systemic games dont le développement nécessite clairement des ressources financières colossales ? Il y a derrière les choix de Mark Brown une idée volontaire ou involontaire relativement conservatrice qui ne remet pas en cause l’industrie du jeu vidéo. Or, les discours dont nous avons besoin aujourd’hui doivent être critiques et sur cette industrie, non pas issus de celle-ci.

Esteban Grine, 2018.


Quelques papiers non cités par GMTK :

Sur les systemic games

https://www.gamasutra.com/blogs/MikeSellers/20150518/243708/Systems_Game_Systems_and_Systemic_Games.php

Sur les immersive sims

https://www.pcgamer.com/history-of-the-best-immersive-sims/


PS : Par rapport à ma pratique de vidéaste

Durant l’écriture de cet article, je me suis interrogé sur ma propre pratique : suis-je soumis aux mêmes critiques ? Etc.

La réponse est oui. Je la contraste cependant en énonçant ne pas avoir de volonté institutionnelle de diffusion de certains concepts que j’ai proposés. De même, régulièrement, j’énonce que j’essaie autant que possible de ne pas niveler ou préférer un genre de jeux même si finalement je propose des corpus tout aussi critiquable. Je rejette généralement les définitions fermées de ces objets. Cependant, je n’observe pas un comportement similaire chez Mark Brown. Enfin, je m’inscris plutôt dans une approche sémio-pragmatique tandis que MB propose plutôt une vision issu du game design en observant « des bonnes façons de créer des bons jeux », ce qui, dans d’autres contextes et d’autres mots pourraient être idéologiquement discutable.

Le dilemme de la future économie du jeu vidéo

Cloud Gaming VS Cloud Computing Vs Steam, Le dilemme de la future économie du jeu vidéo

Dans une discussion animée avec Thomas et Rémi d’Un Drop Dans La Mare, nous abordions le futur du jeu vidéo et ce, surtout dans sa dimension économique de marchandise amenée d’un point A, le producteur, à un point B, le consommateur. L’interrogation principale  était la suivante : entre le cloud gaming et le cloud computing, lequel sera le survivant ?

Suite à nos échanges, il apparait que cette question n’est peut-être pas si bien posée dans le sens où il s’agit fondamentalement du même service, lié aux mêmes technologies et soutenu par un système économique identique. Dans les deux cas, nous avons un ordinateur loué à titre personnel dans le cas du cloud computing ou nous avons un ordinateur/serveur dont le catalogue de jeux est à disposition de tous, pourvu qu’un abonnement soit souscrit. Ainsi, en termes économiques, il s’agit d’une relation marchande qui suit une même logique. Nous avons là deux formes d’abonnements proposant des Softwares As A Service. L’accès aux jeux ou du moins à la machine est donc conditionné par le paiement sur une plus ou moins grande échelle de temps. Or cette problématique occulte d’autres formes d’économies possibles.

Dans ce cadre, nous inscrivons notre réflexion afin d’encastrer des marchés du jeu vidéo dans l’économie de la fonctionnalité. Cette appellation définit le processus de certains acteurs sur des marchés à remplacer la vente de biens par la vente d’un service : on ne vend plus les jeux, on vend un accès aux jeux. On ne vend plus des pneus, on vend des kilomètres (c’est le cas de Michelin pour ce dernier exemple). Dès lors aujourd’hui, si l’on regarde ce qu’il se passe au niveau du jeu vidéo, on s’aperçoit qu’il existe déjà des formes d’économies liées non pas à l’acquisition d’objets mais permettant simplement l’accès à leurs fonctions. On n’achète plus un jeu pour le jeu, l’objet physique mais on achète un droit d’utilisation pour obtenir la fonction du jeu : l’expérience. Cela semble très théorique mais de manière pragmatique, c’est exactement les services que proposent Steam, GoG, uPlay, etc.

Nous nous retrouvons donc ici avec une multitude de propositions SaaS et ce avec des philosophies différentes. D’un côté il y a donc les services qui proposent un abonnement à un catalogue et de l’autre les services qui donne un accès libre mais dont les items du catalogues sont payants. D’un côté, c’est l’entrée qui est payante mais les quelques consommations sont offertes, de l’autre, l’entrée est libre mais quasiment tout est payant mais dans une variété infinie.

Dans chacun de ces systèmes, le ou la joueuse se retrouve pris entre des avantages et des inconvénients mais c’est surtout ce qu’il va privilégier qui va nous intéresser ici : soit la liberté de partir quand il le décide, soit un accès quand il le veut à tout moment. C’est à notre sens le point central qui doit être retenu lorsqu’il s’agit de différencier ces services. Les plateformes comme Steam ont pour conséquence d’enfermer le ou la joueuse dans un écosystème. Ce dernier ayant un compte accumulant des licences d’utilisation est incité à poursuivre son accumulation sur la même plateforme et avec le même compte. Les plateformes comme Blacknut en revanche proposent aux joueurs et aux joueuses de ne pas avoir d’attache. Leur intérêt réside alors dans leur curation et le renouvellement de leur offre afin de maintenir le ou la joueuse dans une attente, une envie de renouveler son abonnement afin de découvrir de nouvelles expériences.

Si les effets pervers sont facilement observables pour les premiers services, les seconds en concentrent un certain nombre aussi. La curation est clairement un phénomène cachant des enjeux politiques et idéologiques concernant les jeux vidéo. Le choix des jeux vidéo sélectionnés est discutable pour toutes les plateformes de ce type. Le rôle du curateur ou de la curatrice prend alors trop d’importance sur les expériences possibles. Il ne faut donc pas voir cela autrement que par de la manipulation via du soft power (ce qui au demeurant, n’importe pas peu).

Finalement, pour ne pas non plus trop m’étendre, je dirai que le débat soulevé par ces formes d’économies de la fonctionnalité relève d’un positionnement philosophique du ou de la joueuse sur ce qu’il ou elle est prête à abandonner pour pouvoir jouer. Dans tous les cas, il ne devient pas propriétaire des jeux (sauf pour des cas précis de vente sans drm comme GoG). Des lors, soit il ou elle fait le choix de n’avoir qu’un droit d’accès très restreint dans le temps, soit il décide d’avoir un accès aussi pérenne que l’existence de sa prison-service, ce qui ressemble à un pari risqué quand on y réfléchit posément.

Esteban Grine, 2017.

Un battement, une éternité – Far From Noise

Un battement, une éternité – Far From Noise

De nombreuses fois il m’est arrivé de me trouver dans un entre deux, un moment hors du temps dans lequel je me retrouve bloquer entre plusieurs volontés incohérentes. D’un côté je souhaitais faire marche arrière, en essayant vainement d’annuler ce que j’avais déclenché et de l’autre, je souhaitais embrasser ce futur effrayant car inconnu.

« Far From Noise » raconte cela, en poétisant le rapport que l’on a avec la peur de l’inconnu mais aussi avec la peur du monde qui nous entoure. De nombreux sujets. Oui, c’est sûr, ce jeu aborde de nombreuses problématiques : peur des étrangers, déconstruction personnelle, acceptation du fait que le monde ne tourne pas autour de nous. Il y a de nombreuses leçons de vie dans ce jeu et son auteur, Georges Batchelor, les aborde aux détours d’une discussion que le ou la joueuse entretient avec un cerf, apparition du fantastique dans un récit pragmatique. Serait-ce une hallucination ? Une déité ? Le jeu n’y répond jamais. De manière générale, le jeu ne propose aucune réponse aux questions soulevées par la conductrice, égarée, entre terre et mer.

Au fur et à mesure de la discussion, le cerf déconstruit nos arguments en les dissolvant dans une philosophie relativiste et absolue. Tout est relatif, alors pourquoi ne pas embrasser cela ? Voilà l’une des propositions du jeu. Accepter le fait de ne pas être maître de son seul destin et que ce n’est pas grave si demain, tout s’arrête. Ce n’est pas grave pour le monde qui lui, par l’horizon, restera beau, immuable, un tout absolu.

Far From Noise est beau, pas seulement dans ses graphismes mais bien dans le message qu’il porte. Il faut défaire les préjugés que nous avons, en relativisant notre situation et ce, pour ne plus avoir peur de l’inconnu mais aussi des inconnus. C’est un autre message que le jeu nous propose ici. Ponctuellement surpris par l’irruption de nouveaux animaux, c’est à chaque fois la peur qui déclenche une réaction de la conductrice et c’est en prenant le temps d’observer pour mieux les comprendre qu’elle finit par éprouver de la sympathie pour ces créatures. Je ne suis pas plus importante qu’elles. On peut s’arrêter ici mais l’on peut aussi y voir un message de paix ainsi qu’une méthode : comprendre l’autre et prendre conscience de son existence, c’est un premier pas vers un monde meilleur.

C’est aussi un premier pas nous permettant de comprendre, qu’au bord du ravin, entre naissance et mort, que nous ne sommes pas si importants que cela et c’est par les relations avec les autres que nous pouvons alors comprendre notre vie. Accepter ce relativisme dont le cerf est l’allégorie, c’est ne plus avoir peur de l’inconnu, c’est accepter la fatalité des choses et notre petitesse, lorsque nous sommes face à face avec l’éternité, sous un ciel étoilé. Et tout cela ne rend le monde que plus beau à mes yeux. ■

Esteban Grine, 2017.

Attends-moi mon amour – Bury Me My Love

Attends-moi mon amour – Bury Me My Love

J’ai commencé la semaine dernière “Enterre-moi mon amour” de The Pixel Hunt et Pierrec de l’Oujevipo. Cela fait donc maintenant un peu plus de 4 jours que j’accompagne Nour dans son périple pour me rejoindre, ou Majd, cela n’est pas important. Parfois Majd, parfois moi, je suis ses périples.

Cela fait donc 4 jours que je « joue » à ce jeu car j’ai choisi de le faire en temps réel, c’est-à-dire que la progression s’effectue avec le temps véritablement nécessaire à Nour pour aller d’une étape à une autre. Au moment où j’écris ces lignes, Nour doit d’ailleurs arriver à la frontière bulgare. Après avoir passé deux jours à Istanbul, elle trouva un passeur pouvant la déposer avant la frontière. Mais là je m’inquiète. Je m’inquiète car elle n’a pas pensé à prendre une lampe torche, et je n’ai pas eu la possibilité de lui proposer d’en prendre une… La réalité est que même si j’avais eu ce choix, je n’y aurais probablement pas songé, ou je l’aurais tout simplement défaussé.

Bref, je suis dans l’attente. Nour est déconnectée, il n’y a pas d’internet et je dois bien composer avec les informations que j’ai pour le moment. Je nourris mon imagination de ses périples, croisant les doigts pour que rien ne puisse lui arriver. C’est difficile d’avoir totalement confiance dans ces cas-là, on se retrouve bloqué, entre notre impuissance et l’obligation de totalement croire en la personne qui nous répond sans jamais nous parler de vive-voix.

L’un des tours de force de « Bury Me My Love » réside précisément dans sa façon de maintenir son joueur dans l’attente. de nombreuses fois, j’avais critiqué justement cette façon de game designer une expérience vidéoludique. J’avais été très véhément à propos des idle games qui obligent le ou la joueuse à ne pas jouer sous couvert d’une mécanique ludique spécialement mise en place pour susciter un comportement d’achat : « tu veux jouer ? passe par la caisse et tu n’auras pas à attendre ton tour ». « Enterre moi mon amour » use pourtant de la même mécanique et in fine déconstruit tous les arguments des plus fidèles ludologues qui pensent que « seul le gameplay compte », contrairement aux assets et au scénario qui importent peu. Or, nous avons là un cas flagrant et brillant de l’utilisation de « l’attente » comme élément essentiel du game design d’un jeu et ce, pour des raisons scénaristiques plutôt que mercantiles comme c’est le cas des idle games. Pareil, cette attente ne sert pas à influencer le joueur et l’inciter à revenir par l’obtention d’une carotte tel un bonus d’expérience.

Ici, l’attente est scénarisée et cela invite le joueur à guetter toutes nouvelles informations provenant de Nour. A guetter son téléphone, espérant avoir une nouvelle qui pourrait nous rassurer. L’attente permet aussi de prendre la mesure de l’exploit humain que c’est de vouloir rejoindre l’Europe. Cela nous incite à penser à Nour même quand nous ne jouons pas au jeu. Au milieu d’une réunion de travail, on en vient à se dire : « est-ce qu’elle m’a écrit ? J’espère qu’elle n’a pas eu de soucis… », lors de son trajet pour attraper le métropolitain : « tiens ! Je n’ai toujours pas eu de nouvelles ». Il y a un mélange entre notre vie et celle de Nour, entre notre réalité et cette fiction inspirée de faits réels et quotidien dans le monde.

L’attente me fait ressentir une empathie immense pour Nour, pour les immigré.e.s qui tous les jours depuis le début de cette guerre, cherchent à rejoindre l’Europe, fausse terre d’asile et complice de ce qui se passe là-bas. L’attente me fait comprendre aussi ce qu’est de rester, loin, impuissant, des personnes que nous aimons et qui luttent pour nous rejoindre. Je n’ai jamais vécu cette situation. Je croise les doigts pour ne jamais la vivre mais je crois que « Enterre-moi mon anour » m’aide à ressentir, un peu, sans comprendre, sans être « à la place de ».

Je crois que ce jeu m’aide à ressentir à toute petite échelle ce que d’autres, moins fortuné.e.s, ont vécu ou subissent exactement au moment où j’écris ces mots. ■

Esteban Grine, 2017.

Comment les jeux nous touchent mais pas le livre qui en parle – Lettre ouverte

Comment les jeux nous touchent mais pas le livre qui en parle – Lettre ouverte

Lorsque je finis de lire le livre de Katherine Isbister intitulé How games move us : Emotion by design (2016), je ne savais pas trop quoi en penser. Et c’est là que je compris le problème que j’avais avec ce livre. Il y a deux types de contenus : ceux qui vous touchent et ceux qui vous indiffèrent. Les premiers sont intéressants même lorsque l’on est en désaccord. C’est par exemple la relation que j’entretiens avec la théorie du flow de Csikszentmihalyi. Bien que cela soit une théorie que je critique beaucoup, le fait même que j’ai envie de la critiquer la rend intéressante. Il est plus difficile de comprendre l’intérêt du second type de contenus. L’indifférence est peut-être la façon ultime de ne pas attribuer d’intérêt à un objet. Derrière cette tautologie se cache pourtant de véritables questionnements pour le lecteur dont : pourquoi cela nous indiffère ? C’est donc à cette question que je vais tenter de proposer une courte réponse, car, avouons-le, l’indifférence nous rend fainéants.

Il convient de dire malgré tout que je ne rejette absolument pas le travail mené par Isbister. Il semble être sérieux et sincère. De plus, je pense être d’accord avec pas mal de propos tenus dans son très court livre (130 pages à tout casser). Dans ce dernier, l’autrice propose un rapide panorama des méthodes et astuces que les game designers peuvent mobiliser pour susciter des émotions chez les joueurs et les joueuses. Jusque là, aucun soucis. De plus, Isbister prend en compte la dimension sociale des jeux et de facto intègre dans son raisonnement les façons qu’ont les joueurs de mettre en place certaines attitudes afin de ressentir des émotions. Bon, il s’agit bien entendu d’un travail théorique qui n’interroge pas forcément l’agentivité des joueurs : sont-ils conscients ou inconscients dans la mise en place de ces mécanismes ? Au final, nous n’avons pas la réponse dans ce livre, mais ce n’est finalement pas grave puisque, comme son titre l’indique How games move us, il ne s’agit pas vraiment des joueurs comme étant des sujets (à la limite des réceptacles semi-actifs et conscients) dont il est question.

Du coup, nous nous retrouvons avec une approche relativement procéduraliste (au sens de Juul et Bogost) qui place le jeu comme seule structure véritablement intéressante à analyser. Mais pourquoi pas !? Cette prémisse est tout à fait intéressante et pertinente bien qu’un peu dépassée, surtout depuis les travaux des français mais aussi ceux de Miguel Sicart, Doris Rusch et j’en passe. Ainsi, le livre fait preuve d’un certain retard.

Le coeur de la proposition théorique d’Isbister se réfère au flow, pas celui de Csikszentmihalyi, mais celui de Jenova Chen. Pour Isbister, le modèle théorique proposé par Chen permet de comprendre, ou plutôt a minima, de proposer un outil de représentation de la causalité game design => émotions. Cette courte partie théorique, l’entièreté du premier chapitre, résume globalement la pensée de Chen avec quelques ajouts et quelques exemples. S’en suit alors 3 chapitres déclinant cette proposition mais la construction et le cheminement logique est critiquable sur plusieurs points. Premièrement, l’argumentation d’Isbister ne repose que sur un petit corpus exemplatoire composés d’anecdotes prises ici et là dans ses observations mais aussi chez d’autres auteurs-ices. De facto, la proposition théorique ne repose alors que sur des hypothèses et en aucun cas, elle ne peut être considérée pour autre chose. Alors, certes, je ne remets absolument pas en cause ses conclusions puisqu’elles sont finalement le produit d’autres réflexions mais du coup, il me semble que cela n’apporte pas grand chose autre qu’un discours sympathique (et un peu évangélique) sur les jeux et les jeux vidéo.

Le deuxième problème que je vois à cet essai concerne le choix extrêmement restreint de l’angle de réflexion d’Isbister. Cela provient à mon sens d’un double standard implicite qui apparait très tôt. Le fait de choisir le flow comme point de départ biaise les émotions suscitées et donc présentées et si Isbiter nous parle bien d’émotions considérées positivement, elle omet de traiter des émotions et des sentiments négatifs, ou du moins que l’on va juger négatif. En ne se concentrant principalement que sur les émotions présentes dans la zone de flow, elle n’évoque donc qu’en surface des émotions comme la frustration, le sentiment d’injustice, de rage, de colère, etc. Le fait même qu’elle choisisse certains mots ancrés idéologiquement comme « la coopétition » indique son approche positive et évangélique. Encore une fois, il ne s’agit pas de dire qu’elle se trompe. Au contraire, je pense que globalement, les hypothèses qu’elle dégage de ses quelques observations sont pertinentes. Cependant, elle n’approfondit ni le travail déjà réalisé, ni ne prend en compte des propositions théoriques qui ont apporté des éléments non négligeables en 2017.

Cette dernière critique que je fais vient du fait même qu’elle considère pour acquis la définition « d’émotion ». Le livre développe donc une pensée sur la façon dont des objets médiatiques suscitent des émotions sans véritablement prendre le temps de définir les enjeux et les problématiques liés aux termes. C’est ainsi qu’Isbister arrive à des conclusions discutables lorsqu’elle définit la spécificité du jeu vidéo par rapport à d’autres média en fonction de certaines émotions puis choisit des exemples rentrant en contradiction avec son argument.

L’oubli fondamental du livre se résumerait donc, selon moi, à l’absence totale de précision avec le concept « d’émotion » qui pourtant appelle à la rigueur la plus ferme et la plus scientifique. C’est pourquoi des articles comme celui de Frome (2006) apporte bien plus en une quinzaine de pages que le livre d’Isbister. Frome postule lui aussi que la spécificité du jeu vidéo peut se résumer aux émotions suscitées qui ne seraient pas les mêmes en fonction du média et du rôle de l’audience. C’est clairement ce qu’aurait dû faire Isbister. De même, Frome différencie les émotions suscitées par rapport à l’objet, la fiction et la narration. De facto, le degré de précision permet une réflexion bien plus aboutie. Isbister quant à elle choisit par exemple les émotions du regret et de la fierté pour étayer sa conclusion concernant la spécificité du médium sans définir plus précisément ce qu’elle entend. Or, ne pouvons-nous pas ressentir de la fierté pour avoir vu un film ou lu un livre ? Sans répondre à cette question, je souligne ici que ses imprécisions l’empêchent d’avoir une argumentation cohérente et incisive, caractéristiques nécessaires, il me semble, d’une pensée prolifique.

La critique la plus cinglante que j’adresserai au livre d’Isbister est finalement que les arguments qu’elle défend peuvent totalement s’appliquer à d’autres médias ou comportements. Le problème ici est le suivant : nous pourrions avoir un livre de qualité équivalente en remplaçant toutes les occurrences liées à « game, video game » et leur champ lexical par un concept supposé contradictoire – et le livre fonctionnerait tout aussi bien. Je fais l’hypothèse que nous pourrions avoir ici un livre intitulé How employement move us et cela serait tout aussi efficace. Le problème il me semble provient justement de cette approche qui ne prend pas forcément en compte le jeu comme un comportement mais uniquement comme une forme de fiction. Pourtant des auteurs comme Henriot ont constaté les limites de penser l’objet vidéoludique de cette façon. Ce dernier, se trouvant à la croisée des chemins entre fiction et comportement ne peut être restreint à un choix de corpus limité au risque de soit faire erreur soit de rester dans les banalités les plus creuses comme c’est finalement le cas ici. Les situations de jeu, sociales et comportementales choisies par Isbister sont toutes des situations de flow : elle biaise de facto ses conclusions, applicables probablement à ce qu’elle définirait comme l’opposé des jeux – Henriot adressait d’ailleurs cette même critique à Huizinga et Caillois.

Ainsi donc le livre d’Isbister est tout à fait sympathique. L’autrice passe beaucoup trop de temps à raconter des anecdotes pour supporter les quelques arguments proposés. Les propos, lacunaires, ne sont pas pour me déplaire pourtant. J’apprécie cette idée de définir la spécificité du jeu vidéo par rapport aux émotions qu’il suscite. J’ai déjà entamé ce travail, notamment sur le regret et la culpabilité. Cependant, j’en attendais plus et je n’y ai pas trouvé mon compte. Je regrette donc qu’Isbister ne propose pas de véritable enjeux. Cette absence passe notamment par la construction même du livre qui peut se résumer à la présentation d’une bullet list. En somme, je classerai ce livre dans mes feel good sympathiques qui ne donnent ni n’interrogent. Il s’adresse à des personnes déjà convaincues par le message et ceux qui ont déjà un intérêt pour les idées de Jenova Chen et celles de Jane Mc Gonigal, ni plus, ni moins. ■

Esteban Grine, 2017.

 


Frome, J., 2006. Representation, Reality, and Emotions Across Media. ResearchGate 8, 12–25. doi:10.7227/FS.8.4
Sicart, M., 2011. Against Procedurality. Game Studies 11.
Rusch, 2009. Mechanisms of the Soul : Tackling the Human Condition in Videogames.
Isbister, K., 2016. How Games Move Us: Emotion by Design. MIT Press, Cambridge, MA.

Jeu Vidéo : La critique

Rarement j’ai ressenti quelque chose d’aussi fort qu’en jouant à ce jeu. Un peu comme si une balle, vous transperçait le crâne par la gauche puis ressortait par la droite, sans éclaboussure. Rarement, je n’ai vu pareils émotions dans une seule production vidéoludique et rarement j’ai autant ressenti de tristesse, d’empathie mélangées à un bonheur sans fin et un amour illimité pour des personnes qui ne sont finalement que des morceaux de codes issus d’un programme informatique.

Aujourd’hui, je vais vous parler d’un jeu, peut-être le jeu de l’année mais qui dans tous les cas a mis tout le monde d’accord grâce à son esthétique, sa direction artistique, ses cadres et tout le reste. Aujourd’hui, je vous parle du jeu.

Mais avant de parler de sa musique incroyable, de son audace dans l’installation de son scénario mais aussi du gameplay qu’il propose, il faut que je vous parle du studio derrière tout cela, mais surtout, du game designer qui a fait émerger l’idée de cet incroyable jeu. Le studio est récent, ses précédentes productions n’ont pas été de véritables œuvres, le public les a plutôt délaissées même. Pourtant, c’est avec cette nouvelle création qu’il ont totalement été propulsés au devant de la scène, rejoignant ainsi les grands noms comme Hayao Miyazaki et Miyamoto. C’est incroyable qu’en si peu de temps, des jeunes créatifs ont réussi, avec un simple projet, dont les idées tiennent à peine sur une page, à réaliser un si grand jeu qui passera clairement à la postérité.

Mais parlons-en maintenant du jeu. La première chose qui m’a frappé, c’est son gameplay, ni trop équilibré, ni trop simple, il installe le player dans le flow de l’action. Celui-ci ne fait alors plus qu’un avec son activité, quand j’y jouais, c’est comme si la manette ne faisait plus qu’un avec mes mains, il n’y avait plus d’interface, de HUD, tout se passait comme si j’étais seul, dans le noir, avec la lumière de l’écran. La courbe de difficulté oblige le joueur à monter en compétence mais, c’est toujours juste. Il y a bien des pics de difficulté mais ce n’est que pour signifier au joueur que là : « ça ne passera pas si tu n’est pas digne de moi ». Et tout le gameplay du jeu peut se résumer à cela : « montre-toi digne de moi ». Pas de sélection de la difficulté, on ne prend pas par la main le joueur, ou alors, il ne s’en apercevra pas. Car rarement, j’ai été aussi manipulé facilement par le game design d’un jeu. Pourtant, je pense largement avoir  les compétences ludiques pour décrypter ce qu’il se passe sous mes yeux mais là, l’équipe de développement a tellement été excellente, que j’ai totalement été berné par l’esthétique, le gameplay mais aussi le level design.

Tiens, parlons-en du level design. Ici, c’est juste incroyable. Les décors sont somptueux. Ils montrent clairement que la team de développement éprouve un amour sans fin pour l’univers qu’ils ont créé. La direction artistique montre clairement la maitrise des graphistes à proposer un monde cohérent autant par son gameplay que par son esthétique : pas de dissonance ludonarrative donc. On se retrouve à parcourir un monde tout entier sans jamais véritablement percevoir les limites du décors. Après les dizaines d’heures que j’ai passées jusqu’à l’écriture de cette critique, je reste encore incapable de définir les limites du monde que l’on peut parcourir. Quand je disais que l’on se fait manipulé, je faisais référence à cela. Par de nombreux moments, on parcourt des milieux plutôt restreints, mais nous ne nous en apercevons jamais. Tout simplement parce que le level design est tellement brillant que l’on n’a pas envie d’aller dans les zones inaccessibles. Pour moi, c’est ça véritablement l’art du jeu vidéo : imposer des règles et manipuler des joueurs sans qu’ils ne s’en aperçoivent. Ce qui est incroyable aussi, ce que le jeu parvient à nous proposer de nombreux embranchements de sorte que l’on peut toujours choisir la route que l’on veut prendre, et ça, c’est une vraie preuve que notre média favori devient mature tout en maitrisant de mieux en mieux sa propre grammaire.

On a parlé du gameplay, du level design mais qu’en est-il de la narration ? Encore une fois, le studio a su s’entourer des meilleurs auteurs. La mise en récit de ce jeu est un véritable ascenseur émotionnel, on est parfois heureux et parfois malheureux. Mais ce sont toujours des beaux sentiments et surtout, il n’y a jamais de fausse note. Comment expliquer cela ? Tout simplement par le rythme incroyable du jeu qui nous fait alterner entre des séquences lentes et émouvantes et des séquences d’actions effrénées. Ces dernières reprennent les classiques du genre donc on arrive en terrain connu mais le gameplay propose de nouveaux arrangements et de nouvelles situations, ce qui fait que l’on est toujours surpris par l’ingéniosité des game designers. Malheureusement, je ne vous en dirai pas plus de l’histoire car je ne veux pas vous spoiler. C’est un jeu qui mérite d’être joué.

Voilà Internet, je pense avoir donné mon opinion de critique vidéoludique sur ce jeu, j’espère que cela t’a convaincu et n’hésite pas à laisser un commentaire pour dire si tu es d’accord. ■

Estebae Grine, 2017.

Ces auteurs de jeux vidéo – Lettre Ouverte à Jonathan et Phil

Bonjour Jonathan, Phil, ou bonsoir, à l’heure à laquelle vous lisez peut-être cette lettre.

Je vous écris pour vous dire qu’à travers vos jeux respectifs, je vous aime. Je pense de temps en temps à la façon dont la communauté vous considère et je trouve sincèrement dommage qu’elle refuse de voir en vous deux personnes remarquables et humbles. Phil, vous avez été parfois dur avec certains de vos propos. Ces phrases malencontreuses ont été amplifiées pour vous faire passer comme quelqu’un de prétentieux, pédant et désagréable. Jonathan, les gens vous prennent pour un perfectionniste terrible qui pense être le meilleur du monde, en tout cas, bien supérieur aux autres développeurs.

Je n’y crois pas. Je n’arrive pas à concevoir les créateurs de FEZ et de The Witness comme des personnes prétentieuses et pédantes. Ces deux jeux m’ont tellement bouleversé dans leur humanisme et dans le respect dont leur game design fait preuve à l’égard du joueur. Pour cela, je n’arrive pas à croire les propos de certaines personnes à votre égard. Certes, les séquences retenues dans le film Indie Game : The Movie ne vous mettent clairement pas en valeur. Je pense que cela a joué contre vous car étant donné la visibilité du film auprès du public et les séquences choisies, c’est un peu comme si vous étiez devenus les bêtes à abattre, un peu comme les vilains petits canards indépendants. Les vidéos sur youtube analysant uniquement ces quelques propos ne manquent pas et c’est dommage. C’est dommage car la communauté, si tant est qu’elle existe, réduit votre travail en avançant des arguments ridicules par rapport à certains de vos comportements, qui avouons le, auraient pu être ceux de n’importe qui.

FEZ est un jeu incroyable, avec de nombreux niveaux de lectures mais dès que l’on avance ses qualités, les réponses que l’on obtient sont : « oui mais Phil Fish, je ne l’aime pas ». The Witness est pour moi le jeu de 2016. Celui qui a été le plus remarquable, celui qui s’est imposé comme allant de soi. Je ne me suis jamais autant senti respecté en tant que joueur, pourtant, lorsque l’on commence une discussion à son sujet, on se retrouve avec des : « oui, mais Jonathan Blow, je le trouve un peu trop prétentieux » ou des « je me sens idiots lorsque je joue à The Witness« . Tout cela, c’est dommage, c’est dommage que certains médias vous aient décrit comme des personnes peu fréquentables alors que vos travaux respectifs semblent être ceux de deux personnes dont l’humanité et l’humilité transpirent dans le game design.

Phil, Jonathan, j’éprouve un amour sans fin pour vos jeux, j’avais besoin d’écrire mon regret quant à la façon dont certains peuvent vous considérer, sans vous connaitre, au fond. Dire que l’on est capable de vous connaitre uniquement à travers les quelques interviews disponibles de vous serait d’une prétention terrible et à ce jour, j’estime que la seule façon de vous comprendre est de jouer et d’analyser vos jeux respectifs. Ni plus, ni moins. ■

Esteban Grine, 2017.

 

Le Jeu Vidéo, ce loisir bourgeois, capitaliste et colonialiste.

Ce Noël, quelle ne fut pas ma surprise lorsque mes parents me tendirent le cadeau qui m’était destiné. Une fois l’emballage soulevé, je découvris avec émerveillement une Playstation 4 slim accompagnée de « Call Of Duty Infinite Warfare » (Activision, 2016). Moi qui suis plutôt vindicatif lorsqu’il s’agit des consoles de jeux vidéo, ces boîtes en plastique non recyclables, j’eus le sourire jusqu’aux oreilles et fus heureux de recevoir cet objet victime de nombreuses convoitises.

Pourtant par le passé, je n’ai jamais manqué de statuer sur la question des consoles de jeux vidéo. Dans de précédents billets d’opinions, j’avais déjà clairement établi mon point de vue à ce sujet : ce sont des objets extrêmement périssables soumis à des modes de consommation et des cycles de vie toujours plus courts, bref, l’antithèse de la consommation responsable. Pourtant, le sentiment de bonheur lorsque j’ouvris mon cadeau me débarrassa de tous mes dilemmes éthiques liés au développement durable. Je venais d’atteindre un Graal et pour rien au monde je n’aurais sermonné mes parents en les traitant d’inconscients pour m’avoir offert la dernière console de Sony. Je balayais donc d’un revers de la main toutes mes considérations politiques sur la façon de consommer notre média « jeu vidéo ».

Face à tant de contradictions présentes chez moi (et elles le seront surement encore après l’écriture de ce billet), il convient de se poser quelques instants et réfléchir à ce qui vient de se produire, un peu à notre médium et le recontextualiser au sein des différents loisirs accessibles ou non dans le monde car ce qui s’est passé à mon Noël est à mon sens représentatif de l’absence de prise de conscience concernant l’impact de nos comportements sur le monde en tant que joueurs.

Pour reformuler un peu et aller directement au fond de ma réflexion, je vais exposer dans ce billet les raisons qui me poussent à penser que le Jeu Vidéo est un loisir bourgeois et capitaliste. De même, je défendrai aussi le fait qu’il est un produit d’une certaine vision coloniale de l’utilisation des ressources de notre planète. De cette façon, j’espère pouvoir reconnaitre mes contradictions pour mieux affirmer le discours décroissant qui me semble aujourd’hui nécessaire pour faire du jeu vidéo un loisir durable et une forme d’expression pérenne.

Les bourgeois, c’est comme les cochons

Maintenant que j’ai attiré l’attention du lecteur, il convient de préciser ce que j’entends par loisir bourgeois. En aucun cas je ne remets en cause la caractéristique populaire de cet art. Le Jeu Vidéo est un média de masse et à aucun moment j’en viendrais à le comparer à certains loisirs comme « aller à l’Opéra », « jouer au golf » ou encore « aller écouter un orchestre symphonique ». J’entends par « loisir bourgeois » plutôt un rapport entre pays occidentaux et le reste du monde, où se trouvent les minerais, les matières premières et les moyens de production. Ainsi, j’entends plus le terme « bourgeois » dans un sens économique et marxiste : une classe sociale (l’occident) dominant une autre classe sociale (les pays producteurs). Ainsi, je considère que le jeu vidéo tel que nous le connaissons en France n’a été rendu possible que par l’exploitation de l’homme par l’homme. Nous pourrions rapidement convenir que tout notre mode de consommation français ne repose d’ailleurs que sur ce principe mais ce n’est pas parce qu’une caractéristique n’est pas unique au jeu vidéo (et à tout média de manière général) qu’il faut l’exclure de l’équation sous prétexte que « tout le monde est au courant ». Au contraire, je m’oppose clairement à ce type de propos que je considère comme une forme d’invisibilisation des problèmes et j’ai la conviction que c’est ce que nous faisons actuellement.

Ainsi donc, notre façon de consommer le média « jeu vidéo » est à mon sens possible uniquement par l’exploitation d’une population sur une autre mais il convient de préciser mon propos : toutes les façons et les supports de jeu ne sont pas égaux dans l’exploitation des ressources et du travail. Lorsque l’on observe rapidement les façons de jouer à des jeux vidéo de par le monde, nous pouvons observer une multiplicité des pratiques. Ainsi, la représentation majoritaire que l’on se fait du jeu vidéo en France est le jeu sur console ou sur pc tandis que la représentation majoritaire du jeu vidéo en Chine est le jeu sur smartphone. Une partie de ces représentations peut s’expliquer par le choix de politiques nationales en matière de supports de jeu. Ainsi, en Chine, ce n’est que très récemment que les consoles de salon ont véritablement pu pénétrer le territoire avec la bénédiction du gouvernement. Déjà, il apparait à mon niveau et dans cette réflexion que les représentations du jeu vidéo varient énormément géographiquement. Nous ne jouons pas de la même façon que l’on soit en France, en Allemagne, en Amérique du Nord ou du Sud, en Asie ou en Afrique.

La logique capitaliste de notre consommation de Jeux Vidéo

Si l’on observe maintenant les supports de jeu, nous nous apercevons que certains ont un plus gros impact sur l’immobilisation des ressources prises dans les pays producteurs des matières premières nécessaires. Ainsi, les consoles de salon et portables sont typiquement dans ma réflexion actuelle les supports de jeu le moins écologiquement soutenables puisque nous immobilisons des stocks de métaux et de plastiques qui ne seront peu ou pas recyclés. De même, l’utilisation que nous en avons montre que c’est un stock qui, contrairement aux smartphones ou aux ordinateurs, n’est immobilisé que pour une seule fonction : le jeu (et la consommation de médias, certes). J’oserai presque faire le pari que notre temps de jeu passé sur une console est inférieur à 5% du temps total de possession. Mon cas personnel en est clairement l’exemple. Je possède chez moi une Nintendo 3DS, console que j’affectionne particulièrement. Pour cette plateforme, j’ai fait l’achat d’environ une dizaine de jeux qui m’ont duré à peu près 40 heures soit 400 heures de jeu pour maintenant 2 ans et demi de possession soit à peu près 21 600 heures. Ainsi donc, sur le temps de possession de cette console, je n’y ai techniquement joué que 1,8% du temps, ce qui est ridicule pour l’immobilisation de ressources que cela implique et la quantité de travail qui a été nécessaire pour produire ma console portable.

Pourtant, en tant que joueur, nous valorisons énormément la possession de jeux et de supports de jeux. A voir le pédantisme et la prétention des personnes qui présentent leurs collections et surtout la mise en avant du montant monétaire que cette accumulation a nécessité, je me fais la réflexion que malgré les revendications politiques de gauche(s) que certains peuvent avoir, les joueurs de jeux vidéo restent (par leurs comportements) pour le moment des agents économiques qui s’inscrivent directement dans une tradition capitaliste mettant en avant la liberté individuelle d’immobiliser des objets qui nécessiteraient notamment d’être recyclés afin d’être réemployés. Et que cela soit clair entre nous, après réflexion, mon comportement s’inscrit malgré moi définitivement dans cette tradition capitaliste que je critique.

Le Jeu Vidéo Dématérialisé, fausse réponse à de vraies questions énergétiques

Certains pourraient argumenter que l’augmentation des ventes de jeux dématérialisés nuancerait mon propos, ce à quoi je ne pourrais m’opposer formellement à défauts d’observations. En réalité, ces individus ne seraient pas non plus à même de soutenir ces hypothèses sans preuve scientifique accompagnée d’une méthode épistémologiquement soutenable et réfutable. Cependant, je pose l’hypothèse que mes arguments restent valides pour la majorité des individus, joueuses et joueurs dont les pratiques ne correspondent pas à celles de l’utilisateur de services tels que Steam ou Gog. J’émets aussi l’hypothèse que la mise en avant du jeu dématérialisé ne résout pas la question des supports telles les consoles et les ordinateurs portables (tablettes, etc.). Enfin, je comprend tout de même l’argument que les jeux en boîte représentent eux aussi un gaspillage d’énergie puisqu’ils deviennent, à mon humble avis, de plus en plus en plus des simples clefs d’activation.

Néanmoins, il me semble que la sphère des quelques influenceurs (dans laquelle je m’insère) soutenant « ce projet potentiellement écologique du jeu dématérialisé » est peut-être dans une bulle culturelle (et probablement élitiste et pédante) qui ne représente aucunement la façon de jouer d’une quelconque « majorité » au niveau international. Nous ne nous intéressons que trop peu aux pratiques vidéoludiques des autres joueurs au niveau national et international et faisons beaucoup trop souvent la supposition qu’elles sont identiques aux nôtres peu importe le contexte. Or, il est facile d’imaginer qu’un individu vivant à Shanghai ne joue pas de la même façon qu’un individu à Sao Paulo, etc.

De manière générale, je soutiens que la question du dématérialisé est mal formulée puisqu’elle suppose que la consommation de jeux dématérialisés mobilise la même quantité d’énergie nécessaire que celle requise pour les jeux en boîte. Je ne peux malheureusement pas trop m’avancer sur ces éléments pour lesquels je n’ai pas de données à exploiter (mais voilà une piste de recherche qui serait fort passionnante à traiter). Ainsi, je reformulerai plutôt les enjeux de ces comparaisons uniquement par rapport à l’énergie nécessaire pour jouer. Formuler les choses dans ce sens permet de prendre en compte, à mon sens, la complexité de l’impact écologique du fait de « jouer à un jeu vidéo » sur l’environnement mais aussi les différentes structures des jeux (jeu solo, multi, en local ou non, etc.). Prenons par exemple le cas des jeux multijoueurs en ligne comme le très récent (et excellent) « Overwatch » (Blizzard, 2016). Celui-ci nécessite de nombreux acteurs diverses pour assurer la situation de jeu. Si l’on regarde l’impact de « jouer à Overwatch », nous avons donc :

Impact écologique d’un jeu multijoueur en ligne = Machine Client (dont coût de production) + Consommation électrique Client + Espace Disque Dur Client + Infrastructure Internet (réparti sur d’autres emplois) + Entretien de l’infrastructure (réparti sur d’autres emplois) + Machine Serveur (dont coût de production et d’installation) + Consommation électrique globale (intégrant les frais de stockage comme la ventilation, etc.) + coût d’entretien + Infrastructure serveur (la gestion du bâtiment, le réseau interne, etc.) + coût possible lié aux instances de partage et de streaming.

Pour le cas d’Overwatch, le calcul serait donc l’équation que je propose multipliée par 12 pour les 12 joueurs présents lors d’une partie. Cependant, je souligne maintenant l’amateurisme de cette équation étant donné que je ne suis absolument professionnel en terme d’ingénierie et la proposition que je fais n’a qu’une seule et unique vocation : ouvrir le débat et être corrigée.

Quelle solution pour réduire notre consommation d’énergie ?

Ainsi donc, avec cette façon d’envisager l’impact du jeu vidéo sur l’environnement (en observant l’énergie nécessaire pour jouer), il devient possible d’agencer les différents impacts écologiques des multiples pratiques vidéoludiques. Si cela pouvait être une évidence pour certains, cela me sembla intéressant de tout de même le rappeler ici. Ainsi, un joueur jouant exclusivement à des jeux axés sur des situations « en ligne » (se rapprochant ou étant des MMOG[1] donc) aura un impact plus important qu’un joueur ne jouant exclusivement qu’à des jeux présentant des contenus solos. Il devient aussi possible d’évaluer l’impact respectif des jeux en ligne, par exemple, un joueur d’Overwatch consommera probablement moins qu’un joueur de Battlefield (du fait de la taille des maps, du nombre de joueurs présents, etc). Enfin, il pourrait être intéressant de mettre en place un équivalent de l’indice Carbone dans les notices des jeux vidéo afin de prendre peut-être plus conscience de l’énergie mobilisée pour jouer. Ainsi, cette question de la consommation d’énergie soulève aussi les enjeux écologiques derrière de nouvelles pratiques qui pourraient sembler plus écologiques au premier abord. Je pense notamment aux services de streaming de jeu qui nécessiteront probablement énormément d’énergie et d’infrastructures.

Dans ce très long article, je me suis attaché à expliquer pourquoi le jeu vidéo est un loisir capitaliste. Il l’est car il se repose sur une logique d’accumulation de richesses qui vont être immobilisées sans possibilité de recyclage. Le Jeu Vidéo, tel qu’il est pratiqué en Occident, se repose aussi sur une idéologie colonialiste puisque c’est l’exploitation des richesses et des femmes et hommes en dehors de nos frontières qui nous permet un tel cadre de jeu. Enfin, les arguments servant à assoir cette forme de Jeu Vidéo s’inscrivent dans une réflexion que je qualifie plutôt de libérale, voire néo-libérale, avec le rejet et/ou l’invisibilisation des critiques qui peuvent être faites notamment.

Maintenant, le lecteur pourrait m’accuser de ne proposer aucune solution. Voici donc le moment choisi pour intégrer aujourd’hui certaines réflexions décroissantes au Jeu Vidéo. Je ne vais pas proposer ici une solution miracle mais plutôt observer ce qui se fait actuellement dans d’autres secteurs d’activités. Il convient donc d’observer les modèles économiques qui en ont émergé. Le modèle qui me semble le plus adapté au jeu vidéo pour répondre à l’ensemble des critiques que j’ai formulées est « l’économie de la fonctionnalité ». Dans ce modèle, les acteurs cherchent à remplacer les objets et les biens par des services, inversant ainsi les logiques de consommations. Un exemple récent de cette économie de la fonctionnalité concerne notamment les services professionnels de l’entreprise de pneus Michelin[2]. Plutôt que de vendre des pneus, Michelin vend des « kilomètres ». Cela a un double avantage. Premièrement, le client paie dorénavant pour le cycle de vie du produit avec une assistance s’il y a un problème. Deuxièmement, cela empêche les logiques d’obsolescences programmées puisque l’entreprise doit dorénavant produire les biens les plus solides possibles pour minimiser le coût de gestion d’un client. On pourrait totalement adapter ce modèle économique au Jeu Vidéo, notamment chez les constructeurs de plateformes dédiées. Plutôt que de créer des générations de consoles (des produits mis en vente), il devient intéressant de proposer des services : « jouer à des jeux vidéo ». Ces services pourraient prendre la forme d’abonnements annuels que les joueurs seraient prêts à payer pour ne pas avoir à changer de consoles à chaque nouvelle génération. Prenons l’exemple de Sony. Plutôt que de vendre des objets « Playstation », cette entreprise met en place un abonnement (une sorte « PlayStation Plus Plus ») qui mettrait à disposition du matériel de location chez le joueur. En contrepartie, celui-ci paierait un abonnement mensuel avec pour ne pas non plus pénaliser l’entreprise, un engagement d’une certaine durée de temps. En lisant ces lignes, j’ose penser que le lecteur comprendra immédiatement l’intérêt d’une telle démarche : le producteur doit dorénavant proposer la machine la plus performante, mais surtout la plus pérenne dans le temps pour ne pas avoir à subir la concurrence. D’un cercle vicieux, nous passons à un modèle plus soutenable.

Conclusion

Maintenant que tout cela a été évoqué, je ne pense pas avoir d’autres choses à dire qu’il serait pertinent d’ajouter ici. Je pense avoir présenté de nombreuses pistes de réflexions pour la personne s’interrogeant sur l’impact écologique de la pratique du Jeu Vidéo. Au-delà de cela, ce fut pour moi aussi l’occasion d’effectuer un travail introspectif sur les contradictions qui sont présentes chez moi entre mes volontés politiques, mon comportement de chercheur et mes habitudes de joueur. Malgré quelques formulations que certains pourraient considérer comme des attaques personnelles, je tiens à rappeler qu’à aucun moment, il n’y a eu cette volonté. Ce billet s’inscrit véritablement comme une entrée dans un carnet plus global de mes réflexions sur le Jeu Vidéo et ce, à un moment donné. Mon opinion changera probablement et cette trace me permettra de juger son évolution.

Dans tous les cas, cela me permet de construire un peu plus cette réflexion décroissante pour laquelle je milite tout en reconnaissant mes comportements qui ne sont ni meilleurs ni moins bons que ceux d’une autre personne et j’espère que cet article donnera des éléments de réflexions à ses lecteurs. En attendant, je souhaite que de nouveaux modèles pour la consommation de Jeux Vidéo apparaissent et suis impatient de voir comment l’économie de la fonctionnalité réinterprétera nos habitudes. A défauts, je continuerai de militer pour un usage plus humble et plus respectueux de l’environnement. ■

Esteban Grine, 2016.


Notes de bas de page

[1] MMOG : Massive Multiplayers Online Game

[2] Sources : http://economiedefonctionnalite.fr/en-pratique/michelin/

Un jeu qui s’appelle la science. Pourquoi et comment les jeux vidéo peuvent être des objets scientifiques

 Une grande partie du travail de définition et de compréhension des jeux consiste encore à chercher à quels objets ou quelles attitudes ils s’opposent. Si certains travaux récents ont pu traiter de celle qui est communément envisagée entre jeu et travail ou jeu et sérieux (Buzy-Christmann et al. 2016; Trepanier-Jobin 2016), il est une autre opposition dont on parle moins : celle de la démarche scientifique et du jeu, alors même qu’un champ universitaire qui cherche à l’étudier (et plus largement le jeu vidéo) se développe. Est-il possible de porter un regard scientifique sur le jeu, sur les jeux et l’attitude qui l’accompagne ? Si oui, en quoi consisterait-il ? Cet article se propose d’évoquer comment le jeu, à la fois compris comme structure et comme attitude, peut être abordé au regard de ce qu’est la démarche scientifique notamment dans l’acception populaire et parfois déformée du terme.

Des jeux au labo

Pour apporter les jeux vidéo, comme objets et comme pratiques, au laboratoire, il faut bien entendu les pratiquer d’une manière qui semble paradoxale : à savoir y jouer, donc en faire l’expérience d’une manière ludique, mais tout en développant également une attitude réflexive (Di Filippo 2012). Aussi est-il nécessaire d’être joueur, c’est à dire d’être en contact avec l’objet que l’on étudie. De là à dire que cette activité de recherche serait réservée aux seuls hardcore gamers, il y a toutefois un fossé. Entre la nécessité du contact avec l’objet et celle de la distance nécessaire à son étude, entre une activité pensée par certains comme « improductive » par essence (Caillois 2006)][1] et la production de connaissance que l’on pourrait tirer de son étude, où se trouve l’espace pour de la science ? Est-ce prendre le risque de rendre futile et improductive l’activité scientifique, ou même de rendre austère et de désenchanter la sphère ludique ?

Il faut tout d’abord éclairer davantage ce que l’on entend lorsqu’on parle d’intégrer les jeux vidéo dans le périmètre des sciences. En effet, même si l’on pourrait considérer que dans le langage commun un objet dit « scientifique » peut jouir d’une légitimité importante aux yeux du public, il ne s’agit pas tellement de proposer avec ce rattachement un moyen de légitimer davantage les jeux vidéo eux-mêmes (Schmoll 2011). Il s’agit bien davantage d’assurer à ce champ universitaire qu’il trouve sa place au milieu d’autres discours sur les jeux vidéo, et que soit reconnu sa spécificité par rapport à d’autres types de discours plus répandus.

La science que l’on convoque ici pour venir parler de jeux vidéo est en effet à comprendre comme une méthode, plus précisément une « méthode rationnelle d’explication du monde réel »[2], qui se veut sceptique a priori sur les faits, matérialiste en méthode, réaliste en principe. Sceptique a priori sur les faits, car elle se propose de ne pas tenir pour évident ce qui est perçu par nos sens et ce qui semble aller de soi, en particulier en tant que joueur mais pas seulement. S’agissant du jeu vidéo, il n’est pas seulement question d’évoluer dans la conscience que « ce que l’on voit n’est pas réel »[3], mais de remettre en question les discours que l’on peut avoir sur les jeux, surtout si ils sont issus de l’opinion générale. Call of Duty est un jeu violent. Mais en quoi un jeu qui donne à voir des scènes de guerres est-il violent ? La violence dans les jeux vidéo est-elle une question de représentation, de thèmes abordés, ou alors de mécaniques de jeu ? Peut-on isoler ce qui est proprement la marque de la violence dans ces jeux ? A quelle fin, et avec quels outils ?

Pour aborder de telles questions, la science se propose d’être matérialiste en méthode. Cette dernière partie est importante : elle ne décrit pas une adhésion à une école de pensée philosophique, mais bien un outil de travail. La science se propose de travailler avec ce qui est matériel, ou qui renvoie à une propriété de la matière. On analysera alors, dans le cadre d’un travail scientifique sur les jeux vidéo, ses aspects visuels, son élaboration informatique, son écriture scénaristique…  Si l’on doit s’intéresser aux usages, par des outils psychologiques ou sociologiques, voire anthropologiques, on le fera selon des modèles et des schémas explicatifs précis, eux-mêmes issus de constructions théoriques scientifiques.

La science est enfin réaliste en principe, en ce qu’elle pose une distinction entre le monde réel et les discours qu’elle a sur ce monde ; tout en stipulant que ce monde existe en dehors de nos perceptions et représentations. Ainsi, même si en étudiant les représentations de la violence dans les jeux vidéo on peut être amené à penser qu’une chose n’est pas perçue comme violente (ou surprenante, ou engageante) en soi, mais qu’elle l’est dans notre perception, cette donnée peut demeurer pertinente pour l’étude. Il s’agit simplement alors de reconnaître que ce qui est réel dans cette observation, c’est que « la façon dont la connaissance est ainsi modifiée »((Di Filippo 2012):182-183) par les données de notre perception. Il s’agit de formuler des catégories à partir desquelles ce qui est étudié peut être rendu intelligible, justifier de l’usage de ces catégories et les définir avec suffisamment de précision pour pouvoir dépasser le niveau de preuve de la simple expérience personnelle. Par exemple, la catégorie de « violence », bien que pouvant être laissée à la sensibilité de chacun, doit être définie dans le cas de la recherche scientifique si on la propose comme pertinente pour  parler des jeux vidéo. Est-ce un type de contenu ? Un ensemble de représentations ? Les modalités selon lesquelles ces représentations sont données à être perçues (fréquence d’apparition, espace sur l’écran, volume sonore, étalement dans le temps de jeu)…? Un type d’interaction proposé au joueur ? Ainsi en est-il des jeux vidéo comme des autres objets auxquels on peut appliquer une démarche sceptique : il faut s’assurer de l’existence d’un phénomène (en proposer des éléments reconnaissables, une définition, une méthode de mesure) avant de chercher à se questionner sur ses effets ou ses conséquences.

Chercher à en rendre compte, en ayant conscience de ne pas pouvoir le retranscrire parfaitement, intégralement et directement : c’est cette attitude à l’égard du réel, et cette démarche méthodologique qui fonde la méthode scientifique[4].

L’idée selon laquelle les jeux vidéo font partie du monde réel, en dépit du fait qu’ils sont généralement compris comme représentant des « mondes virtuels », est un caractère qui doit pouvoir fonder une forme de reproductibilité des expériences. Effectivement, les jeux vidéo sont basés sur un certain nombre de mécaniques, et il est possible d’isoler ces mécaniques, de les identifier et d’en faire plusieurs fois l’expérience, une fois le cadre conceptuel et méthodologique posé. Certains mécanismes demandent parfois, pour être pleinement identifiés et compris, d’être exécutés selon un degré de perfection qui demande de la pratique, et donc, qui réclame qu’une expérience soit réitérée, parfois par plusieurs joueurs-observateurs indépendants, et dans des conditions identifiées (Di Filippo 2012). Les jeux vidéo étant eux-même des systèmes réglés, la démarche que l’on peut mettre en oeuvre pour les comprendre reprend les mêmes prémisses que l’exploration scientifique du monde réel :  le monde réel comme le monde du jeu fonctionnent d’après des règles, qui existent en dehors de notre représentation; règles que l’on se propose de connaître en les soumettant au test expérimental_[5].

Du discours de valeurs au discours de faits

On peut constater que les discours sur le jeu vidéo sont nombreux, variés, et que leur nature varie même selon les supports sur lesquels ils se trouvent : le monde de la presse quotidienne et généraliste fait ses gros titres sur les enjeux économiques et sociaux, voire sociétaux, de la pratique vidéoludique (les liens réels ou supposés entre violence et jeux vidéo), la sphère des vidéastes de YouTube s’épanouit dans les sessions de jeu commentées (let’s play) ou la critique (review). Ceci reste à nuancer : il existe des vidéastes qui s’attachent à vulgariser les études théoriques sur le jeu, quelques journaux spécialisés accordent des articles de fond sur le jeu vidéo, parfois richement documentés, et de grands quotidiens peuvent réserver un encart où traiter des actualités et des débats sur le monde du jeu vidéo[6]_. Parler de jeu vidéo, de manière assez courante, peut-être l’initiative de journalistes et/ou de joueurs, d’amateurs ou de professionnels, mais n’est pas encore l’apanage de scientifiques. Pour être plus exact : d’individus se reconnaissant dans la démarche qui porte ce nom, en mettant en œuvre ses principes. Cela est certainement dû au fait que sur ce qui serait le marché des discours sur le jeu vidéo, certains sont plus valorisés et demandés, du fait de la nature commerciale de l’objet : consommateurs comme producteurs peuvent être davantage intéressés par des discours portant sur la qualité des produits, afin de s’informer sur les tendances actuelles en terme de goût, et faire correspondre une offre à ce qu’ils perçoivent comme étant la demande en terme de jeux.

En effet, aussi éclairés et érudits qu’ils soient, nombre de ces discours demeurent orientés quant à leurs buts : montrer les qualités reproductibles des jeux et éviter d’en reconduire les faiblesses (pour les créateurs), mettre en lumière ce qui fonde l’opinion publique sur eux (pour la presse généraliste), les critiquer et guider le joueur vers des opus choisis (pour les testeurs et joueurs). Reste-t-il de la place pour un discours qui se veuille scientifique ? Quel serait la nature d’un tel discours ?

Avant tout, il se voudrait à la recherche de connaissances documentées, sourcées, mais surtout objectives et non relativistes. A la différence de l’opinion commune qui voudrait que tous les goûts sont dans la nature et que tous les avis se valent (pour peu qu’ils soient des avis un tant soit peu éclairés), la science ne se satisfait pas seulement de la critique d’objets individuels en tant que tels, mais cherche à formuler des théories, c’est à dire des schémas explicatifs du monde réel, qui puissent dans une certaine mesure avoir une valeur prédictive ou reproductible, et qui met en cohérence des éléments du réel. Ainsi peut-il en être de la grille d’analyse de la contingence dans les jeux vidéo proposée par Thomas Malaby (Malaby 2007). Pour identifier les différentes modalités d’apparition du jeu, cette approche se base sur des éléments identifiés et caractérisés, puis met ces éléments en cohérence entre eux en les inscrivant dans un cadre explicatif, cadre qui peut ensuite être appliqué sur, sinon tous, en tout cas un nombre conséquent d’autres jeux vidéo.

De quelle science s’agit-il au fond ? Car même si les jeux vidéo sont fondamentalement des logiciels, ils ne peuvent plus être lus et compris seulement à partir de l’informatique et de sciences dites « dures ». Ils sont aussi des supports de création multimédia qui autorisent des lectures à partir de concepts issus de l’analyse cinématographique, de la théorie littéraire ou des arts graphiques.

Le jeu vidéo comme objet de scepticisme ?

Au terme de ce survol, il convient d’amener en conclusion ce qui est une prémisse au raisonnement scientifique : les jeux vidéo sont des objets rêvés pour le scepticisme. La première étape de la démarche scientifique, ce peut être de reconnaître que l’on fait face à un monde complexe, contenant des créations non moins complexes, qui ne peuvent êtres décrites à l’aide d’explications monocausales (de même que toute création humaine) et que pour pouvoir l’approcher et le comprendre un peu mieux il ne suffira pas de s’en remettre à sa seule perception, à ses préconceptions ou ses expériences personnelles. En somme, le jeu vidéo en tant que domaine d’étude demeure travaillé par des problématiques de définition et de circonscription. Alors que l’on questionne les rapports entre réalité et fiction pour parler des phénomènes ludiques, entre développeur et joueur en ce qui concerne la création du sens dans une œuvre vidéoludique ; il convient de faire preuve de scepticisme d’autant plus que cet objet peut nous amener à faire évoluer nos conceptions traditionnelles, par exemple, de ce qu’est un objet de communication (Genvo 2006).

Parce que le champs des game studies –ou sciences du jeu, dont une frange seulement s’intéresse au jeu vidéo- est encore jeune, il invoque dans le cadre de son travail des paradigmes, des grilles de lectures et des concepts issus de champs extrêmement divers : qu’il s’agisse de lire les jeux comme « architecture narrative » (Jenkins 2002), faisant appel à des notions d’urbanisme (Lynch 1960), à la théorie littéraire (Bouchardon 2008), à l’informatique (Raessens 2011), aux sciences de l’éducation et aux humanités (Wainwright 2014)… Du point de vue du chercheur, les sciences du jeu sont encore un grand lieu de convergence, heureusement ouvert à de nombreuses disciplines qui viennent l’enrichir, mais parmi lesquelles peuvent se glisser des constructions conceptuelles qui n’ont pas entièrement, voire pas du tout, donné la preuve de leur scientificité. On peut voir  ainsi émerger des lectures psychanalytiques des jeux vidéo, qui peuvent être alors considérés comme des outils pour l’examen ou la résolution des troubles et conflits dans l’inconscient d’un individu, inconscient défini comme un réservoir des traumatismes dans la tradition freudienne(Tordo 2012). Lorsqu’il s’agit pour les chercheurs, professionnels ou non, en théorie du jeu comme ailleurs, de produire une connaissance sur un objet, ils doivent être capable de justifier des cadres d’analyse et des concepts utilisés. Ce qui est en jeu, c’est assurément le peu de qualité des travaux qui peuvent en résulter voire, dans le pire des cas, une dépréciation de l’objet d’étude, que l’on pourrait alors croire juste bon à être livré aux pseudo-sciences_.

Conclusion

Au final, il apparaît que les jeux -et plus particulièrement les jeux vidéo- ont à gagner à faire l’objet d’une approche scientifique. Une telle approche permet notamment de les aborder en ne se tenant pas à la seule critique de leurs qualités ludiques et artistiques_, mais d’aller plus loin en proposant de tenir sur ces productions un discours de faits. Cette distinction est essentielle dès lors que l’on nourrit le projet, avec les sciences, de rechercher une forme de connaissance objective sur le monde réel.

Accepter de pouvoir traiter les jeux vidéo à l’aide de la méthode scientifique n’est pas une tentative opportuniste de la part de la science, qui serait comprise comme communauté arriviste, conservatrice et élitiste, pour retrouver du crédit (populaire) ou même des crédits (de recherche). Il ne s’agit pas pour ceux qui seraient des « trouble-fête » d’arracher un « jouet » des mains des joueurs, ni de « désenchanter » -critique récurrente adressée à la démarche scientifique- ce qui demeure encore un objet d’émerveillement et d’amusement pour nombre de gens.

C’est simplement considérer que le jeu vidéo et les phénomènes liés à lui sont réels, au sens qu’ils font partie de notre réalité et que nous les appréhendons comme tels_. C’est constater qu’ils sont des créations de l’esprit humain qui peuvent être, au même titre que n’importe quelle autre création, examinées avec méthode par ceux qui nourrissent le projet de les comprendre. C’est se proposer enfin de se lancer dans une démarche exploratoire qui a ses objectifs et ses règles, effectuer « un déplacement d’un système réglé vers un autre » (Di Filippo 2012). C’est au final « jouer un jeu » qui s’appelle la science. ■

Julien Bazile, 2016

Bibliographie

Articles et ouvrages

  • Bouchardon, Serge. 2008. “Le Récit Littéraire Interactif : Une Valeur Heuristique.” Communication Et Langages 155 (1): 81–97.
  • Buzy-Christmann, Delphine, Laurent Di Filippo, Stéphane Goria, and Pauline Thévenot. 2016. “Correspondances Et Contrastes Entre Jeux Traditionnels Et Jeux Numériques.” Sciences Du Jeu, no. 5 (February). doi:10.4000/sdj.547.
  • Caillois, Roger. 2006. Les Jeux Et Les Hommes: Le Masque Et Le Vertige. Ed. rev. et augm. Paris: Folio.
  • Di Filippo, Laurent. 2012. “La Dichotomie Chercheur-Joueur Dans La Recherche en Jeu Vidéo: Pertinence Et Limites.” La Position Du Doctorant. Trajectoires, Engagements, Réflexivité, 171–92.
  • Genvo, Sébastien. 2006. Le Game Design De Jeu Vidéo. Approche Communicationnelle Et Interculturelle.
  • Jenkins, H. 2002. “Game Design as Narrative Architecture.” ResearchGate 44 (January).
  • Lynch, Kevin. 1960. The Image of the City. 1st ed. Cambridge, Mass.: The MIT Press.
  • Malaby, T M. 2007. “Beyond Play: a New Approach to Games.” Games and Culture 2 (2): 95–113. doi:10.1177/1555412007299434.
  • Raessens, Joost, ed. 2011. Handbook of Computer Game Studies. First paperback ed. Cambridge, Mass.: MIT Press.
  • Schmoll, Patrick. 2011. “Sciences Du Jeu : État Des Lieux Et Perspectives.” Revue Des Sciences Sociales, no. 45.
  • Tordo, Frédéric. 2012. “Psychanalyse De L’action Dans Le Jeu Vidéo.” Adolescence 79 (1). GREUPP: 119–32. doi:10.3917/ado.079.0119.
  • Trepanier-Jobin, Gabrielle. 2016. “Differentiating Serious, Persuasive, and Expressive Games.” Kinephanos, April, 107–28.
  • Wainwright, A Martin. 2014. “Teaching Historical Theory Through Video Games.” The History Teacher 47 (4): 579–612.

Vidéos

Notes de Bas de page

 [1] L’édition originale date de 1958.

[2]  Voir la définition proposée par Guillaume Lecointre dans sa conférence de 2009, citée en référence.

[3]  La réalité des phénomènes liés au jeu vidéo est discutée plus bas. Voir Espen Aarseth sur le ludoréalisme.

[4]  Au sujet des caractéristiques de la méthode scientifique, consulter : Chalmers, Alan Francis, and Michel Biezunski. 1990. Qu’est-Ce Que La Science? Récents Développements en Philosophie Des Sciences: Popper, Kuhn, Lakatos, Feyerabend. Paris: Librairie générale française.

[5]  Bien que les règles des jeux ne soient évidemment pas similaires aux « lois de la nature » (les premières sont les seules, jusqu’à plus ample informée, à résulter d’une création), les deux types de règles sont théoriquement constantes dans les univers dans lesquelles on les retrouve. Mais il est à noter qu’il existe toutefois des jeux dans lesquelles les règles sont amenées à évoluer : la discours scientifique ne cherche alors plus à rendre compte du fonctionnement des règles, mais va expliciter les raisons de leur caractère évolutif. De surcroît, les modalités de leur évolution peuvent être elles-mêmes réglées.

[6]  Le journal Le Monde, dans sa version en ligne, propose du contenu sur le numérique et le jeu vidéo  : http://www.lemonde.fr/pixels/.