Catégorie : Recherches

  • Thèse, Année 1.

    Thèse, Année 1.

    Ca y est. Ma première année de thèse est terminée. Le début de la fin. C’est donc un moment intéressant pour faire le point sur mes recherches, mes projets et mes difficultés. Il se trouve que j’écris cette introduction après avoir rédigé cet article. En effet, celui-ci est particulièrement décousu. Je l’avais commencé pour une communication puis je l’ai poursuivi pour faire un bilan de l’année 2017. C’est pourquoi je prends le temps d’écrire maintenant cela : afin d’avertir le lecteur du changement de registre que j’effectue progressivement dans cet article. Nul doute qu’in fine, cela me fera rire. Bonne lecture !

    L’avancée de mes recherches

    La question de l’impact des jeux vidéo est récurrente dans les recherches portant sur cet objet.  Zagal (2010) revient dessus en expliquant que ce débat a lieu entre les tenants de la catharsis et les tenants de l’apprentissage social. Les premiers rejetteraient alors leur existence à travers des discours plus ou moins véhément. Les seconds considèrent ces objets comme des systèmes de représentations qui sont portés aux joueuses et joueurs. Dans le cadre de mes recherches, je considère les jeux vidéo comme les supports de discours et de représentations. Ainsi, l’une des hypothèses que je soutiens dans mes travaux est que les jeux vidéo peuvent être considérés comme des situations d’apprentissage et des supports d’apprentissage. J’aborde donc la question des impacts par la façon dont on apprend en jouant. Je cherche donc à modéliser les approches pédagogiques volontairement ou involontairement mobilisées dans la façon de game designer, c’est-à-dire de structurer, un gameplay. Pour cela, je rapproche le concept d’aire intermédiaire d’expérience (Winnicott, 1975) mobilisée par Genvo notamment pour décrire la situation de jeu (2013) de la zone proximale de développement de Vygotsky (1934). Cette dernière correspond au moment durant lequel, lorsqu’il est accompagné, un individu peut atteindre les objectifs qui ont été fixés.  Dès lors, le game design apparait comme un outil permettant au game designers et game designeuses de situer le ou la joueuse dans sa zone proximale afin d’atteindre un objectif donné. Je fais donc l’hypothèse qu’en observant le game design, il m’est possible de modéliser les différentes approches pédagogiques. Je catégorise alors les séquences de jeu en événements d’apprentissage-enseignement selon le modèle de Poumay & Leclerc (2008). Par exemple, il peut s’agir d’une situation d’apprentissage par exercisation. Dans ce cas, on peut supposer la volonté du game designer.euse à susciter l’acquisition d’un réflexe chez le ou la joueuse. Au contraire, s’il s’agit d’une situation d’apprentissage par exploration, alors le ou la joueuse sera plus libre dans les messages et les conclusions qu’il ou elle peut tirer d’une séquence de jeu.  En catégorisant de cette façon les situations rencontrées, il me semble possible de situer la façon dont le discours d’un jeu se présente aux joueuses et joueurs. Ainsi, mes travaux sont à la croisée de la discussion entre les persuasive games de Bogost (2006) et les expressive games de Sébastien Genvo (2016). Trépanier-Jobin (2016) voyait une limite à l’utilisation de ces concepts de manières exclusives, si c’est l’un ce n’est pas l’autre, puisqu’elle considérait alors que la distinction se faisait à partir des intentions des auteurs autant chez Bogost que chez Genvo. Il me semble possible de résoudre ce dilemme avec la méthodologie et la focale que je propose en observant les situations d’apprentissages composant les jeux vidéo. Dès lors, persuasive ou expressive ne seraient plus des genres se rapportant à l’éthos d’un jeu, c’est-à-dire la façon dont il présente son discours par son game design. Au contraire, ceux-ci seraient deux extrême d’un même continuum et ne se rapportant plus à un jeu dans son entièreté mais plutôt à des objectifs pédagogiques définis a posteriori par un ou une observatrice.

    A travers cette proposition de modélisation, je compte retranscrire ce que des joueuses et des joueurs observent des jeux auxquels ils et elles jouent mais c’est un pan de mon travail que je n’ai pas encore pu entamer et que je compte faire cette année. L’intérêt de cela est d’observer les apprentissages observés en jouant.

    Corpus & pistes de terrains

    En parallèle de ce travail, j’ai démarré en 2017 une première méthodologie de terrain qui consiste au recueil de témoignages puis à leur traitement. Un premier appel à témoignage intitulé « Les Madeleines Vidéoludiques » m’a permis de réunir 14 témoignages écrits de joueurs. Il s’agissait dans cet appel de traiter du sentiment de nostalgie. Aujourd’hui, je prépare un appel sur un autre sentiment. La raison de ces recueils est que je m’intéresse aussi à la façon dont le fait de susciter un sentiment par rapport à quelque chose représenté dans un jeu vidéo peut venir modifier un système de représentations. Un exemple concret de cela peut-être le regret que l’on ressent du fait d’une action commise sur le monde. En ce sens, dans la veine des travaux de Frome (2006) à propos des émotions dans les jeux vidéo mais aussi des travaux de Barnabé et Delbouille (2017) à propos de l’agentivité des joueurs et joueuses. Dès lors, j’essaie d’observer les modifications de comportements et de systèmes de représentations et ce, par les sentiments que le game design nous suscite. J’essaie de faire une passerelle entre cela et les situations d’apprentissages que j’ai déjà présentées en faisant l’hypothèse suivante : un événement d’apprentissage suscite une émotion aux joueuses et joueurs en tant qu’agent et c’est par le biais de cette émotion suscitée qu’une modification du comportement peut s’opérer. L’émotion qui m’intéresse le plus et sur laquelle je pense que je me focaliserai à terme est le regret. Cette émotion a déjà été relevée par des auteurs issus des sciences académiques comme des journalistes, etc. Le regret est une émotion forte qui invite le ou la joueuse à adopter une attitude réflexive vis-à-vis de ce qu’il a commis en tant qu’agent agissant sur un monde représenté (la diégèse du jeu). On peut évoquer les célèbres scènes de Metal Gear Solid 3 lorsque le ou la joueuse doit abattre The Boss, la révélation de Sans dans Undertale (2015) à propos des « EXP » et des « LV ». Je pense qu’un troisième appel verra le jour entre 2018 et 2019 mais cette fois sur une émotion plus proche de l’empathie si ce n’est l’empathie elle-même. Ces terrains ont une dimension exploratoire particulièrement intéressante. En effet, ils permettent de constater, à travers divers témoignages, des formes d’impacts que les joueurs et les joueuses ont pris le temps de formuler et matérialiser à travers un texte. Les « madeleines vidéoludiques » montrent particulièrement la façon dont un jeu vidéo, ou du moins une expérience liée au jeu vidéo, peut marquer significativement le ou la joueuse et ce, sur une période de temps très longue. A travers un nouvel appel sur le regret, je suppose que des changements de comportements dans et hors les jeux sont possibles et dus à cause d’un phénomène ou d’un événement dans la diégèse du jeu et observable par le ou la joueuse. Autrement dit, je fais une hypothèse relativement typique puisqu’elle s’intègre dans une forme d’apprentissage social et plus généralement dans une pensée socioconstructiviste de la pédagogie. L’intérêt de cette appel, comme pour les « madeleines vidéoludiques », sera d’observer des joueuses et des joueurs dresser des liens de causalité entre leurs comportements et leurs systèmes de représentations aujourd’hui comme issus en partie de leurs sessions de jeu. Le regret permet aussi de potentiellement observer non pas des renforcements dans les comportements mais plutôt des contradictions, des changements et des revirements. Plus intéressant encore peut être l’observation de regrets sans modifications a posteriori du comportement mais en observant un questionnement autour des représentations. Inversement, il peut se produire des situations durant lesquelles les systèmes de représentations se modifient sans que les joueurs et joueuses modifient leurs comportements. Dans ces derniers cas, il faudra alors demander s’ils et elles ont une démarche réflexive sur cela et comment ils et elles le vivent ? Ainsi, il apparait que ces « recueils » deviennent une partie des terrains que je souhaite mobiliser pour mes travaux de thèse. J’ai bien conscience qu’il s’agit d’un stade très exploratoire. De même, j’ai aussi conscience des biais qu’ils impliquent. Il y a une dimension endogamique certaine que je n’ai pas encore réussi à dépasser. La réalisation d’une vidéo de lancement pour le prochain appel sera peut-être l’occasion d’observer plus d’hétérogénéité dans les réponses en termes de profils de joueurs et de joueuses.

    Je pense avoir maintenant fait le point sur les terrains que je vais réaliser via internet et les réseaux sociaux. Ceux-ci ont un attrait pour moi puisque cela me permet de constater des situations informelles de jeux et durant lesquelles je ne suis pas présent en train d’observer via une forme d’observation participante comme Adrienne Shaw l’a fait par exemple en allant chez ses enquêté.e.s (2015). Une critique de ce travail est d’ailleurs le fait que je n’observe pas directement les choses et que je me repose sur des témoignages, ce qui a probablement le pire niveau de scientificité. Pour palier cela, j’ai tout de même tenté la mise en place d’un jury pour analyser les textes qui m’ont été soumis lors du premier appel. Il n’a pas très bien fonctionné mais les membres du jury ont pu lire les textes et répondre à un questionnaire afin de définir la pertinence des écrits par rapport au sujet, savoir s’ils étaient véritablement réflexifs ou s’il y avait des hors-sujets empêchant leur usage en tant que terrain. Pour les prochains appels, je proposerais quelque chose de bien plus abouti à ce niveau.

    Par ailleurs, je compte aussi mener des terrains en situations formelles de jeu et les impacts que l’on pourra observer dans ces situations. Pour cela, je suis en train de monter des projets pédagogiques mobilisant des jeux et des jeux vidéo. L’intérêt sera dans ce cas de véritablement observer les personnes en train de jouer en groupe mais aussi de prendre en compte mon propre impact cette fois en tant qu’accompagnateur sur la situation de jeu. Normalement, je ne serais pas seul sur ces projets, c’est pourquoi il sera possible de mettre en place une réelle méthodologie d’observation. Je pense emprunter à l’anthropologie et les méthodes d’observations participantes mais pour cela, j’ai encore besoin de lire et de me former à ce sujet.

    Les projets annexes

    Au niveau des projets annexes, j’espère un jour avoir le temps de travailler un référentiel de compétence pour les joueuses et les joueurs de jeux vidéo. Ce travail repose sur l’approche de Jacques Tardif (2007, 2017) et sa définition de la compétence : un savoir-agir complexe mobilisant et combinant des ressources internes et externes au sein d’une même famille de situation. Ce travail répond à une interrogation qui me suit depuis que j’ai commencé à travailler sur les jeux vidéo, lire d’autres travaux et voir des contenus sur internet : à quel moment peut-on dire que nous sommes compétents pour parler des jeux vidéo ? Cette question peut sonner pédante et élitiste mais n’en reste pas moins valide. Plus généralement, je pense qui mieux formulée, cela donnerait : comment définir les compétences vidéoludiques ? L’intérêt que je vois ici serait de proposer autre chose que les modèles habituels de « types de joueurs et de joueuses » telle que la taxonomie de Bartle par exemple. Cela pourrait avoir un intérêt. Peut-être que cela pourra offrir un nouvel éclairage et une nouvelle compréhension de la réception d’un message en fonction des différents profils de joueuses et joueurs.

    Enfin, il apparait que pour dépasser les classifications des joueuses et joueurs, il me semble pertinent d’interroger les différentes compétences qu’ils et elles développent au fur et à mesure de leurs sessions de jeu. Ainsi, plutôt que d’avoir des modèles théoriques limités par des temporalités : les alternances de profils dans l’avancement d’une partie entre autres, observer les compétences des joueurs et joueuses me permet de raccrocher à mon interrogation initiale qui porte plutôt sur ce que le « contexte pragmatique » définit.

    Difficultés et conclusions

    Voilà pour cette année relativement dense. Il apparait que je n’ai pas pu maintenir de nombreux rythmes tout au long des mois. J’ai dû abandonner certains projets (la numérisation de Henriot notamment), en décaler d’autres. Je n’ai pas assez lu, je rattrape comme je peux certains livres que j’aurais dû lire bien plus tôt. De même, je commence à ressentir maintenant l’insuffisance de mes connaissances et compétences en anthropologie. Vu le nombre de pistes que je lance et obtiens, il apparait que je vais devoir devenir bien meilleur dans ce domaine pour la suite. Il va aussi falloir que je diminue le rythme de propositions que je fais à droite à gauche sur un peu tout et n’importe quoi : papiers, communications & formations. En janvier 2018, j’ai deux papiers à envoyer, une formation à donner et deux communications. C’est beaucoup trop et cela m’a causé beaucoup de stress. De plus, il faut aussi que je me ménage du tout pour mon travail. Et oui, n’ayant pas de bourse d’étude, il me faut bien vivre comme la majorité des doctorants.

    2018 semble donc une année de bonnes augures. Je vais normalement bouclé les terrains en situations formelles de jeux et je pourrais, grâce à ma présence sur les réseaux, compléter des corpus et réaliser des enquêtes. Je ne me sens pas trop stressé pour cela, je suppose que c’est une chance par rapport à d’autres doctorants. Les récents événements que j’ai vécu sur internet me font réfléchir de plus en plus sur ma posture de blogueur-doctorant. Il apparait que celle-ci est bien plus complexe que prévue. De fait, je compte bien plus rédiger à ce propos cette année. Je pense que méthodologiquement, cela sera pertinent.

     

    Ce texte a connu une rédaction plus qu’étrange. Si au début, il s’agissait d’un support de communication pour une intervention, il s’est transformé en état des lieux de mes recherches pour au final nommer les difficultés que j’ai rencontrées et rencontre. Il est plus que temps d’y mettre en terme en vous souhaitant une bonne année. ■

    Esteban Grine, 2018.

     

  • Lorsque les joueuses et les joueurs devinrent autrices et auteurs

    Lorsque les joueuses et les joueurs devinrent autrices et auteurs

    Lorsque les joueuses et les joueurs devinrent autrices et auteurs : signatures et citations de comportements ludiques

    Dans le cadre d’un numéro d’une revue qui se prépare, nous souhaitons écrire avec Jok un article qui porte sur les phénomènes de signatures et de citations des comportements qui ont lieu en jouant à des jeux vidéo et entre joueur.euse.s. En effet, Fanny Barnabé, dans ses travaux de thèses mais aussi dans des communications, a travaillé sur les détournements possibles avec les jeux vidéo. Dans une communication donnée à Ludovia en 2014, elle questionnait les speedrunneurs et leur potentiel statut d’auteurs (Barnabé, 2014). D’autres personnes ont aussi ces réflexions notamment ici. Nous proposons de poursuivre ces travaux en élargissant aux superplayers mais aussi à toutes les formes d’expression se faisant dans et avec les jeux vidéo. Si certains termes sont ici galvaudés, je souhaite préciser que le travail final se voudra bien plus respectueux à l’égard des concepts et des personnes ayant déjà travaillé sur ce sujet.

    Le jeu vidéo, par sa double nature de comportement et de fiction (Juul, 2006), nous invite à questionner qui est l’auteur du déroulement des récits qu’il propose. Bien que le fait de mobiliser la notion d’interactivité comme élément distinctif des jeux vidéo par rapport à d’autres médias soit discutable, il semble malgré tout que leurs créateurs s’attachent particulièrement à illustrer cela comme une spécificité de ce médium. De facto, de nombreux éléments et marqueurs présents et directement observables font des jeux vidéo des objets particulièrement intéressants à étudier lorsqu’il s’agit de questionner qui sont les auteurs des récits qu’ils proposent. La question à laquelle nous souhaitons donc apporter des éléments de discussion est la suivante : qui sont les personnes qui sont auteurs ou autrices des actes et des comportements apparaissant en parcourant le récit d’un jeu vidéo.

    Une première lecture de ce dilemme serait alors de penser les game designers comme les véritables créateurs de ces jeux. Ils définissent une structure et attribuent des rôles définis aux joueuses et joueurs. Ces derniers ne sont alors que des rouages d’une mécanique plus ou moins bien huilée. C’est plus ou moins le postulat formulés par les plus revêches des ludologues bien que cela rentre en contradiction avec les intentions initiales de Gonzalo Frasca lorsqu’il employa cette appellation pour la première fois (Frasca, 2003). Malgré tout, il apparait que les discours mettant en avant les développeurs et les game designers en tant qu’auteurs ont permis de légitimer les jeux vidéo en tant qu’objets culturels. Pour notre proposition, nous souhaitons prendre le contrepied de cette théorie sans la renier ni la critiquer.

    En effet, d’autres ont déjà disserté sur ce sujet et nous souhaitons faire un pas de côté pour interroger le joueur ou la joueuse non pas comme un lecteur-modèle (Eco, 1985) mais comme un.e auteur.ice. En ce sens, nous excluons le statut d’objet culturel, d’œuvre afin de développer notre pensée. Dans cet article, nous souhaitons observer qu’une seule facette du jeu vidéo, à savoir sa nature de jeu au sens exprimé par Juul (2006). Pour observer cela, nous allons mettre en avant des phénomènes qui permettent de penser la chose en ce sens. Des exemples simples peuvent immédiatement être exprimés : système de highscores et leaderboards sont de cas durant lesquels les joueurs et les joueuses sont reconnu.e.s pour la façon dont ils se sont comporté.e.s. Par ailleurs, nous nous focaliserons aussi sur les communautés de speedruns et de productions de contenus culturels autour des speedruns. En effet, il est fréquent qu’un ou une speedrunneuse cite un ou une autres joueuses pour avoir découvert un trick ou une technique particulière. De facto, il y a déjà des pratiques effectives qui permettent de penser les joueuses et les joueurs comme des autrices et des auteurs.

    Ce papier aura pour objectif d’explorer ces axes que nous proposons tout en proposant qualifiant les productions des joueurs et joueuses sans pour autant leur attribuer un rôle qui minimiserait le travail des game designers et des équipes créant effectivement la structure du jeu.

    Bibliographie indicative

    Barnabé, F., 2014. Le speedrun : pratique compétitive, ludique ou créative ? Trajectoire d’un détournement de jeu vidéo institué en nouveau game.
    Cayatte, R., 2016. L’appropriation de contenus vidéoludiques : les mondes possibles du jeu vidéo. http://www.revue-interrogations.org.
    Hughes, M.J., 2017. What motivates the authors of video game walkthroughs and FAQs? A study of six GameFAQs contributors. First Monday 23. https://doi.org/10.5210/fm.v23i1.7925

    Explications et Inscriptions

    Voilà pour la présentation du projet de travail, maintenant, vous vous demandez peut-être pourquoi j’écris tout cela ?

    Avec Jok, nous souhaitons écrire de manière ouverte et collaborative cet article. Nous allons avoir à peu près 30 000 signes pour développer une pensée commune sur le joueur.euse – auteur.ice. Cela veut donc dire que tout intervention est accueillie chaleureusement !

    Si vous souhaitez contribuer à un papier scientifique, à titre d’une première expérience parce que vous souhaitez faire de la recherche plus tard, ou tout simplement parce que oui, la recherche, ensemble, c’est vraiment amusant. Jok et moi vous proposons donc de vous inscrire en remplissant le formulaire ci-dessous. Seules les personnes ayant rempli le formulaire auront accès aux documents et seules les personnes ayant effectivement rédigé seront mentionnées dans le papier final qui sera publié dans la revue Le Pardaillan pendant l’année 2018.

    Il y aura des ateliers d’écritures durant lesquels Jok et moi coordonnerons les actions de chacune et chacun. Le parcours est plutôt bien balisé, nous savons à peu près où nous souhaitons nous diriger mais, les références, les auteurs, les exemples, tout cela proviendra de nous en tant que communauté rédactrice d’un seul et unique document final.

    Attention, il faudra donc que vous soyez disponibles lors des ateliers d’écritures. L’organisation de la rédaction se fait un peu comme une jam ! Bonne ambiance et sérénité pour écrire quelque chose de scientifiquement solide.

     

     

  • Jouer à voler – Breath Of The Wild X Fugl X Aer

    Jouer à voler – Breath Of The Wild X Fugl X Aer

    Cette année, je me suis particulièrement focalisé sur des jeux mettant en avant des mécaniques de vol. Plus précisément, c’est surtout cette fin d’année qui m’a étonné puisqu’en quelques mois, à peine deux, j’ai joué à Fugl, AER et Zelda Breath Of The Wild. En parallèle, j’ai découvert grâce à la chaîne d’ « Un Bot Pourrait Faire Ça » le jeu Copoka et par la chaîne de Seldell le jeu Superflight. Etrangement, nous voilà déjà avec un corpus particulièrement intéressant car d’actualité. Alors, certes, nous pourrions très bien nous plonger dans les méandres de l’histoire des gameplays autour de cette mécanique en nommant d’autres jeux comme Mario 64, Sonic & Tails (& Knuckles)[1] mais je vais principalement me concentrer sur les 3 premiers jeux auxquels j’a joués.

    En effet, « voler » a toujours fait partie de l’histoire des jeux vidéo. Je ne prendrais donc pas le temps de retracer un historique puisque SpaceWar! (1962) m’offre déjà une preuve et la non nécessité d’être exhaustif ici ; que les jeux mettant en scène Mario propose à partir de la version occidentale de Doki Doki Panic (1988) propose cela ; que Superman 64 reproduit honteusement cette mécanique. Bref, nul besoin de cela pour l’exercice que je réalise aujourd’hui.

    Cependant, il convient malgré tout de proposer une définition de cette mécanique du « vol » sur laquelle je vais me concentrer afin de restreindre le sujet aux jeux que je souhaite aborder. Ainsi, je définis ici le gameplay du vol de la façon suivante :

    Un gameplay focalisé sur le vol correspond à la mise en place de règles constitutives (Duflo, 1997) permettant le déplacement plus ou moins libre du ou de la joueuse selon 3 axes directionnels dans le cadre des jeux en trois dimensions et 2 axes directionnels dans le cadre des jeux en deux dimensions et ce, sans obliger l’avatar du joueur à toucher un élément contraignant (un sol, un mur physique) composant le level design ou l’environment design.  

    De manière assez drôle, la définition que je propose ne permet pas de distinguer les situations de vols aux situations de nages. En effet, il me semble impossible de définir cette mécanique uniquement par des éléments ludiques. Il me semble que dans ces cas précis, nous sommes obligés d’intégrer l’importance des représentations graphiques. On peut alors se rapprocher du concept de métaphores expérientielles (Rusch, 2008) pour expliquer la nécessité de la représentation d’un décors nous permettant de comprendre qu’il s’agit bien de voler (et non de nager).

    Aussi, il apparait que les jeux que j’ai sélectionnés ne correspondent qu’à une situation de vol atmosphérique. Je ne cherche donc pas à comprendre ici le game design et le gameplay des situations de vols proposées par exemple dans le dernier Call Of Duty se déroulant dans un futur proche. Cependant, comble de la coïncidence (ou pas), il me semble que BOTW, Fugl et AER sont des parangons de trois philosophies distinctes dans la façon de game designer le vol.

    En premier lieu, il convient d’aborder Breath Of The Wild, non pas parce qu’il propose une mécanique extraordinaire. Au contraire, je trouve BOTW particulièrement banale dans sa façon de designer l’acte de voler. La Paravoile ne se distingue finalement pas véritablement de la feuille mojo de Wind Waker. Ce qui dénote évidemment, c’est l’environnement qui, par son immensité et sa verticalité, nous donne plaisir à utiliser l’objet. Cependant, il convient ici de clairement statuer qu’il s’agit plutôt de « planer ». Dans une certaine mesure, c’est quelque chose de typique dans les jeux vidéo. Par contre, je retiens l’action qui est demandée au joueur. En effet, j’ai eu une assez mauvaise impression de la paravoile et de cette mécanique au début de ma partie sur BOTW. Je trouvais alors particulièrement désagréable de devoir maintenir le stick analogique gauche de ma manette (ou mablette pour ce qui se souviennent de la communication de Nintendo à propos de la Wii U) pour pouvoir avancer. J’ai trouvé cela désagréable jusqu’au moment où je fis le rapprochement avec la barre d’endurance de Link. Alors, tout devint cohérent dans ma réflexion : voler ou planer est un effort et il est nécessaire de la faire signifier au joueur par une action physique. Voici la philosophie principale que j’observe à propos de BOTW. Le fait de planer est un effort et il est important de créer un alignement entre un effort représenté dans le jeu, la barre d’endurance qui diminue, et un effort physique réel de la part du joueur : maintenir le joystick pour avancer. Il s’agit à mon sens d’une philosophie de game design relativement classique mais l’alignement des efforts représentés et réels est devenu pour moi un choix de game design particulièrement intéressant. Par ailleurs, cela aligne cette mécanique avec le reste des objets basés sur divers systèmes de péremption.

    Si Zelda BOTW est le dernier jeu chronologiquement parlant, AER est le premier puisque j’y avais déjà joué à l’Indiecade Paris. Il me semblait cependant important d’aborder Zelda en premier car je considère sa proposition comme la plus typique des trois jeux. AER se distingue de tout ce à quoi j’ai joué auparavant car il fait du vol sa mécanique centrale en jouant sur des phénomènes de transformations qui permettent au joueur ou à la joueuse d’alterner entre des phases en tant qu’humaine et des phases en tant qu’oiseau. Autant dans Zelda que dans AER, c’est la seconde pression du même bouton qui nous fait passer d’un état « au sol » à un état « dans les airs. Ici aussi l’espace et l’environnement joue sur le sentiment de liberté. Première chose notoire, il n’est plus obligé de maintenir un effort pour permettre le vol. Par ailleurs, les décors sont particulièrement épurés. Nous ne faisons que parcourir un monde parcellaire dont les seuls morceaux de terres sont des petites îles. Le plaisir de voler n’est donc pas lié à mon sens à l’évitement d’objets, ou du moins, il s’agit là d’un aspect minoritaire. Au contraire, tout le plaisir de voler est lié au sentiment de vitesse, au fait de transpercer des obstacles comme les nuages mais aussi à frôler d’autres objets comme l’eau. De même, on remarque le cadre qui se détache de notre avatar tout en augmentant le FOV. Cela augmente le sentiment de distance et de vitesse. Dans AER, le plaisir de voler est lié au sentiment de vitesse et au fait de faire de grands mouvements, de belles grandes trajectoires tout en passant à travers des objets. Le plaisir est aussi lié à l’alternance de phases de vol et de chute. Il y a une façon de susciter des formes de vertige dans le gameplay.

    Vient enfin le dernier jeu sur lequel je vais me concentrer : Fugl. Dans ce dernier jeu, tout en voxel, le plaisir de voler n’est ni lié à un effort comme c’est le cas pour Zelda, ni lié au fait de parcourir de longue distance de manière vertigineuse avec AER. Ici, le plaisir de voler s’effectuer par des trajectoires serrées, le fait de naviguer entre les montagnes et de zigzaguer. Même si l’on ne chute pas, il devient intéressant d’imiter certains comportements comme réaliser des piqués, frôler des éléments de l’environnement. Contrairement aux précédents jeux, ce sont les mouvements du joueur qui doivent être rapides. L’utilisation des voxels oblige aussi le ou la joueuse à ne pas fixer son regard sur son avatar mais à aussi observer les décors, vallées inondés, mangroves, cavernes scintillantes en été ou en hiver. Illogismes et incohérences créent alors un monde merveilleux à parcourir avec fougue. Il devient alors intéressant de comparer Fugl et AER. Si les deux nous invitent à observer leur environnement, ils s’y prenne de deux manières différentes. Le premier, par son décor vallonné nous maintient dans la surprise de ce qui va survenir. L’absence de musique et la procéduralité des décors nous invitent à rester en alerte permanente ou du moins, à mobiliser le plus possible notre attention. Le second, par la présence d’une musique et l’absence d’obstacle à éviter nous propose une expérience plus lente. On en vient à plutôt fixer notre regard sur un point à atteindre et qui est assez éloigné de nous. AER se rapproche finalement de ce que propose Zelda BOTW lorsque nous planons à ce niveau.

    A travers ces quelques jeux, je dégage 2 façons de game designer des gameplay liés au fait de voler. Il est évident que j’aurais pu parler d’autres jeux encore. Je pense notamment à Race The Sun qui mériterait que l’on s’y attèle vu la discussion autour des énergies renouvelables qu’il propose. Tout d’abord, Zelda BOTW nous apprend que l’acte de voler peut être contraint dans une temporalité donnée. Cette temporalité prend la forme d’une barre d’endurance dans le cas de Zelda mais des jeux plus anciens comme Mario 64 ou Spyro définissent une contrainte de temps seulement. Avec Fugl AER, j’observe qu’il y a deux grandes philosophie lorsqu’il s’agit de proposer des expériences de vol aux joueuses et joueurs. Premièrement, l’acte de voler peut correspondre au fait d’effectuer des trajectoires longues. L’expérience est alors plutôt lente. Le ou la joueuse ont une vue dégagée, ce qui leur permet de fixer des point d’arrivée très lointain. Entre temps, ils et elles peuvent observer les décors à l’avis. Zelda BOTW et AER s’inscrivent totalement dans cette structure de jeu, le temps long invite le ou la joueuse à se fixer des objectifs sur un moyen ou long terme dans l’acte de jouer. Secondement, l’expérience de voler peut exiger aux joueuses et joueurs de rester en alerte du fait d’un environnement contraint. L’objectif s’inscrit alors dans des stratégies d’évitement. La temporalité du jeu n’inclue pas forcément un point d’arriver. Il s’agit ici pour les joueuses et joueurs de penser et d’être vifs à très court terme.

    A travers ces exemples, je pense constater que quelques petits changements peuvent grandement changer l’expérience finale du joueur en terme. Il ne s’agit dont plus de penser ce phénomène comme unifié puisqu’avec seulement trois jeux, j’ai constaté trois façons distinctes de voler. Il serait dorénavant intéressant de poursuivre ce travail en constituant un véritable corpus de jeu puis en qualifiant le plus précisément les expériences proposées. Un travail d’orfèvre s’ouvre à nouveau devant moi. ■

     

    Esteban Grine, 2017.

     

    Cet article a été écrit pendant la

     

    [1] J’adore particulièrement cette blague dans ce contexte car elle fait totalement sens avec le sujet de cet article.

  • De mes difficultés de chercheur blogueur

    De mes difficultés de chercheur blogueur

    De mes difficultés de chercheur blogueur

    J’ai récemment fait une bêtise en tant que chercheur. Pas une grosse bêtise en terme de visibilité (surtout qu’elle aurait pu être encore moindre sans les réseaux sociaux), mais suffisamment une bêtise pour avoir ennuyé et attristé des personnes que je respecte énormément et auxquelles je tiens : j’ai tout simplement réécrit, paraphraser dans un billet de blog le sujet de thèse d’un collègue. Le billet n’est plus accessible et je n’ai pas l’intention d’étaler ce cas dans le futur. C’est d’ailleurs assez rare que sur mon blog, je m’exprime sur mon activité de doctorant. Voilà donc un moment propice pour écrire sur les difficultés que je peux rencontrer dont une que j’identifie aujourd’hui à cause de cette histoire.

    Dès le début de mes recherches, j’ai fonctionné à cheval entre mes travaux de doctorant et mes travaux de producteur de contenus sur internet. Ma chaîne YouTube n’a d’ailleurs été lancée en 2015 que pour tester mes capacités à travailler de manière régulière sur plus ou moins un même sujet. C’est ensuite, en 2016, que je me suis lancé dans une activité de doctorat. L’histoire que j’ai racontée au début de cet article est révélatrice il me semble d’une difficulté que j’arrive aujourd’hui à identifier : j’évolue simultanément sur deux rythmes (Ah Lefebvre, décidément, tu n’es jamais loin), deux timelines pourrions-nous dire. Et ces deux rythmes ne sont pas synchrones. Cela peut donc amener à des conflits que je cause et que je n’arrive à comprendre qu’a posteriori.

    Le 24 décembre, j’ai donc entamé la rédaction d’un billet de blog et j’ai été épris dans une « écriture passionnée ». Coucher 10 000 signes en deux heures est ce que j’appelle une « écriture passionnée » (je ne regarde alors que la production et me fiche ici de l’intention qui certes peut évidemment être passionnée dans des temporalités bien plus longues). Cela concernait un jeu qui m’a particulièrement retenu ces deux dernières semaines : Breath Of The Wild. Je considère avoir écrit dans l’instant et de manière autarcique dans le sens où je ne me suis soucié de personne lors de l’écriture. Il ne me semblait pas être mal intentionné. Avec du recul, il est bien évident que la réflexion proposée provient de nombreuses discussions que j’ai eues avec d’autres pairs dont la personne concernée que je n’ai pas citée alors que j’aurais dû le faire.

    J’écris aussi ce présent billet plus par besoin personnel que pour être lu. Dès la critique que j’ai reçue, j’ai dû immédiatement faire un effort drastique pour accélérer la phase de colère, puis de déni, puis de négociation pour immédiatement passer au regret et la plus ou moins grande correction partielle de mes bêtises (Kubler-Ross, au moins ta courbe sert à quelque chose de plus utile que de dire que Link est mort). J’ai pu faire cela aujourd’hui. C’est une frayeur d’imaginer que l’inverse peut un jour se réaliser. Je me fiche pas mal de la méthode par laquelle j’ai été contacté car je l’accepte très bien dans d’autres cas mais voilà l’exercice auquel j’ai été confronté pour choisir mes réactions dont la première a été l’incompréhension et la surprise. Que se serait-il passé si j’avais choisi de bloquer les critiques et de maintenir l’article ?

    Cela a été un exercice complexe. En tant que chercheur intégré dans plusieurs communautés de discours, j’ai vu mes contenus repris par d’autres pairs : blogueurs, journalistes, machins et trucs. Je n’ai pas tout le temps été cité en tant que source, ou alors injustement par rapport à d’autres sources (il y a une véritable lecture marxiste à faire en terme de monopolisation de l’espace que certaines sources prennent par rapport à d’autres : pourquoi par exemple, quand on cite deux vidéastes explicitement, on décide de faire de la publicité dans une vidéo que pour un ?). Je n’avais alors vu que le côté du plagié. Aujourd’hui, je me retrouve du côté du plagieur involontaire. J’ai pu corriger du mieux que je pouvais la situation : l’article n’a été en ligne que 30 minutes et je suis allé présenter mes plus sincères excuses à la personne concernée tout en promettant d’être plus sensible aux sujets de recherche des uns et des autres. Voilà une difficulté non négligeable, si en tant que chercheur, je ne m’aventure pas au-delà de mon sujet, en tant que blogueur, c’est la fiesta.

    D’où ma difficulté à avoir le cul entre deux chaises. D’un côté, j’ai une écriture soumise à un rythme et des codes de recherche. C’est-à-dire très long avec de nombreuses barrières de protection. De l’autre, j’ai une écriture libre et sans contrainte. Cela me permet de produire beaucoup de choses mais il n’y a aucun filet lorsque je fais une bêtise. Je suis à cheval sur ces deux rythmes de production. D’un côté, j’essaie de produire des savoirs académiques. De l’autre, j’essaie de produire des savoirs populaires. Je ne fais une distinction ici que par rapport aux différentes communautés de pratiques et de discours. Je ne nivelle donc pas les savoirs et je ne souhaite pas spécialement tenir une discussion à ce sujet.

    Maintenant, voici les dilemmes dans lesquels je me retrouve. Mes activités ne sont pas clairement partagées de manière équitable et chacune de mes identités nourrit l’autre. Mes articles de blog sont une façon de structurer ma mémoire et ma pensée (et parfois d’être réflexif sur ma situation de doctorant), mes recherches sont une façon de proposer de nouveaux axes de réflexions dans mes productions populaires. Par ailleurs, je comprends, plus que jamais, à quelle point la production académique est, à mon sens, dépassée par les productions populaires lorsqu’il s’agit du jeu vidéo. Aujourd’hui, en tant que blogueur, j’ai coupé l’herbe sous les pieds de quelqu’un, hier, j’ai vu des vidéos, excellentes au demeurant, proposant des réflexions similaires voire identiques et des papiers personnels qui seront peut-être publiés dans six mois ou un an. L’exemple de certains vidéastes est alors remarquable. N’y aurait-il pas de nouveaux « Nabokov des Terter » sur YouTube ? En tant que chercheur, je dois alors jongler avec mes pairs mais aussi me démarquer des contenus extraordinaires et qui nourrissent forcément mes lectures de certains jeux. Metal Gear Solid 2 a pris une toute nouvelle coloration une fois que j’ai vu et entendu les propos du vidéaste Super BunnyHop. Et aujourd’hui, sa lecture du jeu est incontournable, même pour le ou la chercheuse qui s’intéresse à ce sujet. De manière personnelle, je dois voir cela non pas comme forcément une forme de lutte, de compétition, mais aussi comme un ensemble de phénomènes merveilleux de coopération : relecture, entraide, citations existantes des un·e·s et des autres, productions collaboratives. C’est vraiment une lecture que je dois embrasser plus que certains réflexes de ma part à tout concevoir comme des luttes de classes.

    La dualité des personnalités qui me sont attachées s’en retrouve dans la signature même de mes articles : Esteban Giner pour une communauté, Esteban Grine pour l’autre. C’est Esteban Grine qui a rédigé un billet nuisant à un pair d’Esteban Giner. Vouloir jongler entre ces deux univers est un exercice difficile auquel je pensais pouvoir me confronter notamment en proposant de vulgariser le travail des autres. Créer des problèmes en tant que blogueur à un collègue chercheur est une chose très désagréable à causer, puis à vivre. Je pense avoir compris cette leçon à présent et tâcherais de ne pas reproduire cela. Cela passe par le maintien de mes deux identités sans laisser l’une prendre le pas sur l’autre comme ce fut le cas avec cette histoire il me semble.

    A défaut de ne rien promettre, je peux au moins signaler que si une personne lisant ce billet considère que j’aurais dû citer une autre personne ou qu’un article ne respecte pas le travail de quelqu’un, elle peut me contacter ici : @EstebanGrine sur twitter soit en public, soit en privé. Je tâcherais de rester transparent peu importe la façon dont on me contacte. Evidemment, je préfèrerais passer en premier par des messages privés (mes DM sont ouvertes) comme je l’ai moi-même déjà fait auprès d’autres collègues pour leur signaler un oubli. Le message, c’est le medium. ■

    Esteban, 2017.

  • Ce que dit le game design des rétroactions en pédagogie

    Ce que dit le game design des rétroactions en pédagogie

    Ce que dit le game design des rétroactions en pédagogie

    Les rétroactions sont un sujet qui interroge aujourd’hui en pédagogie mais il peut être intéressant de faire un pas de côté pour observer la façon dont le design et le game design abordent cette question. Dans cette courte présentation, nous allons donc évoquer quelques objets ludiques et la façon dont ils diffusent des messages, des idéologies et des feedbacks à leurs joueurs.

    Notre premier exemple concerne le jeu Monopoly, jeu initialement nommé The Landlord’s Game d’Elizabeth Magie conçu comme une critique de l’accaparement des Terres. Autrement dit, il s’agit d’une critique de la privatisation des Terres et presque de la pensée de John Locke. Le monopoly dans sa version actuelle par ses mécaniques de gameplay est tout l’inverse. Les règles contenant les différents feedbacks qui doivent être appliqués à la suite des actions des joueurs soutiennent un discours certes capitaliste mais il convient de pousser un peu plus en qualifiant cette forme de capitalisme : à savoir que la seule économie viable est celle des monopoles privés. par ailleurs, il convient de rappeler que les TRC, les règles de jeux et/ou de feedback s’inscrivent dans un contexte contenant des représentations schématisées ou réalistes qui coconstruisent le sens donné aux rétroactions. C’est pourquoi il est intéressant de voir le Paris représenté par le Monopoly :

    Le deuxième jeu que je souhaite évoquer est le trivial Pursuit. Ce jeu est présenté comme le jeu des connaissances or il convient de spécifier cela en énonçant qu’il s’agit d’une ludification d’un système d’évaluation des connaissances. Ainsi, les rétroactions, ou plutôt les inter-réactions qui apparaissent dans le jeu s’ancrent dans une perspective sommative ; il devient donc intéressant de questionner si nous pouvons réellement considérer le Trivial Pursuit comme un jeu ayant une affordance, c’est à dire une capacité à suggérer sa propre utilisation, pour un usage pédagogique. Nous faisons l’hypothèse que ce type de jeux ne favorise pas l’émergence de situations potentielles d’apprentissage. il semble donc important de constater ici le nécessaire alignement entre l’intention, l’objectif, l’approche pédagogique et le type de rétroactions. le trivial pursuit met en exergue justement les incohérences qu’il peut y avoir entre tous ces éléments.

    Notre dernier exemple concerne les jeux vidéo et plus particulièrement un certain type de comportement. En effet, il est important d’observer que lorsque nous parlons de gameplay, nous associons une structure de règles (le game) à un comportement ludique (le play). de part leur structure codée et donc rigide, on peut supposer que les jeux vidéo contraignent fortement le comportement du ou de la joueuse. Or, les game studies acceptent généralement le postulat que plus une situation est contraignante et plus le ou la joueuse fera preuve d’imagination pour se jouer du système. Les exemples les plus flagrants sont notamment contenus dans la pratique du speedrunning. Dans ce cadre, les intentions des game designers ne sont plus respectées et les joueurs mettent en place des logiques et des stratégies de détournement rendant inefficaces les techniques de rétroaction. Le game design et les jeux nous permettent donc de mettre l’accent sur les limites des systèmes et la façon dont les joueurs les exploitent. Les parallèles avec la pédagogie deviennent alors aisément observables. Les rétroactions donnent des indications sur les comportements que les apprenants doivent adopter pour s’assurer une réussite dans le système et ce, en minimisant l’effort effectué.

    A travers nos exemples, nous montrons que le game design peut éclairer notre compréhension des techniques de rétroactions en classe. En effet, les jeux et encore plus les jeux vidéo rationalisent ces processus et les inscrivent dans des situations potentielles d’apprentissage. Ces dernières restent potentielles car en fonction de l’alignement pédagogique mais aussi du contexte pragmatique dans lequel se déroule l’activité de jeu, leur affordance s’en retrouvera soit potentiellement renforcée soit potentiellement diminuée ; ou du moins, les apprentissages ne seront pas identiques.  Le premier enseignement que nous retenons est le caractère constant, obligatoire et  généralement immédiat des formes de rétroactions présentes dans les jeux vidéo. Le second enseignement que nous observons est qu’un alignement est nécessaire entre l’objectif, le challenge et les rétroactions afin de ne pas créer d’incohérence (sauf si cela est voulu) à l’intérieur de la zone intermédiaire d’expérience du jeu (Winnicott, 1971). Il convient donc de questionner et de qualifier autant les rétroactions que les approches pédagogiques dans lesquelles elles s’inscrivent. Le dernier enseignement que nous définissons concerne les comportements et les réponses que peuvent effectuer les joueurs et les joueuses aux rétroactions. En effet, la mise en place d’un système d’évaluations ou de rétroactions invite l’apprenant ayant une attitude ludique (Huizinga, 1938) à tester et analyser les limites dudit système par la mise en place de règles régulatives (Duflo, 1997). Les boucles d’inter-réaction peuvent susciter aux joueurs  de donner un sens nouveau ou plutôt une nouvelle couche de significations à la communication ayant lieu, et ce, sans pour autant que cela soit conscientisé par les autres parties prenantes : le game design dans notre cas, l’accompagnateur ou l’accompagnatrice dans un contexte pédagogique.  ■

    Esteban Grine, 2017.

     

  • Identifier les apprentissages et évaluer les potentiels pédagogiques des jeux vidéo

    Identifier les apprentissages et évaluer les potentiels pédagogiques des jeux vidéo

    Pour citer ce poster : Esteban Giner. Identifier les apprentissages et évaluer les potentiels pédagogiques des jeux vidéo. 39e session d’études de l’Association pour le développement des méthodologies d’évaluation en éducation (ADMEE-Canada), Nov 2017, Québec, Canada. 〈hal-01636221〉

    L’émergence soudaine des jeux vidéo dans la pédagogie remonte au début des années 2000 avec l’apparition de nouveaux mots-valises comme « gamification » et « serious game ». Bogost, pour observer cette tendance ou plutôt ce nouveau genre de jeux, qualifia les jeux contenant un message et dont l’objectif était de convaincre ses joueurs de « persuasive game » (Bogost, 2006). A ce moment, il intégrait dans cette catégorie de nombreux jeux dont les « serious games ». Ces jeux se définissent de la sorte aujourd’hui car ils contiennent des messages soutenus par des institutions. En parallèle de ce nouveau marché qui s’ouvrait pour les développeurs, ce sont développés les jeux indépendants, mot-valise lui-aussi ne faisant que référence à des jeux produits et édité en dehors des entreprises de référence sur le marché : Ubisoft, Blizzard, Activision, etc. Ces jeux indés proposaient pour certains des expériences moins dirigistes pour les joueurs. Par ailleurs, on commence à voir apparaitre des témoignages d’enseignants, tous niveaux concernés, à propos d’apprenants questionnant la véracité des propos tenus dans les jeux à leurs enseignants ou inversement, questionnant les propos du pédagogue en les comparant à ceux des jeux vidéo (Lalu, Vincent, 2017). La question de l’identification des apprentissages et l’évaluation de ces objets culturels n’en est que plus légitimé.

    La méthode que nous proposons a plusieurs objectifs orientés premièrement vers l’éducation au média « jeu vidéo » et secondement, à la détermination de leur pertinence dans un cadre pédagogique plus ou moins formalisé. Ainsi, il s’agit de pouvoir catégoriser les discours et les approches pédagogiques mobilisés par le game designer pour transmettre un message, puisque dans notre cas, le jeu est considéré comme une forme communicationnelle (Bateson, 1977). Par ailleurs, il est aussi nécessaire d’observer la réception de ces discours afin d’évaluer le potentiel pédagogique d’un jeu vidéo.

    Le triangle pédagogique des jeux vidéo

    Dans le cadre de notre proposition, nous pouvons considérer les jeux vidéo comme présentant des situations potentielles d’apprentissages formalisées à partir de la définition de Houssaye du triangle pédagogique. Dans ce cadre-là, l’expérience vidéoludique est considérée comme une forme de communication dans laquelle trois acteurs sont présents : l’étudiant-joueur, le gameplay-savoir et enfin l’enseignant-game design.  Le premier est celui supposé apprendre. Le second correspond à l’ensemble des connaissances contenues dans le jeu. Nous restons volontairement vague à ce sujet puisque nous incluons véritablement l’ensemble des éléments permettant au jeu d’exister (les assets¸ les décors, les mécaniques, le code informatique, etc.). Enfin le dernier est celui qui scénarise l’expérience du joueur. On évoque ici uniquement le game design puisque nous supposons que jouer à un jeu vidéo est une forme de communication asynchrone et intermédiée mais il s’agit surtout du game designer auquel nous faisons référence. Le triangle pédagogique est intéressant dans le sens où celui-ci suppose qu’une relation entre deux acteurs est privilégiée par rapport aux deux autres. En observant le jeu tout comme le joueur, leurs caractéristiques et les contextes, il devient possible d’établir un ensemble de marqueurs pragmatiques permettant d’inférer sur les intentions de chacun.

    Les boucles pédagogiques dans les jeux vidéo

    Dès les premiers ouvrages consacrés au game design, le concept de « boucle » est apparu. Il fait notamment référence aux « boucles informatique » (loop) qui permettent à un programme de répéter un ensemble d’action. La boucle pédagogique que nous proposons est quand-à-elle calquée sur la « boucle de gameplay » qui retient les 3 éléments suivant : un objectif, un challenge et une récompense. Pour notre boucle, nous faisons intervenir cette fois un objectif pédagogique, des éléments de gameplay et enfin une récompense ou une punition. Il est important de comprendre que même si les jeux vidéo peuvent contenir des objectifs pédagogiques formalisés, dans notre méthode, ces objectifs sont déterminés a posteriori par le joueur (le chercheur, l’enseignant ou l’apprenant) et il est nécessaire d’aller observer leur orientation puisqu’en fonction de cette dernière, ils seront différents. Ces objectifs sont alors liés à des éléments vidéoludiques manipulables ou non par le joueur et apparaissant selon une certaine mise en récit de l’acte de jeu par le game design.

    L’événement d’apprentissage-enseignement intervient après, lorsque le joueur manipule les éléments de gameplay et qu’il obtient une rétroaction formalisée dans le jeu par une punition ou une récompense. Cependant, malgré la rétroaction, l’apprentissage n’est pas forcément constatable dans le sens où notre chemin prend en compte la pluralité des contextes pragmatiques (Genvo, 2013). Ce concept prend en compte le lieu et la temporalité dans lesquels l’acte de jouer apparait mais aussi le joueur, son niveau de compétence, sa littératie vidéoludique (c’est-à-dire sa compétence à analyser les jeux vidéo comme des objets culturels, Zagal, 2010) ainsi que son parcours et ses préférences en termes d’expériences de jeux recherchées.

    Ainsi, avec la boucle pédagogique, nous proposons un outil de cadrage permettant de formaliser et d’analyser la façon dont un apprentissage peut apparaitre dans le cadre d’une session de jeu. Cependant, nous rappelons qu’il s’agit là d’une situation potentielle d’apprentissage dont l’apparition prend en compte les éléments que nous proposons. Par ailleurs, cela donne aussi des indices sur quel facteur nous pouvons infléchir en tant qu’accompagnateur ou formateur.

    Qualifier la liberté du joueur dans son apprentissage

    Après avoir formalisé la façon dont un apprentissage potentiel peut apparaitre en jouant à un jeu vidéo, il convient de revenir sur les événements d’apprentissage-enseignement (EAE) puisque c’est à partir de cette grille de lecture que 1/ nous allons pouvoir définir le discours contenu dans un jeu à propos d’un phénomène et 2/ nous allons pouvoir aussi proposer des directions à l’accompagnateur dans la posture qu’il doit avoir dans l’acte de jouer de l’apprenant.

    Pour observer les EAE, nous nous basons sur la grille de lecture proposée par Poumay & Leclerc (2008). Celle-ci est pertinente puisqu’elle nous permet de qualifier les intentions pédagogiques d’un·e game designer à partir du game design. Dès lors, nous pouvons représenter les différentes situations rencontrées par le joueur sur un continuum persuasivité-expressivité. Selon Bogost (2006), un jeu persuasif est un jeu qui contient un message et qui cherche à convaincre (persuader) son joueur tandis que jeu expressif est un jeu proposant des situations permettant aux joueurs d’expérimenter des phénomènes qui ne lui serait pas forcément possible dans sa vie personnelle (genvo,2016). Par exemple, si nous prenons le cas d’un jeu ne proposant que des phases d’exploration, alors nous pouvons faire l’hypothèse que le game designer ne cherche pas à imposer le discours que le jeu contient. A l’opposé, un jeu ne proposant que des phases d’exercisation est quand-à-lui persuasif dans le sens où l’apprentissage est dirigiste. C’est par exemple le cas de certains jeux thérapeutiques utilisés dans certains programmes de rééducation.

    Observer les EAE permet dans un premier temps de définir la façon dont les joueurs vont potentiellement apprendre les objets définis par les objectifs pédagogiques. Dans le cadre d’un terrain mené en juin 2017 en situation formelle d’apprentissage (un TD mené avec des étudiants de L1 en sciences de l’information et de la communication, nous avons constaté que les EAE proposant une plus grande liberté au joueur étaient plus approprié à des situations informelles de jeu et donc inadapté dans le cadre d’un cours formel mobilisant un jeu. Cependant, nous faisons l’hypothèse que cette apprentissage, lorsqu’il survient, abouti à des questionnements plus pérennes dans le temps chez les joueurs.

    De manière plus général à propos de ce terrain mené, nous pouvons formuler quelques premières hypothèses. Premièrement, nos observations semblent confirmer les hypothèses de Zagal (2010), à savoir qu’il y aurait une corrélation entre la compétence du joueur et les situations d’apprentissages qu’ils peuvent observer et recenser. Deuxièmement, nous observons une corrélation entre les apprentissages et le contexte dans lequel la session de jeu se produit. Les apprentissages ne sont pas forcément moindres dans une situation par rapport à une autre mais ils seraient orientés différemment et fonction des objectifs du joueur et des contextes de jeu. Dernièrement et dans les sessions durant lesquelles des joueurs observent d’autres joueurs, il apparait que l’observation en miroir permet d’interroger sa propre expérience du jeu joué.

    Conclusion

    Les différentes modélisations que nous avons proposées dans ce poster nous permettent, dans une démarche d’éducation aux médias mais aussi d’analyse critique, d’observer et de qualifier les apprentissages potentiels issus d’une situation de jeu. Les premiers résultats constatent que si les jeux recèlent un potentiel, il apparait nécessaire de proposer une situation de jeu encadrée par un·e accompagnteur·ice en fonction des EAE observés. Lorsque le jeu est expressif, l’accompagnateur devra peut-être canaliser ou du moins susciter des pistes de réflexion à l’apprenant. Au contraire, lorsque le jeu est plutôt persuasif, l’accompagnateur devra soit renforcer les apprentissages potentiels dans le jeu s’il souhaite maintenir un certain alignement avec le message du jeu ,soit permettre une distanciation du joueur avec le jeu potentiellement dans une perspective d’éducation aux médias. ■

    Esteban Grine, 2017.

    Bibliographie

    Bogost, I. (2007). Persuasive Games: The Expressive Power of Videogames. Cambridge, MA: The MIT Press.
    Genvo, S. (2016). Defining and designing expressive games: the case of Keys of a gamespace | Kinephanos. Consulté à l’adresse http://www.kinephanos.ca/2016/defining-and-designing-expressive-games/
    Houssaye, J., & Collectif. (2009). Pédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui. Issy-les-Moulineaux: ESF Editeur.
    Leclercq, Poumay. (2008). Le Modèle des Evénements d’Apprentissage – Enseignement.
  • Super Game Lab Turbo

    Super Game Lab Turbo

    Super Game Lab Turbo : retour sur le colloque « penser (avec) la culture vidéoludique »

    Pour citer cet article : Giner, E., 2017, Super Game Lab Turbo : Retour sur le colloque « penser avec la culture vidéoludique », Carnet des jeunes chercheurs du Crem, https://ajccrem.hypotheses.org/380

    Les 4, 5 et 6 octobres s’est déroulé le colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique » organisé par le gamelab et l’université de Lausanne. Cela a permis de cristalliser l’état de la recherche mais aussi des expérimentations liées de près ou de loin au jeu vidéo et ce, au niveau de la francophonie européenne et nord-américaine puisque les participant·e·s venaient du Canada, de la Belgique, de la Suisse et enfin de la France. La conférence inaugurale de Krichane et Javet (2017) notent aussi que cet événement est un jalon pour la légitimation du jeu vidéo en tant qu’objet de recherche en Suisse mais aussi en Europe francophone.

    Le colloque a proposé plusieurs axes exploratoires afin d’illustrer la pluralité des recherches actuelles sur le jeu vidéo. Le premier, que nous déterminons a posteriori du colloque, concerne l’évolution des discours et de la légitimation progressive de l’objet au niveau scientifique et politique. Ainsi, Perret et Maître (2017) ont chacun évoqué les représentations négatives des jeux vidéo dans les médias suisses. Maître note qu’à la décennie 90, « en Suisse, la Nes est devenue tellement importante que le mot Nintendo était utilisé comme synonyme de « jeux vidéo » ». Le champ lexical du jeu vidéo était alors employé pour définir une génération : « génération Nintendo, génération Game Boy ». Michael Perret déconstruit dans son intervention le lexique et les discours contenus dans certaines émissions. La conclusion de ces deux interventions fait écho à ce que postulait déjà Mc Luhan concernant le « dernier des médias » : la dernière forme médiatique est toujours l’objet de critiques virulentes. Cependant, il est nécessaire de contraster les recherches de Perret et Maître en évoquant les communications de Coville et Meunier (2017). Leurs exposés ont pour leur part évoqué la légitimation historique dans les discours politiques du jeu vidéo (Coville) et l’évolution d’une communauté scientifique organisée autour de l’objet (Meunier).  Coville constate notamment qu’un récit tenu par les acteurs économiques sur la fuite des cerveaux et la concurrence internationale a permis de mobiliser les acteurs institutionnels et politiques dans les années 2000. Cela a conduit à la création d’un crédit d’impôt pour la création de jeu vidéo géré par le CNC, marqueur pragmatique permettant de considérer le jeu vidéo comme un objet culturel. Meunier interroge la circulation des savoirs vidéoludiques. Elle constate que cette circulation est due à de nombreux acteurs universitaires, techniques et privés. Etant donné la pluralité des acteurs, elle note que « Les Game Jams sont des endroits propices pour le savoir » (2017). Ces quatre interventions ont été l’occasion de montrer l’évolution du jeu vidéo : d’abord média décrié par les journalistes, il est reconnu par le politique dans les années 2000. La recherche quant à elle produit de plus en plus de connaissances sur cet objet et s’il n’est pas encore définitivement reconnu institutionnellement, les chercheur·se·s se mobilisent dans le but de l’introduire à l’université. A cela s’ajoute les interventions de Xanthos et Jacquin (2017) et de Dozo et Krywicki (2017) qui interrogent respectivement 1/ la complexité linguistique des jeux de cartes et 2/ l’apparition des « beaux livres » consacrés aux jeux vidéo et souvent écrits par des journalistes. L’existence de ces derniers objets nous conforte dans l’idée que le jeu vidéo est un objet artistique. Enfin, Hurel (2017) constate l’importance des sphères amatrices dans la compréhension du jeu vidéo comme objet culturel ainsi que dans sa diffusion auprès de communautés parfois très restreintes.

    Le jeu vidéo, lorsqu’il n’est pas une activité aliénante reproduisant des systèmes de production – Vetel, dans sa communication, évoque les activités lucratives liées à la gestion de serveurs « Dofus » privé, (2017) – est aussi devenu un enjeu pour l’éducation nationale et la pédagogie de manière générale. Nous avons donc pu écouter des retours d’expériences de plusieurs expérimentations. Philipette (2017) a proposé un retour d’expérience sur la ludification qu’il a pratiqué dans ses cours notamment en utilisant des outils comme « ClassCraft », un service qui permet la scénarisation de cours en implémentant des mécaniques de jeux de rôle. Par ailleurs, deux axes se sont distingués et illustrent les utilisations du jeu vidéo comme un support d’apprentissage.

    Le premier axe fait l’hypothèse que le jeu vidéo peut être un support utilisable par des enseignants. En ce sens, il s’agit de réutiliser des jeux déjà existants et de créer des scénarios pédagogiques applicables dans des contextes particulièrement hétérogènes. Ainsi, Vincent et Lalu (2017) avaient une communication à propos de l’utilisation de jeux vidéo dans la cadre de l’apprentissage de l’histoire au collège. Vincent a notamment alerté sur l’intérêt d’évoquer les jeux vidéo en classe puisque il a observé que les élèves questionnent la véracité des propos tenus dans les jeux vidéo et par les enseignants en comparant les deux entre eux. Ils soutiennent aussi l’hypothèse de Berry, à savoir que les jeux vidéo ne sont pas des dispositifs d’apprentissage mais des activités qui peuvent générer des situations d’apprentissages. Dès lors, c’est à l’enseignant que revient la tâche de faire émerger ces dernières par la création de scénarios pédagogiques par exemple. El Mansouri et Biagioli (2017) sont intervenues sur la création et l’utilisation d’un jeu sérieux afin de sensibiliser les apprenants (dans ce cas plutôt des enfants) aux questions de nutritions. Leur présentation a offert un post-mortem intéressant dans la réalisation du jeu créé par elles-mêmes. Biagioli a rappelé l’importance d’équilibrer, ou plutôt d’aligner, les objectifs didactiques, pédagogiques avec les objectifs financiers. Enfin, Thiaux, Andlauer et Bolka-Tabary (2017) ont présenté une évaluation d’une expérimentation pédagogique mobilisant le jeu Minecraft. Ce dernier trouve sa place justifiée notamment par le fait qu’il mobiliser le « build », l’acte de construire et de modéliser l’environnement vidéoludique comme mode d’engagement du joueur ou de la joueuse (Lucas, 2017). Pour reprendre Houssaye (1993), nous retenons que les observations qu’elles ont faites constatent les changements de rôles que peuvent avoir les élèves dans un processus pédagogiques. Si la majorité considère avoir appris, les chercheuses notent aussi des cas où certains élèves prennent la position du fou ou du mort dans le triangle pédagogique. Dès lors, le non-respect des règles du jeu par ces élèves peut devenir perturbateurs, sans pour autant que cela soit incorrigible. Par ailleurs et comme l’énonce Barnabé et Delbouille (2017), le jeu vidéo montre un intérêt de par l’invitation à la réflexivité qu’il suscite. Ces dernières constatent notamment que l’avatar, considéré comme un pont vers le monde fictionnel oblige le ou la joueuse à prendre ou laisser le contrôle du jeu, l’invitant alors à questionner sa posture. Dès lors, il semble que ce soit une piste une de réflexion dans l’usage pédagogique qui peut être fait d’un jeu vidéo.

    Le deuxième axe d’utilisation du jeu vidéo comme objet pédagogique concerne cette fois non pas l’utilisation mais la création d’objet vidéoludique. C’est alors de ce processus de création qu’émergent les apprentissages.  Dans ce cadre, la création de jeux est alors mobilisée afin de permettre des apprentissages propres à la matière enseignée mais aussi parfois avec l’espoir de permettre d’autres apprentissages sous formes d’externalités. Piñeros et Zabban (2017) ont notamment constaté les intérêts d’adopter une telle démarche à l’université Paris 13 avec la création d’un FabLab dédié à la création de jeux. Cet espace est utilisé de manière formelle, dans un cadre pédagogique précis, mais aussi informelle afin de créer une communauté de pratiques et d’intérêts avec les étudiants notamment. Lorsque le cadre géographique ne convient pas, c’est alors sur la temporalité que peuvent jouer les enseignants comme le montrent Quinche (2017), Chollet (2017) et Congy (2017). Balli (2017) énonce aussi que les game jams peuvent aussi servir de terrain et de méthodologie dans un cadre de recherche-action. Ces chercheur·e·s ont mobilisé la création de jeu dans des temporalités différentes en allant du très court (gamejam) au très long (sur un semestre) pour Congy. Ce dernier profita de son expérimentation pour sensibiliser ses étudiants en game design à d’autres disciplines comme l’histoire. Verbesselt et Hurel (2017) notent aussi l’intérêt de la création de jeux dans les actions citoyennes ou militantes, parfois avec une emphase sur l’importance des amateurs (Hurel, 2017) dans ce type de créations. Ces dernières sont alors le support d’échanges, de débats et de partages.

    Il apparait que des grandes thématiques se sont dégagées de ce colloque autour de la pédagogie mais aussi de manière assez large autour de la légitimation de l’objet jeu vidéo comme objet culturel et de recherches. En tant qu’objet culturel, les différentes communications ont constaté les premières perceptions qu’avait le public à propos du jeu vidéo et la façon dont ses représentations associées ont évolué. D’un objet lointain voire dangereux, il a été récupéré par les communautés institutionnelles, politiques, scientifiques et amatrices pour aujourd’hui s’affirmer comme un objet culturel pleinement intégré aux loisirs et aux fictions. La présence de 4 pays francophones réunis au même endroit laisse présager un avenir intéressant et optimiste pour la recherche et la légitimation du jeu vidéo, en espérant que les prochaines éditions de ce colloque puissent aussi accueillir encore plus de pays francophones. ■

    Esteban Grine, 2017.

     

    Bibliographie

    Balli, F., 2017, Les game jams comme méthode d’apprentissage expérientiel et de co-création interdisciplinaire, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Barnabé, F ., Delbouille, J., 2017, Jeu, narration et réflexivité: le rôle de l’avatar, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Chollet, A., 2017, Quand «Game Dev Tycoon» s’invite à l’Université : retour d’expérience sur le concours de programmation «Code Game Jam», Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Congy, A., 2017, Le visual novel historique comme champ d’expérimentation du game design et de la fictionnalisation de l’Histoire, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Coville, M., 2017, Formuler le jeu vidéo comme un « bien culturel ». Politiques publiques françaises & reconnaissance culturelle des jeux vidéo, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Dozo, B-O., Krywicki, B., 2017, «Beaux livres» sur les jeux vidéo et presse vidéoludique: transferts et transformations du capital ludique, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    El Mansouri, M., Biagioli, N., 2017, Concevoir un jeu vidéo éducatif: quels enjeux culturels, didactiques et ludiques, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Hurel, P-Y., 2017, L’amateurisme comme processus au cœur de la culture vidéoludique, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Lalu, J., Vincent, R., 2017, Et si on jouait à l’Histoire, histoire de jouer? , Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Lucas, J-F., 2017, Le «build», mode d’engagement et médiateur de l’expérience narrative spatialisée dans les univers vidéoludiques, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Maître, A., 2017, Entre dénonciation et éloge de la «Nintendomanie»: les représentations des jeux vidéo dans les médias romands durant les années 1990, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Perret, M., 2017, « Parlons-en de ces problèmes » : la configuration de l’addiction et de la violence dans les jeux vidéo immersifs dans Temps Présent, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Philippette, T., 2017, Ludicisation dans l’enseignement supérieur: travaux de groupe et évaluation continue à travers Classcraft, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Quinche, F., 2017, Processus de création de serious games, recherche de critères de conception pour favoriser l’intégration dans l’enseignement, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Meunier, S., 2017, Questionner les circulations internationales des savoirs vidéoludiques, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Thiault, F., Andlauer, L., Bolka-Tabary, L., 2017, Utilisation pédagogique du jeu Minecraft.edu dans un dispositif interdisciplinaire en collège, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Verbesselt, M., Hurel, P-Y., 2017, Ateliers de (dé)construction de jeux vidéo : une question de démocratie culturelle, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Vétel, B., 2017, De l’émulation d’un jeu en ligne au travail des gérants de serveurs illégaux, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Xanthos, A., Jacquin, J., 2017, Approche de l’évolution de la complexité linguistique dans un jeu de cartes numérique: l’exemple d’Hearthstone, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

    Zabban, V., Pineros, N., 2017, Ce que le jeu fait au travail et à la relation pédagogique: créer et utiliser un jeu à l’université. Le cas d’Erasmus Hispanicus, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

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  • Vidéo, poésie et jeux vidéo

    Vidéo, poésie et jeux vidéo

    Ce billet est un complément à un futur article à paraître à la suite d’un colloque auquel je participe.

    Vidéo, poésie et jeux vidéo

    L’une des ouvertures que je fais dans mon article sur les vidéastes francophones se consacrant au jeu vidéo est l’une des évolutions que je nomme bêtement : « la vidéo poétique sur le jeu vidéo ». Je définis cette dernière comme une vidéo présentant un éthos particulier et dont la caractéristique centrale est que des moments de gameplay sont considérés comme de la matière plastique. Le ou la vidéaste joue alors avec cette matière dans l’objectif de susciter certaines émotions chez son audience observatrice. Jusque-là, rien de nouveau, ou du moins, rien de distinguable par rapport à d’autres vidéos tenant des discours sur les jeux vidéo. C’est pourquoi j’ajoute à cela une caractéristique lyrique directement identifiable et reconnaissable aux paroles tenues par le ou la vidéaste. Ce n’est donc plus simplement un discours pour convaincre mais aussi un discours « pour parler », « pour le plaisir de parler ». Il s’agit donc à mon sens de formes textuelles proches de la poésie en vers ou en prose voire même d’autres formes poétiques : rap, slam, etc.

    C’est véritablement pour moi une piste de réflexion très intéressante que je vais poursuivre. Pouvons-nous parler de discours lyrique sur le jeu vidéo ? Je pense, après quelques recherches que j’ai effectuées, que l’on pourrait considérer 2017 comme une année charnière. La scène francophone des vidéastes semblent aujourd’hui mature pour tester de nouvelles expérimentations vidéo et vidéoludiques. Alors, bien sûr, je pourrais évoquer les vidéos de rap à propos de Call Of Duty et il faudra probablement que je m’y consacre un jour mais disons que je fais l’hypothèse dans ce billet que jamais auparavant il n’y a eu autant de discours métatextuels, métacommunicationnels à propos du jeu vidéo dans les vidéos parlant de jeu vidéo ou dans les vidéos parlant d’autre chose mais avec le vocabulaire et un discours au premier degré sur les jeux vidéo.

    Avec cette année qui se termine, il y a deux auteurs que je vais retenir et qui je pense, ont ouvert cette voie en 2017. Pier-re a toujours proposé des formats expérimentaux mais sa vidéo « Un vide — pensées de mes idéaux » (qui joue d’ailleurs déjà très bien sur le double sens avec son trait d’union ici écrit en tiret) fait partie des premiers, je crois, « slams vidéoludiques » (à défaut d’un autre terme plus approprié). La seconde, plus personnelle est celle du créateur Pierre Olbius qui partage un texte à propos de la dépression et qui est mis en récit, mêlant informations hyper objectives (heures précises énoncées à la voix), alternances de rythmes par la musique (suscitant l’immergence et l’émergence pour assurer une posture réflexive chez l’audience), fin brutale, images oppressives/apaisantes. Je pense que nous pourrions aussi remonter plus tôt cette année, notamment avec le texte de Tifor pour les « madeleines vidéoludiques », mis en forme par ce dernier et lu par Damastès. Je fais avec ces trois exemples le constat que certains vidéastes, aujourd’hui, veulent « esthétiser » leurs productions vidéo, leur discours et le reste. C’est pour moi annonciateur de la légitimation totale du jeu vidéo. L’une des pistes que je veux maintenant exploiter, si j’ai le temps, est donc la suivante : j’observe un transfert d’intérêt des créateur.ice.s présent.e.s sur les plateformes vidéos. Auparavant, la vidéo servait un propos sur le jeu vidéo, je constate que l’inverse est très facilement observable aujourd’hui et cela mérite d’y attacher de l’importance puisque dans ce dernier cas, le jeu vidéo est implicitement considéré comme légitime. ■

    Esteban Grine, 2017.

  • Pour Undertale, l’humain est bon, pas le joueur.

    Pour Undertale, l’humain est bon, pas le joueur.

    Pour Undertale, l’humain est bon, pas le joueur

    Undertale est un jeu sorti il y a bientôt deux ans maintenant. A la suite d’une campagne réussie sur Kickstarter, son créateur, Toby Fox, a pu se lancer pleinement dans la réalisation de son jeu. Le développement aboutit alors sur l’objet que l’on connait aujourd’hui. Sitôt sorti, sitôt encensé, le jeu a connu un succès immédiat et sa communauté a très vite grandit jusqu’à être aujourd’hui l’une des plus bavardes sur son jeu de prédilection autant sur les réseaux qu’en termes de création de contenus « fanmade ».

    Pourtant, aujourd’hui, je ne vois toujours pas d’analyse approfondie du jeu hormis quelques théories sérieuses ou complotistes venant étayer certaines représentations que certains joueurs ont sur le jeu. Plutôt que d’attaquer ces théories, je préfère donc proposer la mienne qui comme cela fut le cas pour mes articles sur Majora’s Mask (2001) ou The Witness (2016) ne vient pas imposer une vision ou une compréhension du jeu. Ainsi, dans ce papier je vais soutenir la thèse suivante : pour Undertale (et Toby Fox), l’humain est bon, mais pas le joueur. Je présente la thèse sous cette forme paradoxale (le joueur est forcément humain donc bon et mauvais) car il me semble que cela incarne au plus profond ce que le jeu veut transmettre et questionner : l’éthique et la morale des joueurs. Ce faisant, je me positionne en contradiction des personnes l’ayant attaqué sur sa simplicité scénaristique. Je soutiens au contraire que le jeu est bien plus subtil et bien plus doux-amer que laisse paraitre sa première lecture, son premier parcours.

    Pour argumenter ma position, je vais principalement m’appuyer sur des textes et articles de pédagogie et de game design. Ainsi, dans une première partie de cet article, nous verrons la façon qu’Undertale  a de diffuser les systèmes de représentations et de valeurs. Dans une deuxième partie, il sera nécessaire d’illustrer la façon qu’a le jeu d’orienter le comportement réflexif du joueur : comment celui-ci, en jouant au jeu, réfléchit sur ses comportements et sur sa façon d’interagir en société ? Enfin, nous verrons dans une dernière partie par quelle méthode le jeu manipule le joueur pour lui faire ressentir le regret et le remord.

    Entre expressivité et persuasion, l’objectif de Toby Fox

    Undertale est un jeu dont les inspirations remontent aux jeux de rôle japonais. Nombreuses sont les personnes à avoir déjà pointé du doigt earthbound comme étant le père spirituel du jeu. Toby Fox est originaire d’une communauté de fan et de modders. Dans un entretien donné Joël Couture, Toby Fow expliquait qu’en plus de mother, l’auteur s’inspirait aussi de Shin Megami Tensei. Les prémisses de l’aventure sont simples : un ou une héro amnésique se retrouve dans un donjon (l’underworld) et doit le parcourir afin de terminer l’aventure.

    Undertale est un jeu qui est à cheval entre son côté expressif et son côté persuasif. En effet, il propose au joueur de ne pas combattre, ou plutôt d’éviter les conflits avec les différents monstres composant le bestiaire du jeu. Pour ce faire, l’option Act lors des moments de combats propose un menu avec des choix plutôt humoristiques afin de résoudre les combats de manière pacifiste. Ce faisant, le gameplay du jeu se rapproche alors du genre expressif dans le sens où il n’impose pas un discours particulier au joueur et n’oblige à aucun moment ce dernier de se comporter d’une façon précise. Cependant, cela vient en contradiction avec le discours tenu par certains personnages dont Toriel, deuxième PNJ rencontré après l’antagoniste principal du jeu qui nous demande de manière plutôt formelle de ne pas tuer de monstres vivant dans l’underworld. D’entrée de jeux donc, undertale enseigne au joueur selon une approche réceptive (Leclerc & Poumay, 2008) de ne pas commettre de crime puis nous laisse expérimenter et faire l’exercice de cela de manière libre. De même tout au long du jeu, il n’y aura pas véritablement de punition ou de game over lié à un mauvais choix à un mauvais moment du joueur. Les seuls moments véritables de mort vidéoludique ont lieu durant les combats rencontrés et ceux-ci sont directement liés à la compétence du joueur. Une fois, la première proposition faite par Toriel de ne pas tuer, le game design ne revient plus sur cela et laisse le joueur faire comme bon lui semble. C’est là où le côté procédural et algorithmique de l’histoire devient particulièrement intéressant puisque le joueur se retrouve sanctionné positivement ou négativement sans que cela soit clairement formel. De même, la punition n’est pas immédiate. Cela a pour conséquence de duper le joueur jusqu’au moment où un twist scénaristique apparait tout en le faisant prendre conscience que plus durement de son comportement. Nous avons déjà montré dans un précédent article sur la réflexivité la façon qu’avait le game design de responsabiliser le joueur de ses actes vidéoludiques.

    Undertale est un jeu profondément humaniste. Il nous invite à interroger notre façon de jouer et ce que nous considérons de ludique. En ce sens, finalement, Toby Fox développe un game design et une pensée proche de celle de Miguel Sicart notamment. Ce dernier considère le fait de jouer comme un acte moral et éthique pour le joueur, non pas forcément que le jeu change le système moral du joueur mais plutôt que ce dernier engage son système éthique et moral dans sa façon de jouer. Ainsi, les actions qui ont lieu durant le jeu sont le reflet, le constat visible et observable de l’éthique et de la morale du joueur. Dès lors, l’idée centrale d’undertale en se présentant comme un RPG dans lequel nous pouvons éviter le meurtre d’ennemis est de dresser une critique générale sur les jeux vidéo actuels. Ces derniers, au contraire, engagent le joueur dans des actions immorales (même si elles n’ont aucun impact). L’objectif du game designer dans undertale est alors de proposer autre chose que la ludoformation de la mise à mort.

    Undertale comme critique du comportement de joueur

    Ainsi, dans ce jeu, il y a une première critique de notre façon de jouer. Toby Fox, volontairement ou involontairement, critique le fait que nous, joueurs et joueuses, puissions-nous amuser à mettre à mort des personnages fictifs sous prétexte que le côté ludique de l’activité excuse la morbidité de cet acte. Mais ce n’est pas tout. Une deuxième critique de notre façon de jouer se dresse de manière plus fine en filigrane de nos actions dans le jeu. En effet, si cela aura échappé au joueur, il apparait tout de même important de mentionner que le jeu undertale invite son joueur à ne pas accumuler. Autrement dit, undertale est aussi un jeu de rôle qui rejette toute forme d’accumulation capitalistique. Cela est particulièrement intéressant notamment lorsque l’on s’aperçoit que les jeux critiquant le capitalisme, de près ou de loin, reproduisent des schèmes et des modèles de fonctionnement (des règles structurées dans ce cadre-là) reproduisant notre société capitalistique. Undertale nous invite donc à ne pas conserver particulièrement de l’argent, où en tout cas à le dépenser régulièrement et uniquement sur ce qui est nécessaire : de la nourriture principalement et qui en plus est produite localement (on saluera ici la prise en compte des circuits courts mais aussi du respect de la saisonnalité des produits). Par ailleurs, deux fois dans le jeu, il nous est proposé de financer des causes humanitaires : la protection des araignées. Enfin, Fox profite d’un rapide passage pour dresser une critique du coût exorbitant des études aux Etats-Unis, de la précarité des étudiants mais aussi du manque de débouchés à la sortie du diplôme en présentant le personnage du vendeur Temmie. Celui-ci, ou celle-là, travaille pour financer ces études dans le magasin du village Temmie. Le joueur peut l’aider pour financer ses études (en payant un prix exorbitant et qui nécessite que le joueur effectue des tâches répétitives pendant un certain temps). A son retour des études, Temmie reprend son poste de vendeur comme si de rien n’était : aucune progression sociale ne semble permise alors, malgré l’obtention d’un diplôme.

    Ces deux critiques faites à l’encontre des jeux vidéo se retrouve tout d’abord dans les combats que nous verrons plus loin mais surtout dans un seul élément du jeu qui pour nous vient constater cela. Undertale cristallise ses critiques de la violence vidéoludique et des logiques capitalistiques dans sa gestion des points d’expérience. En effet, in fine, avec tous les messages qui nous sont envoyés lors du jeu mais principalement par Toriel, au tout début, on nous invite à ne pas commettre de meurtre. Or, en règle générale, le fait de combattre des ennemis apportent de l’expérience si on les tue. Le fait de passer des niveaux relève en effet d’une logique d’accumulation (de points). Mais dans undertale, le fait de résoudre des conflits de manière pacifique n’en n’apporte pas. Ainsi, si l’on souhaite mener une « route pacifiste », notre avatar restera toujours au premier niveau sans franchir le second. Avec cette lecture, le message est clair : être pacifiste, c’est ne pas accumuler plus que nécessaire. On pourrait même pousser cette réflexion en rapprochant le gameplay du jeu comme l’un des premiers gameplay incarnant des logiques de décroissance. Dans cette perspective, le jeu de Toby Fox prend alors une dimension bien plus importante dans l’histoire du jeu vidéo.

    Un dernier point qui semble constater notre hypothèse  sur cette lecture anticapitaliste concerne les différents impacts que peut avoir le joueur sur l’environnement vidéoludique par rapport aux RPGs orthodoxes et les jeux vidéo en général. En effet, dans la plupart des jeux, les joueurs peuvent explorer des univers mis à leur disposition en tant que potentielle ressource exploitable. Par exemple, dans les jeux Final Fantasy, un joueur peut entrer dans la maison d’un PNJ, fouiller les rangements disposés ici et là (on peut supposer un lien de propriété en calquant les règles régissant notre réalité à la diégèse du jeu) et, finalement, obtenir des objets. Dans les jeux Oblivion & Skyrim, le joueur peut faire du commerce avec n’importe quel marchand, peu importe le besoin de ce dernier. Enfin, les ressources s’inscrivent généralement dans des mécanismes de développement durable et de non exclusivité : dans Pokémon Go, il n’y a pas un nombre fini de pokémons par exemple. Cependant, dans undertale, quasiment tous les objets, hormis les objets de restauration de la santé (hamburgers, nourriture variées), sont contenus dans un ensemble fini de ressources. Dès lors, le joueur ne peut exploiter son environnement comme bon lui semble et comme dans tout autre jeu vidéo. Très tôt, en début de partie, le joueur va arriver devant un saladier rempli de bonbons. Le jeu fait la demande de n’en prendre qu’un seul, or, il est possible de se resservir. Le jeu va alors graduellement faire comprendre que ce n’est pas un bon comportement à avoir jusqu’à ce que le saladier se renverse sur le sol, rendant la ressource inutilisable. Il est ici intéressant de reformuler ce qu’il se passe dans cette situation de la façon suivante : la surexploitation d’une ressource la rend à terme inexploitable de manière durable et détériore l’environnement dans lequel elle se trouve. On retrouve aussi cet ensemble fini de ressources dans le nombre de monstres par zone du jeu : il n’y a pas de griding possible dans undertale. Au bout d’un certain nombre de combat, les zones deviennent vides : voici un nouvel exemple de la surexploitation du joueur sur l’environnement vidéoludique. C’est aussi à ce moment que le game design doit nous interroger sur la morale et l’éthique des comportements que nous avons en jouant : de quoi ces comportements sont-ils le reflet ? Une première interprétation serait qu’ils reflètent nos us et coutumes capitalistique et d’exploitation dans le monde physique.

    Nous venons donc de proposer une interprétation décroissante d’undertale dans le sens où le gameplay illustre une critique de la violence et de certaines logiques capitalistiques. Ainsi, il ne faut pas non plus trop se soucier du terme employé de « décroissance ». Au contraire, il faut simplement retenir qu’undertale se pose comme l’un des représentants, peut-être le parangon ultime, d’une façon de jouer « hétérodoxe » dans le sens où le jeu propose autre chose que ce qui forme l’orthodoxie vidéoludique, à savoir la reproduction ludifiée des schèmes et des logiques néo-libérales et capitalistiques.

    Combats, mises à mort & empathie pour notre prochain

    Nous avons constaté notamment qu’undertale critique les comportements habituels des joueurs dans le sens où ceux-ci s’inscrivent dans des logiques oppressives. Il convient maintenant de revenir plus en détail sur  son système de combat et comment celui-ci diffuse les valeurs souhaitées par Toby Fox. Encore mieux, il convient de revenir sur la mise en récit, précisément, de l’antagonisme vidéoludique. Encore une fois, undertale dresse une critique des systèmes de combat usuels des RPGs. Le premier élément qui doit sauter aux yeux est qu’à aucun moment le jeu oblige le joueur à agir d’une certaine façon. Mieux, le game design met l’ensemble des éléments à égalité en affichant les quatre boutons d’actions sur une même ligne et de taille égale. Par exemple, c’est le contraire de ce que l’on trouve dans les jeux Pokémon récents qui mettent clairement en avant le choix d’attaquer. Ici, les options sont d’égals à égals et seul le bouton « Mercy » changera de couleur pour nous signaler que le combat peut se terminer en épargnant le ou les antagonistes. Par ailleurs et comme je l’ai déjà montré dans mon article scientifique sur la réflexivité (Giner, 2017), le jeu alterne les rythmes des séquences dans ces combats en misant sur l’humour et le potache lorsqu’il s’agit de résoudre les conflits de manière pacifique. C’est pourquoi nous n’allons pas nous y attarder outre mesure ici. Par contre, il convient d’aborder plus en détail l’attitude du joueur et la façon qu’a ce dernier de se refermer sur ses vieilles habitudes. Undertale est un jeu qui dès le début a été présenté comme un RPG dont les combats peuvent se conclure par la non-violence du joueur. Or, comme le rappelle Joël Couture dans son livre « Fallen Down » (2017), les joueurs n’arrivent pas forcément à voir les opportunités et les possibilités puisque ceux-ci n’arrivent pas forcément à sortir de leurs habitudes. Cela est particulièrement flagrant à la fin de zone de didacticiel lorsque nous devons affronter Toriel (qui est un jeu de mots pour « tutorial », « ‘torial », « Toriel »). Lors de ce combat, le joueur doit sans cesse choisir l’option « mercy » pour enfin avoir la possibilité d’épargner ce personnage. Le problème est que l’on ne voit pas immédiatement l’impact que le choix répété de « mercy » : autrement dit, il n’y a pas de feedbacks immédiats. Ainsi, malgré tous les paratextes que l’on a pu avoir ainsi que les messages dans le jeu, on a l’impression de se retrouver bloqué et d’être obligé à tuer Toriel. L’échec ressenti par le joueur jouant en souhaitant appliquer la proposition d’undertale  n’est donc pas de « perdre un combat » mais de solder un combat par la mort de son opposant. Chose qui arrive malgré tout fréquemment lors des premières runs se concluant en « neutral route ».

    Encore une fois, il s’agit là d’illustrer la critique que fait undertale des habitudes et des réflexes des joueurs. Couture (2017) soutient la thèse, avec laquelle je suis d’accord, que le jeu et son game design parviennent à créer des liens affectifs envers les personnages non-joueurs. Il s’agit là bien entendu à une affection éprouvée pour des personnages de fiction, chose finalement assez banalisée dans les œuvres culturelles. Or, là où le jeu se distingue concerne la façon dont il arrive à faire ressentir une douleur émotionnelle réelle liée à un comportement du joueur se concluant sur la mort d’un personnage apprécié. Le jeu a ce génie de construire tout son game design sur la notion de regret, émotion ressentie par le joueur.

    Le regret comme moteur de la thèse du jeu

    Le regret est une émotion importante dans les jeux vidéo puisque c’est l’une des seules émotions qui peut être uniquement ressentie en jouant. Cependant, il convient de spécifier un peu ce que nous entendons par « regret ». Ainsi, nous considérons uniquement le regret uniquement en rapport à la fiction. Cela signifie que la personne ressentant cette émotion doit avoir eu un comportement formalisé dans la fiction qu’il parcoure. De plus, il faut que ce comportement et ses conséquences soient irréversibles. Or, généralement dans les jeux vidéo, toute action peut être rendue nulle. C’est alors à partir de ce point de départ et de ce qui a précédemment été constaté dans ce papier que Toby Fox a bâti son piège.  

    Undertale est un jeu qui piège son joueur à cause de ses réflexes et de son attitude ludique et grâce au regret que cela va lui causer. Pour construire mon raisonnement cependant, nous avons besoin d’étayer mon propos autour de la construction narrative du jeu. Undertale propose une histoire qui ne se découvre que de manière très progressive et sur plusieurs runs, c’est-à-dire sur une répétition du début à la fin du jeu – nous reviendrons dans un prochain papier sur l’utilisation des cycles et des répétitions dans les jeux vidéo pour diffuser des messages et des discours. Autrement formulé, il faut comprendre que le récit, la narration, dévoile l’histoire générale sur trois parcours du jeu. Le joueur doit donc refaire le jeu au minimum deux fois et selon certaines spécificités pour atteindre les 100% de complétion et véritablement pouvoir dire « j’ai fini le jeu ». Ainsi, généralement, la première run se conclut par une fin neutre. Le jeu nous propose ensuite de refaire le parcours pour atteindre la « true pacifist ending ». A la toute fin de cette route, Flowey, l’antagoniste principal du jeu, apparait pour prévenir le joueur de ne pas poursuivre sa complétion du jeu sous prétexte que les personnages sont maintenant heureux. Recommencer n’aurait alors pas d’impact et qu’il y aura un reset complet. Il s’agit là du véritable test du jeu. Tout le game design et la critique du jeu vidéo orthodoxe qui est faite progressivement conduit à ce moment fatidique du choix. Ce choix peut être formulé de la manière suivante : le jeu nous demande de manière quasi formelle d’arrêter d’être joueur, ou du moins, d’être un joueur normal dont la pratique s’inscrit dans l’orthodoxie vidéoludique. J’avais déjà constaté, à travers les Sessions Innocentes (des sessions de jeu durant lesquelles je filme des personnes jouant peu à des jeux vidéo), qu’il était plus facile pour une personne de respecter son système de valeurs durant l’activité vidéoludique. Ainsi, l’hypothèse que je formule ici et que lorsque le discours d’un jeu entre en conflit avec le système de valeur d’un non-joueur relatif (dans le sens où il ou elle joue très peu), ce dernier va facilement terminer sa session de jeu avec l’idée qu’il ne veut pas aller dans le sens du jeu : le conflit entre le joueur et le game designer (à travers le jeu) se solde par le refus du joueur à poursuivre / à jouer.

    Pour résumer ma pensée, ou plutôt la reformuler, j’interprète undertale comme une critique de nos habitudes vidéoludiques. Celles-ci sont orthodoxes car elles dérivent de notre société orientée capitaliste et néo-libérale, ce qui se retrouve dans les jeux vidéo mainstream mais aussi malgré tout dans les plus petites productions. Le moment durant lequel Flowey nous invite à ne plus jouer, le joueur sait déjà plus ou moins que pour continuer à dévoiler l’histoire, il devra exécuter la genocide route. Or, cela signifie faire table rase de tout ce qui a été déjà parcouru et surtout, cela signifie revenir à une conception orthodoxe du jeu vidéo où les personnages ne sont rien de plus que des ressources exploitables par le joueur. Si ce dernier choisit de parcourir la genocide route, alors il émet une préférence pour son plaisir vidéoludique plutôt que pour le respect d’une demande formelle (et indirecte de la part du game designer). Le test que présente Toby Fox est donc fait pour savoir si, après la true pacifist ending, le joueur va reprendre un comportement oppressif et habituel dans les jeux vidéo.

    La Genocide Route, ultime alerte avant la punition finale

    Ainsi, dans la lecture que je propose, la genocide route n’existe finalement que pour piéger un certain profil de joueur de jeu vidéo : ceux qui font preuve et qui maintienne leur attitude ludique malgré tous les messages et les invitations faites au joueur pour justement ne pas poursuivre  l’aventure. En ce sens, chacun des nouveaux éléments de gameplay amenés lors de ce parcours peuvent être interprétés comme des éléments testant la volonté du joueur à poursuivre et que nous pouvons lister. Premièrement, le maintien de ce parcours nécessite la mise à mort de tous les monstres de chaque zone. De même, il faudra aussi mettre en terme aux vies des personnages secondaires de l’intrigue : Toriel, Papyrus, Undyne et Sans qui sont chacun des pics de difficulté obligeant le joueur à essayer à de multiples reprises pour enfin réussir. « Stay determined » est le message apparaissant à chacune des morts et si lors des neutral routes et de la true pacifist run, cela pouvait nous remplir d’espoir, lors de la genocide route, il cache un piège pervers puisqu’il nourrit l’esprit guerrier et ludique du joueur : il doit battre les bosses se présentant devant lui, peu importe le coût que cela aura. Deuxièmement, l’ambiance proposée devient pénible et lourde à supporter : les décors sont vide, plus aucun PNJ ne se présente et tout ce qui faisait la saveur des runs neutres et pacifistes disparait : le joueur est laissé seul à lui-même avec pour seule mécanique de se battre de manière répétée et perpétuelle. Undertale devient un jeu orthodoxe et ce, dans sa plus simple expression : coloniser des territoires et abattre des éléments considérés « ennemis ».

    Pourtant, il ne s’agit pas non plus pour Toby Fox de critiquer uniquement les jeux mainstream mais plutôt d’atteindre le joueur autrement. Pour rappel, l’objectif de Fox est, dans notre lecture de l’œuvre,  de critiquer les pratiques normées, standardisées des joueurs. Pour ce faire, il nous propose de parcourir une première fois le jeu. A la fin de celle-ci, un premier groupe de joueur totalement convaincu peut s’arrêter après avoir compris le message, un deuxième groupe continu. Ce groupe parcours une seconde fois le jeu en rendant tout « mieux » lors de la true pacifist route, objectif alors visé par ce groupe. A la fin de cette run, il y a à nouveau deux groupes : ceux qui vont arrêter de jouer car ils ont été suffisamment touchés par le message proposé par le jeu (qui pour rappel est que jouer est un acte moral et avec des conséquences) et ceux qui malgré toutes les mises en garde, veulent poursuivre et parcourir la genocide route. La seule stratégie, et à notre sens la plus pertinente à ce niveau de Toby Fox, est alors de faire ressentir à ces joueurs (ceux qui n’ont jamais arrêté) les émotions les plus fortes pouvant être ressenties en jouant : le regret et la culpabilité.

    Cycles et châtiment du joueur pour ses méfaits

    La genocide route n’existe que pour culpabiliser et susciter le regret chez les joueurs n’ayant toujours pas compris le message de Toby Fox. Le piège dressé par ce dernier pour leur faire comprendre n’en devient que plus intéressant et pertinent à étudier d’un point de vue critique et scientifique puisque cela interroge directement le rapport que peut avoir une audience à la fiction elle-même. L’une des caractéristiques les plus intéressantes des jeux vidéo, par rapport à d’autres médias, est sa capacité à nous faire ressentir soit de la fierté, soit du regret par rapport aux éléments d’une fiction. En effet, en nous obligeant à prendre part à l’action, les émotions suscitées sont différentes. L’une des spécificités des jeux vidéo (si elles existent) serait alors de penser ces objets comme des outils créant des passerelles émotionnelles directes avec les éléments fictionnels. Autrement formulé, l’une des spécificités du jeu vidéo serait de créer un sentiment de responsabilité de l’audience vis-à-vis de la fiction. Ainsi, si undertale avait été un film, le meurtre de Toriel nous aurait probablement peinés, attristés, sans plus. Or, le fait que nous soyons l’auteur de ce meurtre transforme l‘expérience et notre rapport à la fiction. l’objectif serait de créer un rapport à la fiction différent du cinéma ou de la littérature ou de toutes formes narratives. Les émotions suscitées sont alors différentes. « Nous » sommes les meurtriers qui perpétuons des comportements oppressifs dans les jeux vidéo.  De notre point de vue cependant et malgré la puissance de ces émotions et leur capacité à nous toucher, les jeux vidéo orthodoxes nous déresponsabilise vis-à-vis de ce qui se produit dans la fiction – les jeux sont comme des cercles magiques dans lesquels les actions produites n’ont pas d’impact en dehors. Là où se distingue undertale, encore une fois, réside dans le fait qu’il ne déresponsabilise pas ses joueurs et ce, en intégrant la notion d’héritage, presque au sens schumpétérien du terme : nous laissons des traces et le jeu se souvient de toutes nos actions, même celles que nous regrettons et que nous aimerions bien effacer. Sur ce sujet, Joël Couture explique bien le sentiment de regret qu’ont pu avoir les joueurs en tuant certains personnages non-joueurs. Si le joueur ne comprend pas le message de Toby Fox pendant le jeu, la genocide route existe pour lui faire comprendre a posteriori. Contrairement à d’autres jeux, notamment les titres de Telltales, qui ôte le poids de la culpabilité à son joueur en l’invitant à rejouer la fiction autrement, undertale ne pardonne jamais les crimes commis par le joueur. Après la genocide¸ le joueur ne pourra plus jamais atteindre la true pacifist ending. A la toute fin de cette dernière, si elle est parcourue après une la genocide, l’avatar change et nous observe par un regard camera glaçant : le jeu se souvient de nos actions, de nos torts. Toby Fox fait alors de son jeu un véritable miroir de l’âme du joueur. Au fond, celui-ci est un monstre et n’accédera pas à la rédemption généralement offerte par les jeux orthodoxes.

    Le joueur, cette monstruosité aux yeux d’Undertale

    Alors le joueur, empli de regret, se retrouve devant un choix. Soit il décide de défausser le message du jeu sous prétexte que « ceci est un jeu » (Bateson, 1977), auquel cas le game design du jeu aura définitivement échoué à transmettre le message de Fox. Soit le joueur accepte son statut de « monstre » et décide de remédier à cela et changeant son comportement dans les futurs jeux auxquels il jouera. En commençant notre article, nous avions pour objectif de soutenir la thèse qu’undertale questionne le comportement éthique du joueur. Reformulé, undertale nous interroge et propose une réponse à la question : « qu’est-ce que jouer de manière éthique ? ». La réponse que nous pourrions ébaucher serait alors la suivante : jouer de manière éthique à undertale, c’est parcourir le jeu en respectant les exigences de la true pacifist route. Plus généralement, Toby Fox nous invite à interroger la façon dont nous jouons et les comportements que nous avons lors de nos sessions vidéoludiques. Les conclusions de Fox semblent proches de celles de Miguel Sicart lorsque ce dernier, dans Play Matters, dit que nous transposons nos systèmes éthiques et moraux dans les façons que nous avons de jouer. Partant de ce propos, si nous jouons à tuer des cibles considérées ennemis dans un jeu, c’est parce que finalement nous reconnaissons une certaine forme ludique au meurtre dans notre société. Fox et Sicart reconnaissent donc les jeux vidéo comme des supports d’expression de nos systèmes de valeurs. Il ne s’agit alors pas de questionner les impacts que peuvent avoir les jeux vidéo mais plutôt de faire éclater au grand jour les vérités fondamentales du jeu vidéo. Pour Fox, ces dernières reposent sur la violence, l’oppression, la pensée capitaliste et les comportements coloniaux. Si les Humains, malgré cela, restent bons, c’est parce qu’en l’absence d’une attitude ludique fortement marquée, ils arrêtent de jouer lorsqu’ils comprennent le message du jeu ou lorsque celui-ci entre en contradiction avec leur système de valeurs. Les joueurs, par contre, maintienne leur attitude ludique et ce, peu importent les comportements atroces commis ou qu’ils s’apprêtent à commettre. C’est en ce sens, que je pense pouvoir affirmer que pour undertale¸ l’humain et bon, pas le joueur. ■

    Esteban Grine, 2017.

     

  • Il faut abattre la spécificité du jeu vidéo.

    Il faut abattre la spécificité du jeu vidéo.

    Bien que je sois en vacances, j’ai quand même pu me connecter et suivre quelques discussions qui se donnaient sur les jeux vidéo dont une qui fit quelques références à la fameuse spécificité du médium. Je prends d’écrire ma pensée aujourd’hui pour que celle-ci me soit utile dans le futur ou pour quelqu’un d’autre.

    La spécificité du médium « jeu vidéo » est une question épineuse qui ne se résout pas en un court texte. Elle mérite un travail bien plus fourni que cela et des recherches bien plus poussées que ce que les pistes de réflexions que j’ai et que je vais évoquer maintenant.

    Lorsque l’on souhaite proposer une réflexion sur les spécificités d’un médium, il s’agit surtout de proposer des caractéristiques qui le différencient d’un autre objet. De fait, on s’attache régulièrement à faire des tentatives de distinctions entre le jeu vidéo et les autres médias comme le cinéma, mais aussi la littérature (on pourrait aussi évoquer les arts picturaux et plastiques bien entendu). Aujourd’hui, on sait par exemple qu’il est plutôt difficile de distinguer les jeux vidéo de la littérature puisque selon certains penseurs reconnus, les jeux vidéo seraient un sous-ensemble des textes (des cybertextes selon Aarseth). Cependant, il ne s’agit là que d’une partie du problème qui concerne le jeu vidéo. En effet, celui-ci s’inscrit dans plusieurs phénomènes et objets d’étude dont les jeux et l’acte de jouer, les sports, les phénomènes communicationnels et enfin les médias. Ainsi, chercher afin de définir la spécificité du jeu vidéo, il devient donc impossible d’uniquement vouloir le différencier des autres médias. Il faut aussi s’attacher à les différencier par rapport à d’autres phénomènes. C’est par exemple ce qu’avait commencer à faire Karulahti lorsqu’il proposait de différencier les jeux vidéo des jeux en général par leur système de sanction des joueurs : celui-ci est automatique, algorithmique et s’inscrit dans le jeu lui-même (le code informatique pour être plus précis) contrairement aux autres formes de jeux nécessitant soit un acteur externe au jeu (un arbitre) soit un système de sanction par les joueurs eux-mêmes. L’exercice reste ouvert et à faire pour ce qui concerne la distinction entre le jeu vidéo et le sport.

    On s’aperçoit donc que la question de la spécificité du médium est donc bien plus complexe que seulement vouloir distinguer le JV du cinéma, par exemple. Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là. Prenons par exemple les liens entretenus entre le jeu vidéo et l’art. Pour de nombreuses personnes, les jeux vidéo sont une forme artistique (ce que je n’attaque pas ici bien entendu). Une minorité va même jusqu’à parler avec abus du « 10ème art », en oubliant que plusieurs formes artistiques se battent pour ce titre (dont la bande dessinée). En pensant le jeu vidéo comme un média, cela fait sens de l’inscrire en tant que forme artistique. Le problème vient du fait que sa nature de jeu vient discuter les relations qu’il entretient avec l’art. En effet, des penseurs comme Kendall Walton, peu évoqué en France, mais plutôt important chez les anglophones, voient les arts comme des formes ludiques (des outils pour nourrir l’imagination pour être précis). De facto, avec ces lectures contradictoires, le jeu vidéo serait « ensemble » et « sous-ensemble » en même temps et en fonction du point de vue choisi par la personne réfléchissant à ce sujet. Voici une difficulté qui s’ajoute par rapport à celles déjà évoquées.

    Enfin, il convient maintenant de clairement attaquer la façon dont certains proposent de différencier les jeux vidéo des autres phénomènes. L’exemple et la caractéristique la plus fréquemment évoquée comme élément distinctif est l’interactivité. Je vais donc me reposer sur celle-ci pour faire valoir mon argumentaire. Certains penseurs font fréquemment référence à l’interactivité proposée par les jeux vidéo pour les différencier des autres médias (ce qui pose déjà problème par rapport à ce que j’ai évoqué). Cependant, à mon sens, les seules façons dont nous sommes capables de proposer des éléments distinctifs reposent sur des seuils (et leurs fixations), comme c’est le cas pour l’interactivité. En somme, à partir d’un certain seuil, on considère qu’un objet est un jeu vidéo et en dessous, il ne le serait pas. Dès lors, n’ayant pas de possibilité de fixer ces seuils objectivement, les façons de définir la ou les spécificités des JV ne peuvent être pertinente que dans un cercle très restreint de pensée (entre pairs donc). Selon moi, cet argument fonctionne aussi pour tous les seuils que certains essaient d’imposer pour définir les spécificités du JV. Ainsi, plutôt que les valeurs choisies par untel ou un autre (gameplay, interactivité, narration, etc), j’attaque la construction même de ces réflexions qui me semblent immédiatement erronées pour s’attaquer au problème de la spécificité du médium vidéoludique. Si une recherche de la spécificité doit se faire (pourquoi ?), elle ne peut en aucun cas passer par la mise en place de seuils, de niveaux, d’échelles graduées ou de barèmes. Surtout que tel que je le vois depuis ShangHai où je suis actuellement, ces seuils sont aussi affaires de contextes socio-culturels, rien de plus difficile lorsque l’on souhaite apporter scientifiquement une réponse.

    Ainsi, après avoir dit tout cela, il semble que la spécificité du jeu vidéo soit une recherche vaine. Or au contraire, il me semble qu’après avoir exclu tout cela, il reste encore de nombreuses choses et caractéristiques à débroussailler. Je travaille actuellement à ce sujet dans un coin de ma tête mais ce n’est pas ici que je souhaite le partager. Finalement, ce que j’attaque et critique, c’est un peu cette façon de concevoir mathématiquement la spécificité du JV : « au-dessus de 10, un objet a la moyenne et devient un JV ». Avec cette dernière phrase, il me semble avoir déjà dévoilé une partie de ma stratégie et de mes pistes de recherches sur la spécificité du jeu vidéo, au lecteur de voir où je veux en venir. ■

    Esteban Grine, 2017.

     


     

    Note : je garde ce texte pour plus tard, j’aimerais bien l’enregistrer pour une vidéo !