Une madeleine à la tortue
Joël Pannelay (Jok)
Plusieurs mois maintenant que je me demandais sur quoi écrire. De nombreuses idées sont passées.
Mon jeu préféré de l’enfance ? il est difficile de classer ce genre de souvenir sans hiérarchiser plus que le jeu lui-même.
Le jeu qui aura changer ma vision du média et aura conditionné une bonne partie de mes gouts dans ce domaine ? pourquoi pas mais il n’est pas tant relié à des souvenirs particuliers sur le moment qu’à la suite de mon parcours.
Pourquoi pas un jeu qui est marqué par la présence de mon frère ou alors associé à un récit d’adultes dans la même pièce qui se serait mêlé au souvenir du jeu lui-même pour lui donner une saveur particulière (j’en avait un bien sombre en tête).
Non rien de tout ça finalement. Puisque tout ceux-ci étaient ancrés dans le domicile parental j’ai fait le choix d’un souvenir différent, jamais totalement oublié mais bien recouvert par les années. Le creuser m’aura amené à repenser certains de mes choix d’adulte avec une nouvelle lecture (et sans doute un nouveau biais).
Le jeu au cœur de ce souvenir est Teenage Mutant Hero Turtles sur Nes. Cauchemar pour beaucoup d’enfants de mon âge, j’ai pour lui une tendresse très étonnante. Aucune forme de masochisme dans celle-ci, je n’apprécie pas particulièrement les jeux à la difficulté punitive (volontaire ou non de la part des créateurs). Cette tendresse est entièrement liée au contexte qui entoure la découverte et la pratique de ce jeu.
J’ai 7 ans lors de la sortie de ce jeu, livré en bundle avec la Nes je ne le possèderai jamais. Je joue sur une atari 2600 à l’époque et ce sera le cas jusqu’à l’arrivée de la megadrive quelques années plus tard. A ce même moment je rentre en classe de CE1 dans l’école de mon petit village du nord-ouest de la France. Ce village de 1000 habitants ou la diversité n’est pas un concept évident avec une seule famille non blanche. Cette rentrée de CE1 est marquée par l’arrivée d’un nouvel élève de mon âge, chose rare dans ce genre de village, jusqu’ici aucun changement de camarade de classe n’avait été à signaler depuis mes 3 ans et mon entrée dans la vie scolaire, passant les années avec la même quinzaine d’élèves. Ce nouveau s’appelle Mickaël et il a la particularité d’être noir. Tant de nouveauté en une seule personne, pas évident pour lui à priori.
A cet âge mes compétences sociales étaient assez limitées, je n’avais pas vraiment d’amis (au moins j’avais du temps pour jouer) et je n’étais pas forcément adapté à ce milieu rural. Ce nouveau est assez vite devenu un ami et le premier chez qui j’allais passer des après-midis à jouer aux jeux vidéo.
La maison ou il habitait dans le village, non loin de l’imposante bâtisse du maire du village, la disposition des pièces avec cette grande cuisine ouverte en face de l’entrée et juste à côté le salon, l’odeur du canapé en cuir sur lequel nous étions assis, toutes ces images et sensations sont encore présentes et la découverte de cette manette avec plus d’un bouton (je vous ai parlé de l’atari 2600 ?) me fascine par les possibilités qu’elle offre, tant de combinaisons possibles…
Plus que le jeu en lui-même, que nous ne finirons jamais malgré de nombreux essais les mercredi après-midi, c’est une ambiance qui reste et les activités associées. Nous alternions entre la console et d’autres loisirs, le football et la première fois (et la seule) ou j’ai essayé des chaussures à crampons pour aller jouer dans le jardin et la rue de ce quartier pavillonnaire de campagne dans laquelle les voitures étaient bien rares, des tours de vélos dans les quelques ruelles dans un périmètre de moins de 200 mètres autour de la maison, … tout un tas d’activités d’enfants normales mais nouvelles pour moi.
La marque de ces après-midis a été rendue encore plus importante par le départ dès la fin de l’année scolaire de cet ami d’enfance, que je ne reverrai jamais. Cette pratique du jeu a plusieurs deviendra une chose rare pour moi, ma pratique du jeu devenant assez solitaire jusqu’à la fin de l’adolescence.
Ce jeu fera un deuxième passage dans mon enfance, vers 13 ans j’ai échangé pour quelques semaines ma megadrive contre une nes avec un camarade du collège, et parmi la collection de jeux à ma disposition se trouvait celui de mes premiers souvenirs de cette console, Teenage Mutant Hero Turtle. J’ai assez peu joué aux autres et malgré une forme d’acharnement je n’ai pas réussi à vaincre ce jeu, bloqué par un technodrome récalcitrant à plusieurs reprises. Cependant la saveur de ce moment n’est pas la même, bien plus trouble, en solitaire, isolé du monde finalement. A cette époque je passe beaucoup de temps à jouer, passionné par l’objet vidéoludique et ses possibilités, l’arrivée proche de la 3D sur les consoles et sa présence effective dans les salles d’arcades me laisse entrevoir de nouveaux genres de jeux.
Deux expériences très différentes pour un seul jeu, sociabilisation et difficulté de sociabilisation pour deux périodes. Je préfère en retenir la première expérience qui est plus une optimiste, moi qui n’était pas le mieux intégré j’ai su être proche de quelqu’un qui apparaissait comme différent de tous. Tout inconscient que cela ait pu être, j’ai appris de la différence sans à priori. Allez vers l’autre est une chose que j’aime faire à présent, et savoir qu’un de mes premiers souvenirs de jeu est lié à cette attitude si longtemps perdue me rassure. Dans ces souvenirs je vois un enfant content de trouver quelqu’un avec qui partager, rien de plus.
Tout comme certaines chansons ou certains films sont rattachés à des souvenirs pour beaucoup de personnes, certains morceaux de moi sont attachés à des jeux. Ces liens sont les marqueurs de moments forts ayant laissé une empreinte dans ma vie. J’aurais pu citer beaucoup d’autres jeux ayant jalonné mon parcours mais celui-ci sort du lot et explique peut-être un peu ma volonté d’aller vers l’autre pour découvrir toujours plus. Je ne sais pas ce qu’est devenu Mickaël, ni s’il a continué à jouer ou s’il se souvient de ces sessions de jeu. Mais il reste une image de mon enfance intimement liée à ma découverte des jeux et de la sociabilisation.
Bien sûr il est toujours plus facile d’interpréter avec le recul de l’âge et d’essayer de voir ce que l’on cherche dans ses souvenirs. Cependant relire certains choix de vie à l’aune d’un souvenir qui au début de ce texte me paraissait plus anodin que bien d’autres me fait réaliser que cet exercice était plus difficile que je ne l’aurais cru. Me voilà à présent en train de chercher le nom de ce camarade de jeu éphémère.
Les tortues ninja si cruelles pour bon nombre de joueurs m’ont marqué pour tout cela, et elles continueront sans doute à le faire (oh ! un émulateur qui passe devant moi). Y rejouer pour finir de renouer totalement avec ce souvenir est maintenant une envie, peu importe les conditions de ces futures retrouvailles elles auront à présent une saveur encore plus forte.