Ce que dit le game design des rétroactions en pédagogie
Les rétroactions sont un sujet qui interroge aujourd’hui en pédagogie mais il peut être intéressant de faire un pas de côté pour observer la façon dont le design et le game design abordent cette question. Dans cette courte présentation, nous allons donc évoquer quelques objets ludiques et la façon dont ils diffusent des messages, des idéologies et des feedbacks à leurs joueurs.
Notre premier exemple concerne le jeu Monopoly, jeu initialement nommé The Landlord’s Game d’Elizabeth Magie conçu comme une critique de l’accaparement des Terres. Autrement dit, il s’agit d’une critique de la privatisation des Terres et presque de la pensée de John Locke. Le monopoly dans sa version actuelle par ses mécaniques de gameplay est tout l’inverse. Les règles contenant les différents feedbacks qui doivent être appliqués à la suite des actions des joueurs soutiennent un discours certes capitaliste mais il convient de pousser un peu plus en qualifiant cette forme de capitalisme : à savoir que la seule économie viable est celle des monopoles privés. par ailleurs, il convient de rappeler que les TRC, les règles de jeux et/ou de feedback s’inscrivent dans un contexte contenant des représentations schématisées ou réalistes qui coconstruisent le sens donné aux rétroactions. C’est pourquoi il est intéressant de voir le Paris représenté par le Monopoly :
Le deuxième jeu que je souhaite évoquer est le trivial Pursuit. Ce jeu est présenté comme le jeu des connaissances or il convient de spécifier cela en énonçant qu’il s’agit d’une ludification d’un système d’évaluation des connaissances. Ainsi, les rétroactions, ou plutôt les inter-réactions qui apparaissent dans le jeu s’ancrent dans une perspective sommative ; il devient donc intéressant de questionner si nous pouvons réellement considérer le Trivial Pursuit comme un jeu ayant une affordance, c’est à dire une capacité à suggérer sa propre utilisation, pour un usage pédagogique. Nous faisons l’hypothèse que ce type de jeux ne favorise pas l’émergence de situations potentielles d’apprentissage. il semble donc important de constater ici le nécessaire alignement entre l’intention, l’objectif, l’approche pédagogique et le type de rétroactions. le trivial pursuit met en exergue justement les incohérences qu’il peut y avoir entre tous ces éléments.
Notre dernier exemple concerne les jeux vidéo et plus particulièrement un certain type de comportement. En effet, il est important d’observer que lorsque nous parlons de gameplay, nous associons une structure de règles (le game) à un comportement ludique (le play). de part leur structure codée et donc rigide, on peut supposer que les jeux vidéo contraignent fortement le comportement du ou de la joueuse. Or, les game studies acceptent généralement le postulat que plus une situation est contraignante et plus le ou la joueuse fera preuve d’imagination pour se jouer du système. Les exemples les plus flagrants sont notamment contenus dans la pratique du speedrunning. Dans ce cadre, les intentions des game designers ne sont plus respectées et les joueurs mettent en place des logiques et des stratégies de détournement rendant inefficaces les techniques de rétroaction. Le game design et les jeux nous permettent donc de mettre l’accent sur les limites des systèmes et la façon dont les joueurs les exploitent. Les parallèles avec la pédagogie deviennent alors aisément observables. Les rétroactions donnent des indications sur les comportements que les apprenants doivent adopter pour s’assurer une réussite dans le système et ce, en minimisant l’effort effectué.
A travers nos exemples, nous montrons que le game design peut éclairer notre compréhension des techniques de rétroactions en classe. En effet, les jeux et encore plus les jeux vidéo rationalisent ces processus et les inscrivent dans des situations potentielles d’apprentissage. Ces dernières restent potentielles car en fonction de l’alignement pédagogique mais aussi du contexte pragmatique dans lequel se déroule l’activité de jeu, leur affordance s’en retrouvera soit potentiellement renforcée soit potentiellement diminuée ; ou du moins, les apprentissages ne seront pas identiques. Le premier enseignement que nous retenons est le caractère constant, obligatoire et généralement immédiat des formes de rétroactions présentes dans les jeux vidéo. Le second enseignement que nous observons est qu’un alignement est nécessaire entre l’objectif, le challenge et les rétroactions afin de ne pas créer d’incohérence (sauf si cela est voulu) à l’intérieur de la zone intermédiaire d’expérience du jeu (Winnicott, 1971). Il convient donc de questionner et de qualifier autant les rétroactions que les approches pédagogiques dans lesquelles elles s’inscrivent. Le dernier enseignement que nous définissons concerne les comportements et les réponses que peuvent effectuer les joueurs et les joueuses aux rétroactions. En effet, la mise en place d’un système d’évaluations ou de rétroactions invite l’apprenant ayant une attitude ludique (Huizinga, 1938) à tester et analyser les limites dudit système par la mise en place de règles régulatives (Duflo, 1997). Les boucles d’inter-réaction peuvent susciter aux joueurs de donner un sens nouveau ou plutôt une nouvelle couche de significations à la communication ayant lieu, et ce, sans pour autant que cela soit conscientisé par les autres parties prenantes : le game design dans notre cas, l’accompagnateur ou l’accompagnatrice dans un contexte pédagogique. ■
Esteban Grine, 2017.