Conférences jouées, mode d’emploi ?

La semaine dernière, je suis intervenu dans le cadre d’une conférence donnée à une vingtaine de classes en simultané aux étudiants francophones de Singapour. Alors certes, il s’agit effectivement d’une mise en contexte particulièrement étrange, mais qui s’inscrit parfaitement dans le cadre des missions qui me sont données à GOBELINS Paris. En effet, il s’agissait d’un format qui va devenir récurrent à l’avenir, je l’espère : les « anatomies d’un jeu vidéo ». Ces conférences se reposent sur le format classique de conférence jouée et permettent à l’école de médiatiser les métiers liés à la création de jeux vidéo tout en abordant les formations qu’elle propose ainsi que sa vision pour ses étudiantes et étudiants.

Me concernant, c’est un exercice que je pratique à GOBELINS, mais également dans tout un tas d’autres interventions. En effet, j’ai largement pu éprouver ce concept par des conférences données dans divers festivals et autres interventions publiques. En réalité, c’est même un format que j’ai commencé presque avant ma propre thèse et donc mes propres travaux de recherche. Cela fait donc une dizaine d’années, un peu moins en réalité, que je me prête à l’exercice et donc forcément j’ai appris quelques petits trucs que je souhaite partager.

Cet article propose donc un retour d’expérience à toutes les personnes qui souhaiteraient également parler des métiers du jeu vidéo en expliquant comment ces métiers sont au service de la création de ces objets si complexes. En somme, voici ma check-list de bonnes pratiques que j’essaie d’appliquer à chaque intervention que je dois préparer.

J’espère donc que cet article sera pertinent pour toutes les personnes qui souhaitent également mettre en place ce genre d’exercice, que cela soit dans des médiathèques, des festivals, ou encore tout un tas d’autres événements permettant de promouvoir et de médiatiser les pratiques vidéoludiques.

Le choix du jeu


Fondamentalement, c’est le choix du jeu qui va conditionner l’ensemble de la conférence. Celui-ci peut se faire à l’initiative de l’intervenant ou de l’intervenante ou alors il peut s’agir d’une demande explicite de la part de l’organisateur. Ou encore, cela peut être quelque chose de co-construit. Plusieurs réflexes sont à garder en tête. Le premier étant de s’assurer d’un alignement entre le choix du jeu et le public qui sera présent lors de l’événement.


Même si techniquement les sigles PEGI ne sont pas des normes établies par l’Union européenne, ils restent des éléments indicateurs pertinents dans ce qui peut être montré ou pas. En fonction du territoire où la conférence est donnée, il peut également y avoir une censure d’état qui s’applique. Cela a été le cas lors de ma dernière conférence donnée pour les étudiants de Singapour puisqu’il a fallu finalement faire une intervention sur les jeux Mario alors que ce n’était pas le choix initial. Originellement il était prévu de parler de Tomb Raider. Or le jeu est classifié 18+ par le gouvernement, ce qui empêche sa diffusion dans des établissements de formation pour un public plus jeune.
Au-delà de ces contraintes, le choix du jeu doit se faire d’abord en fonction d’un thème ou d’une problématique précise sauf si bien sûr le thème repose sur un jeu explicitement évoqué. De même, il doit davantage tenir compte des pratiques en cours du public plutôt que de celle de l’intervenant ou de l’intervenante. En somme, si une intervention porte par exemple sur l’intégration d’éléments historiques dans les jeux vidéo, au hasard, il est probablement davantage intéressant de s’appuyer sur les jeux contemporains, possiblement joués, mais surtout connus du public qui sera présent dans l’assistance plutôt que de se reposer sur un jeu ancien qui n’évoquera pas spécialement de référence pour le public.

Partir du quotidien


Une erreur assez classique à faire est de systématiquement considérer le public comme étant au même niveau que celui du ou des intervenants. En aucun cas il s’agit ici d’une critique particulière qui viendrait suggérer que forcément le public est moins éduqué ou quoi que ce soit. En revanche, le public ne part pas du même point de départ. Cela signifie donc qu’il y a des asymétries d’information que cela soit sur la problématique de l’intervention ou sur le jeu concrètement parlant. C’est pourquoi le plus simple est de partir du quotidien expérientiel du public. De fait, le premier objectif d’une conférence jouée et d’apporter des prises sur lesquelles le public pourra s’accrocher et faire référence lorsqu’il s’agira d’aborder des concepts complexes qui nécessitent, à défaut d’un bagage de solides connaissances, une capacité à faire des parallèles ou à extrapoler.


Par exemple, dans la dernière conférence que j’ai donnée à propos de Mario 64, j’ai passé un certain temps à parler des rigs. Les rigs sont ces squelettes que l’on utilise en 3D afin de permettre la manipulation d’un objet. Cependant avant d’arriver à cela il a fallu que j’explique comment étaient construites les images qui composent ce que l’on voit à l’écran. C’est cela que j’appelle le quotidien. Avant d’expliquer immédiatement dans le dur une réalité informatique, il est plus facile de prendre un temps et de parler de l’image et de sa construction.


Un autre exemple porte sur une conférence que j’ai donnée avec mes collègues Charles Meyer et Bruno Vétel au Stunfest en 2023. Il y était question de l’accaparement capitalistique des contenus générés par les utilisateurs et utilisatrices de la plateforme Roblox. En somme, il était question du travail infantile de la plateforme. Cependant, avant d’amener immédiatement ce concept sur la table, il était nécessaire de présenter le fonctionnement de la plateforme et donc qu’est-ce qui est ludique pour les joueuses et joueurs de Roblox.


Pour certains lecteurs et lectrices de ce billet, tout ce que je viens de dire semblera probablement être l’évidence même. Et pourtant, il n’est pas rare de ma propre expérience de tomber dans ces pièges au principe que parce que nous sommes en train de parler de jeux vidéo, alors il s’agit de quelque chose d’absolument évident pour tout le monde. Pour éviter cela, le bon réflexe, c’est de penser sa conférence selon un chemin de gameplay.

Penser un chemin de gameplay, ou pas


Une conférence jouée, qu’elle dure une, deux heures ou plus, c’est toujours beaucoup trop court. Il n’y a tout simplement pas assez de temps pour appréhender la complexité de ce qui se cache derrière l’acte de jouer à un jeu, et ce, même si c’était le plus simple des jeux.
C’est pourquoi il est nécessaire d’anticiper tous les moments de transition qui peuvent être inutiles à la diffusion d’un message particulier. Par exemple, vous souhaitez parler de l’esthétique et de la direction artistique de jeux en monde ouvert comme Elden Ring. Si vous partez du principe qu’il suffira seulement de lancer une nouvelle partie pour parler de direction artistique, alors vous passerez probablement une vingtaine de minutes voire plus à parcourir simplement la zone didacticiel du jeu, zone qui n’apporte que très peu au regard de cette problématique. C’est pourquoi il est préférable de préparer en amont de la conférence plusieurs sauvegardes qui vous amènent directement à des points d’intérêt qui vont soutenir les divers temps de la conférence.


Par exemple, dans la conférence que j’ai donnée pour les étudiants et étudiantes de Singapour, nous avons principalement mené ensemble une étude du cycle de marche de Mario dans Mario 64. Cela m’a permis de présenter toutes les étapes d’incorporation d’un modèle 3D depuis son concept art jusqu’à l’encodage des 3C (camera, character, controls). Pour cela, il n’était absolument pas nécessaire de préparer quoi que ce soit. Le simple lancement d’une nouvelle partie permettait d’immédiatement introduire le jeu et une séquence suffisante pour l’élaboration d’un discours à son sujet. En revanche, la suite de la conférence portait notamment sur la façon dont le jeu intégrait des éléments en 2D et les spatialisait dans des environnements 3D. Comme il s’agissait de Mario 64, il fut assez simple d’aller chercher un niveau qui intégrait directement ces éléments tout en permettant une certaine narration relativement fluide de ma part. Cela était, il était nécessaire d’avoir une sauvegarde qui nous faisait passer toutes les cinématiques superfétatoires.


En revanche, dans la conférence Roblox que nous avions élaborée avec mes collègues, nous avions ciblé des expériences très précises proposées par la plateforme afin de ne pas arriver devant un public et réaliser une exploration complètement nouvelle. William Brou, un collègue vidéaste et intervenant formateur auprès d’institutions d’enseignants et d’enseignantes, et cetera, quant à lui, prépare ses interventions en planifiant ces conférences comme des visites muséales. Il faut dire qu’il travaille beaucoup sur la série Assassin’s Creed qui se prête bien à cela. Dans son cas, il connaît particulièrement bien les jeux dont il parle. C’est pourquoi lorsqu’il nous fait visiter le Paris de la révolution et surtout lorsqu’il nous fait mettre en perspective les représentations en jeu et les réalités plus ou moins historiques, il s’y prend tel un guide touristique connaissant bien son circuit, les propos qu’il va tenir, les moments durant lesquelles il va s’arrêter dans son parcours et les angles de caméra qu’il souhaite mettre en place. Tout cela contribue à la qualité de ses conférences et des conférences jouées en général.

Encore une fois, tout ce que j’écris jusqu’à présent pourra probablement tomber dans une sorte de bon sens ou d’évidence. En revanche, il est important de mettre en exergue les risques qu’il y a à ne pas préparer ce chemin de gameplay : une flânerie de l’acte de jouer, un discours qui se fait en allant sans savoir où il va nous porter, des redondances et des temps morts dans l’intervention. d’expériences, il est très facile de tomber dans ces travers car la sérendipité de l’acte de jouer conduit à cette flânerie.

OBS ou toute autre régie temps réel est votre amie

Il serait difficile de faire un article sur les bonnes pratiques des conférences jouées sans aborder directement les questions techniques. De mon côté, j’ai testé toutes les formes de modalités imaginables. Les conférences cassées, les conférences qui n’affichent pas la bonne image, le bon écran ou qui n’intègrent pas le son, les conférences dans lesquelles il y a un problème de son, ou encore les conférences durant lesquelles la personne qui utilise son laptop personnel pour illustrer son propos vient également nous illustrer ses dernières recherches sur Google qui ne sont pas forcément les plus « conférences compatibles » dirons-nous.

Depuis quelques années, j’utilise OBS en multiécrans pour la diffusion de mes conférences jouées. Il s’agit d’une petite régie sous la forme d’un logiciel informatique qui est principalement utilisé pour le streaming. Ce logiciel est doublement en pratique puisqu’il permet d’afficher en temps réel le rendu de scènes variées qui peuvent être paramétrées comme bon nous semble.

L’avantage principal de ce logiciel est que cela me permet de cacher tout l’aspect technique d’une conférence jouée, et ce, tout en mettant l’emphase sur le contenu important à un moment donné. C’est aussi un logiciel qui me permet de limiter au maximum toute la gestion technique et informatique de la conférence puisque par exemple d’un simple bouton je peux passer d’une scène à une autre comme l’illustrent les deux images ci-dessous. Dans des conférences qui sont particulièrement scénarisées, C’est d’autant plus pratique que le logiciel nous permet de grandement diminuer tout ce qui va être de la pollution informationnelle pour le public.

Éventuellement, je pourrais revenir sur les aspects techniques à travers un prochain billet dédié au sujet. Cependant, voilà comment cela se présente du côté de l’intervenant ou de l’intervenante qui doit éventuellement gérer les transitions en temps réel ou alors éventuellement les délégués à une régie sur place lors de l’événement.

Quelques mots de conclusion


Dans le cas où l’on réalise une conférence à plusieurs, un réflexe est de se dire qu’il va être facile de se répartir les rôles et le temps de parole par exemple avec une personne qui tient la manette pendant que l’autre fait le discours. À cela, je réponds que cela fonctionne uniquement dans le cas où les précédents conseils ont été suivis : le choix du jeu et la mise en place en amont d’un chemin de gameplay prévalent sur le moment même de la conférence. en réalité j’aurais tendance à dire que cela ne fonctionne pas très bien. Tant l’ensemble des participants veut, en général de mon expérience, prendre la parole mais également jouer.


Dans le cas où l’on réalise une conférence seul•e, la complexité sera alors de faire plusieurs choses en même temps. Cela peut être un exercice particulièrement périlleux si l’on ne s’est pas préparé•e en amont et si le jeu abordé fait preuve d’une difficulté motrice particulière. Encore une fois, c’est ce chemin de gameplay qui va déterminer les situations plus ou moins hasardeuses dans lesquelles on se fourre en tant qu’intervenant et intervenante. De même c’est également ce chemin de gameplay qui permet d’anticiper des solutions alternatives au cas où une situation ne se déroule pas aussi bien que prévu.


Un autre apport de ce chemin et qu’il permet facilement de ponctuer les moments de jeux avec les messages institutionnels qui peuvent nous être demandé de promouvoir. Par exemple dans le cadre de ma dernière conférence, il fallait également que je prenne le temps de présenter quelques enjeux liés aux formations post-bac de Gobelins Paris en Game Art. En effet, si je mettais laissé emporter par le jeu au détriment de certains messages incontournables, alors j’aurais techniquement échoué dans la mission qui m’était demandée. Au-delà des messages institutionnels, il peut y avoir des conférences de sensibilisation, auquel cas il est nécessaire par exemple de partager de bonnes pratiques. Or ces bonnes pratiques ne peuvent pas être seulement transmises à la fin de la conférence à un moment où on a plus forcément le temps, elles doivent être illustrées directement en jeu au moment du jeu.


Si les conférences jouées sont effectivement des moments très ludiques à vivre et à faire vivre, il est nécessaire de considérer ces moments également comme privilégiés pour la transmission de certains messages clés.

Assurément, on a tout de suite envie de montrer ce qui est cool ou d’illustrer des choses remarquables pour jouer sur l’aspect spectaculaire des jeux vidéo. Ou alors, on a tout de suite envie d’emmener un public vers la discussion d’un propos, d’une idée ou d’un discours particulièrement complexe parce que ce sont des choses que nous-mêmes en tant qu’intervenants et intervenantes avons travaillé depuis longtemps. Or, avant d’arriver à cela, il est important de garder en tête que si nous avons un nombre d’heures plausiblement trop élevé sur les jeux que nous mobilisons, ce n’est pas le cas du public. D’où l’importance de ce chemin que l’on emprunte en suivant les traces que nous aurons laissées. ■

esteban grine, 2025.


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