De l’importance du premier degré dans l’analyse des jeux vidéo

Ce matin sur le trajet pour aller au travail, je repensais à certaines lectures d’Undertale que l’on peut trouver ici et là sur internet et la façon dont certaines mettent l’accent sur plusieurs niveaux de lecture que peut avoir le jeu. Notamment sur la façon dont le jeu tourne en ridicule les didacticiels. Fanny Barnabé y voit un détournement des codes du jeu de rôle et définit le didacticiel d’Undertale comme étant une parodie (2017 : 38). Je n’ai bien entendu aucun souci avec cette lecture qui lui permet de faire une transition sur la notion de joueur-modèle. Cependant, j’ai le sentiment que cette lecture rentre en conflit avec les propos que j’ai pu tenir sur le jeu. En effet, dans ce cadre, la parodie permet de supposer l’existence d’un « second degré », d’un métatexte, permis par une intertextualité entre le jeu et des jeux de rôle japonais (Earthbound et Mother en l’occurrence). Or, l’existence même d’une once de second degré peut mettre à mal toute la lecture que j’ai du jeu (non pas que cette lecture soit meilleure qu’une autre, mais c’est celle que je préfère à ce jour).

C’est pourquoi dans ce court billet, qui me permet de respirer entre deux textes sur Breath Of The Wild, je souhaite défendre l’importance des lectures « premier degré » des jeux vidéo. Pour cela, il est nécessaire de comprendre d’où je pars. Undertale est pour moi un véritable discours naïf sur la résolution pacifique des conflits, sur l’amitié, le care et l’empathie. En ce sens, son didacticiel est alors un ensemble d’illustrations à propos de la résolution pacifique des conflits, sur la notion de care et sur l’empathie. Dans le cadre de cette lecture, je suis obligé de considérer les intentions de Toby Fox comme fondamentalement orientées vers la diffusion de ce message. La suite du jeu n’est alors qu’en ensemble de péripéties permettant aux joueurs et joueuses de mettre à l’épreuve leur volonté de résoudre les choses de manière pacifique. Ces péripéties permettent, notamment via principalement les deux premières runs, de constater les écarts entre un comportement « neutre », qui va parfois user de violences, et un comportement « true pacifist » qui cherche systématiquement à résoudre les conflits sans arme, ni haine, ni violence. Dans la lecture que je soutiens, la dernière run, la « genocide », est un ultime recours pour Toby Fox de prouver que la violence ne mène qu’au regret pour celui qui la perpétue.

On peut questionner pourquoi alors j’ai du mal à considérer l’existence d’un second degré dans Undertale. C’est tout simple : si je considère l’existence d’un second degré même lors d’une toute petite partie du jeu, je mets le doute dans les intentions véritables de Toby Fox. Si je lui accorde une volonté de faire du second degré, je remets en cause toute la lecture que je défends. S’il a scénarisé son jeu pour être une parodie des jeux de rôle de son enfance, alors le message que j’interprète peut lui aussi être parodique et cacher un second degré, probablement cynique. Dans mon cas, supposer l’existence d’un second degré, c’est remettre en cause une analyse complète. Le conflit est précisément situé dans le fait que je préfère une interprétation par rapport à l’autre et que je n’ai techniquement pas d’argument pour réfuter la potentielle existence d’un second degré chez T. Fox. Epistémologiquement, cela interroge terriblement le chercheur ou la chercheuse qui analyse des jeux vidéo. Enoncer comme prémisse d’une analyse l’existence d’un second degré dans l’acte de création peut aboutir à des conclusions radicalement différentes.

Que l’on s’entende, je ne suis pas dans une perspective où il ne peut y avoir qu’une seule véritable interprétation. J’avoue mobiliser les deux, celle de Barnabé et la mienne, en fonction des discussions que je peux avoir sur le jeu.

Dans ce papier cependant, je soutiens l’importance des lectures « premier degré ». C’est-à-dire que je soutiens les interprétations littérales des œuvres que j’observe. Cela ne veut pas dire que je soutiendrais cela dans un autre contexte. Cependant, il faut bien avouer que prendre les choses de manières littérales résout de nombreux conflits d’interprétations et de dissonances. Par exemple, Si l’on prenait Uncharted de manière littérale, on peut totalement accepter la normalité des situations rencontrées par Nathan. Dans ce cadre, on ne considère le monde qu’il parcourt que dans la mesure où il nous l’est présenté. On ne calque donc pas les règles de « notre monde » pour combler les vides du monde de Nathan. On accepte de manière naïve que dans le sien, recevoir des dizaines de balles dans la poitrine ne conduit pas forcément à une mort certaine. De manière moins réjouissante, cela permet aussi de ne pas excuser une œuvre sous couvert de son second degré.

Au final, j’ai le sentiment de plaider pour des lectures candides et naïves des œuvres. Non pas qu’il s’agisse de la seule bonne façon d’analyser des jeux. Au contraire, j’ai l’impression que cela demande un effort conséquent de la part du joueur ou de la joueuse. Cela demande aussi de faire abstraction de nombreux paramètres en dehors du jeu (intertextes, paratextes, etc.) sans justifier cela de manière scientifique. Au fond, mon péché est probablement de trop idéaliser Undertale. Je me retrouve à rédiger un billet justifiant une posture scientifiquement intenable !

Esteban Grine, 2019.

Bibliographie

Barnabé, F., (2017). « Rhétorique du détournement vidéoludique. Le cas de Pokémon ». Thèse soutenue à l’université de Liège. http://hdl.handle.net/2268/210764


Commentaires

Une réponse à “De l’importance du premier degré dans l’analyse des jeux vidéo”

  1. Avatar de cKei, survivant de l'enfer
    cKei, survivant de l’enfer

    En ce qui concerne les prémisses de ton raisonnement, j’ai du mal à voir en quoi convenir d’une tentative de second degré à un point du jeu devrait remettre en cause l’ensemble d’un raisonnement. J’ai toujours du mal à voir un jeu, qu’il soit l’œuvre d’une seule personne ou de 300, comme une œuvre parfaitement lisse, homogène. Où tout, de l’esthétique à chaque aspect du gameplay, est maitrisé et créé à dessein pour servir un propos parfaitement clair. C’est un peu ce que je critiquais dans cet article http://www.merlanfrit.net/Et-si au travers notamment de la série Zelda, on te vend une enchainement de jeux à la chronologie réglée comme du papier à musique
    mais le fait est que c’est un récit romancé : la vérité probable est que chaque jeu, en particulier les premiers, est créé indépendamment – certes avec des éléments communs. Du coup tu ne peux pas analyser chaque élément de l’œuvre comme faisant parti d’un dessein plus grand.

    Et le meilleur exemple de cette décorrélation entre le propos d’un jeu et ses features c’est le principe de l’easter egg. Tu as des jeux très premier degré qui contiennent des easter eggs totalement loufoques sans que ça n’agisse sur leur lecture.

    C’est comme si tu réfutais totalement la possibilité d’une faiblesse de Toby Fox dans sa ligne directrice, un peu comme beaucoup d’amateurs des Souls portent toute action d’Hidetaka Miyazaki aux nues et en retour détestent DSII qui serait un faux-pas indépendant alors que lui-même était superviseur dessus. Ca le dédouane de toute erreur.

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