Il y a lorsque l’on est joueur de jeu vidéo une question récurrente qui revient dans les débats que nous rencontrons. La question est la suivante : « les jeux vidéo rendent-ils violents ? »
Dès lors que l’on pose cette question ou que l’on fait cette affirmation : « les jeux vidéo rendent violent », nous avons deux réponses possibles de la part de notre audience. La première va venir confirmer cette hypothèse, ou en tout cas, être en accord avec et la seconde qui va venir en blocage définitif. S’en suit un débat stérile qui aboutit généralement à ce que chacun des participants de la discussion concluent qu’ils ne sont pas d’accord et ne le seront pas.
Cette affirmation ou toutes affirmations commençant par « les jeux vidéo rendent … » posent problème car elles sont extrêmement mal posées et immédiatement fausses que l’on soit dans un camp ou dans l’autre.
Voici donc un petit guide, une petite méthodologie, à direction des joueurs et joueuses qui font et vont faire face à ce type de débat.
Définir la représentation que l’on a des jeux vidéo
La première chose à faire est d’arrêter le débat en énonçant que la question posée, ou l’affirmation, n’est pas suffisamment précise. En effet, Qu’entend-on véritablement par « jeux vidéo », « violent » et même la personne qui joue et qui est implicitement suggérée par ce postulat. Il convient donc de remplacer ces mots par des éléments plus précis : parle-t-on de FPS militarisés à la Call Of Duty ou de puzzle-game tel The Witness ? On a souvent tendance à considérer les jeux vidéo comme un bloc monolithique qui gomment les pluralités des formes et des structures vidéoludiques. Or ce biais finit par bloquer le débat puisque chacun des intervenants attaquera non pas les questions de fond mais simplement les exemples des opposants.
Ainsi, le premier travail à effectuer est de questionner la représentation que l’on donne à « jeux vidéo », une fois que les parties prenantes du débat se sont mises d’accord sur la représentation concernée par la problématique, alors seulement le débat avance.
Préciser l’adjectif et les enjeux qui lui sont liés
Une fois que l’on s’est mis d’accord pour savoir de quels jeux vidéo nous sommes en train de parler, il devient alors nécessaire de définir que l’on entend par « violence ». Et là encore, on s’aperçoit que ce terme fait partie des mots avec lesquels tout le monde est d’accord pourvu qu’ils ne soient pas définis. « Violence » en soit ne dit rien sur le comportement et ne qualifie pas de manière suffisamment précise les agissements qui peuvent être suscités par l’activité vidéoludique. Ainsi, est-ce que l’on définit « violence » par un comportement physique ? Auquel cas, devient-on violent quand il y a une relation physique et brutale entre au moins deux individus ? Ou est-ce que l’on définit « violence » de manière plus large, en intégrant par exemple la violence psychologique ?
De même, la question de la violence est difficile car extrêmement conjointe à d’autres questions, notamment celles liées à l’empathie. Ainsi, uniquement aborder la question avec le concept de « violence » peut obstruer d’autres circuits cognitifs. Ainsi, par exemple, si nous jouons à des jeux qui nous exposent à des situations violentes, allons-nous devenir plus hermétiques à l’expression de ces situations violentes ? Peut-être. En tout cas, je ne répondrais pas ici à cette question. Par contre, j’en formule une autre : « est-ce qu’être hermétique à une situation violente est synonyme de devenir plus violent » ? Un dernier élément correspond aussi à la violence exprimée dans les systèmes oppressifs, notamment notre société occidentale et capitaliste.
Différencier les réponses en fonction des audiences
Avec ce long paragraphe, je viens de démontrer, il me semble, que « violence » est aussi un concept ayant besoin d’être défini lors de ce type de débats sur le jeu vidéo. Une fois que la chose est faite, il me parait plus simple de trouver un accord, quitte à faire des ajustements par la suite sur les formes de violences définies lors du débat.
Une dernière chose à prendre en compte lorsqu’une hypothèse du type « les jeux vidéo rendent … » est de définir aussi les joueurs jouant à ces jeux. L’un des biais que je vois fréquemment dans les discussions est que les participants projettent beaucoup trop leur propre personne sur l’ensemble de la communauté des joueurs et joueuses. Le schéma logique est alors le suivant : « si je n’ai pas été touché de cette façon par les jeux vidéo, alors personne n’a été et ne va être touché » ou inversement « si j’ai été touché par un jeu vidéo, alors tout le monde va être touché ». Ici, le problème fondamental est qu’il y a une non prise en compte des caractéristiques sociales, culturelles, économiques et biologiques des joueuses et des joueurs. Par « caractéristiques sociales, culturelles et économiques », je pose ici l’hypothèse que le contexte pragmatique dans lequel l’acte de jouer a lieu va être déterminant sur le ou la joueuse. Par « caractéristiques biologiques » (ce qui est clairement un terrain glissant s’il n’est pas défini), j’entends uniquement les questions liées à l’accessibilité et l’âge de la personne jouant. Je fais l’hypothèse que l’impact d’un jeu n’est pas le même en fonction du moment durant lequel le jeu est rencontré dans la vie du joueur. Il semble donc important de définir les personnes jouant « aux jeux qui rendent … » car cela permet peut-être d’être plus spécifique mais aussi d’apporter des réponses différentes en fonction des audiences. Il me semble par exemple plutôt acceptable de dire que les impacts ne seront pas les mêmes en fonction de la compétence des joueurs. Plus ils seront compétents et plus ils seront potentiellement capables de se protéger de certains messages discutables mais présents dans certains jeux vidéo.
Conclusion et marche à suivre
A travers ce court article, je pense avoir donné des clefs méthodologiques afin de détricoter les questions et les débats houleux. Pour résumer en quatre étapes la méthodologie que je propose lorsque l’on rencontre une affirmation ou une question du type « les jeux vidéo rendent … » ou « les jeux vidéo rendent-ils … ? », voici la marche à suivre :
- Définir les jeux vidéo concernés par l’affirmation ;
- Définir clairement, minutieusement et précisément l’adjectif (violent, sexiste, etc.) ;
- Définir les publics concernés et les différencier si nécessaire ;
- Boire des bières parce que c’est clairement un Win.
Merci d’avoir lu ce court pixel libre. ■
Esteban Grine, 2017.