La circulation des discours dans les mothertales

Le 14 janvier dernier, je suis intervenu dans le cadre du colloque « Le jeu vidéo : une herméneutique en acte » dans le but de partager mes recherches sur les discursivités vidéoludiques et plus particulièrement la construction et la circulation des discours. Les mothertales sont mon corpus de prédilection. De plus, ces jeux permettent d’appréhender les discours vidéoludiques depuis une perspective socio-constructiviste, chose que j’ai développée dans cette communication.


Il s’agit d’un résumé pour internet de ma communication et
non la communication en tant que telle. Une VOD de la communication verra
normalement le jour bientôt.


Giner, E., (2021). Penser la construction et la circulation des discours vidéoludiques :  l’écosystème discursif des mothertales. Communication donnée lors du colloque « Le jeu vidéo : une herméneutique en acte », Liège, les 14-15 janvier.

Bien entendu, je ne suis pas le premier à présenter les jeux vidéo comme discours, comme supports de discours ou comme énoncés faisant partie d’un discours plus large. En les identifiant de la sorte, il est habituel d’énoncer que les « discours » existent avant l’acte de jouer. On peut par exemple penser à des concepts similaires comme le « discours filmique » ou « discours cinématographique ». Cela étant, les communautés gravitant autour des mothertales, et surtout leurs pratiques, sont une invitation à repenser la façon dont les discours vidéoludiques se construisent au sein d’un espace et d’une temporalité. En effet, ces jeux suscitent énormément de productions par leurs fans. La moindre vidéo sur Undertale peut très vite dépasser toute mesure appréhendable scientifiquement.

De fait, il va être question ici de discuter les façons dont les mothertales interrogent une conception typique des discours vidéoludiques.

A partir de cette première interrogation, une question peut survenir : y’a t-il une bonne interprétation et une ou des mauvaises interprétations ? Si l’on s’appuie sur le corpus et plus particulièrement sur Undertale, on s’aperçoit que les discussions et analyses aboutissent à des variations qui sont situées au sein des communautés et des endroits de leurs partages. Par exemple, le blog nochocolate.tumblr.com réunit de nombreuses analyses et théories explicatives qui sont socialement validée par un très grand nombre d’internautes. De fait, même si une personne externe pourrait les considérer comme des surinterprétations, en réalité, il est plus intéressant de les percevoir comme des variations situées d’un même discours ou d’un même message. Un exemple particulièrement évocateur de cela est la perception de la relation fraternelle entre Chara et Asriel qui peut sembler typique dans la variation mainstream et toxique dans une variation située.

Cette distinction mainstream/située suggère de fait une seconde question : comment se construisent les discours vidéoludiques ? Les mothertales invitent à décentrer notre regard. Plutôt que de supposer que les discours ne sont que des actes soumis à l’auctorialité des studios, les pratiques révèlent d’avantages une coconstruction suivant des processus de controverses. Aussi, il est préférable de parler de « discours modèle » lorsqu’il s’agit d’évoquer l’hypothèse du discours reflétant parfaitement l’idée du discours vidéoludique d’un jeu et de discours effectifs qui sont le résultat éphémère d’une double controverse : une entre le jeu et l’audience et une entre l’audience elle-même. Un exemple de cela est l’aspect inclusif ou oppressif lié à la représentation des magypsies dans Mother 3. Si Shigesasto Itoi énonce en interview qu’il s’agit d’une représentation respectueuse, le sujet a fait débat sur les forums de starmen.net. Tout cela invite donc à penser la complexité parfois contradictoire des discours vidéoludiques effectifs.

Ces contradictions sont alors une porte pour une nouvelle question : comment circulent socialement les discours vidéoludiques ? Ici, le plus évident est de reconnaitre que la production de documents par les communautés est ici un acte de réappropriation, de transmission, de reformulation et de transformation des discours. De fait, par exemple, les nombreuses vidéos explicatives sur internet servent à la fois de clusters concentrant beaucoup d’informations et redistribuant cette information tout en la transformant. C’est ce qui s’est passé avec la récente vidéo « what the internet did to undertale » sur la chaîne Super Eyepatch Wolf et qui cumule près de 2 millions de vues en moins d’un mois. De fait, il est nécessaire de penser les discours comme des phénomènes qui circulent au sein d’un réseau et d’un écosystème discursif.

Cependant, en circulant, les discours se transforment. Undertale est devenu célèbre aussi en partie grâce à la façon dont sa communauté s’est réapproprié le jeu. Les univers alternatifs sont de fait des artefacts précieux lorsqu’il s’agit de comprendre les discours vidéoludiques du réseau et de l’écosystème discursif d’Undertale. Je pourrai passer une communication entière à seulement présenter ces univers mais ce qui est intéressant ici est encore une fois qu’au sein du réseau, les discours évoluent en fonction de leur contexte et de leur circulation dans le temps. De même, cela suggère ici que nous sommes face à des réseaux discursifs dont le pouvoir est décentralisé, contrairement à des réseaux discursif comme celui de Star Wars où seul Disney, finalement, est en mesure de décider ce qui est canon, de ce qui est fanon. Ici, la notion « alternatif » empêche un agent d’avoir plus d’emprise qu’un autre sur ce qui doit être un des discours.

Ces quatre questions posées dans le cadre de la communication donnée pour ce colloque ont donc été pour moi l’occasion de partager la perspective socio-constructiviste que j’ai adoptée pour analyser les discours et les discursivités vidéoludiques. Sans poursuivre trop longtemps ici, car il s’agit d’un segment important de mon manuscrit de thèse, il semble important de faire émerger une nouvelle définition des discours vidéoludiques. Plutôt que de les présenter comme l’équivalent des discours cinématographiques, il est plus pertinent de les définir comme des interprétations d’une réalité vidéoludique (un jeu, son lore, ses éléments, son code, etc.) et de fait, comme des coconstructions issues de nombreuses controverses au sein d’un réseau d’agents (réunissant personnes et documents) où finalement le jeu origine et le discours-modèle ne font plus que partie d’un tout de documents, de clusters, d’agents et de discours situés. ■

esteban grine, 2021.