La petite carte et la cartouche dorée
Tifor
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure ». J’avais pour habitude de m’installer dans mon lit avec un livre et de profiter de ces quelques minutes pour m’évader au rythme des mots qui défilent. Cet instant de grâce m’appartenait et j’en profitais autant que possible le soir, avant de m’endormir. À cette époque, les ordinateurs étaient réservés aux initiés, internet n’était pas encore dans tous les foyers et les magazines de jeux vidéo constituaient la source principale de l’information ; Joypad, Console +, pour une poignée de francs.
Autant vous dire que quand vous êtes encore dans l’âge de la petite enfance, difficile de se tenir informé régulièrement et de manière exhaustive. Chaque petite parcelle d’information, chaque petite image est précieuse, elle ouvre la porte de l’imaginaire et de tous les possibles. Je me souviens encore de moments endiablés volés chez des amis ; Super Mario Kart ou de Street Fighter II, puis quelques années plus tard de Tekken et Super Mario 64. Totalement isolé du monde de l’information en temps réel, encore très loin de l’ère du numérique et du monde interconnecté, je profitais de ces moments au jour le jour sans vraiment porter de jugement sur ces « produits ». Chaque instant de jeu était une expérience nouvelle et exaltante.
Pour ma part, j’étais encore sur ma Nes, avec son étrange forme rectangulaire et teintée de gris. Malgré mes expériences de jeu externes et ponctuelles, elle exerçait toujours une sorte de fascination sur moi. Probablement rétrogamer dans l’âme avant même que ce terme n’existe, j’étais sous le charme de cette console pourtant déjà démodée. Super Mario Bros, Duck Hunt, Double Dragon 2, Ducktales 2 et Kirby’s Adventure c’était là l’intégralité de ma bibliothèque. Autant vous dire que j’étais très concerné par le problème de la rejouabilité d’un jeu, encore que je ne m’y intéressais pas vraiment. C’était le temps où une heure de jeu, peu importe son contenu, c’était toute une aventure et c’était tout ce qui comptait.
Je me souviens qu’un jour, au détour d’un magazine qui traînait sur un coin de table, j’ai remarqué un article qui parlait des jeux Nes. Impossible de me souvenir du contenu exact et des propos tenus dans cet article. Les seules choses qui me reviennent en mémoire sont ces deux uniques images qui illustraient le propos. Je n’ai jamais su et je n’ai jamais compris ce qui m’avait attiré. Il s’agissait simplement d’une boîte dorée avec l’inscription the Legend of Zelda et d’un screenshot du jeu. Je pense que je n’étais même pas en mesure d’en comprendre le sens et pourtant, ces deux images m’ont fasciné. Autant vous dire que rapidement, ce jeu s’est miraculeusement retrouvé dans ma bibliothèque à la fin d’un mois de décembre.
Si vous connaissez ce Zelda, ou que vous l’avez découvert bien plus tard, vous pensez probablement qu’il est difficile, voire impossible à terminer sans consulter une solution. C’était sans compter sur la rage farouche d’un jeune garçon et sa pulsion frénétique à brûler et bomber chaque petite parcelle du jeu, afin d’en découvrir le moindre secret. Sincèrement, la durée de vie n’étant pas une donnée primordiale à déterminer à l’époque, je ne pourrais pas vous dire combien de temps j’ai pu errer dans cette première version de la plaine d’Hyrule. Peut-être quelques dizaines d’heures, mais plus probablement quelques centaines, voire plus d’un millier. Lorsque l’on grandit, le temps se dilate et devient un tout unifié. Et avec le temps, une petite aventure peut se transformer en épopée ou en légende.
J’avais pourtant déjà touché à la Super Nes et même la première Playstation, mais jamais je ne les aurais échangées avec ma Nes et ma cartouche dorée de Zelda. Une réaction probablement naïve, hors du temps et incompréhensible pour la plupart des gens.
C’est qu’à chaque fois que j’allumais ma console, je savais que ce petit personnage vert et silencieux m’attendait pour explorer, combattre, résoudre des énigmes : tout simplement pour entrer en mouvement. Pour exister. Nous recommencions toujours du même point de départ, à côté de cette grotte où nous avons découvert notre première épée en bois, et c’était le début d’une aventure épique. Et la cartouche était dorée, couleur de l’or, elle avait une valeur inestimable et non marchande.
Il existe un autre fait assez particulier et représentatif de cette époque. Internet ne s’étant pas encore démocratisé, et l’information, notamment en matière de jeux vidéo, étant plutôt rare, chaque petit élément avait une valeur inestimable. C’est notamment l’époque où les notices existaient encore et étaient parfois l’unique moyen d’avoir plus d’informations sur le jeu, son histoire, ses protagonistes. J’ai passé des heures à lire ces petites notices pour déceler des détails, des astuces et pour déchiffrer l’intrigue de certains jeux. Au point que je me demande encore parfois si ces bouts de papier, aujourd’hui complètement disparus, n’étaient pas une part intégrante du jeu.
Quand je ne pouvais pas jouer à Zelda, car selon mes parents, j’y avais déjà consacré trop de temps dans la journée, je me retrouvais donc à regarder cette petite carte qui accompagnait le jeu dans la boîte. Il s’agissait d’une carte de la plaine d’Hyrule en partie incomplète. Certaines indications étaient données sur les ennemis du jeu, les secrets, une description sommaire de quelques personnages et des objets que l’on pouvait découvrir au cours de l’aventure.
Et j’imaginais que j’étais en train de préparer mon départ pour l’aventure, rêvant du prochain trésor que j’allais découvrir. Je parcourais d’un regard ces plaines, ces forêts, ce lac, ces montagnes, ce bois perdu labyrinthique qui me faisais tourner en rond, ce cimetière où je n’arrivais pas à me rendre, mais qui m’intriguait tant. J’ai longtemps hésité à compléter cette carte manuellement pour rajouter chaque secret découvert, mais elle était trop précieuse. Je ne pourrais pas vous confirmer le temps que j’ai passé à prolonger mon expérience de jeu en contemplant cette petite carte. Comme vous le savez désormais, le temps se dilate en grandissant. Peut-être quelques minutes, centaines de minutes, ou peut-être quelques dizaines d’heures.
Quoi qu’il en soit, cette cartouche dorée et cette petite carte m’ont fasciné pendant longtemps. Ce n’est que bien plus tard que je me suis séparé de ma Nes pour une poignée de pain. C’était une sorte de transition, un passage à l’âge adulte. J’avais anticipé ce moment, replacé la console dans sa boîte d’origine, chaque notice désormais à sa place dans la bonne boîte. J’ai longtemps hésité à conserver cette petite carte, et après tout… Qui s’en rendrait compte ? Un éventuel collectionneur peut être, à qui il manquerait cette pièce dans sa collection de jeux rétro. Mais ce n’était pas vraiment ma préoccupation. Je m’imaginais plutôt un petit garçon, dont les parents n’auraient pas trop les moyens de lui acheter la dernière console à la mode, et j’espérais au fond de moi qu’il trouverait cette petite carte et cette cartouche dorée pour vivre la même aventure que moi.
Aujourd’hui, les temps ont bien changé. Les notices ont disparu, les magazines de jeux vidéo ont laissé place à l’information numérique, la 3D est de plus en plus réaliste et les jeux bien plus accessibles. Souvent, un chronomètre calcule le temps passé à jouer, et les jeux s’enchaînent plus rapidement. Une autre époque assurément, pour le meilleur et pour le pire. Au moins, le jeu vidéo est devenu une pratique s’étant démocratisée. Mais parfois, aujourd’hui encore, lorsque je vais me coucher, il m’arrive instinctivement de me pencher sur ma table de chevet pour la prendre. Avant de me rendre compte qu’elle n’est plus là. Et que j’aimerais, juste une dernière fois avant de m’endormir, plonger à nouveau mes yeux sur cette petite carte.
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