La réflexivité du doctorant youtuber (I)

Dans le cadre d’un retour d’expériences pour un atelier organisé par l’OMNSH, j’ai évoqué mon parcours de vidéaste, de youtuber, pour les intimes. Je pense qu’il est plus qu’intéressant que je formalise mon propos, en espérant que cela puisse aider autrui. Il faut savoir, avant toute chose, que je n’en suis pas à ma première expérience de thèse. Ma toute première a démarré en 2013 et j’étais à ce moment inscrit en économie. On ne peut pas dire que j’ai été le meilleur des doctorants à ce moment. Aussitôt inscrit, aussitôt parti.

Sans que cela soit une expérience douloureuse, j’ai longuement ressenti ce constat d’échec. A posteriori, il est évident que je n’étais pas « prêt » à m’engager dans un tel travail. Je ne parle pas ici d’un stade de développement que je n’aurais pas atteint, au contraire. Je parle d’un contexte économique, social et culturel qui ne me permettait pas « d’apprendre » et de progresser dans ma thèse. Entre 2013 et 2014, je vivais à Budapest et j’étais à mi-temps sur des missions de coopération et à mi-temps sur des enseignements. Cet abandon de thèse, ce constat d’échec, est je pense fondateur dans mon parcours. En effet, je suis immédiatement reparti dans mes études, à distance et en parallèle de mon travail cette fois. Nous sommes entre 2014 et 2015, toujours à Budapest. J’en avais marre de l’économie, je suis donc parti en « ingénierie pédagogique » à la Sorbonne Nouvelle. Durant ce master, j’ai rendu en vidéo un dossier sur la gamification. Nous sommes en juin 2015, j’ai lancé véritablement ma chaîne Youtube.

Du haut de mes premières vidéos, j’essaie de m’imposer comme LA référence scientifique véritable de Youtube sur les game studies et le jeu vidéo en général. Autrement dit, le degré de vulgarisation que j’effectuais se voulait très proche  de la vulgarisation scientifique. Lorsque je regarde mes premières vidéos, que je ne supporte plus aujourd’hui, c’est exactement cet éthos que j’essaie de transmettre. Depuis, je suis redescendu de mon piédestal. Cependant, j’assume que mon comportement a pu être déplacé à un moment. Après avoir passé les 1 000 premiers abonnés, je décide de me lancer dans une activité de blogging. Nous sommes en janvier 2016 et je prépare la première édition des chroniquesvideoludiques.com, « revue » qui deviendra par la suite mon carnet de recherche.

Avec le lancement de ce blog, j’ai une idée simple : ma première tentative de thèse est due à un contexte difficile et une absence de travail. En 2016, je commence à « ressentir » ce contexte favorable : une communauté de pairs grandissante sur internet, et une volonté de devenir « producteur de contenus ». Aujourd’hui, mon carnet de recherches a dépassé la centaine d’articles de consistance variable. J’y publie autant des textes qui vont me resservir dans mon manuscrit que des pensées plus intimes ou moins construites. Concernant les vidéos que je produis, si au début je voulais être le plus scientifiquement sérieux, cette qualité de ma vulgarisation a diminué avec l’augmentation de mes travaux de recherches. Si au début, cette chaine me permettait de me rapprocher du monde scientifique, aujourd’hui, il s’agit bien plus d’un exutoire avec lequel je continue de vulgariser mais aussi avec lequel j’expérimente de nouvelles formes de médiations. En particuliers, ces derniers mois, j’ai principalement réalisé des vidéos jouant sur le pathos

C’est notamment flagrant avec mes vidéos sur la danse et sur Majora’s Mask, respectivement sans texte pour la première et singeant Jean Rochefort pour la seconde. Progressivement, je vais repartir sur des contenus de vulgarisation. Même si je ne peux plus me permettre d’être constant dans mes productions, autant au niveau temporel qu’au niveau des formats, j’ai l’impression qu’aujourd’hui, ma chaine me ressemble bien plus en tout cas. D’une manière générale, mes vidéos et mes articles sont devenus des formes de journaux intimes mais ouverts. Et ce que je ne peux pas glisser soit dans LCV, soit sur ma chaîne, je l’insère dans d’autres pages comme par exemple « la fabrique pédagogique » qui consiste en une sorte de blog de thèse. Je n’y publie pas régulièrement, mais les productions y sont, je crois intéressantes lorsqu’on les considère comme des « traces » de mes expériences. D’une manière générale, je retiens surtout que si mon travail de thèse nourrit mes productions médiatiques, l’inverse est aussi extrêmement vrai.

Je pense aujourd’hui être dans une forme d’équilibre qui me permet d’avoir deux casquettes, deux personas. Cette dichotomie est une source, parfois de conflit, parfois de créations. Entre savant et politique, c’est véritablement là que je me situe. ■

Esteban Grine, 2018.