L’abandon après l’union

L’abandon après l’union

Istenn

Quand un ami m’a parlé à la madeleine, j’ai de suite pensé à mon grand frère et moi-même en train de jouer en coopération sur Dingo et Max (Goof Troop) sur Super Nintendo. Étrange, car je n’y avais plus pensé depuis des années. J’avais même totalement omis de mon esprit l’existence même de ce jeu.

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figure 1 : la jaquette du jeu

 Et pourtant à l’instant où je m’en suis rappelé, j’ai eu les papillons dans le ventre, l’excitation, le bien être que je ressentais devant ce jeu. Mais principalement grâce à la présence de mon frère à mes côtés, grâce à qui je me sentais pousser des ailes. Rien ne me semblait impossible avec lui à mes côtés. Et pourtant, que c’était difficile d’avancer. Des énigmes qui me semblait incompréhensible et dont je devais faire un effort pour les refaire lorsque j’étais seul. Car oui, parfois j’y jouais seul, mais sans grand plaisir. Un écran « appuyer sur start », présent en haut à droite, clignotait sans cesse pour me rappeler que l’on devait être deux. Mes sessions de jeu en solitaire ne duraient jamais très longtemps. Ainsi il m’arrivait d’attendre avec impatience mon grand frère pour lui proposer une partie en espérant qu’il accepte.

Nos parties étaient endiablées, probablement, souvenirs lointains oblige, bien plus romancées et épiques qu’elles ne l’étaient vraiment. Jusqu’au jour où nous arrivions enfin à terminer le jeu. Chaque boss nous avait mis en difficulté, mais à chaque fois, nous avions triomphé. Et encore une fois nous étions face à ce boss de fin, qui nous avait déjà obligé à recommencer plusieurs fois le niveau. L’engouement lorsque nous le vîmes tombé, lorsque la musique du boss se stoppa. Nous étions si fier, si heureux. Enfin nous l’avions fait. Nous avions terminé Dingo et Max ! Ensemble.

(Figure 2 – Screenshot Dingo et Max) (Figure 3 – Boss de fin)

De là vient le fait, que je fus surpris de ne plus me rappeler de ce jeu, alors que je me souvenais bien plus du jeu que nous avions fait ensuite, Tortues Ninja : Turtles in Time, lui aussi sur Super NES. Pourtant la plupart des souvenirs étaient dans la même veine, une grande difficulté pour nous, nous le recommencions encore et encore sans parvenir à le finir. Ah oui c’est cela, nous ne l’avions jamais fini, car contrairement à Dingo et Max, il n’y avait pas de code de niveaux. Je me souviens que nous bloquions souvent au monde préhistorique avec ce boss tortue ninja mais « méchante » que je trouvais si forte.

(Figure 4 – Jaquette Ninja Turtle)

(Figure 5 – Boss Ninja Turtle)

L’énergie n’était plus la même, il n’y avait pas autant de rire et d’amusement que devant les pitrerie de Dingo. Des phrases revenaient plus souvent « ça m’a soulé », « je veux pas jouer », « j’ai la Playstation c’est mieux ». Remarquant que nos parties se faisaient de plus en plus rare, je me souviens avoir tenté de perdurer la tradition avec mon petit frère mais celui-ci n’était pas grand fan de jeux vidéo. Je crois savoir pourquoi Tortue Ninja : Turtle in Time est revenu immédiatement dans ma mémoire. Ce jeu m’a toujours laissé une certaine amertume. Il avait prit le dur rôle d’un message que peu d’enfants veulent comprendre et que l’on finit toujours par accepter. « Tu vas grandir ». Ce jeu non terminé qui me fit l’effet d’un coup de poing car je n’y arrivais pas seul. Je me revois entrer dans la chambre de mon frère en train de jouer à un jeu avec des zombies dont il me vantait les mérites. Je me souviens m’être assis à tes côtés pour te regarder jouer. Cette musique était terrifiante. J’ai vu alors un de ces monstres humanoïde agrippé le héro et lui vomir un liquide étrange au visage. À ce moment, j’ai peur. Mon frère ne quitte pas la télévision des yeux et ne me remarque pas. Il ne m’épaule plus comme autrefois. Cette union si forte entre nous, je venais de la voir disparaitre dans une musique angoissante d’un jeu que je redécouvrirai plus tard … mais seul, tout comme mon frère l’a fait avant moi.

Je me rappelle Dingo et l’énergie positive qui nous entourait. Je me rappelle Tortue Ninja et la frustration de ne pas atteindre notre but. Je me rappelle Resident Evil et la distance que je venais de voir apparaitre avec mon frère. Plus jamais nous ne serons aussi proche que devant ces petites manettes de Super Nintendo, à rire, à discuter des différents passages du jeu durant les repas de famille.

(Figure 6 – Dingo et Max ensemble)

Les années ont passés depuis et parfois je te regarde aux quelques repas de familles durant lequel nous pouvons nous réunir. Et je me demande où est passé mon précieux grand frère avec lequel j’ai passé de si bon moment. « Tu vas grandir », je n’aurais jamais pensé que ce postulat ferait si mal durant les années qui ont suivi. Maintenant nous sommes tous deux des adultes, menant chacun sa vie de son côté. Cela peut paraître amère ou dit avec regret mais lorsque je regarde notre petit frère en train de faire des « parties endiablées » sur Call of Duty, casque sur les oreilles, seul dans une pièce sombre, à crier sur une personne qu’il connait à peine et qui n’est pas présente dans la pièce. Je me sens désolé pour lui. Il ne se rappelle peut être plus ce que nous avons vécu devant Castle Crasher quelques années plus tôt. À crier de joie et de surprise face à ce monstre qui nous courait après et que nous devions semer à dos de biches qui pètent pour se propulser. À nos regards déterminés lorsque nos devions combattre pour une princesse. A notre joie lorsque nous avions vu le générique de fin. Et à sa déception, lorsque je lui ai dit que je ne voulais plus y jouer. Parce que je devais retourner travailler.

 

(Figure 7 – Course poursuite)

Au final, j’ai agis comme tu l’as fait, j’ai exécuté les même gestes et probablement créer le même ressentiment que j’ai eu pour toi. Ce sentiment d’abandon. « Tu vas grandir ». Parfois j’y repense en voyant cette jaquette de Dingo et Max courant vers nous comme s’ils nous appelaient à l’aide pour leur aventure, immortalisé à jamais. Parfois j’y repense et j’ai le souhait d’être à la place de cette enfant de cartoon. Enfant pour toujours. Toujours soutenu par son ainé, aidé à se relevé. Mais les souvenirs ne seraient pas souvenirs et ne seraient pas aussi beaux si l’on ne grandissait pas. « Tu grandiras … et tu vivras d’autres histoires plus belle encore ». Je l’espère, après tout j’ai pu revivre cela avec mon frère en tant qu’ainé ce coup-ci. Qui sait, j’espère voir un jour mes enfants rire à gorge déployé devant un jeu, chacun avec une manette et s’entraider comme s’il n’y a avait qu’une. Car même s’il est très sympathique de regarder un film seul dans sa chambre ou de visiter un musée par soi-même, rien ne changera cette expérience de ressortir d’un lieu en famille ou entre amis et de discuter. Ceci est la même chose pour le jeu vidéo.


(Sources : Image en-tête : Father and Son par Y @ Pixiv.net retravaillé par Thibaut Bézin)[/fusion_builder_column][/fusion_builder_row][/fusion_builder_container]