L’Auteur de Schrödinger – Lettre Ouverte à des inconnus
Bonjour inconnu.e.s,
Je vous écris car je lis depuis quelques jours vos échanges par lettres épistolaires interposées et je souhaite dire ceci : la place de l’auteur dans la pratique vidéoludique est inintéressante, au possible. Maintenant que je vous ai énervées. Je vous présente mes plus plates excuses pour cette phrase que je n’ai probablement pas écrite (puisqu’il n’y a pas de preuve), si tant est que par ces mots je souhaite véritablement vous présenter mes excuses ou tout simplement écrire une accroche, un chapeau de texte qui suscitera chez vous l’intérêt d’une lecture assidue. Mon intention n’en devient que plus discutable et je vous laisse juges. Maintenant que cela a été dit, je profite de ces quelques instants pour écrire une phrase de répit qui par sa lecture va vous amener à mon intention véritable : je souhaite développer ma position (chose qui n’a jamais été demandée et pour laquelle j’aurai pu/du me taire) sur l’auteur, l’intention de l’auteur et le rôle du joueur. Cette position n’est présente que lorsque j’essaie d’adopter une attitude scientifique durant laquelle nous faisons tous semblant : moi d’être objectif et vous de me croire objectif.
La question de l’auteur d’un jeu vidéo est épineuse. Le problème du jeu et in fine du jeu vidéo concerne sa double nature d’objet médiatique (game) et de comportement (play). De fait, s’il peut bien y avoir un auteur du game (du code informatique) il y a aussi un auteur du play même si ce dernier est plus ou moins incité à agir d’une certaine façon par le game design et le gameplay. Pour autant, pouvons-nous supposer le joueur comme auteur (partiel, malgré lui) du jeu vidéo. La mise en exergue que je viens de rappeler nous laisse supposer qu’il n’est absolument pas l’auteur de la structure et qu’il est en partie auteur de l’acte, du comportement. Il me semble que présenté de la façon suivante, cela propose un éclairage sur la question de la place des auteurs d’un jeu vidéo : le game designer est chargé de proposer un terrain de jeu ainsi que d’influencer l’expérience du joueur qui lui est aux commandes. On se retrouve alors avec un parallèle simple qui ressemble plus ou moins aux méthodes de production, par exemple, de la musique populaire où il va y avoir un parolier, un distributeur, une maison de disque, des musiciens et des interprètes. Les joueurs incarnent alors ce dernier rôle (de manière non rémunérée pour la plupart, certes). Est-ce que cela vous semble-t-il plus précis ? L’acteur de théâtre est lui aussi en partie responsable de la représentation finale de son rôle, même si on attribue une plus grande importance, peut-être, au metteur en scène et au dramaturge. Finalement, nous pouvons conclure que je ne suis pas spécialement intéressé par cette question. Il me semble qu’avec plus de précisions quant aux différents types d’auteurs, nous arrivons très rapidement à trouver des points d’accords.
Concernant le deuxième sujet, je m’intéresse à l’intention de l’auteur par exemple lorsque je souhaite donner une interprétation de l’expérience vidéoludique que je peux avoir lorsque je manipule un jeu vidéo. Cela m’a bien aidé lorsque j’ai écrit mon texte sur Hyper Light Drifter qui comme je le disais à l’époque, est pour moi une mise en récit de la maladie de son auteur. Cependant, la question que je me pose est la suivante : aurais-je eu la même interprétation si je n’avais pas lu un tant soit peu sur Alex Preston ? Probablement pas, de nombreux joueurs m’expliquent en commentaire de ma vidéo qu’ils n’ont pas vu ce message avec des raisons tout aussi valables les unes que les autres. Cependant, dans ce travail, j’ai projeté une certaine représentation du jeu qui ne vaut pas mieux qu’une autre ou que l’absence d’interprétation (est-ce possible ? Pourquoi en faudrait-il une ?). Il me semble par contre qu’une fois l’œuvre créée, il est important scientifiquement de ne plus tenir compte de l’intention de l’auteur. Dans d’autres pans et d’autres sujets, je m’intéresse déjà plus aux actes et aux comportements que ce qu’a voulu faire l’auteur et ce, pour une raison majeure que je souhaite développer. Il y a, je trouve, un double standard concernant les considérations que l’on peut avoir sur l’intention de l’auteur. Lorsqu’un artefact est « reçu » positivement, l’intention de l’auteur va servir d’outil pour asseoir l’œuvre, or lorsque l’artefact est « reçu » négativement, l’intention de l’auteur devient parfois un outil de dédouanement de ce dernier. Souvenons-nous du récent cas du bondyblog. Lorsque l’un des auteurs a été attaqué pour ses tweets misogynes et racistes, l’avons nous excusé parce que ses intentions étaient de « tester une hypothèse » ? Pour ma part, je me contre-fiche de son intention : je juge, à titre individuel, que son comportement et ses actes ne respectent pas les personnes concernées et que le contre-coup médiatique est justifié. Probablement que dans un autre contexte, j’aurais excusé la pauvreté artistique d’une œuvre parce que je trouve l’auteur sympathique. Donc, c’est pour cela que scientifiquement, j’essaie de me détacher de l’intention de l’auteur : je ne suis pas capable de manipuler cette notion sans hypocrisie, sans double standard.
C’est pourquoi finalement, il ne me reste plus que le joueur à étudier. J’évince, peut-être à tort, la question de l’auteur. Je ne suis pas capable d’utiliser ou d’analyser l’intention de l’auteur. Il ne me reste plus que l’audience pour espérer comprendre une œuvre. Écrit de la sorte, ce n’est pas très drôle mais sachez que j’ai bien ri de ma bêtise en écrivant ce début de paragraphe. Le joueur, c’est mon chouchou, mon angle d’analyse. C’est-à-travers sa compréhension que je peux véritablement comprendre la ou les réalités (superposables) d’un jeu vidéo et sa multiplicité d’expériences, toutes égales en importance. Malgré le sens donné et voulu par l’auteur, j’accorde plus d’intérêt au sens qui me semble être coconstruit entre l’auteur et le joueur. Dans cette coconstruction, chacun a des rôles d’auteurs différents : le game designer se donne pour mission de transmettre un certain sens précis à l’expérience et le joueur se comporte, sans y être obligé, de sorte à recevoir l’information. Ne s’intéresser qu’à l’auteur ou son intention, c’est « ne pas vérifier » si le sens a bien été reçu par le joueur, dès lors, comment savoir s’il existe, et surtout comment évaluer son degré de plausibilité ? Si, en tant que critique, notre travail, par notre compétence, est d’analyser en profondeur le sens d’une œuvre, mon travail, en tant que chercheur est de vérifier quel sens a été « découvert » par l’audience, sans juger de sa valeur. Finalement, je crois que cette dernière phrase résume bien ma pensée. Un auteur peut créer le sens qu’il veut mais le travail du joueur, ou de l’audience, est, tels des archéologues, de « découvrir » ce sens. Ils ne créent donc rien mais révèlent et attribuent une intention à l’objet découvert. Attribuer à Barthes « la mort de l’auteur » n’est-il pas une erreur ? Pythagore est-il l’auteur de son théorème ? N’est-ce pas là le lot commun de tous les auteurs ? ■
Esteban Grine, 2017