Cloud Gaming VS Cloud Computing Vs Steam, Le dilemme de la future économie du jeu vidéo
Dans une discussion animée avec Thomas et Rémi d’Un Drop Dans La Mare, nous abordions le futur du jeu vidéo et ce, surtout dans sa dimension économique de marchandise amenée d’un point A, le producteur, à un point B, le consommateur. L’interrogation principale était la suivante : entre le cloud gaming et le cloud computing, lequel sera le survivant ?
Suite à nos échanges, il apparait que cette question n’est peut-être pas si bien posée dans le sens où il s’agit fondamentalement du même service, lié aux mêmes technologies et soutenu par un système économique identique. Dans les deux cas, nous avons un ordinateur loué à titre personnel dans le cas du cloud computing ou nous avons un ordinateur/serveur dont le catalogue de jeux est à disposition de tous, pourvu qu’un abonnement soit souscrit. Ainsi, en termes économiques, il s’agit d’une relation marchande qui suit une même logique. Nous avons là deux formes d’abonnements proposant des Softwares As A Service. L’accès aux jeux ou du moins à la machine est donc conditionné par le paiement sur une plus ou moins grande échelle de temps. Or cette problématique occulte d’autres formes d’économies possibles.
Dans ce cadre, nous inscrivons notre réflexion afin d’encastrer des marchés du jeu vidéo dans l’économie de la fonctionnalité. Cette appellation définit le processus de certains acteurs sur des marchés à remplacer la vente de biens par la vente d’un service : on ne vend plus les jeux, on vend un accès aux jeux. On ne vend plus des pneus, on vend des kilomètres (c’est le cas de Michelin pour ce dernier exemple). Dès lors aujourd’hui, si l’on regarde ce qu’il se passe au niveau du jeu vidéo, on s’aperçoit qu’il existe déjà des formes d’économies liées non pas à l’acquisition d’objets mais permettant simplement l’accès à leurs fonctions. On n’achète plus un jeu pour le jeu, l’objet physique mais on achète un droit d’utilisation pour obtenir la fonction du jeu : l’expérience. Cela semble très théorique mais de manière pragmatique, c’est exactement les services que proposent Steam, GoG, uPlay, etc.
Nous nous retrouvons donc ici avec une multitude de propositions SaaS et ce avec des philosophies différentes. D’un côté il y a donc les services qui proposent un abonnement à un catalogue et de l’autre les services qui donne un accès libre mais dont les items du catalogues sont payants. D’un côté, c’est l’entrée qui est payante mais les quelques consommations sont offertes, de l’autre, l’entrée est libre mais quasiment tout est payant mais dans une variété infinie.
Dans chacun de ces systèmes, le ou la joueuse se retrouve pris entre des avantages et des inconvénients mais c’est surtout ce qu’il va privilégier qui va nous intéresser ici : soit la liberté de partir quand il le décide, soit un accès quand il le veut à tout moment. C’est à notre sens le point central qui doit être retenu lorsqu’il s’agit de différencier ces services. Les plateformes comme Steam ont pour conséquence d’enfermer le ou la joueuse dans un écosystème. Ce dernier ayant un compte accumulant des licences d’utilisation est incité à poursuivre son accumulation sur la même plateforme et avec le même compte. Les plateformes comme Blacknut en revanche proposent aux joueurs et aux joueuses de ne pas avoir d’attache. Leur intérêt réside alors dans leur curation et le renouvellement de leur offre afin de maintenir le ou la joueuse dans une attente, une envie de renouveler son abonnement afin de découvrir de nouvelles expériences.
Si les effets pervers sont facilement observables pour les premiers services, les seconds en concentrent un certain nombre aussi. La curation est clairement un phénomène cachant des enjeux politiques et idéologiques concernant les jeux vidéo. Le choix des jeux vidéo sélectionnés est discutable pour toutes les plateformes de ce type. Le rôle du curateur ou de la curatrice prend alors trop d’importance sur les expériences possibles. Il ne faut donc pas voir cela autrement que par de la manipulation via du soft power (ce qui au demeurant, n’importe pas peu).
Finalement, pour ne pas non plus trop m’étendre, je dirai que le débat soulevé par ces formes d’économies de la fonctionnalité relève d’un positionnement philosophique du ou de la joueuse sur ce qu’il ou elle est prête à abandonner pour pouvoir jouer. Dans tous les cas, il ne devient pas propriétaire des jeux (sauf pour des cas précis de vente sans drm comme GoG). Des lors, soit il ou elle fait le choix de n’avoir qu’un droit d’accès très restreint dans le temps, soit il décide d’avoir un accès aussi pérenne que l’existence de sa prison-service, ce qui ressemble à un pari risqué quand on y réfléchit posément.
Esteban Grine, 2017.