Attention, Spoil massif dès la première ligne.
Le point de départ fondamental de NieR Automata est le suivant : des androïdes sont créés pour d’un côté permettre l’évolution des machines (d’un réseau plus précisément) et de l’autre créer l’illusion que les être humains sont encore vivants auprès des autres androïdes. Dans tous les cas, des machines créent des machines. C’est ce phénomène qui explique l’existence de tous les événements de NieR Automata (malgré les liens avec les précédents opus, cela reste aussi tout à fait cohérent). De même, il y a dans la construction narrative de NieR une réflexion sur les cycles et comment s’émanciper de ces cycles. Autrement formulé, le temps est plutôt conceptualisé de manière cyclique durant lequel la fin d’une ère signifie le début d’une nouvelle, relativement identique à la précédente. Dans Matrix, le point de départ fondamental est l’asservissement de l’humanité par les machines. Les êtres humains sont alors des substituts de batterie permettant aux machines de perdurer avec une certaine forme d’énergie renouvelable.Pour maintenir les êtres humains dans leur servitude, les machines entretiennent un réseau qui subit de manière cyclique des dysfonctionnements. La solution qu’ont trouvée les machines est alors la suivante : créer un programme (un humain créé artificiellement) « Neo » qui aura pour mission de redémarrer le système.
Ces contextes et cette construction narrative permettent de nous (l’audience) faire vivre un conflit entre robot et êtres humains soit artificiellement créés soit par l’intermédiaire d’androïdes, dont les corps mécaniques laissent supposer des âmes, des esprits indissociables des êtres humains. Résumé de la façon suivante, il devient évident que NieR dressent de nombreux parallèles avec la trilogie Matrix. Il est cependant intéressant de pousser la réflexion plus loin, histoire de tester les limites de cette lecture.
L’un des thèmes fondamentales qui revient dans ces deux œuvres concerne la définition de ce qu’est le fait d’être humain. Dans NieR, c’est une évidence. Dans Matrix, ça l’est un peu moins. Dans la première œuvre, les traits humains sont bien plus l’apanage des machines qui cherchent à reproduire les schèmes et les constructions sociales humaines passées. Les androïdes au contraire sont pour les YorHa : froids et distants tandis que les androïdes résistants sont plus émotifs. On voit d’ailleurs de nombreuses quêtes se conclure sur un fait tragique poussant un androïde résistant à choisir l’exclusion ou la vengeance. Dans Matrix, nous avons quelques références dans le premier film où une distinction entre les humains créés artificiellement et les humains de Scion est clairement statuée par l’un des protagonistes. De même, nous retrouvons ce parallèle entre individus froids et distants et individus plus émotifs. L’équipe de Morphéus, bien que faisant preuve de particularités émotionnelles versent clairement la plupart du temps dans le comportement rationnel et mécanique. Il y a donc, dans cette lecture, une équivalence de traitement entre les androïdes représentants des Humains dans NieR et des femmes et hommes de Matrix. Notons au passage les accoutrements de chacun tout en rituels et masques : habillés de noirs et dont on ne voit quasiment jamais les yeux pour certains, guenilles et saletés ambiantes pour les autres.
Puis vient forcément la question des robots et le fait de vouloir les personnifier en antagonistes. La question que je pose est alors la suivante : quelle est leur place et quelles sont les parallèles entre l’œuvre de Yoko Taro et celle des sœurs Wachowsky. Dans les deux fictions, les robots se sont organisés en société. D’un côté, nous avons plus l’exploration de systèmes sociétaux humains pour NieR et de l’autre nous avons un semblant de société ultra planifiée, presqu’une fourmilière. Cependant, si les ressemblances s’arrêtent là, ce n’est pas forcément le cas pour ce qui est de les positionner en tant qu’antagonistes. Dans Matrix, la conclusion finale est qu’une forme de symbiose est nécessaire entre humains et robots. Seuls alors quelques entités, à l’instar de l’agent Smith, peuvent devenir une menace pour l’ensemble. Dans les deux fictions, les hommes sont placés au début dans une situation de résistance « face à » puis progressivement, nous comprenons que même ces résistances sont déjà prévues et organisées par des entités supérieures. Cela fait écho avec une pensée déterministe (spinoziste ?) et cyclique du temps qui passe et qui est présente dans les deux œuvres. Enfin dans les deux cas, la conclusion ouvre une perspective optimiste vers un changement de paradigme, ce qui cependant laisse l’audience sujette à interpréter. Dès lors, s’il y une représentation manichéenne du conflit au début de chaque œuvre, cette représentation évolue vers quelque chose de plus précis. Il est intéressant de noter alors l’inversion faite entre NieR et Matrix. Dans Matrix, nous passons d’un conflit global (les hommes contre les machines) à un conflit final individuel (enter Neo et Smith) tandis que c’est l’inverse qui a lieu dans NieR : la conclusion du premier chapitre (la fin A) résout le conflit individuel entre les 2B/9S et Eve puis évolue vers la résolution d’un conflit global (androïdes / l’entité) et ce, en passant par un nouveau conflit individuel : 9S contre A2. Il ne s’agit dont plus de constructions inverses comme précédemment énoncés mais de similitudes que nous faisons. Je soutiens cependant l’intérêt de penser les conflits de ces deux objets culturels comme les miroirs de l’autre.
De facto la représentation du robot antagoniste est tout de même déconstruite dans chacune des deux œuvres pour laisser place à des visions plus complexes et parfois complotistes, ce qui rend évidemment les choses bien plus intéressante. Dans les deux objets, il me semble que le plus important à retenir est que les deux partent du même phénomène déclencheur et explicatif de la trame narrative : ce sont des robots (avec une humanité plus ou moins affirmée) qui construise eux-mêmes leurs antagonistes pour 1/ évoluer dans le cas de NieR et 2/ perpétuer leur système organisationnel dans Matrix. Les héros dans les deux cas ne sont alors que des pièces d’un puzzles qui ne devient visible qu’à la fin de chacune des œuvres. Dans les deux cas aussi, nous notons un fort développement idéologique autour de l’instrumentalisation des conflits et comment ceux-ci sont montrés comme nécessaires à la domination d’un groupe social sur l’autre. Sous couvert d’un conflit dont l’issue semble libératrice pour ceux qui ne sont rien, ces androïdes, ces robots comme Pascal (dont la simple évocation du nom déclenche chez moi une montée de larmes aux yeux) ou humains artificiels (Néo, Trinity et Morphéus), Matrix et NieR soutiennent la thèse, certes complotiste mais aguicheuse, que ces conflits ne servent que des intérêts cachés, inconnus. ■
Esteban Grine, 2017.