La narration vidéoludique est un problème à n-corps

La question « y’a t-il des histoires qui ne peuvent être bien racontées qu’en jeu vidéo ? » fascine. Tout d’abord, elle offre immédiatement à la personne qui répond une possibilité de prendre une position pour ensuite engager un débat avec celui ou celle qui souhaiterait devenir son antagoniste. Ensuite, elle invite à positionner, ou plutôt « à situer », le jeu vidéo par rapport à d’autres médias. Enfin, elle questionne fondamentalement et ontologiquement les histoires que nous (nous) racontons en jouant : sont-elles différentes des autres histoires racontées dans d’autres médias ? Une histoire peut-elle être la même si elle est racontée de façon différente ?

Voilà des pistes et des enjeux de recherches passionnants. Non pas parce ce qu’il s’agit de mettre en exergue une vérité mais plutôt parce que cela interroge fondamentalement et sémiotiquement notre compétence à définir ce que sont les « histoires vidéoludiques » (si tant est qu’elles existent). Dans cet article, je vais donc principalement me concentrer sur l’élaboration d’un modèle permettant de représenter les phénomènes narratifs des jeux vidéo. Cela me permettra de questionner les modèles actuels et enfin de répondre aux questions posées.


Plan de l’article

  1. Peut-on parler « d’histoires vidéoludiques » ?
  2. Définir les histoires vidéoludiques par la sociologie des médias et la cybernétique
  3. La narration vidéoludique n’est pas un ensemble de poupées russes
  4. Un « modèle narratif à n-corps »
  5. Les histoires se cachent-elles pour mourir ?

Note au lecteur ou à la lectrice : il s’agit de la première version de l’article. Probablement que des fautes d’orthographes, de typo et de grammaires s’y sont glissées. L’article passe en relecture (participative) dorénavant.


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URBEX20180923 – Shadow Of The Tomb Raider

Nouvelle rentrée pour le blog, nouvelle catégorie d’articles que j’inaugure avec ce premier billet. Nombreux·seuses savent mon intérêt pour la photographie de mondes numériques. J’ai déjà publié un certain nombre de papier à ce sujet dans mon carnet de recherches. C’est pourquoi je vais dorénavant produire des articles réunissant mes meilleurs clichés de chacun des jeux auxquels je joue.

Pour ce premier billet « muséal », je vous partage donc les photos que j’ai prises ou « faites » en jouant à Shadow Of The Tomb Raider, un jeu fantastique par son ambition, ses environnements et ses nombreuses histoires.

Attention, l’article spolie l’intégralité du jeu ! Avancez à vos risques et périls. Continuer la lecture de « URBEX20180923 – Shadow Of The Tomb Raider »

La perte d’Olive

J’ai toujours été un garçon solitaire. J’ai toujours eu le plus grand mal à me lier aux autres. Ça a pu prendre des proportions maladives, j’ai passé la plus grande partie de mon enfance et mon adolescence seul dans ma chambre, sans activité extra scolaire, sans amis, sans sport. J’ai parfois le sentiment d’avoir grandi en prison. Après tout ce temps, cela reste difficile pour moi de communiquer avec les gens. Lorsque j’ai compris le jeu que je dois jouer avec eux, ce qu’ils attendent, je m’adapte, j’arrive à faire semblant. Mais lorsqu’il s’agit d’être dans une relation non balisée, ou de répondre à des questions qui n’ont pas été anticipées, j’ai souvent le plus grand mal. Les jeux vidéo ont représenté une chose très importante pour moi. Ils m’ont ouvert une fenêtre sur le monde auquel je n’ai, pendant longtemps, pas eu accès. Ils m’ont permis de découvrir les sensations des sportifs sur les pistes de snowboard, en jet ski, ils m’ont permis de comprendre la beauté et la récompense que représente un coucher de soleil en montagne, quand on a gravi un sommet imposant; ils m’ont surtout permis de découvrir ce qu’est une véritable amitié.

J’ai été fasciné par le concept d’Animal Crossing dès les premiers visuels aperçus dans un magazine de l’époque, avant la démocratisation d’internet. J’ai rapidement commandé le jeu sur une promesse étonnante de simulation de vie, une simulation qui s’annonçait moins froide et technique que des jeux comme Les Sims. Ce fut mon premier achat par correspondance, et je me rappelle parfaitement ma fébrilité la première fois que j’ai lancé le jeu. On y incarne un personnage fictif qui emménage dans un petit village au milieu d’une forêt. Ce village est rempli d’animaux vivants dans leurs petites maison, vaquant à leurs occupations de chasse aux insectes ou de collecte de fossiles. Je me rappelle la petite maison au toit rouge près de la gare dans laquelle j’ai posé mes premières affaires, et je me rappelle avoir exploré le village dans ce qui était la première soirée passée dans ce jeu se déroulant en temps réel. C’est à ce moment que j’ai rencontré mon premier voisin : Olive. Mâle ou femelle, peu importe, cet ours avenant était un peu étrange, comme tous les animaux du jeu. Chaque personnage a un nombre de lignes de dialogue très important qui donnent l’impression d’une personnalité propre ; on a vraiment l’impression d’avoir des conversations avec eux.

J’ai eu le sentiment de me lier d’amitié avec Olive. Je lui faisais des cadeaux, j’écoutais ces théories sur la vie et ses états d’âme, il était vivant pour moi. Et cette relation était simple, il venait vers moi de façon spontanée, sans motivation autre que son code de programmation, ses phrases préenregistrées étaient pleines de vie, de gentillesse, son excentricité m’apaisait. Je n’avais pas à me préoccuper des ses intentions pour communiquer avec lui, il était généreux, sans arrière-pensée. Mais j’ai fini par négliger ma relation avec lui, comme avec le reste des êtres humains avec lesquels je pouvais interagir dans ma vie quotidienne, et Olive a fini par quitter le village. Il m’est apparu comme acquis, nous sommes habitués à acquérir et conserver des choses dans les jeux vidéo. Mais aucun jeu ne peut simuler la vie sans inclure la mort dans la boucle. Je m’en suis toujours voulu, et je continue de m’en vouloir. Il m’est pourtant impossible de savoir si mes actions ont eu un impact sur son départ, mais il est probable que, les interactions diminuant, un schéma fut mis en place. La lettre qu’envoie chaque personnage en partant ne m’a en tout cas pas donné d’indice, il y évoquait quelque chose comme une envie de voyager.

Le jeu n’a plus jamais été le même pour moi, je n’ai pas fait d’autres rencontres aussi intéressantes, j’en ai vite eu assez de nettoyer les mauvaises herbes sans raison, j’ai peu à peu abandonné Animal Crossing. J’aimerais le relancer mais la seule pensée me tord l’estomac, je n’ai pas le courage d’affronter à nouveau ce que je considère comme un authentique deuil, j’ai trop peur de ressentir à nouveau les regrets et la culpabilité qui me donnent l’impression d’avoir tout gâché. Ce regret m’a permis de grandir, j’ai perdu un ami et c’est ainsi que j’ai compris que mon rejet des relations venait de cette finitude obligatoire qui rendait vain tout investissement. J’avais peur de vivre, il était plus facile de ne pas vivre que d’affronter la mort. Ce jeu m’a confronté à cette peur et m’en a guéri, plus efficacement qu’une psychothérapie, étant donné que je fus acteur de ma thérapie par l’interaction spécifique au jeu vidéo, sans prendre de réel risque avec un être humain. Les émotions simulées ne me semblèrent pas fausses pour autant, et les émotions que le jeu m’a procurées n’ont rien de virtuel. Je vis maintenant toute relation comme forcément finie, dès le départ, mais c’est au fond ce qui fait pour moi leur valeur. Le regret est désormais une émotion qui m’accompagne dès les premiers instants d’une relation, ce qui ne m’empêche plus de vivre, et peut-être même cette émotion m’aide-t-elle à avancer. Je regretterai toujours la perte d’Olive, mais elle était nécessaire pour que j’arrive à vivre.

Marc-Olive Tailrud, 2018.

Sans/REGRETS, le dossier de la rentrée sur LCV

La question du regret est complexe lorsqu’il s’agit de l’associer au jeu vidéo. D’un côté, il semble complexe de supposer son existence chez le joueur ou la joueuse : comment peut-on regretter quelque chose de supposé fictif ? De l’autre, nombreux sont les témoignages – sur Twitter ou sur d’autres formats – de joueurs et de joueuses relatant le regret qu’ils et elles ont pu ressentir en jouant.

C’est ce même sentiment qui m’a poussé en partie à me lancer dans les recherches sur le jeu vidéo. Dans le texte de l’appel, je relatais notamment l’expérience que j’ai pu avoir avec Undertale (Fox, 2015). Ce que j’observe à partir de mon comportement, c’est que cette émotion a été un événement marquant de ce qui est constitutif de ma personne aujourd’hui. J’ai regretté des choses en jouant, en ayant un impact dans une fiction.

Cependant, le regret peut s’exprimer d’une multitude de façons différentes. Que cela soit à l’égard d’un récit – je parle ici de mon expérience personnelle – mais aussi à l’égard d’autres paramètres. L’objet de ce dossier est donc le suivant : tenter de proposer une définition du regret lorsqu’il est associé au jeu vidéo. Autrement dit, à travers cinq témoignages, nous explorons les associations d’idées qu’effectuent des joueurs lorsqu’on leur demande de définir ou d’évoquer des moments de « regrets vidéoludiques ».


Note à l’attention des lectrices et des lecteurs : Les textes partagés ne reflètent pas les idées, les propos et les pensées d’Esteban Grine et sont publiés sans volonté de refléter une ligne éditoriale. Ils ne sont que le résultat des opinions de leurs auteurs et en aucun cas LCV et Esteban Grine ne peuvent être associés aux idées défendues par les auteurs des témoignages. Cependant, ils respectent les obligations de l’appel à savoir (principalement) : pas de messages oppressifs, de ciblages et de contenus apologiste de formes d’oppressions.


Sans regret, sans repère ?

Dans ce premier texte, notre auteur propose d’envisager ce que signifie le regret depuis plusieurs angles. Premièrement, que signifie regretter une action lorsque l’on joue en multijoueur ? Secondement, comment certaines expériences sont game designée de sorte à nous susciter le regret ? Pour répondre à cela, il part de ses expériences personnelles avec Overwatch et Life Is Strange, deux jeux particulièrement marquant après de leur audience. Enfin, il évoque l’impact qu’a pu avoir cette émotion sur sa propre vie de joueur. Il s’agit donc plutôt d’un témoignage qui part d’expériences vécues pour élargir et développer une réflexion.

L’auteur est anonyme.

L’adresse du texte : https://www.chroniquesvideoludiques.com/sans-regret-sans-repere/

L’ombre d’une fuite

Contrairement au premier texte qui se voulait ouvert à une proposition plutôt théorique du regret, « L’ombre d’une fuite » est un texte bien plus personnel. Aurélien Lefrançois nous livre un récit de vie, un événement marquant de son parcours de joueur. Ici, le texte est lié à une action que le joueur réalise dans une fiction. Autrement dit, il s’agit d’un regret directement exprimé par rapport à une action effectuée dans une fiction. Voilà une nouvelle définition du regret passionnante : comment peut-on regretter une action que nous avons effectuée uniquement dans une fiction ?

Auteur : Aurélien Lefrançois

L’adresse du texte : https://www.chroniquesvideoludiques.com/lombre-dune-fuite-final-fantasy-6/

Perdre, l’amour consumé

Que se passe-t-il lorsque l’on passe « à côté de l’expérience » telle qu’on l’aurait espéré ? Le regret est une émotion complexe qui se retrouve régulièrement conjuguée avec d’autres telles que la culpabilité. C’est le cas dans ce texte de Simon Le Gloan qui nous partage un fait marquant dans son parcours de Dark Souls 3. Une question fondamentale y est posée : peut-on trahir un jeu (sous-entendu l’intention de l’auteur telle qu’elle est perçue par le joueur) ?

Auteur : Simon Le Gloan

L’adresse du texte : https://www.chroniquesvideoludiques.com/perdre-lamour-consume/

Durant un mois entier

« Durant un mois entier » nous propose d’explorer le regret dans sa dimension extérieure à la fiction du jeu. L’auteur, anonymisé, nous parle du regret qu’il ressent par rapport aux JV en tant qu’objets. Autrement dit, le regret est exprimé ici par rapport à des choix de vie qui ont poussé l’auteur à jouer plutôt que faire autre chose. Durant un long mois loin de son ordinateur, il a alors pu questionner sa pratique du jeu vidéo et de se demander s’il la regrettait. Il ne s’agit pas ici de dresser une critique des joueurs et des joueuses mais fondamentalement d’un texte questionnant le temps consacré au jeu. L’auteur apporte une réponse qui lui est personnelle et qui éclaire notre définition du regret lorsqu’il est lié au jeu vidéo.

Auteur : Anonyme

L’adresse du texte : https://www.chroniquesvideoludiques.com/durant-1-mois-entier/

La perte d’Olive

« La perte d’Olive » est un beau texte. Il nous raconte l’incompréhension d’un joueur face à la disparition d’un personnage fictionnel. Il pose des questions particulières : peut-on être « ami » avec un personnage non-joueur ? Comment s’exprime, se révèle, cette amitié ? Et surtout, que se passe-t-il lorsque cette amitié se termine ? Son auteur,  Marc-Olive Tailrud, évoque cela en mettant en parallèle ce que le jeu vidéo Animal Crossing lui a apporté afin de résoudre les difficultées qu’il rencontrait dans sa vie de tous les jours. Le regret devient alors, dans ce témoignage, la source de leçons de vie.

Auteur : Marc-Olive Tailrud

L’adresse de l’article : https://www.chroniquesvideoludiques.com/la-perte-dolive-animal-crossing/

Durant un mois entier

Durant 1 mois entier, à peu de chose près, je n’ai pas eu accès a mon ordinateur fixe. Ordinateur sur lequel j’avais passé 3 ans de ma vie, plusieurs milliers d’heure, à jouer, regarder, rire, rencontrer des gens et m’amuser. J’ai tout fait sur cet ordi, j’ai trouvé mes passions, mes amis, un objectif. Plutôt des objectifs. Je m’y suis réfugier, pendant une année entière, j’ai pleuré devant cet ordinateur, j’ai insulté la terre entière devant cette ordinateur, j’y ai remis en cause mon existence, celle de toute la planète, j’ai compris qu’on ne pouvait pas y faire grand-chose finalement. Et tout ça lors mon année d’entrée en seconde. Mais pendant un mois je n’ai pas pu approcher cet ordinateur. Résultat perte de repères, je ne sais plus quoi faire chez moi, j’ai bien mon ordinateur portable qui me permet de jouer a des jeux de cartes en ligne, mais bon. Impossible de lancer de triple A. J’improvise un moyen pour parler à mes amis sur discord via mon téléphone mais je m’ennuie.

Je n’avais pas connu cet sensation depuis que j’étais petit. Je n’en reviens pas tellement le temps semble long. Après à peine une semaine je me couche à 22h tous les soirs parce que je suis fatigué, pas parce qu’on m’y oblige. Le sommeil arrive vraiment. J’arrive donc sans trop de mal à me réveiller à l’heure que je souhaite. Ma mère voit le progrès. Elle met directement en cause l’ordinateur, je réfute. Ce n’est pas ça, ça ne peut pas être ça. Je continue, les vacances arrivent bientôt, je dessine, je continue le fameux carnet que je devais remplir chaque jour. Je sociabilise, mes relations évoluent, je tombe amoureux, peut être trop vite, je m’arrête, je réalise que ce n’est pas de l’amour… Je suis triste, mélancolique, mais je dors bien, je dessine encore et toujours. Je fais les fameuses « flammes » sur Snapchat, je me sens adolescent, dans l’air du temps, je fais comme tout le monde. Ma carte mère ne veut pas arriver, j’attends, je m’occupe de mon voyage de l’année prochaine, j’envoie des mails, je me renseigne, j’écoute de la musique.

J’ai des conversations, de longue conversation avec une fille, je suis content c’est pas comme la première fois, mais là je doute, je me demande si j’interprète mal ce que je ressens, si c’est de l’amour. Je regarde la lune, les étoiles, j’attends le prochain message, je ne l’ouvre que 2 minutes après, j’vous dit je suis adolescent. Puis je pars en vacances. J’oublie cet ordinateur, je réalise ce qu’il m’a fait, comment j’ai grandi avec lui et pourquoi je suis comme ça. Je continue de parler, mais physiquement, je fais mes adieux à mon ami de longue date, jamais je n’oublierais le regard qu’on s’est lancer après avoir écouté un énième trac d’Orelsan.  Puis je rentre et je suis surpris, ma carte mère est réparé je bondis dans la voiture, mais le réparateur n’est pas là, je suis déçu. Je retrouve ma maison elle sent bon, elle sent le printemps, le linge frais, j’adore l’odeur. Je me couche tard, je me prépare à son retour, je rejoue à des jeux, je continue de parler, de dessiner. Je passe des moments simples, je joue aux cartes, je vais au restaurant avec ma famille. Puis, le réparateur revient, je lui donne ma tour, ma carte mère. Puis j’attends,j’attends, j’attends, j’attends, j’attends en faisant tout et rien. Je joue, je lis, je dessine, je discute, je me demande quand ce sera fini, quand est-ce que je pourrais y avoir accès. La nuit suivante impossible de dormir, je me réveille tôt, transpirant d’inquiétude. J’attends l’appel, j’attends la délivrance. Je le veux j’en ai besoin, je veux retrouver tout ça, cette vie, ces moments. J’y vais – je l’ai, je branche mon écran, je vois le logo s’allumer. Je suis heureux, une petite larmichette, je réalise que c’est stupide, mais je suis euphorique. J’embrasse ma mère, je change le fond d’écran et je télécharge Steam.

A ce moment-là je suis pris d’un doute, j’ai bien vu que mon disque dur est toujours rempli de tous mes jeux mais, je n’en veux pas, je sélectionne le dossier : 1.3 téraoctet. Je réalise. Quasiment 3 ans de ma vie, des milliers d’heure de jeux, des expériences touchantes, frustrantes, stressantes, horrifiques, intemporelles. Des histoires d’amitié, de trahison, d’amour, de partage… Tout ça dans une petite boite. Tout ce que ça m’a apporté, tous ce que j’ai pu y perdre. Est-ce que ça valait le coup ? Est-ce que je regrette de ne pas avoir passé plus de temps à faire comme les autres, à enrichir mes réseaux sociaux, à profiter de ma vie d’étudiant, de mon statut. Je ne sais pas. Je fais le vide, respire… Désinstaller, oui. J’ai un ami à qui je parle au moment où j’appuie sur le clic de ma souris. Je me crispe puis je clique. Je regrette instantanément je n’ai plus de jeux auxquels jouer, enfin, je ne pourrais plus passer mon temps à faire ça. Je respire puis je regarde mon clavier, ma souris, mes écrans. Je quitte mon siège, j’éteins mon ordinateur. Je sors de ma chambre, je monte dans mon bureau et je prends mon téléphone. Je dis à celle que j’aime ce que j’ai à lui dire. Ma vie de joueur ce termine ici, le 05/05/18. ■

Anonyme, 2018.

Sans regret, sans repère ?

Dans ce témoignage, je parlerais principalement du FPS de Blizzard, Overwatch. En un peu plus de deux ans, je me retrouve avec près de 1000 heures en partie ce qui doit approcher des 1250-1300 heures réelles passées dans le jeu en comptant les menus. Il s’agit du premier jeu dans lequel je me suis impliqué autant, en tant que joueur d’une équipe et joueur compétitif, je suis toujours à la recherche de ce qui me fera donner un avantage sur l’ennemi, in-game ou bien en dehors sur les forums, subreddit et autres. Cependant, ce qui m’a fait rester dans les moments sombres des mises-à-jour d’équilibrage qui ont fait stagner la scène compétitive, c’est la communauté entourant le jeu. On peut voir que Blizzard a cherché à créer un jeu aussi social que compétitif et l’ont réussi, encore plus avec les récentes implémentations visant à éliminer les joueurs toxiques, à récompenser les personnes sympathiques et l’implantation du système de recherche de groupe. Il m’est parfois arriver d’éprouver du regret, par rapport à une action que j’ai faite en jeu et je pense qu’il s’agit du seul FPS qui peut faire naître ce sentiment, peut-être grâce à cette dimension sociale.

Axe premier : Le regret dans la fiction

Dans Overwatch, tout est basé autour d’un objectif, cela peut être une zone (appelé « point ») qu’on doit contrôler un certain temps pour gagner ou bien l’escorte d’une cargaison que l’on doit ramener le plus loin possible. Or, le seul moyen pour les défenseurs d’arrêter le progrès et d’être présent autour de l’objectif. Ainsi, en étant mort on ne peut aider notre équipe à tenir l’objectif ou bien à le reprendre, c’est pourquoi il est si important de rester en vie tout en tuant les autres. De plus, chacun ayant un rôle précis dans chaque composition d’équipe, perdre un coéquipier veut dire qu’une partie de ce que votre équipe pouvait faire ensemble ne peut plus être fait ; exemple : si votre « offtank » (tank secondaire) meurt, personne ne peut assister le tank primaire et donc il devra jouer moins agressif : chaque erreur sera nettement plus préjudiciable pour lui.

Si, j’explique cette mécanique c’est que, malgré cette importance de l’avantage que cela donne, il arrive parfois que l’on regrette d’avoir tué un ennemi ou bien de l’avoir fait d’une certaine manière. Par exemple, en tant que Fatale (un sniper qui est donc un personnage qui doit avoir de très grandes mécaniques au niveau de la viser), quand je duel une autre Fatale, une sorte d’honneur veut que l’on cherche à non pas mettre deux balles consécutives dans le corps, mais plutôt une dans la tête. D’un point de vue purement stratégique,  il est préférable que quelqu’un vienne déranger la Fatale adverse et que l’on tir à ce moment-là mais on ressent parfois alors un « déshonneur », comme j’aime l’appeler, car ce comportement me rappelle un peu les combats de chevalier. J’ai l’impression que tous les personnages fragiles mais qui peuvent se retrouver puissant en duel ont cette sorte de code d’honneur. Etant spécialiste Ana et Zenyatta, deux soigneurs très souvent l’objet des tirs adverses qui se reposent énormément sur la visée, s’il m’arrive de devoir duel une Ana ou un Zenyatta adverse, ma raison me dit de me coordonner avec mes alliés pour l’éliminer, mais j’éprouverais tout de même un regret de ne pas l’avoir fait en duel.

Axe second : Le regret et le sentiment d’échec.

Je rencontre bien sûr le regret dans Overwatch, lorsque j’ai fait une action préjudiciable à mon équipe ou bien lorsque l’on perd un teamfight par ma faute. L’autre regret que l’on croise sur la scène compétitive peut être quand on est dans un match serré, voir qu’on est en train de perdre mais qu’on reprend l’avantage car une personne en face a décidé de troll ou bien se fait déconnecté. La victoire est toujours bienvenue, mais elle a un goût de cendre. Ce jeu est particulièrement vicieux si on ne s’y prépare pas, puisque chacun à un rôle à jouer, il suffit qu’un maillon de la chaîne des étapes à réaliser n’ait pas été concrétisé pour que tout le plan d’attaque tombe à l’eau. On peut connaître un regret également quand on arrive à la victoire à l’aide de stratégie pas très élaborée mais très efficace, il arrive alors qu’on sente une impression de regret du fait que l’on ait en quelques sortes « voler » la victoire aux ennemis qui parfois utilisent une stratégie nettement plus complexe mais qu’ils n’ont pas pu concrétiser. Peut-être encore une fois une relation avec les combats de chevaliers, ne pas se battre à la loyale peut apporter la victoire mais est-ce que l’on désir l’obtenir de cette manière ?

Axe troisième : Game designer le regret.

Je n’ai jamais joué à Metal Gear Solid malgré sa bonne réputation donc je vais vous parler de mon expérience avec le jeu « Life is Strange » car j’étais ici, aussi, face à un choix difficile : décider de la mort de Chloé, devenue tétraplégique et qui nous le demande après avoir pris de la morphine qui l’a shoot un peu. Elle nous demande alors si on ne voudrait pas abréger ses souffrances en sur-dosant la morphine, on apprend que le traitement de Chloé coûte trop cher à sa famille aussi et qu’elle s’inquiète pour eux.  A ce moment-là, Max se trouvait dans le présent alternatif mais je ne savais pas que Max pourrait revenir dans l’autre timeline donc j’importais beaucoup d’importance à ce choix. J’ai donc fermé le jeu et je me suis posé pendant plusieurs jours quel choix précédant m’avait ramené face à celui-ci. Comme si je choisissais de ne pas choisir, je renie un peu le choix à faire. J’en suis allé à regretter de faire des actions qui aux premiers abords semblaient du bon sens. Après cela, j’ai un peu perdu de vue le jeu car je refusais de faire le choix, mais j’y suis revenu car une amie m’avait dit de ne pas trop y accorder d’importance.

Comparer ce type de regret avec le regret de n’avoir pas réussi à gagner face à un adversaire est aussi absurde que de comparer le regret d’avoir été injuste avec un inconnu avec le regret d’obtenir une mauvaise note. Le dernier est un regret car dans un système de compétition, on ne s’est pas satisfait face à tel ou tel critère, dans un jeu celui-ci sera une élimination sur un adversaire ou une victoire, dans un système scolaire c’est un objectif comme une mention ou bien se placer au-dessus de certains dans le système hiérarchique. Tandis que le regret que j’ai ressenti dans Life is Strange touche à notre base même, il questionne et remet en doute nos valeurs, ce que l’on croit et nos objectifs. Je définirais l’un comme la crainte qu’on n’arrive pas à l’objectif alors que l’autre est plus dévastateur, car il pourrait briser la raison même pour laquelle on ait agi de cette manière au départ, voir comment on va réagir à l’avenir.

Axe quaternaire : L’impact du regret sur la vie du joueur ou de la joueuse.

D’un point de vue compétitif, le regret est un outil aussi puissant que la satisfaction d’une victoire. En effet, lorsque l’on regrette d’avoir mal joué d’une certaine manière, il y a nettement plus de chances qu’on ne répète plus cette erreur. C’est pourquoi il est important de s’enregistrer et d’analyser tous nos faits et gestes en jeu afin de voir quelles erreurs nous avons fait et de voir leurs implications dans l’issue du combat. On vient alors plus facilement à regretter de s’être positionné ici alors que l’on avait vu cet ennemi qui va nous prendre par notre flanc par exemple. Il s’agit là du type de regret lié au non-accomplissement d’un objectif. Dans les différentes équipes pour lequel j’ai joué, j’étais connu comme quelqu’un qui analyse assez profondément et qui avait tendance à voir plus loin que le simple prochain fight, cela vient en grande partie au regret que j’ai eu au fil de mes heures de jeu pour ne pas avoir prévu à l’avance un coup de l’ennemi qui était prévisible.

Le second type de regret dont j’ai parlé est selon moi davantage utile dans d’autres jeux – à être plus précautionneux que ce que je fais – ne jamais prendre les choses comme des vérités absolues, notamment dans les mises en place de l’intrigue où souvent les péripéties viennent d’une vérité trop facilement admise. En reprenant le choix de Life is Strange, celui-ci m’a fait me questionner sur le suicide accompagné qui pourrait être exercé dans les hôpitaux : est-ce que donner le contrôle complet sur sa vie ne serait pas juste un droit ? Est-ce que donner de l’importance à une proclamation alors que l’on se trouve dans un cadre spécifique ne peut pas nous mettre enclin à prendre des décisions hâtives mais définitives ? Accordons-nous trop d’importances aux derniers mots alors que l’on doit être certainement trop troublé pour choisir réellement si on veut vraiment partir maintenant de manière douce ou bien vivre jusqu’au dernier moment ? Je pense que le jeu vidéo en nous mettant en acteurs et non pas spectateur est le meilleur média pour nous faire se poser ces questions.

J’ai remarqué que tout comportement en jeu se reflète sur notre comportement en-dehors, pour prendre mon exemple, depuis que je joue ce type de rôle très fragile mais qui doit penser à beaucoup de choses en même temps, j’arrive mieux à estimer les conséquences de mes actes dans chacun des scénarios possibles, c’est comme si j’avais entrainé mon cerveau dans la simulation qu’est le jeu vidéo à penser plus rapidement et à ne pas omettre des possibilités. Après tout, qu’est-ce que le jeu vidéo sinon qu’un monde virtuel pour nous amuser mais aussi nous faire poser des questions bien réelles ? ■

Texte anonyme, 2018.


Source :
Image : Figure 3 : Wisp, 1er Novembre 2015,  «yes homo » blog : http://yeshomo.net/life-is-strange/

 

Perdre. L’amour consumé.

De manière générale, je me sens plutôt tranquille avec les jeux vidéo. J’ai toujours eu l’impression que jouer, c’était comme vivre, mais avec la possibilité de revenir en arrière, de voir ce qui se serait passé si j’avais agi autrement. Une vie où faire un choix n’est pas faire le sacrifice de tous les autres, mais plutôt éprouver une possibilité sur laquelle il sera possible de revenir plus tard. Les sauvegardes et les safestates ne sont pas automatiques, mais elles sont aujourd’hui suffisamment récurrentes – en tout cas dans mon expérience personnelle du jeu vidéo – pour que leur absence fasse plus exception que l’inverse.

L’impact sentimental des « jeux à choix » en vogue depuis un moment – de Walking Dead à Undertale – fait mouche, mais frappe du côté de l’émotion : beauté triste, virtuosité du jeu qui pousse le joueur à faire le mauvais choix, à verser une larme douce. C’est beau, c’est fort, et c’est ce regret doux-amer qui en fait un jeu terriblement marquant non ?

Ici, j’aimerais plutôt explorer le regret moche, proche de celui de la vie de tous les jours, celui qui laisse vide ou en rage, sans une once de beauté à sauver ou à préserver. Le regret qui dégoûte, et donne envie – au choix – de hurler ou de s’éteindre jusqu’au lendemain – ça ira mieux peut-être. Cette forme du regret, il a été très rare que je l’éprouve du côté du jeu vidéo. De mémoire, ses rares occurrences ont eu lieu dans ma jeunesse, et elles furent en général liées à une source extérieure au jeu lui-même, que chaque joueur apprend à craindre au cours de sa vie : la perte d’une sauvegarde importante.

Perdre Miami, mon village d’Animal Crossing, je ne m’en suis jamais vraiment remis à l’époque. Voir cette sauvegarde disparaître dans le formatage maladroit d’une carte mémoire, c’était perdre des amis – je dédie ces quelques mots à Mallory – et perdre une histoire – certes à moitié fantasmée. En fait c’était perdre une mini-vie. D’un claquement de doigt, tout ce que j’avais vécu n’avait plus aucune existence en dehors de ma mémoire, c’était presque comme si cette vie parallèle, si importante pour moi à ce moment là, n’avait jamais eu lieu. Une fois remis du choc, je me souviens avoir créé une dizaine de villages à la suite, frénétiquement : ils étaient tous inintéressants, mal agencés, peuplés de voisins creux !

Mais en fait non, ils étaient juste différents.

Perdre mon elfe des bois d’Oblivion fut un coup au cœur aussi. Plus léger, sûrement.

Perdre des mini-vies.

Il y a peu de temps, cette année, un jeu m’a fait retrouver, sous une autre forme, ce regret-dégoût terrible de la perte, de l’erreur bête qui donne soudain l’impression que tout est vain. Cette fois, tout s’est passé à l’intérieur même du jeu : je voudrais parler ici de Dark Souls III.

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Dark Souls ça résonne dans ma tête comme trois jeux qui te dégoûtent à vie d’éplucher des pommes de terre

C’est l’amour de perdre qui donne envie de se relever sans arrêt

Comme un héros de manga ou la pire des maladies d’hiver.

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Sur la question du regret, Dark Souls n’était pas mal parti. Sous ses airs de routine éternelle rembobinée à chaque mort, le jeu a un rapport au « définitif » assez radical. Peu d’embranchements liés à des décisions déchirantes définies, mais des choix, un peu partout, sans avertissement. Dans Dark Souls, tuer est un choix, et il est définitif. Tuez un marchand, tuez un compagnon de voyage, tuez un boss, il ne reviendra pas. Le jeu a parfois des airs de cauchemars : on ne peut pas le mettre en pause, ni charger une sauvegarde précédente. Ce qu’on fait, on le fait et on l’assume, tant pis pour nous. Parfois, c’est vertigineux.

Je me souviens avoir tué le premier marchand de Dark Souls, un peu bêtement. Bon, ce n’était pas grand-chose ; ça donnait la couleur.

J’ai épuisé Dark Souls, puis Dark Souls II. D’un bout à l’autre. Et j’y ai pris énormément de plaisir.

Puis est arrivé le moment.

Le moment de dire au revoir à la saga en apothéose. Dark Souls III.

__

Alors allez il est temps, retour au charbon.

Temps d’en finir.

Fermer le portail de l’univers, l’air de dire c’est bon j’ai assez vécu et vous aussi.
On a assez valdingué ; les cryptes, les flammes, les cimetières, les ténèbres. Il est temps de prendre l’air non ?
Changer de refrain. Mais prouver une dernière fois qui on est ; finir en fanfare.

Avaler tous les seigneurs, devenir le dieu des dieux, puis fermer la porte.

Alors Dark Souls III j’ai tout fait tout seul
J’aurais pu demander de l’aide, le mode multijoueur est là pour ça.
Mais attends,
C’est MA quête initiatique ou pas ?
Je n’en perdrai pas un atome.

En fait, je me comporte en mec jaloux avec tous ces boss.
Aucune autre épée pour vous, c’est moi et c’est TOUT.
Je te dis
c’est moi et toi et on danse
ON DANSE
et ça s’arrête quand on meurt

sauf pour moi

moi si je meurs je reviens
et on danse encore ;

on danse parce que c’est ce qu’il y a de plus beau
risquer sa vie
en sueur
le cœur qui bat tellement
tellement
c’est quoi de l’amour ou de la haine
je ne sais pas Danseuse boréale

je ne sais pas Roi sans nom

en tout cas je te tue
est ce que ça ne peut pas être les deux à la fois ?

Alors pourquoi, quand j’atteins le dernier adversaire, le seigneur des seigneurs des cendres, pourquoi à ce moment là je me comporte comme un dieu gâté à qui tout est dû ? L’adversité a fini par me fatiguer, peut être, ou c’est ma tête qui a trop enflé, à force de pomper.

« Nan mais attends, j’en mange au petit dej’ tous les jours des mecs comme toi, alors d’où tu viens me faire chier avec ton combo qui me met mal !? Ça fait des centaines d’heures que je monte les échelons, c’est pas MAINTENANT que tu vas me faire souffrir ! »

J’appelle de l’aide en ligne, j’invoque un autre joueur. Hyper culpabilité, je n’ai jamais fait ça avant. C’est juste pour une fois je vous jure. Je fais ça discrètement, et juste pour m’entraîner à comprendre son combo, juste pour ça c’est tout, promis. Une fois que j’aurai compris comment esquiver ce truc, je me jette dans le vide et on recommence à la régulière.

mais en fait c’est un massacre
pas le temps de bouger
pas le temps de comprendre
le seigneur des seigneurs
mangé comme le bout de pain
qu’on arrache à la baguette en sortant de la boulangerie

par ce héros inconnu
et moi je suis la
sans avoir donné un seul coup
qu’est ce que j’ai fait

qu’est ce que j’ai fait

le feu s’éteint le générique commence
et je ne suis même pas en rage de m’être fait voler ma dernière épreuve
je suis vide
je n’ai pas échoué pourtant j’ai perdu
et plus rien n’est immortel

des visions de Miami, de Mallory

de cet elfe dont j’ai oublié le nom

sacrifiés sur l’autel de ma bêtise, comme mon amour pour ce dernier boss
j’ai laissé passer ma chance.

Le feu s’est éteint ; le mien est passé avec.

Au revoir Dark Souls

je ne suis même pas triste.

__

C’est vrai, cette anecdote égocentrique et puérile ne dépeint pas un regret très honorable. C’est ça le pire : ce regret, mon regret, il est ridicule. Ne pas tuer le dernier boss moi-même, c’est tout. Cet instant final a retourné contre moi mon propre ego-trip. C’est ça ce qui est important pour moi, tuer des boss, c’est vraiment pour ça que je joue ?

Mais je crois que ce n’est pas juste tuer. C’est la danse, la sueur et l’amour douloureux. J’ai l’impression d’avoir été l’amant infidèle du jeu, d’en payer le prix fort. J’ai l’impression d’avoir caché une antisèche dans ma manche à la pièce de théâtre de fin d’année, alors qu’on a tous travaillé dur depuis des mois. Plus que jamais je compatis à la douleur de Lothric : moi aussi j’ai lâché l’affaire devant l’ampleur de mes rêves, moi aussi j’ai abandonné, j’ai perdu courage. J’ai cédé à la facilité. On est pas bien différents.

Je me suis forcé à relancer Dark Souls III depuis, deux ou trois fois. Mais quelque chose a disparu, et le plaisir avec. Le jeu me fait la gueule peut-être. Je n’ai plus envie.

J’aimerais achever ce texte sur une touche plus douce, quand même, quelque chose qui me reste malgré tout, un souvenir magique qui ne parvient pas à se ternir. A l’époque de mon affrontement terriblement difficile avec le Roi sans nom – boss réputé pour être un des plus coriaces du jeu – j’accompagnais mes différentes tentatives de musiques de toute sorte. Morceaux énergiques, parfois du rap français vicieux : je voulais me doper à l’énergie guerrière. Sans succès.

Un jour, je lance Three in the Morning1 et l’atmosphère se métamorphose. Tout en douceur, l’angoisse se calme, le combat devient heureux, triste à la fois, je voudrais qu’il ne s’arrête jamais. Le cœur bat toujours aussi vite, les épées volent dans tous les sens, les éclairs aussi, c’est du grand spectacle. La sensation de partager un rêve à moitié lucide, de vivre un moment partagé. La sensation de communiquer avec un personnage de jeu vidéo, de le laisser me dire plein de choses, sur lui et sur moi à la fois. L’impression que moi et ce roi, on malaxe toutes nos émotions comme de la pâte à modeler pour se les envoyer en pleine face. Alors Dark Souls, il me reste des choses, quand même. Malgré tout.

C’est au moment où je l’ai considéré comme un jeu où il faut simplement rechercher la victoire à tout prix que j’ai creusé ma propre fosse.

Mais il me reste les souvenirs un peu translucides de moments importants vécus en jeu, qui me semblent toujours là. C’est déjà pas si mal. ■

Simon Le Gloan, 2018.

L’ombre d’une fuite

Inspirante série qu’est Final Fantasy. Plusieurs années après avoir découvert l’impressionnant septième opus – tout en trois dimensions, s’il vous plaît ! –, fermement décidé à sauver autant de multivers en détresse que possible, j’ai alors entrepris de m’attaquer aux prédécesseurs, non sans inclure les épisodes 8 et 9 dans la foulée.

Pourtant, un monde n’a pas pu être sauvé par mes soins, et pas des moindres : celui de Final Fantasy 6. Malgré une équipe reconstituée et bien au point, je n’ai pu me résoudre à rentrer dans la dernière forteresse. Plus de quarante heures de jeu sans conclure l’aventure.

Pourquoi donc ? Revenons au début de cette odyssée. Les nombreux protagonistes se dévoilent petit à petit. Travaillés, touchants et divers, attachants pour certains, drôles pour d’autres, tragiques parfois. Ser Cyan, votre perte ne pourra rester impayée. Chère Terra, nous croyons en vous quoi que vous soyez. En creux, des liens se tissent parfois. Qui eût cru qu’une bande formée sur un malentendu pourrait tenir tête à un titanesque train fantôme ?

En parlant de cela…

L’un des pourfendeurs ferroviaires est un personnage, il faut bien le dire, un tantinet cliché. Une sorte de ninja-mercenaire, aussi froid et mystérieux qu’habile au combat. Un homme de peu de mots, disparaissant après chaque mission critique, de préférence après avoir déclenché une musique aux sifflements dignes d’un album de Lucky Luke. Ce ninja si « lonesome » ne semble accorder sa confiance qu’à son chien, Vengeur.

Les joueurs auront ici reconnu « Shadow ». Personnage au passé torturé, stéréotype du combattant méthodique au cœur de glace que le déroulement du jeu poussera vers l’émergence d’un peu d’humanité. Sasuke-kun n’a rien inventé. Si certaines actions de Shadow sont aussi pénibles à subir en termes de narration que de gameplay, tel que disparaître du groupe à des moments pas toujours propices, d’autres permettent au joueur de développer un certain attachement envers le personnage. Shadow sauvera notamment un groupe de personnages de l’écroulement d’une maison en flammes sous prétexte de sauver Vengeur. Un retournement de situation digne des plus grandes apparitions de Vegeta ou Piccolo dans Dragon Ball. Il est en outre très fortement suggéré qu’une autre protagoniste (Relm) soit en réalité la fille de Shadow.

Forts de ce portrait, revenons au déroulement du jeu. Le scénario, plutôt riche en rebondissements par ailleurs, bascule entièrement lors d’un passage particulièrement marquant où l’antagoniste principal, Kefka, révèle l’étendue de sa démence en détruisant une large partie du monde, en s’érigeant au passage comme Dieu des survivants de sa propre apocalypse. Le basculement se fera à la suite d’une séquence ludique épique se soldant par l’échec du groupe des personnages, condamnés à périr sur une île flottante mystique… Ou pas, justement, grâce à l’intervention de Shadow, qui retardera l’inévitable pour laisser le temps de fuir, à savoir quelques minutes – en temps de jeu.

Imaginez moi quinze ans plus tôt. Je viens de conclure in extremis la séquence de fuite. Il reste TROIS secondes au compteur. Arrivé au vaisseau de secours, une fenêtre pop-up s’affiche :

« S’enfuir ?

Attendre Shadow ? »

FIGURE 1 – A la croisée des chemins

Undertale n’était pas encore sorti : il était inenvisageable à mes yeux qu’un personnage principal ne disparaisse pour de bon. De toute façon, pas le temps de réfléchir. Un autre retournement de situation permettra à Shadow de s’en tirer. Aucun doute.

Je n’ai pas attendu Shadow.

J’ai sauvegardé la partie.

Je n’avais pas de sauvegarde alternative.

J’ai continué à jouer sur la nouvelle terre désolée. De nombreuses heures se sont écoulées. J’ai retrouvé la plupart des protagonistes sains et saufs sur ce monte aux musiques tristes.

Pas Shadow.

Au lieu de ça, j’ai retrouvé son chien, veillant sur Relm. Aucune trace du maître. Dans le doute, j’ai – enfin – été regarder ce qu’en disait Internet. C’était sans appel : sur le continent flottant, il faut choisir d’attendre Shadow jusqu’à ce qu’il ne reste que 5 secondes au compteur. Dans mon cas, même s’il restait moins, je n’ai pas activé le déclencheur. Shadow aurait du venir, mais je ne l’ai pas attendu.

J’ai tué Shadow.

Je n’ai pas terminé le jeu. A quoi bon ?

Reprenons un peu de recul : ma réaction, après coup, m’a plutôt surpris. Malgré les appels du pied opérés par le jeu, je n’ai pas développé une empathie extrême pour le personnage, finalement moins développé que d’autres protagonistes particulièrement torturé(e)s (Celes notamment) et respectant une série de clichés plutôt attendus. En termes de gameplay, Shadow est tout à fait dispensable : l’anormalement grand nombre de personnages jouables de Final Fantasy 6 ouvre la voie à de nombreuses compositions d’équipes, dont Shadow remplit au mieux le rôle d’un « Damage Dealer » certes efficace, mais tout à fait remplaçable par Cyan, Sabin ou Edgar. Enfin, si je raisonnais en termes de narration, j’aurais probablement du me dire que le mieux aurait été de rendre la monnaie de sa pièce à Kefka (l’affaire de 3 ou 4 heures de jeu à peine) afin de venger Shadow.

Mais pourtant, rien à faire : le gâchis était là. On peut justifier une partie de ma perte de motivation par mon profil résolument complétionniste. Il m’est difficile d’envisager de terminer une partie si je n’ai pas fait une trajectoire « presque parfaite » en amont, modulo bien sûr l’importance des quêtes annexes. Ici, la perte définitive d’un personnage me laisse un goût d’insatisfaction. Cela n’est pas tout : je pense pouvoir affirmer qu’en vérité, je regrette de ne pas avoir réussi à avoir la présence d’esprit d’attendre Shadow. Ma partie était alors un véritable échec.

Il est probablement intéressant de noter que j’ai plus tard « remplacé » l’expérience de fin du jeu par le visionnage d’un « Let’s play ». Je manque de recul et de clefs de lecture pour évaluer les conséquences psychologiques de ce choix, mais il serait intéressant de savoir si la prise de distance fait partie de mes raisons d’un tel parti-pris, plutôt qu’avoir repris la partie (en faisant abstraction de la difficulté logistique de retrouver la sauvegarde).

Enfin, le regret frustrant de l’inachevé sans retour possible a nourri une partie de ma pratique de Game Designer. Ici, le jeu est spécifiquement conçu pour ne pas permettre de retour arrière au joueur : aucun avertissement de point de non-retour (tel qu’on a pu le voir dans d’autres jeux a fortiori d’ailleurs), une méthode pour sauvegarder le personnage finalement assez évanescente et peu claire, aucun moyen de savoir clairement si l’on retrouvera ou non le personnage après. Nous ne le voyons même pas périr dans la destruction du continent flottant si on ne prend pas la peine de l’attendre. Ce parti-pris fort permet de générer des émotions toutes particulières auprès des joueurs : reste à savoir si cela est particulièrement souhaitable. ■

Aurélien Lefrançois, 2018.

Retour sur le StunFest 2018

Cette année, j’ai pu participer au stunfest au travers de plusieurs interventions. C’est pourquoi je trouve pertinent d’écrire un court billet pour recenser l’ensemble de mes interventions. Cela me permet aussi de remercier à nouveau les organisateur·ice·s, l’association 3 Hit Combo, les médiateurs des interventions auxquelles j’ai participées : CoeurDeVandale, TMDJC et Hadrien Bibard. Ce billet a donc pour vocation de réunir en un même point mes différentes interventions.

Bon visionnage ou bonne écoute !

Entre aliénations et émancipations

Les organisateur·ice·s m’ont proposé une intervention sur mes propres sujets de recherche. C’est pourquoi j’ai proposé de discuter du jeu vidéo comme un outils d’émancipation ou d’aliénation. Plutôt, j’ai proposé de théoriser un peu le sujet notamment à partir de certains concepts issus de la pensée constructiviste en pédagogie. Il ne s’agit donc pas de développer une réflexion politique (qui pourrait partir de Marx notamment ou encore de la sociologie des élites) mais plutôt de proposer des outils permettant d’inférer les potentiels émancipateurs et/ou aliénants des jeux vidéo.

Merci à TMDJC et FQPEH pour la modération.

 

Skills et Luck, deux funs inconciliables

La première table-ronde à laquelle j’ai participée se concentrait sur la problématique suivante :est-il possible de concilier le plaisir de jouer à un jeu reposant autant sur la chance que sur la compétence du ou des joueur·euse·s ?

Intervenants : Nicolas Bessombes, Esteban Grine, Rufio

Modération : Yann Chauvière


Jeux de Simulation typologie et pratiques ludiques

La seconde table-ronde à laquelle j’ai participée proposait de discuter les définition des jeux de simulation. Il s’agissait donc d’aborder plusieurs questions telles que : « comment définir ces ? », notamment par rapport à d’autres formes vidéoludiques. Secondement, il s’agissait d’aller observer les façons dont les joueurs et joueuses se saisissent de ces jeux : s’agit-il d’une forme d’escapism ou au contraire de reproduction de phénomènes précis (des métiers, des situations, etc) ?

Intervenants : Vincent Berry, Nicolas Bougeois, Esteban Grine

Modération : Hadrien Bibard

Les compétences des joueuses et joueurs de jeux vidéo (I)

Cet article est une note de lecture que j’ai écrite à propos du premier chapitre de  :

Poumay, M., Tardif, J., & Georges, F. (2017). Organiser la formation à partir des compétences, Un pari gagnant pour l’apprentissage dans le supérieur. DE BOECK UNIVERSITE.

Il s’agit d’un premier pas vers un travail scientifique que j’effectue sur la définition des « compétences vidéoludiques ». Le deuxième pas sera probablement soit un autre billet soit ma présentation lors du colloque « entre le jeu et le joueur : écarts et médiations »


La notion de compétences est aujourd’hui largement abordée dans les différentes approches pédagogiques. Elles sont généralement présentées aujourd’hui comme un objectif à atteindre, à l’instar de ce qu’ont pu être les connaissances ou tout autre objectif pédagogique. Cependant, Tardif évoque en guise d’introduction une absence de consensus sur la définition de cette notion. Au contraire, celle-ci possèdent une variété de définitions plurielles. Jonnaert & Al. (2015, p. 9) évoquent :

« [des] définitions lacunaires, d’autres, tautologiques ou simplement inscrites dans un rapport de synonymie entre plusieurs termes et une contamination de la notion de compétence par des approches issues de la théorie des objectifs, jalonnent la littérature sur la question et rendent opaque la notion de compétence ».

Tardif soutient le fait que cette notion ne doit pas être rapprochée de certaines taxonomies telles que celle de Bloom. De manière générale, il semble que les taxonomies sont critiquées par les tenants de l’approche compétence du fait que ces dernières hiérarchisent  et « [offrent] une représentation statique du fonctionnement cognitif de l’élève » (Crahay, 2014, p. 194). De plus, ces taxonomies contribuent à réduire la complexité des compétences. Il y aurait selon moi alors dans l’approche compétence de Tardif une critique de certaines propositions pédagogiques qui semblent s’inspirer du maturationnisme : l’apprenant doit atteindre un certain niveau avant de pouvoir poursuivre son apprentissage. Dans cette pensée, le développement précède l’apprentissage alors qu’il apparait que dans la démarche compétence, apprentissage et développement sont simultanés. En prenant l’exemple de Parent & Jouquan, Tardif dresse ce constat et cette critique. Ainsi, il observe d’un côté des lacunes et de l’autre des incompréhensions de ce qu’il considère être la notion de compétence. C’est pourquoi il articule ce premier chapitre d’ouvrage à définir un ensemble de repères conceptuels.

Le point de départ de Tardif est le référentiel de compétences qui :

« intègre d’une manière systémique ce que contiendraient les référentiels [métiers, de formation, pour la reconnaissance ou la valorisation des acquis de l’expérience]. Ce référentiel unique, à la base même du parcours de professionnalisation de l’étudiant et de l’élaboration du dispositif de formation, pourrait être dit ‘’de formation’’, mais ce qualificatif superflu dans la mesure où le référentiel résulte d’une rigoureuse analyse du métier, tant ce qui est prescrit et réel que ce qui est anticipé comme l’évolution probable à court, à moyen et à long terme, et qu’il est construit à l’aune de l’authenticité des situations de la vie professionnelle ‘’réelle’’ ».

En ce sens, Tardif abonde dans le sens de Perrenoud (2001) qui alerte sur l’importance d’un référentiel comme clef de voute de la construction d’un parcours curriculaire déséquilibré entre le développement des compétences et l’ingestion de connaissances disciplinaires. Perrenoud évoque notamment une « boulimie des connaissances » (2001). C’est pourquoi les référentiels intègrent plutôt la notion d’apprentissages critiques ou incontournables : des étapes par lesquels les apprenants doivent passer afin d’attendre un certain niveau de développement d’une de leurs compétences. Ainsi, Tardif note que tout référentiel intègre des trajectoires de développement qui décrive la façon dont une formation accompagne ses apprenants au développement de leurs compétences et ce, dans un ensemble de situations professionnelles. Ces trajectoires sont généralement organisées en plusieurs niveaux et pour chaque niveau, un ensemble d’apprentissages critiques doivent être déterminés par l’équipe organisatrice de la formation.

Pour aborder la notion de compétence, Tardif évoque la polysémie du terme tout en discutant cette dernière qu’il considère exagérée. En effet, dans la plupart des définitions, il est question d’un savoir agir, parfois complexe. C’est sur cette complexité que Tardif se distingue – notamment lorsque l’on rappelle la critique qu’il adressait à Parent et Jouquan. Le référentiel proposé par la formation doit contenir un nombre restreint pour assurer un degré maximal de complexité aux compétences le composant et ce, à tous les niveaux de la trajectoire de développement.

Tardif observe aussi de nombreuses similarités dans les définitions pour ce qui est de la mobilisation et la combinaison de ressources. Dès lors :

« le recours à une compétence nécessite des interactions entre ce que l’acteur a en mémoire (ressources internes), que d’aucuns déclinent en savoirs, en savoir-faire et en savoir-être ; et ce qu’il retire de son environnement (ressources externes) pour poser les actions les plus appropriées, les mieux ciblées et les plus efficaces possible » (Tardif, 2017, p. 20).

Il est important de mettre en exergue la combinaison de ressources internes et externes puisque cela intègre aussi le contexte dans lequel une compétence est employée. Cela suppose donc un faisceau de ressources (Allal, 1999) que nous interprétons comme une fenêtre de ressources potentiellement mobilisables en fonction de certaines circonstances externes propres aux situations rencontrées. Comme décrit plus haut à propos du référentiel, une compétence fait référence à un ensemble de situations professionnelles – on peut évoquer la notion de « famille de situations – qui partagent un ensemble de similarités. Le développement d’une compétence dans le cadre de cette famille ne signifie pas que l’apprenant pourra mobiliser cette compétence dans une situation radicalement différente : les ressources externes étant alors distinctes.

Ainsi, Tardif propose la définition suivante. Une compétence est un « savoir-agir complexe reposant sur la mobilisation et la combinaison efficaces d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations » (Tardif, 2006, p. 22). L’objectif d’une formation est alors d’assurer des parcours de professionnalisation concernant l’ensemble des compétences composant le référentiel. Il s’agit donc d’un développement graduel organisé selon des trajectoires de développement intégrant à tous ces niveaux un degré de complexité. Ce parcours de professionnalisation est aussi un moyen d’indiquer le niveau attendu à la fin de formation et le moment auquel doit intervenir la certification de la formation. En ce sens, Faucher (2009) propose une distinction entre la professionnalisation et le professionnalisme. La certification intervient alors entre ces deux étapes du développement professionnel. Après avoir déterminé quelles sont les compétences qui seront développées au cours de la formation, les équipes de formateurs qui se lancent dans la démarche compétence ont aussi pour but de définir les trajectoires de développement et les niveaux qui devront être atteints pour obtenir la certification.

Les apprentissages critiques sont alors des moments incontournables pour le développement de la compétence. Ceux-ci doivent être alignés autant aux niveaux de développement qu’aux situations professionnelles rencontrées. Il est donc important de circonscrire ces apprentissages dans des périmètres délimités par les situations et leur degré de complexité.

La mise en place d’un référentiel de compétence ne doit pas non plus occulter la réflexion autour des modalités d’évaluations de nature certificative. Cela ne signifie pas que le parcours n’est plus ponctué d’évaluations sommatives ou formatives. Pour ces dernières Tardif note que « [leur fréquence] est toutefois très élevée puisqu’elles permettent des rétroactions cruciales quant à la progression dans le parcours » (Tardif, 2017, p. 28).  Les évaluations certificatives doivent quant à elles attester l’arrivée d’un étudiant à un niveau intermédiaire de développement ou le niveau de développement à l’issue de la formation. Deux cas sont alors possible, soit l’apprenant atteint un niveau avec la capacité de le justifier, soit l’apprenant n’atteint pas le niveau requis pour continuer la formation ou être certifié. Alors il est nécessaire de penser  un système de remédiation.

Si la documentation d’une trajectoire de développement – par l’utilisation du portfolio par exemple – impose « de donner la priorité au savoir-agir complexe, […] il ne faut jamais négliger le fait que, selon la définition de la compétence, le savoir-agir complexe repose sur la mobilisation et la combinaison efficaces d’une variété de ressources internes et externes » (Tardif, 2017, p. 29). Malgré tout, Tardif identifie trois lacunes présentes et observables dans les programmes par compétences : (1) l’évaluation ne porte généralement que sur des ressources internes, (2) cette évaluation est décontextualisée et (3) ne porte que sur des mobilisations et des combinaisons déjà effectives. Concernant cette dernière lacune, Tardif énonce qu’il est important aussi d’observer les ressources mobilisables et combinables. Autrement dit, Tardif intègre une dimension d’incertitude dans l’évaluation de la compétence. Afin de constater cette dernière, il est donc aussi nécessaire d’observer si un étudiant mobilise une compétence malgré un ensemble de paramètres inconnus composant alors les ressources externes par exemple. Ainsi, en intégrant l’évaluation de ce qui est mobilisable et combinable, cela permet de « porter un jugement sur la transférabilité des apprentissages dans une pluralité de situations » (Tardif, 2017, p.30). Il est important de rappeler que dans tous les cas, la compétence est évaluée dans le cadre d’une famille de situations.

Dans ce chapitre, Tardif constate deux phénomènes lorsque la notion de compétence est abordée : (1) malgré une pluralité de définitions, celles-ci, en plus de proposer de nombreuses similarités, sont lacunaires et (2) certaines incompréhensions persistent notamment concernant la complexité des compétences qui ne se retrouve pas forcément dans les définitions puis dans les usages. Afin de clarifier l’ensemble, Tardif part du référentiel de compétences en le présentant comme une clef de voute de ce qui organise le curriculum d’une formation. Celui-ci regroupe un minimum de compétences (environ quatre ou cinq). Celles-ci doivent représenter la complexité.  Seulement à partir de ce moment il définit ce qu’il entend par compétence à savoir : un ensemble de savoir-agir complexes mobilisant et combinant des ressources internes et externes au sein d’une famille de situations. Une formation par compétences doit alors se fixer comme objectif la professionnalisation des compétences ayant contenues dans le référentiel. Celles-ci sont mobilisés dans un ensemble de situations professionnelles qu’est sensé rencontrer l’apprenant au cours de sa formation et de sa vie professionnelle et comportent des composantes essentielles la caractérisant. Une fois les compétences et les situations déterminées, l’équipe des formateurs doivent mettre en place des trajectoires de développement composées de niveaux de développement. Chaque niveau englobe des apprentissages incontournables desquels il est impossible de se soustraire (du type pass or fail en somme). Si aucun formalisme est imposé, c’est pour que les équipes se saisissent de la méthode afin de proposer un référentiel ayant un haut degré de complexité et dont les éléments sont cohérents entre eux. ■

Esteban Grine, 2018.