Comment les jeux nous touchent mais pas le livre qui en parle – Lettre ouverte

Comment les jeux nous touchent mais pas le livre qui en parle – Lettre ouverte

Lorsque je finis de lire le livre de Katherine Isbister intitulé How games move us : Emotion by design (2016), je ne savais pas trop quoi en penser. Et c’est là que je compris le problème que j’avais avec ce livre. Il y a deux types de contenus : ceux qui vous touchent et ceux qui vous indiffèrent. Les premiers sont intéressants même lorsque l’on est en désaccord. C’est par exemple la relation que j’entretiens avec la théorie du flow de Csikszentmihalyi. Bien que cela soit une théorie que je critique beaucoup, le fait même que j’ai envie de la critiquer la rend intéressante. Il est plus difficile de comprendre l’intérêt du second type de contenus. L’indifférence est peut-être la façon ultime de ne pas attribuer d’intérêt à un objet. Derrière cette tautologie se cache pourtant de véritables questionnements pour le lecteur dont : pourquoi cela nous indiffère ? C’est donc à cette question que je vais tenter de proposer une courte réponse, car, avouons-le, l’indifférence nous rend fainéants.

Il convient de dire malgré tout que je ne rejette absolument pas le travail mené par Isbister. Il semble être sérieux et sincère. De plus, je pense être d’accord avec pas mal de propos tenus dans son très court livre (130 pages à tout casser). Dans ce dernier, l’autrice propose un rapide panorama des méthodes et astuces que les game designers peuvent mobiliser pour susciter des émotions chez les joueurs et les joueuses. Jusque là, aucun soucis. De plus, Isbister prend en compte la dimension sociale des jeux et de facto intègre dans son raisonnement les façons qu’ont les joueurs de mettre en place certaines attitudes afin de ressentir des émotions. Bon, il s’agit bien entendu d’un travail théorique qui n’interroge pas forcément l’agentivité des joueurs : sont-ils conscients ou inconscients dans la mise en place de ces mécanismes ? Au final, nous n’avons pas la réponse dans ce livre, mais ce n’est finalement pas grave puisque, comme son titre l’indique How games move us, il ne s’agit pas vraiment des joueurs comme étant des sujets (à la limite des réceptacles semi-actifs et conscients) dont il est question.

Du coup, nous nous retrouvons avec une approche relativement procéduraliste (au sens de Juul et Bogost) qui place le jeu comme seule structure véritablement intéressante à analyser. Mais pourquoi pas !? Cette prémisse est tout à fait intéressante et pertinente bien qu’un peu dépassée, surtout depuis les travaux des français mais aussi ceux de Miguel Sicart, Doris Rusch et j’en passe. Ainsi, le livre fait preuve d’un certain retard.

Le coeur de la proposition théorique d’Isbister se réfère au flow, pas celui de Csikszentmihalyi, mais celui de Jenova Chen. Pour Isbister, le modèle théorique proposé par Chen permet de comprendre, ou plutôt a minima, de proposer un outil de représentation de la causalité game design => émotions. Cette courte partie théorique, l’entièreté du premier chapitre, résume globalement la pensée de Chen avec quelques ajouts et quelques exemples. S’en suit alors 3 chapitres déclinant cette proposition mais la construction et le cheminement logique est critiquable sur plusieurs points. Premièrement, l’argumentation d’Isbister ne repose que sur un petit corpus exemplatoire composés d’anecdotes prises ici et là dans ses observations mais aussi chez d’autres auteurs-ices. De facto, la proposition théorique ne repose alors que sur des hypothèses et en aucun cas, elle ne peut être considérée pour autre chose. Alors, certes, je ne remets absolument pas en cause ses conclusions puisqu’elles sont finalement le produit d’autres réflexions mais du coup, il me semble que cela n’apporte pas grand chose autre qu’un discours sympathique (et un peu évangélique) sur les jeux et les jeux vidéo.

Le deuxième problème que je vois à cet essai concerne le choix extrêmement restreint de l’angle de réflexion d’Isbister. Cela provient à mon sens d’un double standard implicite qui apparait très tôt. Le fait de choisir le flow comme point de départ biaise les émotions suscitées et donc présentées et si Isbiter nous parle bien d’émotions considérées positivement, elle omet de traiter des émotions et des sentiments négatifs, ou du moins que l’on va juger négatif. En ne se concentrant principalement que sur les émotions présentes dans la zone de flow, elle n’évoque donc qu’en surface des émotions comme la frustration, le sentiment d’injustice, de rage, de colère, etc. Le fait même qu’elle choisisse certains mots ancrés idéologiquement comme « la coopétition » indique son approche positive et évangélique. Encore une fois, il ne s’agit pas de dire qu’elle se trompe. Au contraire, je pense que globalement, les hypothèses qu’elle dégage de ses quelques observations sont pertinentes. Cependant, elle n’approfondit ni le travail déjà réalisé, ni ne prend en compte des propositions théoriques qui ont apporté des éléments non négligeables en 2017.

Cette dernière critique que je fais vient du fait même qu’elle considère pour acquis la définition « d’émotion ». Le livre développe donc une pensée sur la façon dont des objets médiatiques suscitent des émotions sans véritablement prendre le temps de définir les enjeux et les problématiques liés aux termes. C’est ainsi qu’Isbister arrive à des conclusions discutables lorsqu’elle définit la spécificité du jeu vidéo par rapport à d’autres média en fonction de certaines émotions puis choisit des exemples rentrant en contradiction avec son argument.

L’oubli fondamental du livre se résumerait donc, selon moi, à l’absence totale de précision avec le concept « d’émotion » qui pourtant appelle à la rigueur la plus ferme et la plus scientifique. C’est pourquoi des articles comme celui de Frome (2006) apporte bien plus en une quinzaine de pages que le livre d’Isbister. Frome postule lui aussi que la spécificité du jeu vidéo peut se résumer aux émotions suscitées qui ne seraient pas les mêmes en fonction du média et du rôle de l’audience. C’est clairement ce qu’aurait dû faire Isbister. De même, Frome différencie les émotions suscitées par rapport à l’objet, la fiction et la narration. De facto, le degré de précision permet une réflexion bien plus aboutie. Isbister quant à elle choisit par exemple les émotions du regret et de la fierté pour étayer sa conclusion concernant la spécificité du médium sans définir plus précisément ce qu’elle entend. Or, ne pouvons-nous pas ressentir de la fierté pour avoir vu un film ou lu un livre ? Sans répondre à cette question, je souligne ici que ses imprécisions l’empêchent d’avoir une argumentation cohérente et incisive, caractéristiques nécessaires, il me semble, d’une pensée prolifique.

La critique la plus cinglante que j’adresserai au livre d’Isbister est finalement que les arguments qu’elle défend peuvent totalement s’appliquer à d’autres médias ou comportements. Le problème ici est le suivant : nous pourrions avoir un livre de qualité équivalente en remplaçant toutes les occurrences liées à « game, video game » et leur champ lexical par un concept supposé contradictoire – et le livre fonctionnerait tout aussi bien. Je fais l’hypothèse que nous pourrions avoir ici un livre intitulé How employement move us et cela serait tout aussi efficace. Le problème il me semble provient justement de cette approche qui ne prend pas forcément en compte le jeu comme un comportement mais uniquement comme une forme de fiction. Pourtant des auteurs comme Henriot ont constaté les limites de penser l’objet vidéoludique de cette façon. Ce dernier, se trouvant à la croisée des chemins entre fiction et comportement ne peut être restreint à un choix de corpus limité au risque de soit faire erreur soit de rester dans les banalités les plus creuses comme c’est finalement le cas ici. Les situations de jeu, sociales et comportementales choisies par Isbister sont toutes des situations de flow : elle biaise de facto ses conclusions, applicables probablement à ce qu’elle définirait comme l’opposé des jeux – Henriot adressait d’ailleurs cette même critique à Huizinga et Caillois.

Ainsi donc le livre d’Isbister est tout à fait sympathique. L’autrice passe beaucoup trop de temps à raconter des anecdotes pour supporter les quelques arguments proposés. Les propos, lacunaires, ne sont pas pour me déplaire pourtant. J’apprécie cette idée de définir la spécificité du jeu vidéo par rapport aux émotions qu’il suscite. J’ai déjà entamé ce travail, notamment sur le regret et la culpabilité. Cependant, j’en attendais plus et je n’y ai pas trouvé mon compte. Je regrette donc qu’Isbister ne propose pas de véritable enjeux. Cette absence passe notamment par la construction même du livre qui peut se résumer à la présentation d’une bullet list. En somme, je classerai ce livre dans mes feel good sympathiques qui ne donnent ni n’interrogent. Il s’adresse à des personnes déjà convaincues par le message et ceux qui ont déjà un intérêt pour les idées de Jenova Chen et celles de Jane Mc Gonigal, ni plus, ni moins. ■

Esteban Grine, 2017.

 


Frome, J., 2006. Representation, Reality, and Emotions Across Media. ResearchGate 8, 12–25. doi:10.7227/FS.8.4
Sicart, M., 2011. Against Procedurality. Game Studies 11.
Rusch, 2009. Mechanisms of the Soul : Tackling the Human Condition in Videogames.
Isbister, K., 2016. How Games Move Us: Emotion by Design. MIT Press, Cambridge, MA.

Penser le Game Design avec l’économie

Les game studies, nous le savons, proposent de mobiliser les outils des sciences humaines et sociales mais aussi des sciences informatiques dans le but de comprendre ce que sont que les expériences ludiques et in fine vidéoludiques. Or, pour l’instant, peu d’écrits depuis l’économie semblent montrer un intérêt pour ces objets culturels. Pourtant l’économie peut être pensée de plusieurs manières : en tant que science, elle permet de comprendre les comportements des agents économiques sur le marché et en tant que pensée, elle interroge sur les comportements économiques que nous avons en société. Ainsi,  plusieurs « économies » peuvent s’intéresser au jeu et à la façon de modéliser ce comportement afin de les comprendre depuis un nouvel angle. De même, les approches hétérodoxes permettent, peut-être même mieux que la science économique, de comprendre ce comportement puisqu’il s’agit de penser l’économie comme encastrée dans la sociologie.

Dès lors, si l’on considère les jeux vidéo et surtout le fait de jouer comme un phénomène communicationnel et social, il apparait logique et intéressant de mobiliser l’économie et plus particulièrement la socio-économie afin de modéliser, dans le cadre d’une approche constructiviste,  le comportement ludique.  Il ne s’agit donc pas de regarder comment fonctionne le marché du jeu vidéo ou les stratégies marketing des développeurs mais vraiment de se concentrer sur la façon de comprendre les comportements et les attitudes ludiques des joueurs d’un point de vue des théories économiques.

Comprendre et analyser les jeux depuis un angle nouveau.

L’intérêt majeur de cette démarche est que les mécaniques vidéoludiques apparaissent sous un tout nouvel angle dénué d’un discours enjolivé de ce qui fait le caractère ludique. Ainsi, pour le jeu Tomb Raider, il ne s’agit plus de partir à l’aventure pour faire des découvertes archéologiques mais bien de privatiser des biens appartenant à des cultures locales. Dans Sim City, les villes que le joueur peut créer et gérer ne sont alors plus que des reproductions à plus petites échelles des villes occidentales mettant la valeur travail au cœur de son système organisationnel capitaliste et libéral. De manière générale, les jeux de rôle ainsi que de nombreux systèmes ludiques peuvent être traduit en simples reproductions de mécanismes d’accumulation capitalistique et chrématistique. C’est-à-dire que cette accumulation n’a pas d’autres finalités que celle d’accumuler.

Les exemples les plus flagrants concernent certains collectathons comme Spyro le Dragon. Autre exemple : dans les Sims, le bonheur ne passe que par l’aspect matériel des choses. Nous parlions des jeux de rôle, ceux-ci se définissent comme des jeux dans lesquels les mécaniques de gameplay sont orientées vers l’amélioration des statistiques du joueur. Il y a alors ici une autre forme d’accumulation mais ce qui est intéressant concerne notamment le message contenu. La progression d’un personnage passe par une accumulation d’expériences. Il s’agit là finalement de quelque chose de très proches des phénomènes que l’on connait en entreprise. Pokémon est particulièrement amusant à ce sujet : un monstre arrivé à un certain niveau évolue, tout comme un humain avec un certain nombre d’années cumulées dans une entreprise peut progresser hiérarchiquement. Dès lors, d’un point de vue économique, de nombreuses mécaniques vidéoludiques deviennent des simples ludifications ou ludoformation des processus d’accumulation de capitaux.

De même, la violence présente dans les jeux vidéo peut aussi être comprise en termes de rapports socio-économiques. Dans de nombreux cas, il devient alors possible d’interpréter les conflits en lutte des classes : lorsque le joueur doit renverser le pouvoir en place ou est recruté pour le maintenir. Il est par exemple intéressant de voir qu’à ce sujet, des jeux d’une même série peuvent alors avoir l’air progressiste ou conservateur. Ainsi, Final Fantasy 7 propose au joueur d’incarner un membre d’un groupuscule dont l’objectif est de lutter contre une société ayant un monopole tandis que Final Fantasy 9 propose plutôt au joueur de lutter pour la restauration de la lignée royale. Enfin, et là, cela aborde aussi la sociologie des organisations, comprendre les jeux vidéo depuis l’économie permet aussi de mettre en avant les gameplay qui seraient considérés comme aliénant dans d’autres contextes. Par exemple, overcooked est un jeu dans lequel le joueur doit servir ses clients en préparant puis en délivrant des repas. Cependant, si l’on s’intéresse au système organisationnel proposé par le jeu, nous nous retrouvons avec une organisation en flux tendus, où les commandes suivent une procédure first in first out et dans laquelle les joueurs vont, de manière pragmatique, viser les comportements les plus rationnels possibles. Autrement dit, nous sommes dans une organisation scientifique du travail telle que théorisée par Taylor puis Ford.

Modéliser les comportements des joueurs.

Mais ce n’est pas tout, nous ne venons ici que d’aborder les représentations contenues dans les jeux vidéo mais il est aussi pertinent d’avoir une lecture plus générale expliquant pourquoi nous jouons à des jeux vidéo. Ainsi, le fait de vouloir connaitre l’histoire peut se comprendre en terme d’asymétries d’informations entre le game designer et le joueur. D’un point de vue économique, l’objectif du joueur n’est pas de connaitre l’histoire mais plutôt de résoudre les asymétries d’information, c’est-à-dire les écarts entre les informations possédées par le joueur et celles possédées par le game designer. Penser la chose de cette façon permet, entre autres, d’émettre des hypothèses sur pourquoi nous préférons certaines histoires par rapport à d’autres. Ou plutôt, pourquoi nous trouvons certaines histoires plus intéressantes que d’autres. Pour répondre à cela, nous pouvons supposer, en terme économique, que plus un jeu vidéo proposera des asymétries d’informations, c’est-à-dire un une narration n’incluant pas tous les éléments de l’histoire, et plus le joueur trouvera le scénario intéressant.

Inversement, s’il n’y a aucune asymétrie dès le début du jeu, cela transmet un marqueur pragmatique de fiction comme quoi le jeu se concentre principalement sur la mise en avant de mécaniques de gameplay sans les justifier. De même, l’économie permet aussi d’expliquer pourquoi nous cherchons en tant que joueur à devenir plus compétents aux jeux auxquels nous jouons et ce, sous l’angle de la recherche de l’équilibre. En effet, en commençant un jeu vidéo, il y a, supposément, un écart entre la difficulté proposée et la compétence du joueur. Pour ce dernier, l’objectif va être de réduire l’écart entre ces deux paramètres. Une fois atteint, le game design peut alors proposer une nouvelle situation avec un nouveau déséquilibre. Le comportement vidéoludique du joueur a alors pour objectif de passer d’une situation de déséquilibre à une situation d’équilibre. Inversement, pour le game designer, l’objectif est alors de passer d’une situation d’équilibre à une situation de déséquilibre. Depuis cet angle, nous pouvons répondre au dilemme qu’avait formulé Jesper Juul de manière plus efficace il nous semble.

Dans son livre Half Real, Juul expliquait que selon lui, le paradoxe du jeu vidéo consiste dans sa double nature de fiction et de comportement. Dès lors, les game designer avaient pour objectif de faire gagner le joueur, c’est-à-dire lui faire atteindre la fin du jeu, tout en le faisant perdre, c’est-à-dire créer un sentiment d’accomplissement.  En formalisant ce problème d’un point de vue économique, il apparait alors que ce dilemme est finalement soluble : le game design doit alterner des situations d’équilibre et des situations de déséquilibres pour le joueur. Notons que formalisé de la sorte, nous pouvons alors observer une certaine volonté conservatrice chez le joueur puisque ce dernier se fixe alors pour objectif de revenir à une situation d’équilibre.

Conclusions

Il me semble qu’avec ces quelques pistes que j’ai ébauchées ici, l’intérêt d’aborder le game design avec les outils de l’économie et de la socio-économie sera suscité. Bien sûr, il ne s’agit pas de formaliser une lecture partisane et même si certains interpréterons mon propos, je n’utilise pas ces concepts de sorte à dresser une critique des comportements vidéoludiques. Au contraire, je pense que l’économie est pertinente, à son niveau, pour mieux comprendre les comportements que nous avons dans le cadre des jeux vidéo. Cela permet aussi de les formaliser de manière assez brutale puisque nous faisons alors abstraction de toute interprétation poétique de la volonté, soit du game designer, soit du joueur. Par exemple, le meurtre vidéoludique ne sert rien d’autre que la satisfaction vidéoludique du joueur plutôt que la progression du scénario.

L’économie permet aussi de s’affranchir de certains doubles standards présents dans les discours des analystes, des game designers et des joueurs. Ces doubles standards ont souvent pour fondement le fait qu’on s’autorise certains comportements dans les jeux que nous n’aurions heureusement pas dans un autre contexte. Autrement dit, pour un même comportement, nous ne donnons pas le même sens. Par exemple, la violence est autorisée dans les jeux vidéo parce qu’on lui donne un sens ludique, voire sportif. Une lecture économique nous permet de nous émanciper de toute connotation en formalisant de manière brutale et sociologique ce que nous trouvons « ludique ». Si les jeux vidéo ne rendent pas violent, ils reflètent en tout cas la violence de nos comportements que nous avons en société et de manière systémique et les rendent fun.

Loin de moi l’idée de dire que c’est une mauvaise chose, je tiens à dire qu’il n’y a pas de jugement de valeur dans ce texte étant moi-même concerné par ce qui a été dit. Le seul risque que je vois pour l’instant à l’utilisation de ces outils est de nous faire comprendre de manière plus brutale le côté délicieusement macabre et sadique de notre plaisir vidéoludique et ce faisant, de nous faire comprendre ce que nous sommes réellement. ■

Esteban Grine, 2017.

 

Regrets and Guilt in Undertale – Lettre ouverte à Joel Couture

Regrets and Guilt in Undertale – Lettre ouverte à Joel Couture

I killed Toriel. Twice, during my first neutral route and during the genocide route which is the worst videogame experience I have had. I will always remember these emotions of disgust while killing such a loveable character. Since I have played Undertale, I have never allowed myself to do such things in other games when it’s unnecessary but I learned that paying a high price.

During my first Playthrough, I didn’t find out how to avoid killing her. After 3 or 4 times pressing the “mercy” button, I thought that there was no other way to keep on playing the game. That was my first mistake. Then, still during this first Playthrough, I decided to avoid killing any characters except for monsters. Yes, I know they all are monsters, but still, Sans, Papyrus and Undine were different – your typical double standard, we may agree. So, even though I didn’t kill any other bosses than Toriel, I still ended up killing some monsters, few… But when I say “few”, I just try to minimize my murderous behavior. I try to convince myself I am not that bad.

This is what undertale taught me. I learned that I am your average monster, not one belonging to the underground of Undertale though. No, I am a player. I am used to game mechanics and I don’t think responsible for whatever happened in fictive worlds. When I play, I want to experiment whatever I want or is allowed. This behavior is average I guess. We could even agree that it is mainstream. We may not agree about whether games make us violent or sexist or whatever but we may agree that they tend to reproduce, gamify, behaviors we, as humans, have in the real world. We kill in the real world, we kill in videogames. We misbehave and cheat IRL, so we do in videogames. Point is that we consider these behaviors we have while playing: “fun, laughable, enjoyable, etc”. “it’s just a game, yeah ! I don’t have to feel responsible”. Undertale makes you responsible. It makes you feel guilty when you kill these friendly creatures that live in the welcoming world of the underground. In the same time, it amazingly rewards you when you do goods. Hence, the game design tends to invite you not to kill anyone: “just strike a friendly conversation”. These words pronounced by Toriel weren’t enough to make me stop playing when the game asked me to do so.

Joel Couture, in his book, explains how we, as gamers, feel guilty for playing Undertale as Gamers and not as Humans. His main thesis is that Toby Fox, Undertale creator, worked his fiction and the characters so players create strong bonds of friendship. In order to present this interpretation, Couture speaks about how he played Undertale and I deeply loved his testimony. I now know that I am not the only monster and some other gamers now feel as guilty as I do. This book strongly echoed to the experience I had. I do believe it will echo to a lot of its readers.

Couture decided to chronologically present his Playthrough. Telling it that way helps us to understand how he arrived to his conclusions which evolve around friendship, betrayals and guilt. Fox wants to make us understand that we are ethically responsible for what we do in games. Miguel Sicart would be happy to hear that, I guess. So he designed his game so we repeat it at least 2 times (for the Humans who played it) or 3 times (for the horrible monsters he and I are). “Fallen down” shows us how Undertale moved us and taught us a very strong life lesson. I think Joel may agree with me on that point. In the same time, I like considering this book as a love letter to this wonderful game. Each page is full of kindness and respect for this chef d’oeuvre and its creator. If you loved Undertale as much as we do: read this book. I bet it will echo to your experience too.

Dear Joel, this might not surprise you if I directly speak to you but I want to clearly say that I was deeply moved by your book. It amazed me how you depicted your experience. At first, I thought “oh, this is a guy who projects himself onto other players” but then, while reading it, I started to say “ho, I’ve experienced that”, “I did the same thing” or “wow, I feel the same way as he does”. The way you wrote your book, sincere and humble, is, to my opinion, the best way to share feelings. I was surprised, when reading the last pages, to remember my own experience so well I almost got tears in my eyes.

Joel, thanks you for testimony, the ideas you develop and your kindness. We both know why we regret what we did but if we meet one day, I’ll be glad to offer you a slice of Butterscotch Pie. Maybe it will ease our burden. ■

Esteban Grine, 2017.

Le flow et ses représentations chez les joueurs

Attention ! Cet article est semi-scientifique ! Pour le citer : Grine, E., 2017. Le flow et ses représentations chez les joueurs. Les Chroniques Vidéoludiques.

Le flow et ses représentations chez les joueurs

Le concept de flow, utilisé pour la première fois par Mihaly Csikszentmihalyi définit une situation mentale des individus faisant corps avec leur activité. Il y aurait donc une forme  de totale immersion doublée d’une intense conscientisation du moment vécu par le sujet durant son activité pour reprendre la théorie des moments de Lefebvre et Hess. Dans le sport, des phénomènes similaires ont déjà été étudiés et durant lesquels les athlètes témoignaient de moments conscients et inconscients en même temps. Dans The concept of flow (2014), Csikszentmihalyi et Nakamura présente le moment de flow comme un moment durant lequel un individu est totalement dédié à son activité tout en faisant preuve d’une motivation absolue pour s’assurer la réussite.

Ainsi, doté d’une définition plutôt permissive, les applications du flow se retrouvent dans de nombreuses disciplines sportives, ludiques, managériales et même politiques. Dès lors, ce concept nous interroge car son manque de précision lui permet d’être applicable dans de nombreuses et multiples situations. De même, d’autres disciplines que la psychologie positive (dans laquelle le flow s’inscrit) ont déjà largement théorisés sur des mécanismes présentant de fortes similitudes. Ainsi, par exemple, Hess a grandement participé à la construction d’une « théorie des moments » durant lesquels, un agent devient conscient et capable de percevoir l’intégralité de son environnement afin de dédier son entière concentration à une activité. Il prend notamment l’exemple de la tenue d’un journal intime, moment durant lesquels le rédacteur intériorise et conscientise son environnement. En microéconomie orthodoxe, les agents économiques agissent dans leur propre intérêt et nourrissent le mécanisme de « la main invisible », métaphore employée par Smith (1776) signifiant alors une préférence de la demande intérieure pour l’offre intérieure avant l’offre internationale, puis dévoyée par les néo-classiques pour expliquer le mécanisme permettant l’équilibre du marché. En politique, le flow permet d’expliquer les mouvements des électeurs et a posteriori, permet de mieux comprendre pourquoi un candidat a été préféré à un autre. Lakomski-Laguerre et Longuet (2004) ont proposé, en s’appuyant sur la théorie de Schumpeter, des outils de compréhension sur les acteurs hommes et femmes politiques et la façon qu’ils ont d’imposer leur idées et l’idéologie de leur parti politique aux électeurs. Il s’agit donc d’inscrire ces derniers dans une forme de flow dont ils ne sortiront pas jusqu’au jour de l’élection.

Au travers de ces quelques exemples, nous avons montré que cette notion est beaucoup employée et ce, pour de nombreuses disciplines, impliquant alors de nombreuses personnes professionnelles ou amatrices qui la mobilisent dans leurs discours. Nous souhaitons donc proposer une observation générale sur l’emploi de ce concept et les notions, les idées qui lui sont rattachées et ce principalement par les joueurs et les joueuses de jeux vidéo. Le terrain que nous avons mené permet aussi d’illustrer les réactions lorsqu’une personne emploie ce concept à un autre phénomène et les réactions qui surviennent. En l’occurrence, la production vidéo qui fut commentée propose une transition brutale entre le flow appliqué au jeu vidéo et lorsqu’il est mobilisé dans un discours philosophique ou politique. Il sera donc intéressant d’illustrer les réactions de cette transposition afin de caractériser les postures des joueurs ayant reçu ce message. Notre conclusion, ouverte, prendra la forme d’une liste commentée permettant de situer toutes les caractéristiques constituant le flow.

Méthodologie

Afin de mener cette recherche, nous avons mis en place une proto-méthode de recherche-création. Nous nommons cela une proto-méthode puisque la détermination de cette méthode est venue a posteriori de la création. Nous faisons donc plutôt un usage détourné d’une création vidéo et n’avons pas, dans la conception de cette vidéo, pensé de manière explicite une procédure de recherche. Formalisée de la sorte, il sera donc important de prendre en compte cette première limite dans notre réflexion. Deuxièmement, les commentaires extraits de cette vidéo ne constituent pas non plus un échantillon représentatif des différents profils sociologiques des joueurs de jeu vidéo. Nous pouvons cependant supposer qu’il s’agit plutôt d’un profil homme (94% de la communauté est genrée masculine entre 18 et 34 ans et habitant en France) ayant atteint un niveau licence ou master.

Les données permettant d’établir cela sont émises par YouTube et transmises au propriétaire de la chaîne hébergeant la vidéo concernée. Nous avons procédé par dépouillement des commentaires, lectures complètes et réponses ou compléments d’information. Si une discussion s’engage, nous y avons participé jusqu’à épuisement du ou des intervenants. Enfin, nous avons recensé les commentaires entre la publication de la vidéo (le mercredi 5 juillet 2017) et le dimanche 9 juillet 2017 matin. L’intégralité des commentaires est accessible en annexe du présent document. Nous n’avons exclu aucun commentaire même lorsqu’ils ne présentaient aucune réaction par rapport au contenu de la vidéo. Enfin, nous avons organisé notre synthèse selon des grands thèmes sur lesquels les commentaires reviennent fréquemment.

Résultats de la recherche

Qui déclenche le flow ? Le game design a-t-il pour finalité le flow ? L’éthique du flow ?

Les personnes ayant commenté la vidéo semblent plutôt dans la discussion pour répondre à ces questions. Tout d’abord, le discours concernant les développeurs concernant leur potentielle prétention à susciter voire imposer le flow est globalement rejeté. Le développeur du jeu est associé à une représentation plutôt positive et humble ce qui va à l’encontre des propos tenus dans la vidéo.

Si je souhaitais clairement attaquer afin de faire réagir concernant le développeur, il semble qu’il y a eu en parallèle un message involontairement véhiculé par la vidéo : le flow serait une finalité à atteindre. Malgré cette externalité, les personnes ayant commenté ont pu prendre la parole sur justement cette recherche du flow. Il apparait alors que selon les réponses obtenues, le flow n’est pas un état mental à atteindre mais plutôt quelque chose d’inhérente à l’activité vidéoludique. Ainsi, le flow peut alors être considéré comme un moyen servant d’autres objectifs, soit définis par le game designer soit définis par le joueur. De même, le flow est tant que tel n’est pas une notion particulièrement perçue comme négative. Cependant, il est intéressant de remarquer que certains commentaires illustrent un déclic chez leurs auteurs lorsque le flow est appliqué à autre chose que les jeux vidéo, notamment concernant le caractère politisé de la vidéo. Nous préférons considérer ce constat de manière délicate puisqu’il peut s’agir d’un transfert du dogme proposé dans la vidéo. Cependant, d’autres commentaires ont salué le parti pris de la vidéo puisque cela leur a permis d’interroger la notion puisque celle-ci était alors considérée comme fréquente dans les discours actuels sur les jeux vidéo.

De même , nous considérons le commentaire de « Plein Les Pixels » particulièrement éclairant sur ce sujet : « Certains ont décrété que le JV devait être ceci ou cela, plaisir, mécanique, réflexe, effort, statistiques, investissement long terme ou casual, passivité ou activité artificielle etc. et ça me semble rare (quoique important et précieux) d’interroger ce que tel ou tel modèle dominant ou concept créatif peut cautionner, sur quoi il peut s’aligner, chercher dans quel sens il ‘‘marche’’ ». D’autres commentaires ont particulièrement critiqué cette façon d’interroger l’éthique sous-tendant cette notion. Ainsi Ibx7994 écrit : « tu extrapole de façon absolue sur l’utilisation du flow par ce consortium manipulateur qu’est le grand capitale… Et enfin tu mets de façon ni argumentée ni nuancée tes opinions politiques dans la balance. Bien sûr tes opinions se défendent et bien sûr tout est politique. Mais il y a une différence entre analyser, étudier et expliquer et faire passer ses opinions politiques à la gaveuse sous couvert de parler de jeux vidéo… Ta vidéo est sans nuances, bornée, étroite d’esprit, égocentrique… c’est une honte ». Nous interprétons ce commentaire comme celui d’un joueur (ou d’une joueuse) particulièrement attaché·e à ne pas faire de lien entre le JV et d’autres objets d’études. Cela nourrit notamment la représentation d’échappatoire du jeu vidéo, objet dans lequel les joueurs peuvent s’extraire de leur condition, de manière totalement détachée du monde « réel ». Un autre commentaire étaie cette hypothèse. 2Bornot2B écrit : « le fait que tu donnes ton opinion sur les élections présidentielles, ça me perturbe plus qu’autre chose; je ne trouve pas ça comparable au jeux-vidéo (et ça semble même hors-sujet) ». Enfin, il est particulièrement intéressant de voir des parallèles se dresser entre la notion de flow appliquée au JV puis à des phénomènes plus proches de la vie des joueurs. Deyonnu met en rapport l’expérience de flow qu’il a ingame et dans son travail : « C’est vrai que je suis resté dans l’esprit « le flow dans le jeu vidéo » et ait donc ignoré ces autres facette (ayant moi-même un boulot en usine, je connais cet effet un peu trop bien, m’enfin pas au point de faire comme Charlie Chaplin xD). @Ebruof (ou Fourbe) Hum, je crois que j’ai compris la différence entre les deux, en effet, je parlais surtout de rester dans le rythme du jeu plutôt que de simplement faire une phase de « flow » ».

Immersion ou émersion dans le flow & la compétence du joueur

L’une des premières remarques qui ressort des commentaires concerne le fait que les moments de flow sont des situations agréablement vécues par les joueurs et joueuses. Ceux-ci considèrent avoir un fort degré de contrôle sur les situations vidéoludiques rencontrées. Certains remarquent qu’ils se sentent justement totalement libres, ce qui rentre en contradiction avec le propos de la vidéo. Un commentaire revient et cristallise pour nous une partie de la conception du flow. Meskimo555 évoque la symbiose qui définit cet état. « Etre dans le flow » serait donc proche d’une certaine confusion entre le jeu et le joueur, lorsque ces deux éléments sembleraient indissociables du fait de l’activité vidéoludique qui les comprend. Le flow est aussi parfois compris comme un état de transe durant lequel le joueur devient conscient de toutes ses actions en étant pourtant totalement immergé dans son activité. Bbbbbbbouli évoque cela dans son commentaire. Le moment de flow est selon son propos un moment durant lequel le joueur dépasse sa condition. Le paradoxe assimilant le flow à une forme d’hypnose revient alors au fait d’une compression du temps passé à jouer : l’on ne s’apercevrait alors plus du temps qui passe et ce n’est qu’à la sortie d’un moment de flow que nous comprendrions alors que nous avons vécu une forme d’ellipse.  Malgré cela, le commentaire de Campanellaa est très éclairant sur cette dualité : « c’est d’ailleurs pour ça que je ne parlerais pas tout à fait de pilotage-automatique, il y a tout de même une certaine agentivité qui reste, mais celle-ci est perçue comme accentuée, plus forte parce que la capacité d’exécution des tâches est accentuée par le flow ». Ce qui semble central dans une grande partie des commentaires discutant le propos de la vidéo est le fait que pour leurs rédacteurs, le flow est lié à un engagement total mais conscientisé d’un agent dans son activité selon les commentaires reçus. Cependant, cela semble rentrer en conflit avec la pensée de Csikszentmihalyi et Nakamura puisque pour ces auteurs, la conscience de soi s’atténue voire disparait. Le rapport au temps est lui aussi intéressant dans le sens où il ne semble plus y avoir de latence entre l’action et le feedback pour celui qui vit l’expérience, là par contre, cela correspond à l’idée proposée par Csikszentmihalyi et Nakamura.

Le flow comme un espace d’apprentissage

A plusieurs reprises les commentaires mentionnent le flow comme une zone d’apprentissage. JustABaziKDude, mais aussi Kago Hyperbrother font un parallèle entre ce qu’ils vivent lors d’un jeu vidéo et l’apprentissage de la musique. Ces deux internautes mentionnent notamment le bonheur lié à la réussite et le fait d’avoir atteint objectif fixé à l’avance. Le flow pourrait alors émerger d’une situation d’apprentissage durant laquelle les apprenants ne reçoivent que des « feedbacks positifs » pour reprendre les termes employés par Kago. Il semble ici qu’il y ait cependant une juxtaposition du concept de flow avec d’autres concepts, notamment celui de la zone proximale de développement, développée par Vygotski en 1934. Ce concept définit la zone mentale dans laquelle un individu, lorsqu’il est accompagné, peut réussir les tâches qui lui sont demandées. Il semble donc qu’ici, le concept de flow soit peu clair sur sa définition. L’on pourrait supposer que les deux notions présentées peuvent fonctionner ensembles et indépendamment. Cela nous permettra de prendre en compte les situations de flow durant lesquelles nous ne pouvons pas constater d’apprentissage effectif.

Dès lors, il est donc plus intéressant de considérer les deux notions comme pouvant être présentes au même moment et que celles-ci peuvent avoir un certain degré de corrélation. Par contre, il convient de clairement énoncer que les deux notions peuvent aussi émerger de manière indépendante.

Quelles représentations associées aux jeux vidéo et quel flow correspondant ?

Cette question est particulièrement intéressante dans le sens où c’est en observant les genres présentés et évoqués dans les commentaires que l’on peut définir ceux qui seraient les plus propices. Par ailleurs, cela permet aussi de définir quels sont les éléments qui sont liés au flow. A la première lecture et selon les différents exemples mentionnés en commentaire, il apparait que les éléments narratifs, n’étant pas mentionnés, ne font pas partie des éléments déclencheurs d’un moment de flow. Au contraire, ce sont plutôt les interactions directes et les mécaniques de gameplay qui permettraient cela. Ainsi, les jeux mettant l’emphase sur une action frénétique sont plus revenus en exemple que les jeux accentuant la narration et la découverte du récit. Dès lors, il devient possible de dissocier les jeux en fonction du potentiel flow qu’ils peuvent susciter chez le joueur.  Les genres qui reviennent dans les commentaires sont les suivants : les schmups, les jeux de combat en FPS, les jeux musicaux et les jeux mettant l’emphase sur le développement de réflexes chez le joueur et la rapidité des feedbacks. Ainsi, les jeux Touhou, Hotline Miami, les jeux de sports (Fifa notamment). Chacun des jeux évoqués nécessitent une assez forte réactivité. Il semble donc que le flow soit fortement lié, selon les commentaires recensés, à la rapidité de réaction des joueurs.

Cependant, cette représentation est fortement critiquable d’un point de vue scientifique et semble exclure trop rapidement d’autres facteurs déclencheurs potentiels de flow. Nous pensons notamment au fait qu’un joueur peut aussi se sentir dans le flow d’un visual novel alors que ce genre vidéoludique ne présente que très peu de situations demandant au joueur d’être rapide et réactif. L’une des pistes que nous pouvons envisager concernerait alors l’investissement émotionnel dans l’activité que le joueur mène. Nous supposons ici qu’un alignement serait alors nécessaire entre l’investissement émotionnel, la compétence du joueur et la compétence nécessaire. Ces trois éléments nous permettent de dégager alors plusieurs situations durant lesquelles le flow peut, ou non, émerger.

 

Situations desquelles le flow peut émerger dans le cadre des JV, E. Giner, 2017.
Investissement émotionnel Compétence du joueur Compétence nécessaire Moment de flow Type de flow
Fort Fort Fort Possible Immersif
Fort Fort Faible Possible Automatique
Fort Faible Faible Possible Immersif
Fort Faible Fort Peu possible Frustrant
Faible Faible Fort Très peu possible Automatique / résigné
Faible Fort Faible Possible Automatique
Faible Faible Faible possible Automatique

 

Il semble important de mentionner que ce tableau n’est finalement que peu pertinent par rapport à l’usage initial du flow et cela semble rentrer en contradiction avec certaines représentations du flow de Csikszentmihalyi et Nakamura. Le flow véritable tel qu’il semble être présenté ne peut émerger que d’une situation où la compétence du joueur et le niveau de défi (la compétence nécessaire) semblent élevées.

Ce qui semble intéressant dans les commentaires est encore une fois la présence d’un paradoxe dans les représentations du flow. Il semble qu’il y ait une confusion entre l’état de relaxation et l’état de flow. Cette confusion peut notamment s’expliquer par le fait que les deux états se reposent sur la notion de bien-être. Cependant, les différentes qualifications que nous faisons du flow, bien que pouvant sembler d’aberrations pour les connaisseurs de la notion, montrent une difficulté cette fois propre au jeu vidéo. En effet, cette notion regroupe de nombreuses activités vidéoludiques qui possèdent chacune des particularités précises. Ainsi, il nous semble que la compréhension même du flow est limitée par la compréhension même et les limites cognitives que nous avons pour définir la notion de « jeu vidéo ».

Discussions sur l’association flow-conservatisme

L’association entre le flow et le conservatisme au niveau philosophique et politique a particulièrement été discutée en commentaire. Il semble tout d’abord important de rappeler que cette lecture du flow est défendue notamment par Ian Bogost (2016). Cette association d’idées a globalement bien été reçue dans les commentaires. De même, le ratio pouces bleu/gris de YouTube semble nous indiquer que d’une manière générale, la conclusion de la vidéo a plutôt bien été accueillie bien que la transition est considérée comme surprenante. Nous savions ce segment du contenu particulièrement sensible puisque nous associons une idée globalement positive et appréciée à une notion plutôt dépréciée, il nous semble, par la population ayant commenté cette vidéo. Sans que les commentateurs soient forcément d’accord, pour ceux qui ont rédigé un avis sur ce point, ils ont globalement été ouverts à la discussion.

Les commentaires négatifs ont particulièrement été vindicatifs comme déjà mentionné. Plus globalement que seulement les aspects politiques, il semble que le flow ne convienne pas forcément à toutes les sphères ou les phénomènes de la vie d’un individu. Dès lors, le rejet de l’application de ce concept à la vie politique illustre, selon notre interprétation, chez certains joueurs une volonté de dissocier l’activité vidéoludique de tout autre comportement qui pourrait avoir une volonté, ou du moins une teinte, politique. Un premier argument que nous acceptons et rédigé par Campanellaa concerne le fait que le flow et un moment qui s’applique uniquement à l’individu, ou l’agent, et l’appliquer à un phénomène plus grand serait un non-sens. Dès lors, appliquer le flow à un collectif, d’électeurs comme cela est fait dans la vidéo, ne serait pas possible. Cependant, nous modérons cela en énonçant des états similaires ont été constatés au niveau d’une équipe ou d’un ensemble. C’est le cas par exemple du group flow. Walker (2010) a notamment étudié cela et à travers une étude menée, a constaté des expériences de social flow. Dans ce type d’expérience collective, des individus indépendant et agissant dans leurs intérêts personnels profite du et participe au flow des autres. Il est à ce sujet très intéressant de dresser des parallèles avec l’économie classique et néoclassique puisque celles-ci font appel au mécanisme de la main invisible qui peut se constater effectivement de la même manière et dont la définition est proche.

L’enjeu que nous identifions ainsi ne concerne finalement plus vraiment alors l’échelle à laquelle le flow se situe. Au contraire, avec notre lecture des commentaires, nous interprétons que l’enjeu se trouve plutôt autour de l’intensité et de la temporalité d’une expérience de flow. Il semble qu’il s’applique à une période de temps plutôt restreinte et de manière constante mais l’interrogation que nous soulevons est de savoir si nous pouvons aussi considérer des moments variables en intensité comme faisant partie d’une même expérience de flow. Une fois ce travail fait, il devient alors possible de statuer sur différents phénomènes.

Conclusions

A l’issue de cette première recherche exploratoire sur les représentations que les joueurs attribuent au flow, il apparait que cette notion reste globalement vague sur les limites de sa définition. Cela a contribué à la multiplicité des utilisations qui en sont faites et ce, avec des définitions partielles, sélectives des éléments constitutifs du flow. Mais globalement et à partir des représentations qui ont été transmises dans les commentaires qui ont été dépouillés, nous pouvons apporter des éléments de conclusion (notre opinion personnelle apparait en parenthèse). Voici donc ce à quoi correspond l’idée du flow selon les personnes ayant répondu en commentaire de la vidéo :

  1. Le flow n’est pas une finalité du game design (en accord) ;
  2. Le flow est une situation de bien-être (en accord);
  3. Le flow est un moment durant lequel le joueur est immergé et conscient de sa situation (en désaccord) ;
  4. Le flow ne sous-entend pas forcément une situation de liberté d’action (en accord) ;
  5. Le flow est relatif à certains genres vidéoludiques (en désaccord) ;
  6. Le flow sous-entend une situation d’apprentissage (en désaccord).

Limites

Cette recherche s’est appuyée sur un corpus relativement maigre et issu d’une population non représentative. La présente étude doit donc contenir un certain nombre de biais, c’est pourquoi elle ne pourrait être envisagée autre que ce qu’elle est réellement, c’est-à-dire une synthèse de commentaires avec discussion. Cependant, il convient de dire que pour la personne souhaitant approfondir ce sujet, ce travail illustre à son niveau la polysémie des représentations du concept de flow sans discuter la pertinence du concept lui-même tel qu’il a été défini par Csikszentmihalyi et Nakamura. Enfin, nous assumons le fait que nous proposons une critique du concept de flow ancrée politiquement, ce qui se constate dans les propos que nous tenons ici et dans la vidéo. Le lecteur devra donc tenir aussi de cela lorsqu’il souhaitera discuter nos propos.

Esteban Grine, 2017.

 


 

Bibliographie

  • Bogost, P.I., 2016. Play Anything: The Pleasure of Limits, the Uses of Boredom, and the Secret of Games. Basic Civitas Books, New York.
  • Hess, R., Deulceux, S., 2012. Sur la théorie des moments. Chimères 13–26.
  • Lakomski-Laguerre, O., Longuet, S., 2009. Une approche subjectiviste de la démocratie : l’analyse de J.A. Schumpeter, Abstract. Cahiers d’économie Politique / Papers in Political Economy 29–52.
  • Nakamura, J., Csikszentmihalyi, M., 2014. The Concept of Flow, in: Flow and the Foundations of Positive Psychology. Springer Netherlands, pp. 239–263. doi:10.1007/978-94-017-9088-8_16
  • Smith, A., Garnier, G., 1776. La Richesse des nations. Tome I. Flammarion, Paris.
  • Walker, C.J., 2010. Experiencing flow: Is doing it together better than doing it alone? The Journal of Positive Psychology 5, 3–11. doi:10.1080/17439760903271116

 

[1] Les données sont accessibles sur demande ou directement sur la vidéo. Aucun commentaire n’a été supprimé.

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Il faut abattre le flow – DROIT DE REPONSE

Ce texte a été publié en commentaire de ma vidéo sur le flow. Après avoir contacté l’auteur, j’ai pris la décision, avec son accord, de le publier ici car les critiques sont particulièrement intéressantes. Esteban Grine

Les avantages du registre polémique

Ta vidéo au ton volontairement polémique – à la manière des manifeste politique un peu – m’a donné envie d’ajouter une petite contribution au débat. Cette manière tranchée que tu as d’interpréter la notion de flow et ses usages abusifs a de réels avantages. J’en vois deux. D’abord, elle oblige par sa violence à mettre en question une notion qui est probablement devenue pour beaucoup une sorte d’a priori, dont on use et on abuse, et qui sous cet aspect est un frein à l’analyse et à la conception de jeux vidéos. Ensuite, parce que ton interprétation est extrêmement affirmée, elle donne envie d’amorcer le débat parce qu’il est difficile d’avaler d’un bloc le pavé que tu nous lances. La preuve en est mon commentaire : le deuxième que je poste en 10 ans d’internet ! Je me propose donc d’émietter un peu ton pavé, en espérant que mon intervention ne sois pas inutile et fasse avancer le schmilblick.

Le paradoxe du flow

Il me semble qu’une bonne partie de ton propos, repose sur un présupposé largement implicite dans la vidéo et que tu as formulé clairement dans les commentaires : le paradoxe propre à la notion de flow qui met en avant « un état simultané de « concentration maximale » et de « totale immersion » ». Ce que tu reproches à la notion en elle-même c’est cette contradiction entre une forme d’activité – la « concentration maximale » – et de passivité – la « totale immersion » – qui est pour toi impossible. Toute une partie de ta critique, sur les concepteurs de jeux vidéos se vantant de créer du flow, repose sur ta conception du flow comme pratique passive. D’une pratique donc, qui tient plus du laisser-aller que de l’action véritable, autrement dit : de l’action libre parce que réfléchie, de l’action qui ne se complaît pas dans ce qui va de soi. C’est en ce sens que tu considères que le flow quand il est mobilisé par les créateurs de jeux vidéo est une notion qui vise plutôt à assouvir une soif de domination, de pouvoir, plutôt qu’à susciter une pratique éclairée des joueurs. Parce que dans cette perspective, vouloir créer du flow, c’est vouloir imposer une forme d’inactivité au joueur.

Passivité du flow et passivité politique

Certains n’ont pas compris que tu introduises de la politique à la suite de ça. C’est vrai que la transition est brutale, car tu conserves le même mot de flow pour critiquer cette passivité politique qui se contente de reprendre des idées reçues – Macron et EM c’est « progressiste », « ni de droite ni de gauche », c’est le « renouveau », et je passe d’autres joyeuseté qui nous sont glissés tranquillement dans les oreilles. Et effectivement : tu utilises le concept de psychologie positive utilisé dans les jeux vidéos pour parler politique, laissant penser à tes auditeurs que c’est toujours cette même notion qui pourrit l’action politique. En réalité, c’est plutôt un laisser-aller au sein du flow, et au sein du champ politique que tu attaques. Il n’y a pas de flow en politique, mais il y a une doxa, qui freine la réflexion et l’activité politique, qui en ce sens est l’analogue du flow dans le jeu vidéo.

La sensation de puissance dans le flow

Comme tu peux le voir avec les commentaires sous ta vidéo, certains ne comprennent pas que tu réduise le flow à une expérience de passivité. Et je les comprends parce que certaines expériences de flow – je ne sais pas si elles sont légions ou plutôt rares – se caractérisent, au niveau du ressenti, par une sensation de puissance. Il y a différentes manières de susciter pareille sensation. Une de ces manières pourrait être dite artificielle. Je pense à des jeux comme Assassin’s creed où l’on peut avoir une sensation de puissance à certains moments, sans qu’aucun véritable obstacle ne soit franchit, et cela parce que le personnage réalise des cabrioles impressionnantes sans qu’on ait besoin de s’échiner sur la manette. On serait ici dans une sorte de faux flow, pour la simple raison que nous ressentons une puissance qui nous est donnée d’emblée sans effort, et qui n’implique pas de connaissance profonde du jeu par le joueur. Face à cela, on aurait un flow véritable, où la sensation de puissance que ressent le joueur vient d’une action opportune et fluide qu’il réalise parce qu’il a une compréhension profonde de l’environnement dans lequel il agit. C’est cette expérience du flow, comme expression d’une véritable puissance du joueur, qui pose problème dans ta perspective.

Spontanéité et réflexivité

J’en viens donc au coeur du problème. Il me semble que tu saisis bien quelque chose quand tu distingues passivité et activité, estimant alors qu’il est impossible qu’il y ait activité dans le flow. Ce que tu saisis par ces deux termes j’appellerais ça spontanéité et réflexivité. Je crois que cette division rend mieux compte de l’expérience du flow. Le flow repose essentiellement sur la spontanéité, la fluidité, ce qui n’exclut pas une forme de liberté, d’activité au sens fort. Je pense que le point faible de ta réflexion est que tu identifies presque réflexivité et liberté. Or prenons des grands sportifs ou des grands musiciens : les moments où ils arrivent à une pleine expression de leur potentiel, où ils sont véritablement puissants, libres, actifs, sont des moments où ils ne sont pas réflexifs, où leurs actes précèdent leurs réflexions.

L’action libre et spontanée

Ces expériences de flow dans le jeu vidéo, je pense qu’on pourrait appeler ça « action libre » d’un point de vue philosopohique, et alors on pourrait ramener des penseurs comme Tchouang-tseu, Spinoza, Bergson, Deleuze, voir même un Bourdieu, pour comprendre ces actions qui semblent involontaires – dans lesquelles le sujet semble se dissoudre, s’oublier lui-même – et qui n’en sont pas moins des moments de grande liberté. Cela suppose de se défaire d’une vision de la liberté comme étant liée indissociablement à la conscience (exit Descartes par exemple). Il y a une forme de liberté qui passe par l’action de l’individu sans passer par sa conscience réflexive, une action non consciente qui exprime une grande puissance de compréhension chez l’individu. On pourrait dire en suivant le vocable de Bourdieu que c’est une « connaissance par corps ». En suivant Spinoza et l’interprétation qu’en fait Deleuze, on pourrait dire que c’est une action qui repose sur une « notion commune » : sur un mouvement commun à deux corps. Par exemple le mouvement électronique d’un jeu vidéo parfaitement assimilé par le joueur qui va, à partir de cette notion commune, pouvoir agir librement dans cet environnement vidéo ludique. En reprenant Bergson, on pourrait dire que l’action libre est celle qui, dans le présent de l’action, actualise le maximum de mémoire. Par exemple, dans un combat avec un boss, le joueur va mobiliser tous les échecs qu’il a mémorisé, au bon moment, et effectuer une action libre, puissante, qui va détruire son adversaire.

Les soubassements laborieux de l’action libre

Ce qu’on voit dans tous ces cas c’est que l’action libre est spontanée, donc non-réflexive. Ce qu’on voit aussi c’est que cette action repose sur compréhension forte, et ce genre de compréhension n’arrive pas sans efforts. C’est une compréhension qui passe par la pratique, par l’échec, par la réflexivité, par la remise en question, par du déplaisir. En ce sens, ces moments de liberté sont la pointe de l’iceberg, et cette pureté de l’action parfaite n’est rendue possible que par un travail bien plus trouble, bien plus laborieux. L’action libre est la pleine expression d’acquis, et ces acquis ne se constituent pas tout seuls, ils ne se font pas sans réflexivité. Mais le moment de pleine expression de ces acquis ne laisse pas de place à cette réflexivité, parce que l’action libre et spontanée est brouillée par la réflexivité, qui elle, est une mise à distance, un pas de côté, rendant impossible un plein engagement. Là on pourrait mobiliser toute une critique taoïste (Tchouang-tseu, et l’interprétation d’un de ses meilleurs commentateurs : Billeter) de l’intentionnalité, de la conscience humaine, qui interfère et rend impossible l’action libre, parce qu’elle est extérieure à la situation dans laquelle l’individu est inscrit.

En conclusion

Je suis peut-être parti un peu trop dans des considérations philosophiques précises au détriment de l’expérience vidéoludique. Mais en tout cas si je devais condenser mon propos, je dirais d’abord, dans une perspective philosophique : il y a une forme d’action libre qui n’est pas réflexive ; cette forme d’action est la pleine expression de la puissance d’un individu dans une situation donnée ; cette puissance individuelle est le fruit de la compréhension des forces dans lesquelles l’individu est pris ; elle repose donc sur un travail préalable qui inclut nécessairement l’échec et donc une forme de réflexivité ; cette action libre et spontanée n’est donc pas facile d’accès.

Et ensuite, en mettant ça en rapport avec l’objet jeu vidéo : si le flow est simplement compris comme sentiment de plaisir – j’y inclus le sentiment de puissance – générée par une action fluide alors c’est une notion qu’il faut abattre ; le qualificatif valorisant de flow – on peut lui préférer un autre terme – peut-être légitimement utilisé s’il s’agit d’une action impossible à réaliser sans une compréhension spontanée et forte de mécaniques de jeux élaborées ; en conséquence de quoi, ces actions libres sont impossibles sans des phases d’apprentissages des mécaniques constitutives du jeu, donc de phases impliquant échec et réflexivité.

Post-scriptum : un exemple personnel

Aussi, j’ai cherché vaguement des expériences de ce type dans ma maigre expérience vidéoludique, et les plus éclatantes j’ai du les avoir en jouant à Fifa. Parce que je passais des centaines d’heures dessus, que j’assimilais le fonctionnement de la machine, jusqu’à arriver à lâcher des actions parfaitement fluides qui finissaient en lucarne. Dans ces moments là, j’étais libre – sur Fifa donc il faut relativiser – j’étais à la fois totalement immergé dans le jeu et pleinement actif. Mais tout ça supposait de l’échec et des heures de pratiques.

Georges Peretz, 2017.

 

Une madeleine à la tortue

Une madeleine à la tortue

Joël Pannelay (Jok)

Plusieurs mois maintenant que je me demandais sur quoi écrire. De nombreuses idées sont passées.

Mon jeu préféré de l’enfance ? il est difficile de classer ce genre de souvenir sans hiérarchiser plus que le jeu lui-même.

Le jeu qui aura changer ma vision du média et aura conditionné une bonne partie de mes gouts dans ce domaine ? pourquoi pas mais il n’est pas tant relié à des souvenirs particuliers sur le moment qu’à la suite de mon parcours.

Pourquoi pas un jeu qui est marqué par la présence de mon frère ou alors associé à un récit d’adultes dans la même pièce qui se serait mêlé au souvenir du jeu lui-même pour lui donner une saveur particulière (j’en avait un bien sombre en tête).

Non rien de tout ça finalement. Puisque tout ceux-ci étaient ancrés dans le domicile parental j’ai fait le choix d’un souvenir différent, jamais totalement oublié mais bien recouvert par les années. Le creuser m’aura amené à repenser certains de mes choix d’adulte avec une nouvelle lecture (et sans doute un nouveau biais).

Le jeu au cœur de ce souvenir est Teenage Mutant Hero Turtles sur Nes. Cauchemar pour beaucoup d’enfants de mon âge, j’ai pour lui une tendresse très étonnante. Aucune forme de masochisme dans celle-ci, je n’apprécie pas particulièrement les jeux à la difficulté punitive (volontaire ou non de la part des créateurs). Cette tendresse est entièrement liée au contexte qui entoure la découverte et la pratique de ce jeu.

J’ai 7 ans lors de la sortie de ce jeu, livré en bundle avec la Nes je ne le possèderai jamais. Je joue sur une atari 2600 à l’époque et ce sera le cas jusqu’à l’arrivée de la megadrive quelques années plus tard. A ce même moment je rentre en classe de CE1 dans l’école de mon petit village du nord-ouest de la France. Ce village de 1000 habitants ou la diversité n’est pas un concept évident avec une seule famille non blanche. Cette rentrée de CE1 est marquée par l’arrivée d’un nouvel élève de mon âge, chose rare dans ce genre de village, jusqu’ici aucun changement de camarade de classe n’avait été à signaler depuis mes 3 ans et mon entrée dans la vie scolaire, passant les années avec la même quinzaine d’élèves. Ce nouveau s’appelle Mickaël et il a la particularité d’être noir. Tant de nouveauté en une seule personne, pas évident pour lui à priori.

A cet âge mes compétences sociales étaient assez limitées, je n’avais pas vraiment d’amis (au moins j’avais du temps pour jouer) et je n’étais pas forcément adapté à ce milieu rural. Ce nouveau est assez vite devenu un ami et le premier chez qui j’allais passer des après-midis à jouer aux jeux vidéo.

La maison ou il habitait dans le village, non loin de l’imposante bâtisse du maire du village, la disposition des pièces avec cette grande cuisine ouverte en face de l’entrée et juste à côté le salon, l’odeur du canapé en cuir sur lequel nous étions assis, toutes ces images et sensations sont encore présentes et la découverte de cette manette avec plus d’un bouton (je vous ai parlé de l’atari 2600 ?) me fascine par les possibilités qu’elle offre, tant de combinaisons possibles…

Plus que le jeu en lui-même, que nous ne finirons jamais malgré de nombreux essais les mercredi après-midi, c’est une ambiance qui reste et les activités associées. Nous alternions entre la console et d’autres loisirs, le football et la première fois (et la seule) ou j’ai essayé des chaussures à crampons pour aller jouer dans le jardin et la rue de ce quartier pavillonnaire de campagne dans laquelle les voitures étaient bien rares, des tours de vélos dans les quelques ruelles dans un périmètre de moins de 200 mètres autour de la maison, … tout un tas d’activités d’enfants normales mais nouvelles pour moi.

La marque de ces après-midis a été rendue encore plus importante par le départ dès la fin de l’année scolaire de cet ami d’enfance, que je ne reverrai jamais. Cette pratique du jeu a plusieurs deviendra une chose rare pour moi, ma pratique du jeu devenant assez solitaire jusqu’à la fin de l’adolescence.

Ce jeu fera un deuxième passage dans mon enfance, vers 13 ans j’ai échangé pour quelques semaines ma megadrive contre une nes avec un camarade du collège, et parmi la collection de jeux à ma disposition se trouvait celui de mes premiers souvenirs de cette console, Teenage Mutant Hero Turtle. J’ai assez peu joué aux autres et malgré une forme d’acharnement je n’ai pas réussi à vaincre ce jeu, bloqué par un technodrome récalcitrant à plusieurs reprises. Cependant la saveur de ce moment n’est pas la même, bien plus trouble, en solitaire, isolé du monde finalement. A cette époque je passe beaucoup de temps à jouer, passionné par l’objet vidéoludique et ses possibilités, l’arrivée proche de la 3D sur les consoles et sa présence effective dans les salles d’arcades me laisse entrevoir de nouveaux genres de jeux.

Deux expériences très différentes pour un seul jeu, sociabilisation et difficulté de sociabilisation pour deux périodes. Je préfère en retenir la première expérience qui est plus une optimiste, moi qui n’était pas le mieux intégré j’ai su être proche de quelqu’un qui apparaissait comme différent de tous. Tout inconscient que cela ait pu être, j’ai appris de la différence sans à priori. Allez vers l’autre est une chose que j’aime faire à présent, et savoir qu’un de mes premiers souvenirs de jeu est lié à cette attitude si longtemps perdue me rassure. Dans ces souvenirs je vois un enfant content de trouver quelqu’un avec qui partager, rien de plus.

Tout comme certaines chansons ou certains films sont rattachés à des souvenirs pour beaucoup de personnes, certains morceaux de moi sont attachés à des jeux. Ces liens sont les marqueurs de moments forts ayant laissé une empreinte dans ma vie. J’aurais pu citer beaucoup d’autres jeux ayant jalonné mon parcours mais celui-ci sort du lot et explique peut-être un peu ma volonté d’aller vers l’autre pour découvrir toujours plus. Je ne sais pas ce qu’est devenu Mickaël, ni s’il a continué à jouer ou s’il se souvient de ces sessions de jeu. Mais il reste une image de mon enfance intimement liée à ma découverte des jeux et de la sociabilisation.

Bien sûr il est toujours plus facile d’interpréter avec le recul de l’âge et d’essayer de voir ce que l’on cherche dans ses souvenirs. Cependant relire certains choix de vie à l’aune d’un souvenir qui au début de ce texte me paraissait plus anodin que bien d’autres me fait réaliser que cet exercice était plus difficile que je ne l’aurais cru. Me voilà à présent en train de chercher le nom de ce camarade de jeu éphémère.

Les tortues ninja si cruelles pour bon nombre de joueurs m’ont marqué pour tout cela, et elles continueront sans doute à le faire (oh ! un émulateur qui passe devant moi). Y rejouer pour finir de renouer totalement avec ce souvenir est maintenant une envie, peu importe les conditions de ces futures retrouvailles elles auront à présent une saveur encore plus forte.

Les Tambours de guerre

Les Tambours de guerre

Antonin Demeilliez

« Six ans ont passé depuis la première guerre entre les orcs et les humains… » Ce carton, comme une sentence, marque le début de la deuxième. Moi, jeune stratège en herbe, j’ai environ six ans quand je découvre, émerveillé, la cinématique d’introduction de Warcraft II en me disant que je n’avais jamais rien vu d’aussi impressionnant. La mer, les navires orcs, les humains et les elfes qui aiguisent leurs épées et chargent leur canons pour constituer un dernier rempart à la barbarie : tout dans cette cinématique d’introduction m’appelle à l’aventure. Je me suis lancé dans Warcraft II pour mener bataille, j’y ai trouvé la passion d’une vie : le jeu vidéo.

C’est à ma sœur de neuf ans mon aînée que je dois le fait d’avoir eu Warcraft II installé sur l’ordinateur de la maison alors que mes parents étaient à l’époque encore très réticents à l’idée de m’offrir une console de jeu. C’est ce contexte familial qui a scellé mon destin de « pécéiste » et je ne regrette rien, car au delà du jeu vidéo, c’est tout l’univers de l’heroic fantasy que le jeu de Blizzard m’a fait découvrir, La Communauté de l’anneau ne devait arriver dans les salles que deux ans plus tard. Warcraft II m’a donc fait découvrir les orcs, les elfes, les nains, les trolls, les gobelins, ainsi que la mélancolie et le souffle épique inhérents au genre. De bataille en bataille, de cinématique en briefing de mission, j’ai vu se dessiner sous mes yeux le destin d’un monde en proie au péril. J’ai vu les elfes mourir sous les coups de hache des grunts, les catapultes déchaîner leur feu sur les fermes ennemies. J’ai vu les cavaliers de la mort utiliser leur sombre magie, j’ai vu des navires tomber dans une embuscade au profit du brouillard poisseux qui régnait sur la mer, et j’ai vu Kadghar sceller le portail des ténèbres pour nous sauver tous.

A l’époque, je ne comprenais qu’une infime partie de l’intrigue du jeu. Je n’écoutais que d’une oreille le langage ampoulé du narrateur qui me donnait des ordres de mission bien complexes. Au bout du compte, il s’agissait toujours de vaincre son ennemi, de faire triompher le Bien sur le Mal (ou l’inverse) et je m’abreuvais des enchaînements de noms alambiqués des ogres, des mages et des forteresses qui, s’ils n’avaient que peu de sens pour moi, forgeaient en mon esprit tout un folklore, tout un univers. Car il en faut très peu pour un jeu de la fin des années 90 pour faire rêver un enfant en quête d’aventures et de mondes imaginaires. Peu m’importait que nous devions retrouver le crâne de Gul’dan ou que la forteresse de Stromgarde était le dernier bastion de l’humanité. Ce qui m’importait, c’était qu’un monde était en péril, et que les petites bouillies de trente-deux pixels de côté étaient des chevaliers, des archers elfes, des paladins, des lanceurs de haches trolls, des gobelins kamikazes. Ce qui m’importait, c’était que leur sort était entre mes mains, et que je devais bâtir un empire pour surmonter leur destruction.

Le genre de la stratégie temps réel n’est pas le plus accueillant pour un enfant de six ans. Qu’on se le dise, je ne me serais jamais attaché à ce point au jeu sans la présence des cheatcodes qui ont déterminé la majeure partie de mon expérience de Warcraft II. « Make it so », « On screen », « Hatchet », « It is a good day to die »… Presque vingt ans plus tard, je me souviens encore de ces cheatcodes que j’ai écrits et réécrits, tels des mantras, des formules magiques qui me donneraient le pouvoir de vaincre. C’était la magie de ces codes qui faisait de moi un arcaniste pouvant donner l’invincibilité et l’omniscience à mes troupes. D’aucuns diront que je n’ai pas vraiment joué à Warcraft II dans ces conditions. Soit. Je n’ai certainement pas eu l’expérience de jeu et le sentiment de péril que les game designers avaient imaginés. Et pourtant, malgré la simplicité enfantine que représentait le jeu une fois ma magie ayant opéré, j’y ai passé un temps considérable. Je me souviens des longues heures passées à m’user les yeux devant le cube cathodique qu’était l’imposant écran du vieux Packard Bell de mes parents tandis que la lumière du bureau se reflétait sur le ciel noir de la nuit qui perçait par le velux. Je me souviens développer méthodiquement toutes les améliorations du jeu, débloquer toutes les technologies de guerre possibles, et de lever des armées titanesques pour subjuguer mon ennemi, alors qu’un seul fantassin invincible aurait suffit. Je me souviens de cliquer frénétiquement sur les moutons pour les faire exploser, et pour écouter ce que chaque soldat pouvait avoir à me dire. Je me souviens avoir laissé un unique bâtiment ennemi en vie lors d’une mission pour pouvoir prendre le temps d’envahir le moindre îlot de la carte avec mes bâtiments. Bref. Les cheatcodes m’offraient la paix pour préparer la guerre. En brisant les règles, Warcraft II devenait un jouet, un bac à sable qui pouvait se plier aux délires mégalomanes d’un enfant introverti.

A quoi bon s’encombrer de la défaite ? A quoi bon chercher une victoire qui sera souillée par le sceau de « Tricheur ! » sur l’écran des scores ? Ce que je voulais à l’époque c’était me plonger dans cet univers sombre et magnifique, c’était savourer le jeu comme un tableau que l’on admire sans s’en lasser, pour en voir tous les détails, en comprendre toutes les nuances. Bien évidemment, je livre ici la vision rétrospective d’un jeune adulte ayant été éduqué à l’analyse d’art. Je ne me doutais pas à l’âge de six ans que j’étais en train de m’initier à la contemplation et à la mélancolie. Et pourtant, il fallait bien de la contemplation et de l’imagination pour croire à toute cette histoire, pour voir des personnages au milieu des sprites grossiers et des mêmes lignes de dialogue qui tournaient en boucle. Il fallait bien de l’imagination pour voir un monde au delà des frontières de la carte, au delà du brouillard de guerre, des arbres minuscules posés sur des sols monochromatiques sans aucun relief et des paysans plus grands que leurs fermes. Heureusement il y avait les musiques. Ha, les magnifiques musiques signées par Glenn Stafford ! Qu’aurait été ce jeu sans ses morceaux qui appelaient tous à l’aventure ? Eux qui portaient tout l’épique et toute la tragédie de l’univers de Warcraft avec ces cuivres qui nous invitaient à chevaucher dans les plaines désolées d’Azeroth, ces cloches qui sonnaient comme un glas pour ces héros qui tomberaient vaillamment au combat, ces harpes envoûtantes qui nous rappelaient que tout cela n’était que fantaisies et légendes… Et évidemment, ce sont ces musiques qui aujourd’hui éveillent en moi la nostalgie de mes soirées passées devant le jeu.

Il y a trois ans je lançai ma première partie de Hearthstone, et quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai entendu retentir les musiques de Warcraft II au moment de la recherche d’adversaire. Le son était nasillard, comme provenant d’un phonographe et ces sonorités qui avaient bercé mon enfance revenaient à moi comme une relique du passé. Ce qui ne devait être qu’un easter egg pour le studio s’est transformé pour moi en un véritable hommage à l’héritage d’une saga démarrée il y a vingt ans. Cela a provoqué en moi l’envie de me replonger dans le jeu et dans sa suite, Warcraft III, tout comme chaque bande annonce d’une nouvelle extension de sa déclinaison en MMORPG, tout comme l’adaptation cinématographique sortie au printemps 2016, tout comme ma nouvelle passion pour Starcraft II… Tous ces éléments qui vibrent en moi et qui me rappellent à quel point Warcraft II a été déterminant dans ma constitution en tant qu’être humain. Il est certainement la raison pour laquelle j’ai commencé à jouer aux jeux vidéo, la raison pour laquelle je ne me suis jamais arrêté d’y jouer, d’écrire à leur propos, de les considérer comme un art, et la raison pour laquelle aujourd’hui je veux en faire mon métier. Me serais-je intéressé au gameplay émergent et au speedrun si je n’avais pas transformé un jeu complexe en simple jouet à l’aide de codes ? Aurais-je aujourd’hui l’amour des univers de l’imaginaire et du jeu de rôle si je n’avais pas été bercé par ces histoires de guerres millénaires entre les orcs et les humains ? Serais-je aujourd’hui passionné d’esport si mes premières amours ludiques n’avaient pas été sur le jeu de stratégie de Blizzard ? Je ne le saurai jamais, je ne peux que me contenter d’imaginer, de cette imagination que j’ai forgée en jouant à Warcraft II. Imaginer et me souvenir, et surtout jouer, encore et toujours, pour essayer de rester cet enfant émerveillé.

Epoch-Man et moi

Epoch-Man et moi

Raphaël Lucas

Je suis de la génération Starfighter/Dragon’s Lair, de cette génération d’enfants qui s’imaginaient tour à tour sauveurs de la planète/princesse ou hacker ingénieux. Nous n’étions que des proto-geeks, souvent moqués, s’échangeant et feuilletant avidement des listings en Assembleur, rêvant d’écrans monochromes qui de nuit repeindraient nos visages de lignes de code. Devenir code. Oui, avec ce curseur en attente, toujours clignotant dans le coin de l’œil : une invitation. Et il y avait les jeux, électroniques puis vidéo, les bornes d’arcade dans lesquels mon frère et moi déversions des dizaines de francs tous les mois : Ô, Ghost’n Goblins comme je t’ai haï pour tous ces comics, Titans et Special Strange, ratés par manque d’argent… Se souvenir de cela, c’est ouvrir des boîtes. Car les souvenirs sont des boites, des tiroirs, des pièces et greniers aux parois fines, poreuses, s’interpénétrant. Ce sont des lieux-moments. Et certains de mes lieux-moments sont pleins de jeu vidéo. On glisse, saute de l’un à l’autre en suivant des généalogies propres, subjectives. On en remonte chaque cours au gré d’images d’abord en vrac, désordonnées, puis de plus en plus construites, structurées, chaque détail (réel ? imaginé ?) reprenant sa place, celle dont on croit se rappeler. Et, comme la balle de Tennis  for Two, tout est en rebond constant, en aller-retour : d’un jeu à l’autre, d’une pièce à l’autre, d’un moi à l’autre. Saisissez cette balle, et BOUM !, la mémoire s’emballe, déballe l’éventail chaotiques des expériences passées.

Là, aujourd’hui, il y a ce moi adulte, 43 ans, yeux collés à l’écran de télé HD, Polybius, le dernier Jeff Minter, qui y déroule à une vitesse insensée ses couleurs psychédéliques et ses références à un passé vidéoludique lointain : des (Space) Invaders, le scritttchhh, sccriiiiiiitcchhhhh d’un ZX Spectrum lisant une cassette. Et le tout fonce dans des couloirs clos, fermés. Nous sommes Un -Moi/je/jeu- propulsé de plus en plus vite, oui, de plus en plus immergé, happé, noyé. Le monde extérieur s’efface, n’est plus qu’une ombre. Je n’existe plus. Je ne suis même plus ce vaisseau-avatar. Je ne suis plus que pulsation, qu’accélération, que cette adrénaline qui se déverse en moi. Et puis l’épiphanie, l’illumination, le clac sec (clac !) dans le cerveau. Comme une porte, comme un passage oublié qui se déverrouille, ramène à un lieu-moment, à un lieu-passé. Brique après brique tout se reconstruit à l’intérieur, dans ce manoir des moi (s), ce grenier dit (David) Lynch, où l’on case, enfourne, bourre toutes les expériences du passé, les nous de ces moments-là. Moi, expérimentant Polybius, aujourd’hui. Puis, moi, terminant/jouant à/souriant devant Call of Duty, Gradius V, Planescape : Torment (ô, toi !), Baldur’s Gate, Final FantasyVII, R-Type, Thunder Blade, Strider, Ishar, Miracle Warriors, à différentes époques, dans différents appartements, différentes chambres ou maisons, toujours rebondissant d’un lieu, d’un souvenir, d’un moi à l’autre. Et puis l’arrêt, net. Un moment précis, plus clair, plus défini. Ce n’est pas le souvenir du premier contact, plus lointain, arcade sans doute. Non, cette réminiscence est plus importante, un moment gravé jusque dans mon corps, jusque dans cette image que je présente au monde.

Là, dans cette pièce, dans cette boîte, il y a moi, enfant, dans une cour d’école pendant une récréation, mains moites, les pouces s’agitant sur les boutons argentés d’Epoch-Man. Un vague clone de Pac-Man sous forme de Game & Watch. C’est le printemps. Peut-être. Je suis en CM1 ou CM2. A force de jouer les quatre boutons présentent des traces de rayures, et de leur peinture commence à s’effriter. Je suis assis contre un des pylônes de béton froid qui soutient le préau de l’école Jean-François Regnard à Dourdan. Il y a quelques mois, je me suis cassé une incisive définitive sur un de ces pylônes. J’en porte encore la trace, la brisure, cachée sous une couronne. Cette course, ce jeu de chat qui se termine à terre pour moi – fondu au noir-, je le revois à chaque fois que je souris dans un miroir… La passé, le présent… Epoch-Man, Epoch-Man. Revenir à Epoch-Man. Le concept est simple : à chaque écran nettoyé de ses fruits, la vitesse du jeu accélère. De plus en plus vite, toujours de plus en plus vite. Cette partie, je ne l’ai pas commencée sous ce préau où rebondissent les sons des pas, les cris et les rires. Elle a débuté le soir précédent, au calme, dans le canapé de notre salon. Je revois encore ses accoudoirs généreusement bourrés, ce coin dans lequel je me lovais. Pas de son, si ce n’est ceux d’Epoch-Man, et le téléviseur gros cul qui ronronne. Sans doute pressé d’aller me coucher, j’avais mis le jeu en pause. Ce n’était qu’une partie comme une autre, comme des dizaines d’autres. Elles finissaient toutes invariablement par un game over.

Mais sous ce préau, assis, au milieu du bruit, au milieu de la vie, adossé à ce pylône froid, tout a changé. Ici, il y a un impératif de temps : la durée limitée de la récréation. Une quinzaine de minutes avant que le sifflet ne résonne. Vite, faire vite.

Au bout d’un moment, à force d’accélération, les sprites finissent par disparaître, par se confondre, se mélanger devant mes yeux. Les vies engrangées lors des premiers passages tombent alors l’une après l’autre. Le monde, les rires d’enfants, les paires de jambes qui rebondissent sur le bitume à chaque saut de corde et les silhouettes qui courent en hurlant s’effacent, n’existent plus. Il n’y a plus que nous, Epoch-Man et moi. Plus que ces personnages en cristaux liquides, plus que ces deux ponts rouges sous lesquels je me cache, alors que les fantômes clignotent, parcourent le labyrinthe à toute vitesse. Il n’y a plus rien que cette liaison, ce flux, ce flow, et moi connecté sur la même longueur d’onde qu’Epoch-Man, comme partie d’un même système action-réaction. Mes yeux sont grand-ouverts. Il n’y plus de place pour un cillement.

Et puis, l’arrêt brutal de la partie. XXXX s’affiche en haut de l’écran. Le score maximal. Affaissement total du corps. Le vide, puis un grand sourire quand je comprends. J’ai dix (onze ?) ans, je viens d’expérimenter ma première transe hypnotique. Il n’y aura jamais de score plus haut, jamais d’expérience aussi intense sur Epoch-Man que dans cette cour de recréation, là, alors que lui et moi nous nous sommes échappés du réel. D’ailleurs, j’abandonnerai plus ou moins le jeu peu après.

Depuis, j’ai couru après cette expérience, une recréation de cette expérience, cette perte de soi dans un système. Oui, devenir flux, devenir flow, fluide. Pulsation. Ca a été TxK plus tard, lors un vol longue durée vers les Etats-Unis, avec cette sensation d’être en double apesanteur- le cerveau qui semble flotter à l’intérieur du crâne, une perte de repères-, et aujourd’hui Polybius, ce jeu « inspiré » d’une rumeur urbaine, cette borne d’arcade crée par la CIA pour contrôler l’esprit des joueurs. Alors que j’écris, Nex Machina : Death Machine a pris sa place, obsessionnel, compulsif, addictif, impossible à ranger tant qu’on n’a pas atteint le score maximum, tant qu’on n’atteint pas cet état de transe, cette concentration intense qui implique tout le corps. Séparés par plus de trente-trois ans, ce moi-enfant et le moi-actuel, nous nous retrouvons toujours là, dans cette vitesse, dans cette pression, dans cette perte de soi, dans cette transe. Oui, deux Starfighters propulsés vers les étoiles.

Ma Futur Madeleine.

Ma Futur Madeleine.

Valentin Fruneau

Ceci est mon témoignage.

Pas une analyse introspective de mon expérience vidéoludique passée.

Non, ceci est mon témoignage personnel.

Il sera rempli de questions, mais peu de réponses seront données.

Allégorie de la vie.

Haha !
Non.

Par souci de confort, cher lecteur, lectrice, je vais te tutoyer. Ça va être plus sympa.

 

Comment commencer une « contribution » ? Va savoir… Je devrais probablement parler de moi puis faire une brève présentation de l’œuvre sur lequel mon texte s’appuie. Mais tu sais quoi ? Je ne nommerai pas le jeu.

Pourquoi ? Merci de poser la question.

 

Parce que je pense qu’il n’a pas tant d’importance que cela, enfin si, mais non, dans la réflexion que je souhaite entreprendre avec toi ce ne seras pas le cas. Il aurait pu être tout autre, parfois je le souhaiterai d’ailleurs, je préfère son successeur maintenant.

Mais peut-être qu’au fur et à mesure de ta lecture tu pourras dessiner les contours de l’œuvre dont je parle et arriver même avec une certitude toute relative à le deviner, dans ce cas-là : soit pas trop fier il est quand même très connu…

 

Tout mon témoignage sera axé sur une idée.

Celle de la Fin.

 

DéFinition :
Fatalité de la finitude façonnant notre fascination fatidique pour la féérie factice des formes et fonctions fidéoludique.

Parce que le jeu dont je vous parle n’est sûrement pas le premier auquel j’ai dû m’adonner, j’ai des souvenir éparses d’autres titres que j’ai parcourus. Mais celui-ci m’a marqué car c’était le premier que je terminais.

 

Bref passons au vif du sujet.

Ce que j’ai choisie de faire partager par mes écrits, et ce que je vais t’en bien que mal essayer de décrire, c’est le sentiment que j’ai ressenti lorsque, étant jeune, j’ai finis mon premier jeu-vidéo…

Là. Seul face à mon petit écran cathodique, tenant la manette entre mes mains moites, après des heures de jeu difficile, après un boss de fin épique et un épilogue onirique, voici que pour la première fois je vois l’histoire d’un jeu arriver à terme.

Plénitude mélancolique… [fusion_builder_container hundred_percent= »yes » overflow= »visible »][fusion_builder_row][fusion_builder_column type= »1_1″ background_position= »left top » background_color= » » border_size= » » border_color= » » border_style= »solid » spacing= »yes » background_image= » » background_repeat= »no-repeat » padding= » » margin_top= »0px » margin_bottom= »0px » class= » » id= » » animation_type= » » animation_speed= »0.3″ animation_direction= »left » hide_on_mobile= »no » center_content= »no » min_height= »none »][ Insérer Musique Triste ]

 

Bientôt fini !

Bientôt fini !!

Bientôt fini !!!

Fini.

 

J’ai lu quelque part ( des sources ? Haha ) qu’une majorité de joueur ne finissais pas une majorité de leurs jeux. Je suis de ceux-là.

Pour un tas de raisons, pseudo-excuses ou réelles causes. Jeux trop difficile, gameplay inintéressant, multijoueur uniquement, durée de vie trop longue, rogue-like, etc…

Mais alors qu’elle est l’impact de ce premier jeu sur moi ? En a-t-il eu vraiment un ?

En réfléchissant à ce que j’allais dire je voulais extrapoler en disant que malgré la difficulté du Temple de l’Eau, du scénario simpliste et d’un rythme pas toujours irréprochable j’ai finis ce classique des années 90 avec une certaine amertume non pas venue du jeu mais du fait même de le finir.

 

Tu as trouvé ?

Ocarina of Time.

Bravo, le suspense est mort.

Et donc… Comment développer… ?

Dans le texte initié pour introduire les règles des contributions il y avait une question : « Etes-vous capable de traduire à l’écrit l’émerveillement ressenti devant votre premier jeu vidéo ? »

Spoiler : Non.

Je suis nul pour ça.

J’admire tellement les personnes arrivant à structurer leurs pensées chaotiques pour coucher sur un papier numérique leurs réflexions, leurs sentiments, etc…

 

A chacune de mes relectures j’ai l’impression que ce qui ai écrit ne mérite pas d’être lu. Surtout qu’en essayant de m’approcher de cette niche de passionnés de Jeux Vidéo qui est présent sur internet j’ai pu m’apercevoir des talents qui vont participer à cette madeleine vidéoludique et je sais que je n’ai clairement pas le même niveau.

C’est pour ça que j’écris avec une spontanéité maladroite sur un sujet qui ne m’inspire pas vraiment. Je vais être honnête, je ne suis pas quelqu’un de très nostalgique, mes premiers jeux vidéo ne m’ont pas plus marqué que ma première partie d’échec ou de belote.

J’ai redécouvert les jeux vidéo il y a quelques années de cela avec Antichamber, un jeu d’Alexander Bruce, un jeu d’auteur, un jeu qui m’a parlé sans que je puisse vous dire de quoi, sans que je puisse vous dire comment. Depuis c’est ce que je recherche : la communication.

Avoir un auteur qui essaye de me faire passer un message, pouvoir avoir une interprétation d’une œuvre et espérer être dans le vrai, ressentir les émotions que l’auteur voulait transmettre. Plusieurs autres jeux m’ont fait cet effet. Hotline Miami de Jonatan Söderström and Dennis Wedin avec sa dénonciation de la violence nihiliste et autodestructrice, Hyper Light Drifter de Alex Preston et sa retranscription de la lutte onirique pour un espoir vain, Braid de Jonathan Blow pour aussi tout un tas de raisons.

Revirement de situation : Je vais vous parler d’un jeu qui est ma future madeleine vidéoludique.
Oui ce jeu n’est même pas encore sorti et pourtant c’est celui-ci qui m’a fait passer d’un stade d’adolescent à un stade plus adulte dans mon approche du médium.

HORS SUJET / 20

C’est le 18 Juin 2015 ( soit environs deux ans au moment où j’écris ses lignes ) qu’a été présenté le jeu Relativity. Titré « L’Héritier spirituel d’Antichamber » sur IndieMag. Il avait tout pour me plaire, pour me parler : un jeu développé par une seule personne, un gameplay atypique, un design original et épuré, un univers singulier. Bref j’étais tombé amoureux.

J’ai donc entrepris de me renseigner sur le développement et le créateur, William Chyr.

J’ai commencé à le suivre sur les réseaux sociaux et presque un an plus tard je me suis inscrit sans vraiment y croire à la « Closed Beta » ( Première version d’un jeu accessible uniquement à un petit groupe en vue d’avoir des retours sur les différents problèmes et/ou suggestions. ).

 

Et je suis sélectionné !!! \o/ 😀

 

C’est une première pour moi, pouvoir accéder à un jeu en avant-première mondiale, un jeu qui pour sûr me plaira ! Je galère donc en anglais pour communiquer via le forum itch.io mis en place pour cette Beta. Nous sommes plus nombreux que je l’espérais.

Quelques messages échangés, au fur et à mesure que découvre le jeu j’apprends en parallèle à connaitre William Chyr. Et là il y eu le déclic.

En Janvier de cette année j’ai sauté le pas et je me suis inscrit à Twitch non seulement pour pouvoir le soutenir modestement par une petite contribution financière mais en plus pour pouvoir assister et réagir à ses « DevStream » ( Diffusion en direct de session de développement, souvent commenté ce qui offre une bonne occasion d’échanger. ), peu à peu je me détend et je prends plus de confiance en moi pour poser différentes questions, aussi bien sur le jeu, sur le marketing mais également plus personnel. Je connais un auteur, et il me reconnait aussi…

En me connectant il me dit « Bonjour Thymaos ! » dans un français plutôt approximatif et teinté d’un accent américain légèrement prononcé. Je peux discuter de tout et de rien, il n’est pas une star du web donc nous sommes souvent peu à dialoguer avec lui, ce qui rend les échanges encore plus unique.

 

Te considère-tu comme un artiste ?

Quel sont les œuvres et auteur qui ton inspiré ?

As-tu eu déjà envie d’abandonner ?

Pourquoi avoir renommé ton jeu « Manifold Garden » ?

Quel message veux-tu transmettre à travers ton œuvre ?

Dans le niveau 3 pourquoi tu as fait ça comme ça ?

 

Personne de mon entourage n’est passionné par les jeux vidéo. Quand je raconte mon expérience il me sourit un peu bêtement mais gentiment et ne réalisent pas ce que cela implique pour moi.

Cette expérience est une prise de conscience. Les auteurs des jeux qui m’ont marqué ne sont pas inaccessibles. Je peux les remercier pour les heures passées. Je peux envoyer un message à Toby Fox ( créateur d’Undertale ) et lui dire à quel point son jeu m’a parlé. Il ne répondra peut-être jamais, ne lira peut-être même pas mon message mais… Je ne sais pas… C’est important pour moi.

 

Enfant je jouais à Ocarina of Time et c’était divertissant.

Adolescent je jouais à Antichamber et c’était passionnant.

Adulte je joue à un tas de jeux et je suis… Reconnaissant.

 

PS : Désolé si je n’ai pas répondu aux problématiques, certains n’ont pas encore de madeleine vidéoludique, d’autres comme moi la vive maintenant. Je ne sais pas si ce qui est entendu par « madeleine vidélodique » doit forcément être expérimenté en étant enfant, si celle-ci doit forcément être une œuvre achevée et déjà passée. Ce qui est sûr en revanche c’est que dans 50 ans quand j’aurais oublié ma difficulté à écrire tout se texte je n’aurais pas oublié les quelques conversations avec William.[/fusion_builder_column][/fusion_builder_row][/fusion_builder_container]

Temps mort et Coup de fourchette

Temps mort et Coup de fourchette

Akaash (un bot pourrait faire ça)

Quand j’ai lu l’appel à participation je n’avais jamais fait l’expérience d’une « madeleine vidéoludique ». Je n’y avais même jamais pensé, est-ce que c’est seulement possible ? Je me suis mis à repenser à tous les jeux auxquels j’ai pu jouer dans mon enfance, mon adolescence, l’année précédente et celle d’avant, hier, le mois dernier. J’ai alors joué. À la recherche de cette sensation, de ce retour en arrière, j’ai joué. J’ai joué beaucoup et j’ai joué à tous ces jeux qui m’ont accompagné, à tous ces jeux dont je me souvenais, dont je savais avoir une histoire, un souvenir marquant, me reliant à eux. J’ai joué pour tenter de raviver des souvenirs, des sensations, des émotions.

Méthodiquement, régulièrement, j’ai rejoué pour me souvenir. J’ai rejoué aux Schtroumpf sur Game Boy, mon tout premier jeu vidéo, longtemps mon unique jeu vidéo. J’ai rejoué à Pokémon Or pour me souvenir du choc que j’avais eu en admirant ces couleurs, vives, saturées, magnifiques. J’ai rejoué à Sonic Shuffle pour tenter de faire revivre une amitié éteinte depuis de longues années. J’ai rejoué à Golden Sun commencé dans le train en direction des vacances d’été et finis pendant le retour à l’école. J’ai rejoué à Super Mario Bros. 3 que je jouais uniquement chez mes grands-parents. J’ai rejoué à Subway Surfer, le premier jeu qui m’a été conseillé par ma sœur que je ne savais pas joueuse. J’ai rejoué à Counter Strike pour me souvenir du parfum de l’école buissonnière avec les copains. J’ai joué à Kirby’s Dream Land, à Doshin the Giant, à Time Splitter 3, à Ape Escape, à Tekken 3, à Final Fantasy Dissidia, j’ai rejoué à tous ces jeux qui ont jalonnés ma vie, dans l’espoir de faire ressurgir le passé.

Mais le souvenir est resté lointain et flou. La « madeleine » n’est pas arrivé, pire, j’ai eu l’impression de fabriquer de nouveaux souvenir avec ces jeux. J’ai eu la sensation d’effacer les contextes heureux dont je me souvenais par cette quête de la recherche du souvenir. J’ai eu peur d’effacer ces souvenirs précieux et de perdre à tout jamais la possibilité de les faire revivre. J’ai arrêté de chercher cette « madeleine ».

Et finalement c’est arrivé. De façon inattendu : c’est en regardant une vidéo que c’est arrivé. peut-être que mon esprit cherchait encore, peut-être que ce fut un simple hasard. C’était une simple vidéo sur youtube que j’ai regardé en fin d’après-midi. Je n’étais pas forcément très concentré et je crois que je pensais surtout à ce que j’allais manger le soir même. Il a fallu peut-être une image, peut-être une séquence de gameplay, pour me projeter instantanément une année en arrière. J’ai enfin expérimenté ce retour des émotions et des souvenirs tant désirés. Et pourtant quand c’est arrivé j’aurais voulu que ça n’arrive pas.

J’ai été projeté lors de ma rencontre avec Downwell.

J’ai été projeté pendant ma dépression.

Ironiquement, c’est une vidéo qui m’a poussé à acheter Downwell, je ne me souviens plus précisément laquelle, pendant cette période j’en regardais énormément. Des vidéos, des films, des séries. Je les regardais parce que ça me permettait d’être ailleurs, de ne pas penser, d’être absent. Le corps inerte et l’esprit entièrement absorbé par ce qui se passait sur l’écran. Je me souviens que je privilégiais surtout les séries : de longues heures où je regardais sans voir le temps passer. De longues heures sans l’angoisse du retour à la réalité, passant simplement d’un épisode à un autre. En repoussant encore et encore ce moment où « c’est fini », ce moment où je me remets à exister, où la dépression inondait le flux de mes pensées. Le corps plus ou moins inerte, l’angoisse tiraillant l’estomac, sensation de vertige, de vide, détestations.

Ce sont toutes ces émotions, ces sensations, ces tiraillements qui me sont revenus en regardant la vidéo. J’avais oublié ce que ça faisait, quand c’est aussi fort, quand c’est aussi présent. Ça m’a submergé en un instant. J’ignore ce qui est à l’origine de ce retour en arrière. peut-être est-ce l’image de ce personnage blanc sur un fond noir. peut-être est-ce voir Downwell en vidéo, peut-être que c’est une séquence de gameplay, peut-être la musique, ou autre chose. Je l’ignore.

Bien sûr, avant ça, je me souvenais très bien avoir joué à Downwell. C’est d’ailleurs un jeu que j’ai souvent recommandé à des amis. Je savais avoir joué longtemps. Je me souvenais parfaitement du jeu, mais j’avais oublié le contexte.

Et si le retour de ce souvenir a été effrayant dans l’instant, il m’a fait comprendre l’importance qu’a eu ce jeu dans la rémission de ma dépression et m’a fait comprendre pourquoi j’ai une affection particulière pour lui malgré le contexte de la rencontre. Ça m’a fait comprendre, pourquoi, je continuais de le recommander et pourquoi je m’en souvenais, au contraire de tous les films, toutes les vidéos et toutes les séries que j’ai regardées au même moment.

Je jouais à Downwell sporadiquement, par session courte, sur mon téléphone. Souvent quand je perdais je relançais une, peut-être deux, parties et j’arrêtais. Il y avait toujours un film en même temps, en continu, parfois au centre de mon attention, parfois simplement en fond quand je jouais. J’ignore pourquoi Downwell m’a autant captivé. peut-être que j’y ai trouvé une métaphore de ma situation, peut-être que les niveaux sombres ne me faisait pas mal aux yeux, peut-être que j’ai simplement aimé la simplicité apparente du gameplay. Je ne m’en rappelle plus.

Mais je me souviens y avoir beaucoup joué. Descendre dans le puits, perdre, recommencer, encore et encore. Plus je faisais de parties et mieux j’appréhendais les monstres. Je contrôlais mes atterrissages sur leurs dos, je contrôlais de mieux en mieux ma descente, de plate-forme en plate-forme. J’avais mes upgrades préférés. Et après de très nombreuses tentatives, je suis enfin passé au deuxième niveau, puis en encore plus de temps, au troisième. Rétrospectivement, je crois que plus j’arrivais à passer les obstacles et les niveaux, plus je reprenais confiance en moi. Progressivement, petit à petit, sans m’en rendre compte. J’arrivais à quelque chose, même si ce fut dans un jeu vidéo, même si ce fut aussi insignifiant que de passer un ennemi, j’arrivais à faire quelque chose. Je faisais quelque chose et je réussissais.

Plus je progressais dans les niveaux et plus j’avais « l’habitude » des premiers niveaux. Je les passais alors avec toujours plus d’aisance. Je jouais ces niveaux machinalement, presque mécaniquement, et dans ces moments, je n’étais pas entièrement absorbé par le jeu et je laissais mon esprit divaguer. Dans ces moments-là, j’étais dans un état qui me permettait de me projeter dans l’avenir, de recommencer, timidement, à imaginer des projets, de retrouver l’envie de faire quelque chose, le temps de passer quelques ennemis prévisibles. Je reprenais le contrôle petit à petit.

Je n’ai jamais rejoué à Downwell et je n’ai jamais atteint le boss final. Je ne me souviens pas de la « fin » de ma dépression et je ne me souviens pas non plus du moment où j’ai désinstallé le jeu. peut-être que je me suis lassé du jeu, peut-être l’ai-je désinstallé en me disant que « comme ça, j’arrêterais de passer autant de temps à jouer ». L’ingratitude du joueur n’ayant pas, encore, conscience de ce que le jeu lui a apporté.

Je cherchais à me souvenir des bon moments, des moments que je savais fort et agréables, et pourtant cette « madeleine vidéoludique » est arrivé d’un recoin que j’ai cherché à oublier et m’a rappelé à quel point le jeu a été important pour moi. Les jeux vidéo ont jalonnés et continuent de jalonner ma vie, mais je crois qu’aucun autre jeu n’aura eu autant d’impact sur ma vie que Downwell.