Un Zelda stéréoscopique

Un Zelda stéréoscopique

Yannick Rochat

Un ami de mes parents nous avait prêté Zelda II : The Adventure of Link, sur NES. On y trouve des éléments de gameplay qui ne seront pas repris dans les jeux suivants, ce qui suffit généralement pour qu’il soit considéré à part. Pour notre plus grand bonheur, cette connaissance de la famille oublia de le récupérer.

Enfant, j’ai vécu la majorité de mes week-ends et de mes vacances en retraite à la campagne. Avec mes parents et mon petit frère, chaque vendredi en fin de journée nous embarquions dans la voiture familiale et quittions la ville. Après vingt minutes tout d’abord à traverser des quartiers résidentiels, puis plus tard à longer pâturages, rivières, voies ferrées et collines, nous arrivions à la ferme de mes grands-parents. Lorsqu’il s’agissait des vacances scolaires, nous emportions même la NES avec nous. Quelques années plus tard, quand nous reçûmes une Nintendo 64, la vénérable console grise alla définitivement se mettre au vert.

Mes grands-parents n’eurent que deux petits-enfants. Nous étions évidemment toujours les bienvenus, au point de nous rendre chez eux chaque fois que l’occasion se présentait. Là-bas, mon frère et moi devions trouver des occupations : jouer dans le jardin, parcourir les innombrables livres de la Bibliothèque Rose et Verte de ma mère, ou partir en exploration dans l’immense grange. Auparavant, cette ferme avait accueilli des animaux, mais au moment de l’occuper mes grands-parents avaient préféré rénover les pièces consacrées au logement, louer les champs au fermier voisin, et laisser la grange à l’abandon. Dans celle-ci et depuis plus d’un siècle, la poussière s’accumulait sur les faux, fourches, bêches, râteaux, pelles et scies d’une autre époque.

La série des Legend of Zelda compte une vingtaine de jeux, la plupart de grande qualité. Dès sa sortie, l’épisode initial connut un immense succès. Alors que des éléments de gameplay que l’on a vus revenir dans la plupart des jeux de la série n’étaient pas encore formellement identifiés, il fut décidé d’explorer de nouvelles directions pour le second épisode. Les phases d’action passèrent d’une vue de dessus à une vue latérale, un système de points d’expérience fut introduit et plusieurs niveaux d’observation définis. Cela se répercuta sur le gameplay : lors des déplacements sur la carte du monde en vue de dessus, il ne fut plus permis d’attaquer, tandis qu’en entrant dans un lieu (palais, villes, grottes, pont) le jeu basculait vers de la plateforme. Cette dernière orientation offre la possibilité de croiser le fer avec des ennemis ou de s’entretenir avec les personnages non-joueurs lorsqu’on est en ville. Grâce à une maniabilité très souple et réactive lors des combats, ces derniers sont d’ailleurs véritablement prenants et la difficulté du jeu croît au fur et à mesure que de nouveaux pouvoirs sont acquis : attaques vers le haut, vers le bas, et divers types de magie.

À la retraite, mes grands-parents quittèrent la ville et vinrent vivre à l’année dans cette ferme. Là-bas, mon frère et moi-même n’avions aucune raison de nous sentir concernés par les occupations des adultes, soit la sieste, le bricolage, le jardinage, la cuisine et l’apéro. Nous, nous réalisions le rêve de tous les parents : nous passions la majeure partie de notre temps à l’extérieur. La ferme était entourée de champs où poussaient selon les saisons des tournesols ou d’immenses plants de maïs formant des labyrinthes où nous perdîmes une année notre unique balle de baseball. Plus bas coulait une grande rivière où immanquablement nous allions construire des barrages. Dans toutes les directions, couvrant vallons et collines, s’étendaient champs, forêts et marécages à perte de vue.

L’évolution des graphismes et des mécaniques de jeu ainsi que la gestion d’une dimension supplémentaire en passant du premier au second épisode de la série «The Legend of Zelda» frappe dès leurs écrans-titres. Le jeu original nous accueille avec un logo placé au-dessus d’une cascade jaillissant de la montagne, le tout devant un fond saumon uni et vide. Le second jeu quant à lui dévoile une épée enfoncée dans un surplomb en altitude, et ajoute derrière ce premier plan une terre couverte de forêt, l’océan, puis au-dessus un ciel nocturne scintillant d’étoiles et même traversé par une étoile filante. Cet écran d’introduction invite dès le départ à se représenter une dimension supplémentaire, à concevoir un espace présent mais invisible derrière chaque situation, qu’il s’agisse d’élévation lorsqu’on se situe sur la carte, de profondeur lors des phases de plateforme, ou simplement de se représenter le contexte où se déroule l’aventure. On retrouve cette manipulation dans certains des épisodes suivants, par exemple lorsque Link atteint l’extrémité nord du monde du jeu et que l’on découvre un décor au fond, derrière le jeu, telle la mer dans Link’s Awakening. Le monde du jeu s’inscrit dans un univers plus grand, où se déroulent probablement d’autres histoires. La joueuse ou le joueur se charge de combler les dimensions non représentées à l’écran et de magnifier les sprites par ce qu’il ou elle observe alentour dans la vraie vie, par les visuels présents dans le matériel du jeu (emballage, manuel, poster), ou par des souvenirs personnels.

Après le repas, mon frère et moi-même avions l’habitude de monter sur nos vélos pour partir à l’aventure : chapelles, cimetières, offices de poste et laiteries abandonnés, fontaines, points de vue depuis des crêtes, rivières au fond des vallées : tout était sujet au dépaysement et à l’émerveillement. Les vélos laissés à l’orée d’une forêt, nous l’explorions, parcourions ses étendues de mousse et de feuilles mortes. Lorsqu’une rivière la traversait, nous passions sur l’autre rive en empruntant un des troncs tombés en travers. Quand nous poussions nos ambitions plus loin, nous nous retrouvions tantôt à proximité du mystérieux atelier de Jean Tinguely, auteur de sculptures titanesques, tantôt au pied des Alpes et il était alors temps de rebrousser chemin. De retour à la ferme, nous retrouvions systématiquement, manettes en main, notre mère et notre grand-mère, les yeux fixés sur le vieux poste de télévision, jouant à Magic Jewelry II renommé «Tetris 8» sur cette cartouche pirate qu’un ami de nos parents avait rapportée d’un voyage en Asie.

Une fois notre tour venu et la partie de Zelda 2 lancée, les souvenirs de la journée pouvaient alors se superposer à l’expérience de jeu et remodeler cet univers, laissant en moi des traces toujours présentes aujourd’hui. À l’avenir, chaque partie évoquerait ces lieux et cette période de ma vie, et me retrouver à la campagne ou à la montagne ferait remonter des sensations directement issues de Zelda 2 : ses champs, ses forêts, ses montagnes, ses rivières, ses grottes obscures…

Aujourd’hui, mes deux grands-parents sont décédés et la ferme a été vendue. Je ne suis jamais retourné dans cette région, mais fréquemment des jeux me la rappelle, tel le mélancolique Breath of the Wild, dernier épisode de la série des Zelda. Ces jeux réactivent des zones de la mémoire parfois demeurées cachées jusqu’à aujourd’hui.

Des années plus tard, lorsque le jeu ressortit sur GameCube je le terminai enfin. Je pensais m’en être délivré, mais à la sortie de la mini NES je l’ai relancé. Juste pour voir ? Sans surprise, en madeleine de qualité, toutes les sensations sont remontées. Au milieu des champs, je suis reparti à l’aventure.

 

Mon Intimité De Joueur.

Mon Intimité De Joueur.

Malo

[fusion_builder_container hundred_percent= »yes » overflow= »visible »][fusion_builder_row][fusion_builder_column type= »1_1″ background_position= »left top » background_color= » » border_size= » » border_color= » » border_style= »solid » spacing= »yes » background_image= » » background_repeat= »no-repeat » padding= » » margin_top= »0px » margin_bottom= »0px » class= » » id= » » animation_type= » » animation_speed= »0.3″ animation_direction= »left » hide_on_mobile= »no » center_content= »no » min_height= »none »]

Figure 1 : « Quand j’ai pensé à une « madeleine vidéoludique », c’est cette jaquette un peu moche, qui m’est venue en tête. »

La simple vue de la jaquette du jeu « Bugs Bunny, voyage à travers le temps » via recherche google me ramène une bonne quinzaine d’années en arrière, à l’époque où il y avait toujours là où j’habitais une salle de jeu et quand mes parents étaient encore mariés. Ce jeu m’a beaucoup amusé.

Probablement l’un de ceux qui m’aura le plus amusé sur la première Playstation. Je me rappelle des couleurs vives et du niveau sur le quai. Il était frustrant, j’avais envie de jeter la manette mais je me retenais. Il y avait aussi cette zone où un cadran solaire nous indiquait je ne sais plus trop quoi. Peut être qu’on ne l’a jamais deviné. Ce jeu m’amusait.

Sur la première Playstation, je me souviens aussi de Driver. Je ne crois pas qu’on l’avait cracké, on devait nous l’avoir donné, la jaquette n’était pas la vraie, mais le jeu l’était. En tout cas, ce jeu m’amusait. Surtout les poursuites en voitures qui ne finissaient pas toujours bien. Le jeu permettait d’en faire des films et de les sauvegarder. C’était mon frère qui les faisait. Et d’ailleurs c’était mon frère qui jouait. Je crois bien que je n’avais pas le droit, moi, parce que mon père et ma mère, qui à l’époque s’aimaient encore, nous avaient mis en garde face à la violence qu’il représentait. Pourtant, et je m’en souviens, ce jeu m’amusait.

Et, à bien y réfléchir, je ne suis pas certain non plus d’avoir affronté Sam le Pirate par moi même. De manière générale, c’était mon grand frère qui appuyait sur les boutons. Et moi, je regardais. Et même si je me souviens fermement de l’envie de jeter ma manette par terre durant les niveaux les plus difficiles de Bugs Bunny, je n’ai pas vraiment le souvenir d’avoir réellement tenu le contrôleur dans mes mains.

Bien sûr, il m’arrivait aussi de jouer avec mes mains plutôt qu’avec mes yeux. Je me souviens avoir exploré le premier niveau, coloré, de Rayman 2 sur PC, et du Roi Lion sur Megadrive, je me souviens de la fierté éprouvée après avoir atteint tout seul le deuxième monde de Sonic the hedgehog. Mais ces souvenirs sont plus flous et moins marqués par la répétition que ceux où mon frère joue à ma place et où je le regarde passivement.

C’est donc par des let’s play en live que j’ai commencé ma vie de joueur. C’est en imaginant les interactions ludique, et non en les expérimentant par moi même, que j’ai eu mes premiers contacts avec le jeu vidéo, et probablement même, mes premières réflexions sur le game design en général. Pourtant aujourd’hui, il m’arrive de me surprendre à tomber en accord avec des discours supposant qu’un jeu se doit d’être apprécié manette en main. À croire que j’ai déjà oublié mes jeunes années où regarder jouer me permettait d’outrepasser mes compétences médiocre et de voir la fin des jeux que j’aimais. L’époque où être observateur du jeu me donnait un regard particulier sur ce dernier, qui était bien distinct pour moi d’un simple film, malgré l’absence d’interactivité directe. Je pouvais d’ailleurs interagir indirectement avec le jeu, à coup de « Fais ci », « Fais ça », « Pas comme ci », ou de « Pas comme ça ». Et surtout je pouvais m’identifier au joueur, souvent mon frère.

D’ailleurs, je pouvais m’identifier à lui sans voir l’écran. L’entendre crier « MES SOUS, J’AI PERDU MES SOUS » depuis les toilettes, la porte à demie-ouverte pour ne rien manquer du spectacle était largement équivalent à une réelle partie de Sonic manette en main (Peut-être dois-je préciser que dans le foyer familial, on ne parlait jamais « d’anneaux » mais bel et bien « de sous » pour parler de ces petits ronds que l’on ramasse et qui nous protègent dans Sonic the hedgehog). S’identifier à un joueur est une action ludique. Cela peut nécessiter de connaître le jeu, d’y avoir déjà joué, ou d’en comprendre le fonctionnement, tout simplement. Lorsque c’est le cas, on peut s’imaginer jouer. On ne bouge effectivement pas la caméra, mais on sait qu’il est possible de la bouger : on sait que lorsqu’elle bouge, c’est le joueur qui l’a bougé. On peut distinguer, même sans jouer, l’interactif et le reste.

Et puis, parfois, quand j’en avais marre de regarder mon frère jouer, on jouait à deux. Enfin… Pas vraiment. Là encore, mes souvenirs s’emmêlent. Je ne sais plus exactement. Je pense qu’il s’agit de deux périodes distinctes dans le temps. J’ai du mal à me souvenir de cette période où le contrôleur vidéo-ludique n’était pas mon ami. Il a pourtant bien fallu que j’apprivoise cet engin, a priori complexe, qui fait qu’il est souvent fascinant de regarder quelqu’un jouer quand on est non-joueur, ou parfois au contraire, qu’il peut être effrayant de ne pas le comprendre.

Au final, je suppose c’est en grandissant, lorsque j’ai eu mes propres jeux et que j’ai de plus en plus joué seul, que nous avons de plus en plus joué ensemble, soit chacun notre tour, soit en même temps. Bref, en multijoueur.

Le multijoueur, c’est un paramètre en plus dans le jeu qui, souvent, permet de s’émanciper un peu des règles. J’ai cru lire une fois que c’est pour cette raison que les jeux de société ont tant de variantes : une règle par famille. Je me souviens du niveau du casino dans Sonic 2. En mode un joueur, c’était un niveau normal. En mode deux joueurs, chez nous, les règles changeaient : il fallait avoir le plus de « sous » avant la fin du temps imparti (le « Tim oveur », comme on le prononçait chez nous) en jouant en boucle dans les machines à sous, priant pour ne pas tomber sur les trois Robotnik et les pics qu’ils rapportaient, réduisant nos gains à néant.

Les modes multijoueurs ont les règles changeantes et propres aux joueurs. Je crois qu’un jeu multijoueur ne vieillit jamais. C’est peut être eux, mes madeleines de Proust, finalement.

Je n’ai pas joué à Sonic en multijoueur depuis un bon bout de temps. Mais si mon frère et moi sommes ensemble chez mes parents, le temps d’un week-end, alors il est possible, voire probable, que l’on allume la Megadrive, en souvenir du bon vieux temps. Il est possible, voire probable, que nous lancions le niveau du casino, et dans ces conditions, impossible de changer les règles vieilles de 15 ans : On appellera toujours les anneaux des « sous ». On attendra toujours le « tim oveur » pour voir qui a amassé la plus grosse fortune.

Et si ce n’est pas à Sonic que nous jouerons, ce sera à d’autres jeux. Si nous jouons à « Ren & Stimpy, Time Warp » alors nous mimerons la danse des deux héros, se frappant la fesse de l’un contre celle de l’autre. Si nous jouons à Bit Trip Runner, qui est pourtant de base un jeu solo, je sais déjà qu’on aura le droit à 3 essais chacun avant de se passer la manette… Sauf  si l’un de nous oublie que c’est son tour, auquel cas… Tant pis pour lui !

Ces règles ne sont valables que pour moi et mon frère. Il est arrivé que je joue de manière différente avec d’autres joueurs, sur les mêmes jeux.

En repensant à ma vie de joueur, et particulièrement à la question du multijoueur, je me rend compte que plus je joue avec une personne proche de moi, que je connais et que je porte dans mon cœur, plus nous aurons tendance à tordre les règles. Ainsi, lorsque plus jeune j’invitais chez moi un ami pour la première fois, nous partagions souvent le même temps de jeu s’il s’agissait d’un jeu solo, et sur les jeux multijoueurs nous suivions les objectifs à la lettre.

Il semblerait que j’ai développé une intimité de joueur au fil de ma vie. Un espace de jeu plus créatif à l’intérieur duquel seuls ceux avec qui j’ai déjà joué peuvent pénétrer. Aujourd’hui encore, même si nous n’habitons plus ensemble, je pense que la personne qui est ludiquement la plus proche de moi reste mon frère.

Figure 2 : « Je crois que lorsque les fesses d’un joueur touchent celles d’un autre, c’est que ces deux joueurs sont intimes vidéoludiquement.»

Si les jaquettes des jeux que j’ai possédé étant enfant provoquent chez moi des sensations proches du souvenir, elles sont des madeleines trompeuses. Créant des souvenirs erronés dans ma tête. Me faisant croire que j’ai joué à des jeux que j’ai seulement possédé et regardé.

Voir un let’s play sur internet est une expérience proche de ce que je vivais en regardant, jeune, mon frère jouer. Cependant, l’expérience est totalement nouvelle, à l’instar des joueurs que, souvent, je ne connais pas. Et si je veux retrouver l’interaction indirecte que j’avais sur le joueur à l’époque, alors il me faut voir le let’s play en direct et me manifester sur le chat.

La nouvelle Playstation permet à quiconque, sans matériel, de streamer des parties de jeu. J’ai parfois vu certains amis streamer des parties dans le vide, sans spectateur. J’ai pu alors régulièrement devenir spectateur unique des parties d’un ami, appelons le Banane. Pendant un temps, je ne savais pas ce qui me fascinait, ce qui me faisait rester sur les streams de mon ami Banane. Mais maintenant je sais que voir Banane jouer, c’était un peu comme regarder mon frère jouer à l’époque où mes parents n’avaient pas encore divorcés. Banane, c’est un petit morceau de madeleine vidéoludique. Regarder Banane jouer, c’est une pratique agréable pour des raisons qui sur le moment, n’étaient pas évidentes. Regarder Banane jouer, c’est lui dire « Fais ci », « Fais ça », « Pas comme ci », « Pas comme ça ».

Récemment, mon frère est revenu chez mes parents le temps d’un week-end, et moi aussi. Chaque soir, la nuit venue, nous avons joué à Donkey Kong Country, sur Super NES, un jeu auquel nous n’avions jamais eu le temps de jouer. En une semaine, nous avons fini le jeu, en construisant chaque jours de micro-règles, tâtonnant sur l’intimité ludique de l’autre. Choisissant quel joueur commencerait quel niveau, quels seraient les objectifs, pour déterminer qui allait « gagner » ce jeu pourtant coopératif.

Et c’est en gagnant (Ici, en étant le dernier joueur vivant à la fin du plus de niveau et, souvent, de la manière la moins fair-play possible) que j’ai su que mon frère était l’une de mes plus grandes madeleines vidéoludiques. Que peu importe le jeu que je jouerai avec lui, je serais transporté dans les parties de mon enfance. Car il gardera toujours la même place dans mon intimité de joueur.

 


Merci à EstebanGrine sans qui je n’aurai pas écrit ce qui précède.

Merci à Mes frères et sœurs qui ont fait naître ma vie de joueur. A mes cousins et amis qui ont su la faire survivre.[/fusion_builder_column][/fusion_builder_row][/fusion_builder_container]

Halogène et Moyen Âge

Halogène et Moyen Âge

Scinaute

Avant de commencer à écrire, j’ai pris dix minutes pour laisser vagabonder mes pensées, pour voir ce qui me venait à l’esprit lorsque j’évoque « jeu de mon enfance ». Bien qu’ayant connu plusieurs consoles distinctes, mes souvenirs les plus marquants sont en majorité liés à la Playstation. Mes parents en possédaient une, et l’ont toujours d’ailleurs, qui a chauffé pendant de longues années. Grâce à la ludothèque qui allait avec, j’ai passé de nombreuses heures à observer les séances de jeu de mon père sur Tomb Raider et celles de ma mère sur le premier Spyro. Ce ne sont pas des « grands » joueurs dans l’âme, mais ils ont réussi à s’imposer dans mon esprit comme experts de ce domaine, en tous cas à l’époque, et m’ont initié à cette passion. Et quelques temps après c’était moi qui parcourait tous ces univers fantastiques, me bâtissant ainsi le socle de mon rapport aux jeux vidéo.

Il y a eu bien sur d’autres supports de jeux, mais qui sont arrivées plus récemment. Ou bien une Philips CD-i mais que j’ai très peu exploitée. Non, aujourd’hui, même après des dizaines voire des centaines d’heures passées sur des consoles plus récentes, rien ne me fait mieux revenir dans le passé que les sons d’ouverture au lancement d’un jeu Playstation, une fois le bouton power pressé. Vous savez, celui qui accompagne le logo orange du Sony de l’époque, suivi par celui de la console.

Figure 1 – Premier visage de l’ASMR

Pour ce témoignage, citer tous les jeux qui ont eu une importance pour moi sur ce support et dont les souvenirs sont encore vifs serait inutilement long et ennuyeux à détailler. Je vais donc n’en mentionner qu’un en particulier, qui est sûrement celui qui me revient le plus souvent à l’esprit au quotidien : MediEvil. Un des premiers jeux que j’ai connus et que j’ai exploré assez longuement, ainsi que son second opus et son remake sur PSP.

La mention du son de démarrage de la Playstation n’est pas anodin dans ce texte. Chez moi en effet, les souvenirs sont très souvent déclenchés par un phénomène auditif. J’entends par là n’importe quel son ou musique qui serait, pour une raison ou pour une autre, lié émotionnellement à un jeu. Lorsque le son mentionné précédemment et caractéristique de la console de Sony parvient à mes oreilles, je me retrouve instantanément sur un vieux canapé, une manette dans les mains, ses joysticks usés par leur utilisation, fixant un écran cathodique qui affiche alors les premiers écrans du jeu en lui-même.

Revenons maintenant à MediEvil. Si je recherche des images de ce jeu sur internet, je tombe sur des visuels bruts tirés du jeu, ou des artworks présents sur la jaquette. Quand je les observe, ce sont ces images qui me viennent à l’esprit. Cela peut paraître évident et un peu stupide écrit comme ça, mais il y a une subtilité. Je n’imagine non pas une scène, pas une émotion, juste un visuel mental entièrement et simplement calqué sur ce que je viens d’observer. Présentez-moi le menu principal de ce jeu, c’est-à-dire un squelette indiquant sur une pierre tombale la possibilité de lancer une nouvelle partie, de continuer une aventure entamée etc. et je n’aurai que cette unique scène figée en tête, sauf à réaliser un léger effort pour me représenter le reste.

Figure 2 – Menu Principal de MediEvil

A l’inverse, si la musique de ce menu principal est jouée, alors mes pensées réagissent instinctivement, déambulent dans le cimetière, parmi les tombes et les citrouilles, dans une nuit noire et pluvieuse, sans le moindre effort requis. Puis par assimilation, vont rejoindre d’autres éléments clés du jeu : le crâne borgne de Daniel Fortesque reposant dans sa crypte, le mausolée et son démon-vitrail, le village endormi etc. D’un simplement élément musical du jeu, c’est tout son univers qui me parvient, une atmosphère médiévale, sombre mais avec son petit lot d’humour, de statues de gargouilles parlantes et de champs de blés mortels.

A travers ses musiques, ce jeu me revient sous forme d’ambiance, d’éléments et de scènes caractéristiques. Mais ce n’est pas tout. Le jeu est présent dans mes souvenirs, bien, mais également son contexte. En effet, en plus de scènes vidéoludiques marquantes, je me représente la manette usée mentionnée plus tôt, la fin d’après-midi qui suit la dernière heure de cours de la journée, le son baissé pour ne pas gêner le reste du salon mais suffisamment fort pour pouvoir en profiter… Ou bien, des années auparavant, une heure assis à côté de ma mère qui affronte Zarok dans son repaire.

MediEvil, mais aussi Rayman, Final Fantasy VII, Heart of Darkness… Chacun des jeux auquel j’ai joué sur Playstation me fait encore replonger dans son univers quand son ambiance m’est rappelée musicalement. Bien évidemment, en changeant de jeu, donc parfois de console, donc de situation où l’on joue effectivement, les contextes et les ambiances varient également.

Considérons maintenant une autre licence vidéoludique qui a eu un impact fort sur mes pratiques concernant le jeu vidéo : celle des jeux Pokémon. J’affirme même qu’elle a grandement contribué à forger la personne que je suis aujourd’hui, m’amenant sur internet et me faisant rencontrer par la suite certains de mes amis les plus chers à mes yeux.

Comme dit précédemment : autre type de console, autre façon de jouer. Je ne m’imagine plus dans un canapé une manette à la main. Désormais je me retrouve dans mon lit un soir, pendant les quelques minutes précédant le sommeil et la vraie fin de journée, GBA SP en mains et jouant dans le noir pour ne pas alerter les parents. Mais la particularité des jeux Pokémon, c’est qu’ils ont été parmi les premiers à pouvoir faire naitre des souvenirs chez moi qui ne sont nullement liés à leurs propres musiques. Explications :

J’ai beaucoup d’amour à revendre pour ces jeux, cependant les combats aléatoires sont quelque chose qui m’ont toujours agacé au plus haut point, me donnant la nette impression de casser le rythme. Ne pouvant supporter que très brièvement les musiques de combat qui débarquaient beaucoup trop souvent à mon gout, je me suis vite mis à jouer avec d’autres musiques par-dessus, même si elles n’avaient rien en commun avec le jeu. Et en jouant régulièrement avec un album de musique pendant assez longtemps, écouter ce dernier peut m’amener à me replonger dans certaines séances de jeu qui étaient enfouies dans ma mémoire. C’est ainsi qu’écouter les premiers albums de Shaka Ponk, par exemple, me ramène instantanément à Doublonville de Pokémon Heartgold, à faire des allers-et-retours en bicyclette pour faire éclore des œufs de Pokémon. Je reconnais évidemment que les ambiances diffèrent complètement entre le rock-électro du groupe français et la bande son originale du jeu japonais. Et pourtant les deux combinés ont donné naissance à une ambiance bien particulière, présente uniquement dans ma mémoire et contribuant à rendre mon expérience singulière à travers ma façon de jouer et mes souvenirs qui en seront pendant longtemps imprégnés.

C’est d’ailleurs fantastique de voir à quel point la situation dans laquelle on joue influence la manière dont on se souvient du jeu, par association d’idées ou d’éléments, et peut ressurgir dans notre esprit distinctement, comme si elle était d’une importance singulière. C’est ainsi que les lampes halogène me rappellent une soirée, assis sur le canapé que j’ai mentionné plus tôt, où je m’acharnais à rapprocher ma Game Boy Color de, vous l’avez deviné, la lampe halogène du salon, pour tenter en vain de trouver mon chemin dans la Grotte de Pokémon Bleu. Celle-ci nécessitait une compétence particulière pour éclairer son environnement d’ordinaire trop sombre. Mais quand, plus jeune, on a la mauvaise habitude de passer son temps à progresser sans véritablement faire attention aux dialogues, on finit par s’étonner que l’écran soit si noir même en éclairant du mieux que l’on peut avec la source de lumière la plus proche. On peut le dire : le moi d’il y a une bonne dizaine d’années n’était pas très futé.

Si en musique je me replonge instantanément dans un univers fictif, par association d’idées je finis par revoir toute une époque, une multitude de situations, de personnes, de lieux, qui pour certains étaient enfouis dans ma tête et n’avaient aucune raison particulière de ressurgir, mais qui ne disparaitront pas de sitôt, car associés à jamais à ce loisir.

L’abandon après l’union

L’abandon après l’union

Istenn

Quand un ami m’a parlé à la madeleine, j’ai de suite pensé à mon grand frère et moi-même en train de jouer en coopération sur Dingo et Max (Goof Troop) sur Super Nintendo. Étrange, car je n’y avais plus pensé depuis des années. J’avais même totalement omis de mon esprit l’existence même de ce jeu.

[fusion_builder_container hundred_percent= »yes » overflow= »visible »][fusion_builder_row][fusion_builder_column type= »1_1″ background_position= »left top » background_color= » » border_size= » » border_color= » » border_style= »solid » spacing= »yes » background_image= » » background_repeat= »no-repeat » padding= » » margin_top= »0px » margin_bottom= »0px » class= » » id= » » animation_type= » » animation_speed= »0.3″ animation_direction= »left » hide_on_mobile= »no » center_content= »no » min_height= »none »]

figure 1 : la jaquette du jeu

 Et pourtant à l’instant où je m’en suis rappelé, j’ai eu les papillons dans le ventre, l’excitation, le bien être que je ressentais devant ce jeu. Mais principalement grâce à la présence de mon frère à mes côtés, grâce à qui je me sentais pousser des ailes. Rien ne me semblait impossible avec lui à mes côtés. Et pourtant, que c’était difficile d’avancer. Des énigmes qui me semblait incompréhensible et dont je devais faire un effort pour les refaire lorsque j’étais seul. Car oui, parfois j’y jouais seul, mais sans grand plaisir. Un écran « appuyer sur start », présent en haut à droite, clignotait sans cesse pour me rappeler que l’on devait être deux. Mes sessions de jeu en solitaire ne duraient jamais très longtemps. Ainsi il m’arrivait d’attendre avec impatience mon grand frère pour lui proposer une partie en espérant qu’il accepte.

Nos parties étaient endiablées, probablement, souvenirs lointains oblige, bien plus romancées et épiques qu’elles ne l’étaient vraiment. Jusqu’au jour où nous arrivions enfin à terminer le jeu. Chaque boss nous avait mis en difficulté, mais à chaque fois, nous avions triomphé. Et encore une fois nous étions face à ce boss de fin, qui nous avait déjà obligé à recommencer plusieurs fois le niveau. L’engouement lorsque nous le vîmes tombé, lorsque la musique du boss se stoppa. Nous étions si fier, si heureux. Enfin nous l’avions fait. Nous avions terminé Dingo et Max ! Ensemble.

(Figure 2 – Screenshot Dingo et Max) (Figure 3 – Boss de fin)

De là vient le fait, que je fus surpris de ne plus me rappeler de ce jeu, alors que je me souvenais bien plus du jeu que nous avions fait ensuite, Tortues Ninja : Turtles in Time, lui aussi sur Super NES. Pourtant la plupart des souvenirs étaient dans la même veine, une grande difficulté pour nous, nous le recommencions encore et encore sans parvenir à le finir. Ah oui c’est cela, nous ne l’avions jamais fini, car contrairement à Dingo et Max, il n’y avait pas de code de niveaux. Je me souviens que nous bloquions souvent au monde préhistorique avec ce boss tortue ninja mais « méchante » que je trouvais si forte.

(Figure 4 – Jaquette Ninja Turtle)

(Figure 5 – Boss Ninja Turtle)

L’énergie n’était plus la même, il n’y avait pas autant de rire et d’amusement que devant les pitrerie de Dingo. Des phrases revenaient plus souvent « ça m’a soulé », « je veux pas jouer », « j’ai la Playstation c’est mieux ». Remarquant que nos parties se faisaient de plus en plus rare, je me souviens avoir tenté de perdurer la tradition avec mon petit frère mais celui-ci n’était pas grand fan de jeux vidéo. Je crois savoir pourquoi Tortue Ninja : Turtle in Time est revenu immédiatement dans ma mémoire. Ce jeu m’a toujours laissé une certaine amertume. Il avait prit le dur rôle d’un message que peu d’enfants veulent comprendre et que l’on finit toujours par accepter. « Tu vas grandir ». Ce jeu non terminé qui me fit l’effet d’un coup de poing car je n’y arrivais pas seul. Je me revois entrer dans la chambre de mon frère en train de jouer à un jeu avec des zombies dont il me vantait les mérites. Je me souviens m’être assis à tes côtés pour te regarder jouer. Cette musique était terrifiante. J’ai vu alors un de ces monstres humanoïde agrippé le héro et lui vomir un liquide étrange au visage. À ce moment, j’ai peur. Mon frère ne quitte pas la télévision des yeux et ne me remarque pas. Il ne m’épaule plus comme autrefois. Cette union si forte entre nous, je venais de la voir disparaitre dans une musique angoissante d’un jeu que je redécouvrirai plus tard … mais seul, tout comme mon frère l’a fait avant moi.

Je me rappelle Dingo et l’énergie positive qui nous entourait. Je me rappelle Tortue Ninja et la frustration de ne pas atteindre notre but. Je me rappelle Resident Evil et la distance que je venais de voir apparaitre avec mon frère. Plus jamais nous ne serons aussi proche que devant ces petites manettes de Super Nintendo, à rire, à discuter des différents passages du jeu durant les repas de famille.

(Figure 6 – Dingo et Max ensemble)

Les années ont passés depuis et parfois je te regarde aux quelques repas de familles durant lequel nous pouvons nous réunir. Et je me demande où est passé mon précieux grand frère avec lequel j’ai passé de si bon moment. « Tu vas grandir », je n’aurais jamais pensé que ce postulat ferait si mal durant les années qui ont suivi. Maintenant nous sommes tous deux des adultes, menant chacun sa vie de son côté. Cela peut paraître amère ou dit avec regret mais lorsque je regarde notre petit frère en train de faire des « parties endiablées » sur Call of Duty, casque sur les oreilles, seul dans une pièce sombre, à crier sur une personne qu’il connait à peine et qui n’est pas présente dans la pièce. Je me sens désolé pour lui. Il ne se rappelle peut être plus ce que nous avons vécu devant Castle Crasher quelques années plus tôt. À crier de joie et de surprise face à ce monstre qui nous courait après et que nous devions semer à dos de biches qui pètent pour se propulser. À nos regards déterminés lorsque nos devions combattre pour une princesse. A notre joie lorsque nous avions vu le générique de fin. Et à sa déception, lorsque je lui ai dit que je ne voulais plus y jouer. Parce que je devais retourner travailler.

 

(Figure 7 – Course poursuite)

Au final, j’ai agis comme tu l’as fait, j’ai exécuté les même gestes et probablement créer le même ressentiment que j’ai eu pour toi. Ce sentiment d’abandon. « Tu vas grandir ». Parfois j’y repense en voyant cette jaquette de Dingo et Max courant vers nous comme s’ils nous appelaient à l’aide pour leur aventure, immortalisé à jamais. Parfois j’y repense et j’ai le souhait d’être à la place de cette enfant de cartoon. Enfant pour toujours. Toujours soutenu par son ainé, aidé à se relevé. Mais les souvenirs ne seraient pas souvenirs et ne seraient pas aussi beaux si l’on ne grandissait pas. « Tu grandiras … et tu vivras d’autres histoires plus belle encore ». Je l’espère, après tout j’ai pu revivre cela avec mon frère en tant qu’ainé ce coup-ci. Qui sait, j’espère voir un jour mes enfants rire à gorge déployé devant un jeu, chacun avec une manette et s’entraider comme s’il n’y a avait qu’une. Car même s’il est très sympathique de regarder un film seul dans sa chambre ou de visiter un musée par soi-même, rien ne changera cette expérience de ressortir d’un lieu en famille ou entre amis et de discuter. Ceci est la même chose pour le jeu vidéo.


(Sources : Image en-tête : Father and Son par Y @ Pixiv.net retravaillé par Thibaut Bézin)[/fusion_builder_column][/fusion_builder_row][/fusion_builder_container]

Le jeu culte de mon enfance que personne ne connait

Le jeu culte de mon enfance que personne ne connait

Paul Aureckin

Le jeu dont je vais parler durant ce témoignage n’a rien de culte ni de mémorable et je suis surement un des seuls à lui vouer une place aussi importante dans le paysage vidéo ludique. Il est même plus que probable que l’actuel lecteur n’en a jamais entendu parler. Dans le cas contraire j’imagine que votre surprise n’en sera que plus grande lorsque je vais révéler que le jeu sur lequel portera mon témoignage se nomme Red Faction Guerrilla. Un jeu qui malgré la couleur aride de sa jaquette (alternant entre teintes de rouilles et d’ocres) malgré la violence sous jacente qu’évoque les écritures marqué au fer rouge sur la boite, malgré l’imagerie guerrière omniprésente qui en vient même à s’immiscer dans son titre. Un jeu qui malgré cette surenchère d’artifices tentant de le laisser paraitre rugueux reste la friandise la plus goûtue à laquelle je pus toucher dans ce médium. Un délice qui se mange sans faim, un plaisir de tous les instants dans lequel l’embarras d’avoir un tel amusement devant un hors d’œuvre sans prétention s’efface au bout de la 1ere heure de dégustation. En effet, j’use du terme  « hors d’œuvre sans prétention » car ici je parle bien d’un jeu de type TPS de la 7ème génération, dans lequel scénario prémâché par les obligations de rentabilité, héros effacés aux profits de clichés installant le joueur dans une zone de confort, histoire manichéenne et ennemis déshumanisés sont de la partie, et c’est peut être pour le mieux vue que mon premier contact avec le jeu se fit lors de mes 8 ans.

Mon frère était en train de jouer à une démo dont les créateurs, sachant pertinemment que l’intérêt du jeu résidait dans son gameplay, ne s’étaient pas donné la peine de la faire traduire en plusieurs langues. Cependant c’est sans surprise que mon frère s’empara du jeu instantanément car n’importe quelle personne consciente du potentiel de la mécanique autour duquel s’articule le jeu ne pourrait résister à son appel. « Quelle est cette fameuse mécanique ?» me demande le lecteur assidu que je m’empresse d’ailleurs de remercier pour l’attention porté à mon texte. Ma foi c’est aussi simpliste que complexe. Le principe de base du jeu est que la majorité des éléments du décor sont destructible. Bien entendu je ne vais pas expliquer point par point pourquoi dans ce jeu cette idée est particulièrement bien desservie. En effet ce n’est pas le sujet de mon texte, mais sachez tout de même que le moteur physique est une merveille inégalé à mes yeux, un bijou technique qu’on ne penserait issus que d’une démo qui l’est tout autant. C’est ainsi que Guerilla fit son entré dans l’armoire de jeu de mon frère qui ne pris d’ailleurs jamais la peine de le finir à mon grand désarrois, étant un spectateur admiratif de ses exploits.

Pendant un temps j’ai oublié ce jeu, car le sceau pegi d’un orange brut m’avait toujours défendu de tenter le moindre rapprochement, il s’était greffé avec violence sur une œuvre enfantine dans l’âme prétextant une fois de plus la présence d’un contenue outrageux. Pourtant ce jeu était un objet de partage, rare sont ceux qui le connaissent dans ma sphère privé et le faire découvrir à mes amis était toujours un plaisir, non pas à cause de l’égocentrique besoin de se sentir important mais plutôt grâce à l’envie de ponctuer sa vie d’instant de bonheur. De fait, les rires communicatifs et le temps qui passe sans que l’on puisse s’en rendre compte faisaient de Guerrilla un magnifique catalyseur de ces émotions. Mais au-delà de ces divers instants assez agréables que je partageais, il y avait une démarche presque analytique, celle d’observer comment mes amis allaient réussir à accomplir les différentes quêtes annexes, instant où le joueur était soumis à sa propre liberté. Cela me permettait d’en apprendre sur eux et de répondre aux différentes interrogations que je porte à leur égard. Par exemple : avaient t-ils le sens du spectacle ? Ce jeu permettait de répondre à la question et à partir de la réponse on pouvait déduire de très nombreux traits de caractères. Au-delà de l’amusement c’était aussi captivant, plutôt fascinant, en fait réellement hypnotisant.

Ce besoin de compréhension par l’observation (bien que n’ayant pas été enfanté par le jeu) demeure un aspect de ma personnalité que Guerrilla a révélé à moi-même.

Quelques années plus tard, c’est en me souvenant de ce jeu que je me suis rendu compte combien il était important. Je dois bien admettre que, fainéant par nature, je n’avais pas vraiment fais d’effort pour tenter de retrouver ce jeu dans ma mémoire. Je vagabondais sur internet et comme à mon habitude je suis passé par Youtube pour observer mon fil d’abonnement,  le seul rempart entre moi et la procrastination inutile. Je pus observer une apparition discrète mais que j’ai tout de même remarqué,  c’était une chronique bien connu sur JVC : Speed Game. Ici l’épisode portait sur le tout premier Red Faction sortie en 2001.  C’est alors que je regardais l’émission qu’un effet mémoriel insoupçonné me ramena des souvenirs du jeu sur lequel porte mon texte. En effet,  Red Faction Guerilla faisait des rappels constant à son prédécesseur et par conséquent ce que je ne pouvais percevoir avant m’était réapparu avec violence, tel que je l’ai perçu c’était l’ancien jeu qui faisait des références au plus récent. Vision totalement absurde et paradoxale mais l’effet recherché par Red faction Guerrilla a tout de même été accompli : un fort retour dans le passé à été provoqué par ces références dispersé dans le jeu. Seulement cela ne s’est pas déroulé au moment voulu durant mon aventure dans la saga Red Faction. Et ainsi la mécanique de gameplay centrale du jeu auquel on pourrait attribuer de manière ignorante un aspect gimmick, m’est finalement réapparue dans toute sa splendeur et son utilité au sein même de l’environnement de jeu. Bien évidemment je le formule de cette manière mais à l’époque je me serais plutôt exprimé de façon enfantine, mettant en avant les caractéristiques impressionnantes des explosions plutôt que leur grand intérêt dans la construction du monde ouvert même si, à mes yeux le terme bac à sable serait plus approprié.

C’est donc porté par un engouement soudain pour un jeu oublié de tous que j’ai commencé à faire de nombreuses sessions. Aujourd’hui cela ne fait que deux ans que je n’ai pas touché à la jaquette. Pourtant, souvent, le souvenir des diverses situations de jeux spectaculaires créées de manière organique me réapparait de manière assez précise, avec ce même ressenti dont le plus grand représentant me semble être Farcry ; cette impression qui se base sur le fait que l’illusion de créer ses propres scènes d’actions les rend d’autant plus grisante. Sensation que malheureusement, j’ai du mal à retrouver dans les jeux récents qui malgré leur monde ouvert, me semble plus un couloir que jamais.

Je suis bien conscient qu’au travers de ce texte je me suis éloigné d’une certaine nostalgie que peut inspirer le jeu de son enfance. C’est un choix délibéré que de m’être élevé au dessus de ce carcan poétique suggéré par la description de son enfance au travers d’un jeu. J’aurais pu parler de Journey, le premier jeu indépendant auquel j’ai joué et ainsi me faciliter grandement la tache mais, cela n’aurait pas été honnête, ni pour moi ni pour vous. Un grand mensonge organisé dans l’objectif d’être celui que je ne suis pas… Non ! En effet je ne suis pas un adolescent poétique à moitié torturé trouvant refuge dans les jeux vidéo… Malheureusement pour moi il est difficile d’évoquer la compassion au travers de ma vie. Je n’irais pas jusqu’à me flageller de manière publique car, en plus d’être ridicule cela serais en contradiction totale avec ce que j’ai dit précédemment ; et je ne compte pas non plus simuler un semblant de complexité dans ma personnalité. Simplement, je profite de cette conclusion pour clarifier certaine choses et remercier certaine personne. Notamment Esteban Grine, pour m’avoir donné une raison de mener un projet jusqu’au bout. Thymael  (en espérant ne pas écorcher son pseudonyme), pour m’avoir appris l’existence de l’appel à contribution ainsi que les quelques personnes m’ayant aidé à mener ce projet en me fournissant un regard neuf  et rassurant sur ce texte.

Interdit

Interdit

Richard Norbauth

Je peux encore la sentir. L’odeur de cette maison qui n’est pas la mienne. Familière mais étrangère. Et cette sensation, cette occasion unique de pouvoir légalement s’approprier l’interdit.

 

Ma mère a toujours été très stricte avec les jeux vidéo. Profil d’amoureuse des livres, fidèle lectrice de Télérama, documentaliste dans l’Éducation nationale. Pour elle, l’informatique était un outil formidable, notamment dans son propre travail. Mais les jeux vidéo, c’est autre chose : c’est abrutissant, c’est violent, c’est écran, c’est pan-pan.

 

Comme beaucoup d’enfants de mon âge, j’avais la chance d’avoir un petit voisin avec qui je rentrais de l’école et que je pouvais retrouver le soir et les mercredi après-midis. Nous avions toutes sortes de jeux, bien sûr, dont beaucoup de jeux de plein air. Mais il y avait chez lui quelque chose d’encore mieux : une Megadrive.

 

D’aussi loin que je me souvienne, les jeux vidéo m’ont toujours fascinés. En revanche, ce que je n’arrive pas à savoir, et toujours pas aujourd’hui, c’est s’ils m’ont intrinsèquement fascinés ou si c’était l’interdit qu’ils représentaient qui me fascinait. Sans doute un peu des deux. Alors, pendant mon enfance et mon adolescence, je jouais chez les amis, par petits shoots. Mario Kart par-ci, Tekken 3 par-là. Donkey Kong Country par-ci, Worms par-là. Ces petites bulles étaient de vraies sources d’excitation.

 

« Je vais chez François ce dimanche, génial, on va se faire deux heures de Perfect Dark ».

 

Plus tard, le voisin avait eu une Playstation, mais sa Megadrive est le tout premier contact avec le jeu vidéo dont je me rappelle. Je me souviens du poli du plastique, de la sensation de l’appui sur les boutons, de la forme de la manette dans ma main d’enfant de 6 ou 7 ans.

 

Mais surtout, je me souviens de mes jeux préférés de sa collection : Sonic, Aladdin et Streets of Rage.

 

Entre les doses, le manque était tel que que j’avais reproduit des versions papiers de mes jeux vidéo préférés, pour pouvoir se rapprocher de ce goût vidéoludique que j’aimais tant, sans avoir la console qui va avec. J’ai par exemple le souvenir d’un Crash Team Racing papier très réussi, où j’avais reproduit les circuits en tracés à cases. Le joueur avançait à coup de dés, comme un jeu de l’oie, et pouvait récupérer des objets spéciaux à utiliser contre ces adversaires. Comme dans le jeu original, on pouvait ramasser des pommes pour améliorer ses objets et donner des bonus à ses jets de dés. Bref, tout y était. La console en moins.

 

Bien sûr, Sonic, Aladdin et Streets of Rage étaient trop durs pour nos maigres capacités d’enfants. Mais nous allions aussi loin que nous pouvions, une vie chacun (ou les deux en même temps sur Streets of Rage). C’est donc les trois premiers niveaux que nous faisions en boucle. Nous connaissions les ennemis, les bonus, les obstacles par cœur. Ça ne nous empêchait pas de perdre quand la difficulté augmentait aux niveaux suivants.

 

Sur l’ordinateur familial, j’ai fini par avoir mes propres jeux. J’ai le souvenir d’un Age of Empires Collector’s Edition, offert pour mes 11 ans (sans doute choisi pour ses atouts “historiques”), puis d’un Warcraft III, qui ont forgé mon goût pour les jeux de stratégie. Mais toujours pas de console. Même quand un camarade de classe me prête sa Gameboy (oui, team UNE Gameboy) pour que je puisse découvrir, fasciné, le légendaire Pokémon, une mère en colère me la fait éteindre et rendre à son propriétaire.

 

Avec le recul, je crois que c’est la musique de ces premiers niveaux qui m’a le plus marqué, comme c’est souvent le cas avec ces œuvres sentimentales que nous avons tous. Aujourd’hui encore, entendre les thèmes des premiers niveaux de Sonic, Aladdin ou Streets of Rage rempli de joie l’enfant de 7 ans qui sommeille en moi, enfoui sous les années et le cynisme.

 

Alors, sans console, adolescent, je me suis tourné vers autre chose. Les cartes Magic, dont je connaissais les règles sur le bout des doigts en fin de collège (je ne suis plus trop à jour). Puis Donjons & Dragons. Nous jouions avec mes compagnons quasiment tous les dimanche après-midi. Nos personnages sont montés du niveau 1 au niveau 25 à force de missions et d’années. J’étais un joueur très productif et fournissais à mon Maître de Jeu mes propres classes de personnage, sorts, bâtiment et créations diverses. Ne pas avoir de console, ça donne du temps pour autre chose.

 

Et puis il y a eu ce jour. Un mercredi ou un samedi, sans doute. Je suis allé chez le voisin. Sa maman m’ouvre. Il n’est pas là.
Mais tu peux venir jouer à la console si tu veux.

 

Le cœur bondit. Bien sûr que je veux. J’entre dans la maison, je suis le couloir qui rentre dans la chambre. J’allume la télé.

 

Sonic.

Aladdin.

Streets of Rage.

 

Tous y sont passés. À la mesure des capacités, donc les 3 premiers niveaux de chaque, vraisemblablement. Ça n’a pas forcément duré très longtemps. Deux ou trois heures tout au plus. Mais j’étais seul devant cette console. Libre.

 

Plus tard, étudiant, j’ai eu mon premier ordinateur à moi. J’ai un peu rattrapé le temps perdu grâce aux émulateurs. Pokémon (enfin), Super Smash Bros., Street Fighter… Un genre majeur n’a pourtant jamais eu sa place au panthéon de mes favoris : le jeu d’aventure. Pour moi, c’était trop tard. Je n’ai jamais connu, enfant, cette sensation de plonger dans un monde avec mon personnage et de me laisser bercer par son histoire et ses découvertes. Les jeux d’aventure m’ennuient profondément. J’associe cet ennui à l’absence du genre dans mon enfance. Il faut vraiment s’être retrouvé seul pendant des heures face à sa console pour apprécier un Zelda.

 

Je sorti de cette chambre ivre d’images et de sons, les yeux plein d’étoiles. Je me revois marmonnant la musique en marchant sur le trottoir menant jusqu’à chez moi. Ma mère avait dû vaguement grogner lorsqu’elle eut compris que le voisin n’était pas là et que j’avais passé l’après-midi à jouer à la console. Ça n’avait aucune importance. C’était une très bonne après-midi.

 

Je suis aujourd’hui game designer. Tous les jours, je fabrique des expériences de jeu. Si je suis conscient de tout ce que j’ai manqué du fait de l’absence de console, je suis aussi conscient de tout ce que j’ai dû faire pour pallier au manque. Je suis convaincu que cette absence a, paradoxalement, joué un rôle majeur dans mon orientation professionnelle, et m’a permis, très tôt, de me frotter aux Jeux, grand J, sous un angle très différent.

Merci, maman.

La petite carte et la cartouche dorée

La petite carte et la cartouche dorée

Tifor

« Longtemps, je me suis couché de bonne heure ». J’avais pour habitude de m’installer dans mon lit avec un livre et de profiter de ces quelques minutes pour m’évader au rythme des mots qui défilent. Cet instant de grâce m’appartenait et j’en profitais autant que possible le soir, avant de m’endormir. À cette époque, les ordinateurs étaient réservés aux initiés, internet n’était pas encore dans tous les foyers et les magazines de jeux vidéo constituaient la source principale de l’information ; Joypad, Console +, pour une poignée de francs.

Autant vous dire que quand vous êtes encore dans l’âge de la petite enfance, difficile de se tenir informé régulièrement et de manière exhaustive. Chaque petite parcelle d’information, chaque petite image est précieuse, elle ouvre la porte de l’imaginaire et de tous les possibles. Je me souviens encore de moments endiablés volés chez des amis ; Super Mario Kart ou de Street Fighter II, puis quelques années plus tard de Tekken et Super Mario 64. Totalement isolé du monde de l’information en temps réel, encore très loin de l’ère du numérique et du monde interconnecté, je profitais de ces moments au jour le jour sans vraiment porter de jugement sur ces « produits ». Chaque instant de jeu était une expérience nouvelle et exaltante.
Pour ma part, j’étais encore sur ma Nes, avec son étrange forme rectangulaire et teintée de gris. Malgré mes expériences de jeu externes et ponctuelles, elle exerçait toujours une sorte de fascination sur moi. Probablement rétrogamer dans l’âme avant même que ce terme n’existe, j’étais sous le charme de cette console pourtant déjà démodée. Super Mario Bros, Duck Hunt, Double Dragon 2, Ducktales 2 et Kirby’s Adventure c’était là l’intégralité de ma bibliothèque. Autant vous dire que j’étais très concerné par le problème de la rejouabilité d’un jeu, encore que je ne m’y intéressais pas vraiment. C’était le temps où une heure de jeu, peu importe son contenu, c’était toute une aventure et c’était tout ce qui comptait.

Je me souviens qu’un jour, au détour d’un magazine qui traînait sur un coin de table, j’ai remarqué un article qui parlait des jeux Nes. Impossible de me souvenir du contenu exact et des propos tenus dans cet article. Les seules choses qui me reviennent en mémoire sont ces deux uniques images qui illustraient le propos. Je n’ai jamais su et je n’ai jamais compris ce qui m’avait attiré. Il s’agissait simplement d’une boîte dorée avec l’inscription the Legend of Zelda et d’un screenshot du jeu. Je pense que je n’étais même pas en mesure d’en comprendre le sens et pourtant, ces deux images m’ont fasciné. Autant vous dire que rapidement, ce jeu s’est miraculeusement retrouvé dans ma bibliothèque à la fin d’un mois de décembre.

Si vous connaissez ce Zelda, ou que vous l’avez découvert bien plus tard, vous pensez probablement qu’il est difficile, voire impossible à terminer sans consulter une solution. C’était sans compter sur la rage farouche d’un jeune garçon et sa pulsion frénétique à brûler et bomber chaque petite parcelle du jeu, afin d’en découvrir le moindre secret. Sincèrement, la durée de vie n’étant pas une donnée primordiale à déterminer à l’époque, je ne pourrais pas vous dire combien de temps j’ai pu errer dans cette première version de la plaine d’Hyrule. Peut-être quelques dizaines d’heures, mais plus probablement quelques centaines, voire plus d’un millier. Lorsque l’on grandit, le temps se dilate et devient un tout unifié. Et avec le temps, une petite aventure peut se transformer en épopée ou en légende.

J’avais pourtant déjà touché à la Super Nes et même la première Playstation, mais jamais je ne les aurais échangées avec ma Nes et ma cartouche dorée de Zelda. Une réaction probablement naïve, hors du temps et incompréhensible pour la plupart des gens.

C’est qu’à chaque fois que j’allumais ma console, je savais que ce petit personnage vert et silencieux m’attendait pour explorer, combattre, résoudre des énigmes : tout simplement pour entrer en mouvement. Pour exister. Nous recommencions toujours du même point de départ, à côté de cette grotte où nous avons découvert notre première épée en bois, et c’était le début d’une aventure épique. Et la cartouche était dorée, couleur de l’or, elle avait une valeur inestimable et non marchande.

 Il existe un autre fait assez particulier et représentatif de cette époque. Internet ne s’étant pas encore démocratisé, et l’information, notamment en matière de jeux vidéo, étant plutôt rare, chaque petit élément avait une valeur inestimable. C’est notamment l’époque où les notices existaient encore et étaient parfois l’unique moyen d’avoir plus d’informations sur le jeu, son histoire, ses protagonistes. J’ai passé des heures à lire ces petites notices pour déceler des détails, des astuces et pour déchiffrer l’intrigue de certains jeux. Au point que je me demande encore parfois si ces bouts de papier, aujourd’hui complètement disparus, n’étaient pas une part intégrante du jeu.

Quand je ne pouvais pas jouer à Zelda, car selon mes parents, j’y avais déjà consacré trop de temps dans la journée, je me retrouvais donc à regarder cette petite carte qui accompagnait le jeu dans la boîte. Il s’agissait d’une carte de la plaine d’Hyrule en partie incomplète. Certaines indications étaient données sur les ennemis du jeu, les secrets, une description sommaire de quelques personnages et des objets que l’on pouvait découvrir au cours de l’aventure.

Et j’imaginais que j’étais en train de préparer mon départ pour l’aventure, rêvant du prochain trésor que j’allais découvrir. Je parcourais d’un regard ces plaines, ces forêts, ce lac, ces montagnes, ce bois perdu labyrinthique qui me faisais tourner en rond, ce cimetière où je n’arrivais pas à me rendre, mais qui m’intriguait tant. J’ai longtemps hésité à compléter cette carte manuellement pour rajouter chaque secret découvert, mais elle était trop précieuse. Je ne pourrais pas vous confirmer le temps que j’ai passé à prolonger mon expérience de jeu en contemplant cette petite carte. Comme vous le savez désormais, le temps se dilate en grandissant. Peut-être quelques minutes, centaines de minutes, ou peut-être quelques dizaines d’heures.

  Quoi qu’il en soit, cette cartouche dorée et cette petite carte m’ont fasciné pendant longtemps. Ce n’est que bien plus tard que je me suis séparé de ma Nes pour une poignée de pain. C’était une sorte de transition, un passage à l’âge adulte. J’avais anticipé ce moment, replacé la console dans sa boîte d’origine, chaque notice désormais à sa place dans la bonne boîte. J’ai longtemps hésité à conserver cette petite carte, et après tout… Qui s’en rendrait compte ? Un éventuel collectionneur peut être, à qui il manquerait cette pièce dans sa collection de jeux rétro. Mais ce n’était pas vraiment ma préoccupation. Je m’imaginais plutôt un petit garçon, dont les parents n’auraient pas trop les moyens de lui acheter la dernière console à la mode, et j’espérais au fond de moi qu’il trouverait cette petite carte et cette cartouche dorée pour vivre la même aventure que moi.

Aujourd’hui, les temps ont bien changé. Les notices ont disparu, les magazines de jeux vidéo ont laissé place à l’information numérique, la 3D est de plus en plus réaliste et les jeux bien plus accessibles. Souvent, un chronomètre calcule le temps passé à jouer, et les jeux s’enchaînent plus rapidement. Une autre époque assurément, pour le meilleur et pour le pire. Au moins, le jeu vidéo est devenu une pratique s’étant démocratisée. Mais parfois, aujourd’hui encore, lorsque je vais me coucher, il m’arrive instinctivement de me pencher sur ma table de chevet pour la prendre. Avant de me rendre compte qu’elle n’est plus là. Et que j’aimerais, juste une dernière fois avant de m’endormir, plonger à nouveau mes yeux sur cette petite carte.

[fusion_builder_container hundred_percent= »yes » overflow= »visible »][fusion_builder_row][fusion_builder_column type= »1_1″ background_position= »left top » background_color= » » border_size= » » border_color= » » border_style= »solid » spacing= »yes » background_image= » » background_repeat= »no-repeat » padding= » » margin_top= »0px » margin_bottom= »0px » class= » » id= » » animation_type= » » animation_speed= »0.3″ animation_direction= »left » hide_on_mobile= »no » center_content= »no » min_height= »none »][fusion_youtube id= »DX6doWixKkE » alignment= »center » width= »720″ height= » » autoplay= »false » api_params= » » hide_on_mobile= »small-visibility,medium-visibility,large-visibility » class= » »/][/fusion_youtube][/fusion_builder_column][/fusion_builder_row][/fusion_builder_container]

Les souvenirs qui en deviennent.

Les souvenirs qui en deviennent.

Damastès

XXX, juin 2017

Du temps que nous passons à jouer, il reste toujours un petit quelque chose. Certains jeux laissent même de profondes racines qui creusent jusqu’au coeur, attrapant sur leur passage les sensations de l’instant. Et quand leurs souvenirs remontent, c’est toute une époque qu’ils ramènent avec eux. Mais les noeuds que forment ces racines sont plus complexes qu’un simple collier de souvenirs qu’il nous suffirait de tirer, déclenché ad libitum dans un désir de nostalgie. Non, ces souvenirs ont leurs propres caprices et s’invitent dans le désordre, à des moments que nous n’attendions pas.

C’est qu’il y a des jeux pour nous rappeler notre enfance, qui nous y conduisent avec la certitude d’un fiacre bien gouverné, mais il y a aussi les sensations qui nous ramènent à nos jeux sans qu’on les décide; et parfois des tristesses se réveillent dans des moments de fête. L’odeur du carton de mes vieilles boites de jeux me tirent immanquablement vers mon enfance perdue, et il me faut alors lutter contre l’appétit de la revoir et les larmes qui montent.

Mario Galaxy : J’ai cet ami très cher qui me raconte ses souvenirs de jeu. C’est à Noël qu’il le découvre et commence d’y jouer. Pour se donner du courage, il s’accorde à chaque nouvelle étoile qu’il trouve un des biscuits à la cannelle que sa mère a préparés pour les fêtes. Désormais, à la période de Noël, l’odeur des biscuits le renvoie à son jeu, et dans son imaginaire les étoiles de Mario auront toujours un goût de cannelle.

Pikmin : J’ai eu la chance d’y jouer à la toute fin du printemps, et bientôt dans l’été. Il y avait les bruits d’eau du jeu et sa musique légère, l’odeur de basse montagne qui entrait par les fenêtres et les portes grandes ouvertes sur le jardin, la voix de ma mère qui s’était mise à l’ombre, le chant d’un oiseau surement, ça je ne sais plus. Le jeu s’était mêlé à la pièce, comme le jardin s’était mêlé au salon. J’étais dans le salon, j’étais dans le jardin, j’étais dans le jardin du jeu. Les sens s’étaient mariés entre eux et ces deux mondes s’étaient rejoints, mêlant leurs parfums en un seul. Dans ce moment particulier d’ivresse sensorielle, ne pouvait se forger qu’un souvenir fort mais confus, un enchevêtrement des perceptions et des idées. Aujourd’hui, lors de journées ensoleillées et légèrement venteuses, qu’on ouvre tout pour profiter de l’air, remontent les sensations du jeu, elles viennent s’ajouter à celles du monde, et m’y font croire à nouveau. La fraicheur du jeu, c’est la dernière fraicheur du printemps; son insouciance, c’est l’été qui vient. Et pour très longtemps encore, le chant des pikmins sera pour moi cet entre-saison, l’un ou l’autre me ramenant à cet après-midi de jeu.

_______________________________________________

Ce qu’il nous faut regarder, ce n’est pas le simple lien entre le jeu et son époque, entre le souvenir et son joueur, mais ces badernes qui se tressent de vieux cordages, ces souvenirs mêlés qui font du passé un brouillard de certitudes. C’est dans cette confusion du vrai et du faux, des souvenirs que nous avons joués, vécus et rêvés, que se tisse une mémoire qui sait retrouver son chemin elle-
même, par surprise, aux abords de la conscience.

 

Zelda BotW : Si ce jeu s’inquiète peu de sa narration, il a la bonne idée de convoquer des souvenirs d’anciens jeux pour nourrir son histoire et l’attachement qu’on aura pour son monde. Le joueur se souvient d’avoir vécu les légendes qu’on lui raconte. Une légende qui se construit d’autres légendes. Ainsi, le reste de son histoire tressée de souvenirs réels gagne en crédit et en puissance d’évocation. Ce mélange des souvenirs anciens et des légendes nouvelles se double de motifs concrets, des rappels de l’ancienne période Jōmon (fig. 1) qui viennent saisir le joueur (surtout japonais) du trouble familier d’avoir déjà connu tout ce qu’il voit. Cet enchevêtrement de mystères, de légendes, de souvenirs personnels et d’histoires communes est une méthode ingénieuse qui place le joueur dans un état d’esprit rêveur et mélancolique, prêt à ressentir plus fort encore les émotions provoquées par le jeu

Castelvania : Il y a nos souvenirs de jeu, puis il y a les souvenirs qui en deviennent, hors de leur ligne temporelle, et qui viennent se mêler aux autres. Ce sont les premières lignes de la Recherche du temps perdu (Marcel Proust, 1913-1927), où les âges et les époques s’affrontent et s’entremêlent. À la façon dont Proust lui-même écrivait ses textes : en collages, en rajouts successifs qu’il appelait ses « paperoles » (fig. 2). Et comme se termine Le temps retrouvé (Marcel Proust, 1927), dans un constant

mélange des idées, des rêves, des souvenirs et des sens. Des souvenirs en vraie madeleine qui font se confondre les époques et les choses qui les habitent. Des souvenirs réels et des souvenirs inventés.

Je ne me rappelle pas avoir joué à Castelvania dans mon enfance. À beaucoup d’autres jeux NES assurément, mais pas celui-ci. À tant de jeux, en fait, que j’ai appris à reconnaitre les tonalités, les habitudes, les couleurs, à m’y sentir immédiatement chez moi à chaque fois que j’en commençais un nouveau.

Des années plus tard, j’ai rejoué à ces jeux, grâce à l’émulation, et j’en ai découvert d’autres qui m’avaient échappés. C’est ainsi que je jouais pour la première fois à Castelvania. Immédiatement chez moi, donc, dans ce château en ruine. Tout m’était familier. C’était un jeu de mon enfance. Il ne pouvait en être autrement car tout résonnait en moi. La musique, le rythme, l’ambiance, l’action, le héros, les distances, les victoires, tout ce qui faisait ce jeu appartenait à mon histoire.

Je suis revenu en arrière dans le livre de ma vie, et j’ai ajouté une paperole à la page de mon enfance. Inconsciemment bien sûr, mais, les années suivantes, ma mémoire s’est convaincu de ce souvenir nouveau; impossible désormais d’en effacer la trace ni les lignes que se sont tissées autour d’elle. Le jeu appelle ma nostalgie comme s’il avait toujours été là. Les émotions reviennent comme si je les avais vécues alors, et mon enfance est désormais plus riche d’un jeu.

Nos récits n’ont pas à être vraisemblables, à peine y cherchons nous de la cohérence, car jamais il ne faudra prendre notre mémoire pour fidèle, loyale encore moins. Nous écrivons nos souvenirs autant que nous les vivons. Réécritures après réécritures, ajouts, soustractions, effets de style, notre mémoire est un livre vivant qui ne se ressemble jamais. Des symboles et des signes qui n’y étaient pas, des blessures nouvelles, des souvenirs qui reviennent après nous avoir tant manqués… Et parfois, nous forgeons nos propres nostalgies.

 


Sources

  • Du côté de chez Swan (Proust M., 1913 Grasset, 1919 Gallimard)
  • Le temps retrouvé (Proust M., 1927 Gallimard)

Chroniques de mon mépris du jeu vidéo

Chroniques de mon mépris  du jeu vidéo

D0td0t

Si j’ai assez de considération aujourd’hui envers le jeu vidéo pour y consacrer une grande partie de mon temps, que ce soit par sa pratique, par sa création, ou pour réfléchir à son sujet, il n’en  a pas toujours été ainsi. Pour être tout à fait honnête, je peux même dire que c’est, d’une certaine manière, un média que je méprisais sans m’en rendre compte jusqu’à très récemment. Et n’ayant pas l’excuse de la méconnaissance, puisque j’ai eu le privilège d’y avoir accès très tôt dans ma vie, la préparation de cet article m’a amené à me pencher sur cette question : Comment ai-je pu, avec un parcours vidéo-ludique aussi riche, me méprendre autant sur ce média  ?

Je devais avoir trois ans lorsque j’ai eu ma première console, une Sega Master System. Si je conserve bien quelques souvenirs de mes sessions de jeu, il ne s’agit que de bribes, et les seules anecdotes concrètes qu’il me reste, sont les problème liés à la console elle-même ; les  lancements indésirables d’« Alex Kid », jeu intégré directement à la console,   qui démarrait dès lors qu’une cartouche était trop poussiéreuse , ou encore les tripatouillages répétés de  la prise péritel afin obtenir autre chose qu’un sonic en noir et vert.

Puis à 5 ans, j’ai  eu la Sega Megadrive Je ne manque pas de souvenir de cette période, que ce soit « Sonic the hedgehog 2 » dont je serais capable de faire une retranscription quasi-parfaite des musiques tellement elles m’ont marquées, « Les lemmings », dont la notice recouverte de centaines de mots de passe témoigne encore aujourd’hui de mon obsession pour ce jeu,  « le livre de la jungle » et ses  animations ou encore le beaucoup trop exigeant « Wolverine : Adamantium Rage » dont je recommençais le premier niveau en boucle.

Mais malgré l’empreinte qu’ont laissée ces œuvres sur moi, elles ne semblent pas avoir influé la construction de mon image de ce média autrement que par contraste avec ce qui a suivi.

Paradoxalement, la période qui a radicalement changé ma manière de percevoir l’objet vidéoludique,  de jouer, de choisir mes jeux, et qui a très certainement le plus influé sur ce qu’allait être mon avenir, est certainement celle pendant laquelle j’ai le moins joué, tout du moins,  de la manière dont on l’entend habituellement. Et cette période commence  par l’arrivée  chez moi de la Playstation de Sony . J’avais alors 8 ans.

Si jusqu’ici, tout le monde l’utilisait à la maison, il n’en reste pas moins que la console était principalement considérée comme un jouet, apanage de l’enfant. Et lorsque quelqu’un prenait une manette, c’était plus pour jouer avec moi que pour jouer au jeu lui-même. C’est avant tout cette image que la Playstation a révolutionnée: il ne s’agissait plus de mon jouet d’enfant mais de celui de la famille.

Au début, nous ne possédions pas la console. Nous la louions dans un vidéoclub, avec sa ou ses manettes, un jeux vidéo et  parfois une carte mémoire. Nous l’installions sur la télévision, invitions des amis et jouions parfois pour la soirée, parfois pour la nuit et souvent pour tout le week-end.  Jouer à un jeu vidéo était devenus un événement social éphémère, ce qui eut un fort impact sur nos habitudes de jeu.

Car on ne peut pas jouer en groupe de la même manière que l’on jouerait seul ; on doit se partager les rôles. Il y a d’une part le pilote, celui qui tient la manette et contrôle l’avatar, et de l’autre il y a les copilotes, qui l’assistent, l’aident à résoudre les énigmes et lui suggèrent les bonnes actions à exécuter, et tous, ensemble, profitent du développement narratif du jeu.

Si la manette me revenait régulièrement entre les mains , j’ai très vite préféré le rôle de copilote . Je ne pourrais dire exactement pourquoi,  même si j’imagine que mon manque de confiance en mes aptitudes physiques, héritage de la cour de récréation, devait y être pour quelque chose. Car jouer en publique, c’est aussi échouer en publique.Toujours est-il que j’ai pris énormément de plaisir à endosser ce rôle de joueur sans contrôleur, si bien que j’ai plus de souvenir de ces expériences-là que de celle en tant que pilote.

Ainsi, lorsque je repense au premier Tomb Raider, si je me souviens aussi des contrôles rigides, de la caméra pas toujours optimale et des phases de nage cauchemardesques, cela ne viens qu’après le souvenir de la fierté que j’ai pu éprouver à résoudre certaines des énigmes. Quant au premier Resident Evil, je n’ai quasiment aucun souvenir de gameplay, seulement des réminiscences de certaines cinématiques. Et quand dans les années qui suivirent on me demandait de citer mon jeu préféré, je répondais volontiers « Final Fantasy 7 » , un jeu auquel je n’avais, à cette époque, quasiment jamais joué la manette entre les mains, mais dont j’avais dévoré les plusieurs centaines d’heures de jeu en tant que copilote.

Et puis cette période à pris fin. Le jeu vidéo est redevenue pour moi une activité solitaire. Et c’est très certainement lorsqu’il m’a fallu recommencer à choisir mes jeux par moi-même que tout c’est joué.

Mon expérience du média se divisait donc en deux grandes périodes : la première, celle de ma prime enfance, une période pendant laquelle le jeu vidéo était synonyme de gameplay bien plus que de contenu narratif. La seconde, celle du jeu « adulte », dans laquelle le jeu vidéo était synonyme de cinématographie et de réflexion . Et la dernière chose que l’enfant que j’étais voulait c’était d’être perçus comme un enfant.

C’est ainsi que ma définition du jeu vidéo idéal s’est construite, par une opposition entre un type de jeu prétendument immature à un autre prétendument mature. Pour qu’il soit « bien », un jeu devait contenir une  narration proche du média cinématographique et devait privilégier les aptitudes cognitives aux aptitudes physiques. Cela signifiait que pour que je le considère, je demandais à un jeux vidéo de moins se définir par le jeu que par un autre média.

Ma consommation vidéoludique c’est  donc naturellement orientée vers des genres répondant à cette définition, avec en tête celui du point’n’click. Avec tout de même d’excellent souvenir, qu’il s’agisse de la saga des « Broken Sword », des « Monkeys Island » ou encore « Siberia ».

Cette vision réductrice du média n’allait pas évoluer avant  mes 14 ans, période à laquelle l’acquisition soudaine d’un esprit de compétition me poussa à une pratique intensive des jeux  Counter-Strike et Warcraft III, me réconciliant ainsi avec les jeux vidéo privilégiant le gameplay au scénario.  Mais  il ne s’agissait pas encore rendre ses lettres de noblesse au jeu électronique, car là encore je ne le considérais que comme le sous-genre d’une autre activité socialement reconnue; le sport.

C’est douzes années de plus qu’il m’aura fallu pour déconstruire cette association entre jeu et immaturité. Ça a commencé avec l’émergence du rétro-gaming, qui m’aura permis de redécouvrir les jeux vidéo de mon enfance et de celle des autres. Puis il y a eu l’apparition de la scène indépendante, suivie de près par la sortie de jeux d’auteurs qui m’auront profondément marqués dont pour ne citer que lui « PaperPlease ». Et c’est enfin la multiplication et la popularisation de contenus réflectifs sur ce média qui en me permettant de conscientiser mon erreur, m’ont permis de mettre un terme définitif à cette méprise.

Le parallèle entre NieR Automata et Matrix

Attention, Spoil massif dès la première ligne.

Le point de départ fondamental de NieR Automata est le suivant : des androïdes sont créés pour d’un côté permettre l’évolution des machines (d’un réseau plus précisément) et de l’autre créer l’illusion que les être humains sont encore vivants auprès des autres androïdes. Dans tous les cas, des machines créent des machines. C’est ce phénomène qui explique l’existence de tous les événements de NieR Automata (malgré les liens avec les précédents opus, cela reste aussi tout à fait cohérent). De même, il y a dans la construction narrative de NieR une réflexion sur les cycles et comment s’émanciper de ces cycles. Autrement formulé, le temps est plutôt conceptualisé de manière cyclique durant lequel la fin d’une ère signifie le début d’une nouvelle, relativement identique à la précédente. Dans Matrix, le point de départ fondamental est l’asservissement de l’humanité par les machines. Les êtres humains sont alors des substituts de batterie permettant aux machines de perdurer avec une certaine forme d’énergie renouvelable.Pour maintenir les êtres humains dans leur servitude, les machines entretiennent un réseau qui subit de manière cyclique des dysfonctionnements. La solution qu’ont trouvée les machines est alors la suivante : créer un programme (un humain créé artificiellement) « Neo » qui aura pour mission de redémarrer le système.

Ces contextes et cette construction narrative permettent de nous (l’audience) faire vivre un conflit entre robot et êtres humains soit artificiellement créés soit par l’intermédiaire d’androïdes, dont les corps mécaniques laissent supposer des âmes, des esprits indissociables des êtres humains. Résumé de la façon suivante, il devient évident que NieR dressent de nombreux parallèles avec la trilogie Matrix. Il est cependant intéressant de pousser la réflexion plus loin, histoire de tester les limites de cette lecture.

L’un des thèmes fondamentales qui revient dans ces deux œuvres concerne la définition de ce qu’est le fait d’être humain. Dans NieR, c’est une évidence. Dans Matrix, ça l’est un peu moins. Dans la première œuvre, les traits humains sont bien plus l’apanage des machines qui cherchent à reproduire les schèmes et les constructions sociales humaines passées. Les androïdes au contraire sont pour les YorHa : froids et distants tandis que les androïdes résistants sont plus émotifs. On voit d’ailleurs de nombreuses quêtes se conclure sur un fait tragique poussant un androïde résistant à choisir l’exclusion ou la vengeance. Dans Matrix, nous avons quelques références dans le premier film où une distinction entre les humains créés artificiellement et les humains de Scion est clairement statuée par l’un des protagonistes. De même, nous retrouvons ce parallèle entre individus froids et distants et individus plus émotifs. L’équipe de Morphéus, bien que faisant preuve de particularités émotionnelles versent clairement la plupart du temps dans le comportement rationnel et mécanique. Il y a donc, dans cette lecture, une équivalence de traitement entre les androïdes représentants des Humains dans NieR et des femmes et hommes de Matrix. Notons au passage les accoutrements de chacun tout en rituels et masques : habillés de noirs et dont on ne voit quasiment jamais les yeux pour certains, guenilles et saletés ambiantes pour les autres.

Puis vient forcément la question des robots et le fait de vouloir les personnifier en antagonistes. La question que je pose est alors la suivante : quelle est leur place et quelles sont les parallèles entre l’œuvre de Yoko Taro et celle des sœurs Wachowsky. Dans les deux fictions, les robots se sont organisés en société. D’un côté, nous avons plus l’exploration de systèmes sociétaux humains pour NieR et de l’autre nous avons un semblant de société ultra planifiée, presqu’une fourmilière. Cependant, si les ressemblances s’arrêtent là, ce n’est pas forcément le cas pour ce qui est de les positionner en tant qu’antagonistes. Dans Matrix, la conclusion finale est qu’une forme de symbiose est nécessaire entre humains et robots. Seuls alors quelques entités, à l’instar de l’agent Smith, peuvent devenir une menace pour l’ensemble. Dans les deux fictions, les hommes sont placés au début dans une situation de résistance « face à » puis progressivement, nous comprenons que même ces résistances sont déjà prévues et organisées par des entités supérieures. Cela fait écho avec une pensée déterministe (spinoziste ?) et cyclique du temps qui passe et qui est présente dans les deux œuvres. Enfin dans les deux cas, la conclusion ouvre une perspective optimiste vers un changement de paradigme, ce qui cependant laisse l’audience sujette à interpréter. Dès lors, s’il y une représentation manichéenne du conflit au début de chaque œuvre, cette représentation évolue vers quelque chose de plus précis. Il est intéressant de noter alors l’inversion faite entre NieR et Matrix. Dans Matrix, nous passons d’un conflit global (les hommes contre les machines) à un conflit final individuel (enter Neo et Smith) tandis que c’est l’inverse qui a lieu dans NieR : la conclusion du premier chapitre (la fin A) résout le conflit individuel entre les 2B/9S et Eve puis évolue vers la résolution d’un conflit global (androïdes / l’entité) et ce, en passant par un nouveau conflit individuel : 9S contre A2. Il ne s’agit dont plus de constructions inverses comme précédemment énoncés mais de similitudes que nous faisons. Je soutiens cependant l’intérêt de penser les conflits de ces deux objets culturels comme les miroirs de l’autre.

De facto la représentation du robot antagoniste est tout de même déconstruite dans chacune des deux œuvres pour laisser place à des visions plus complexes et parfois complotistes, ce qui rend évidemment les choses bien plus intéressante. Dans les deux objets, il me semble que le plus important à retenir est que les deux partent du même phénomène déclencheur et explicatif de la trame narrative : ce sont des robots (avec une humanité plus ou moins affirmée) qui construise eux-mêmes leurs antagonistes pour 1/ évoluer dans le cas de NieR et 2/ perpétuer leur système organisationnel dans Matrix. Les héros dans les deux cas ne sont alors que des pièces d’un puzzles qui ne devient visible qu’à la fin de chacune des œuvres. Dans les deux cas aussi, nous notons un fort développement idéologique autour de l’instrumentalisation des conflits et comment ceux-ci sont montrés comme nécessaires à la domination d’un groupe social sur l’autre. Sous couvert d’un conflit dont l’issue semble libératrice pour ceux qui ne sont rien, ces androïdes, ces robots comme Pascal (dont la simple évocation du nom déclenche chez moi une montée de larmes aux yeux) ou humains artificiels (Néo, Trinity et Morphéus), Matrix et NieR soutiennent la thèse, certes complotiste mais aguicheuse, que ces conflits ne servent que des intérêts cachés, inconnus. ■

Esteban Grine, 2017.