Wanted: Dead, révéler l’excellence médiocre

De manière complètement inopinée, j’ai découvert Wanted: Dead, un jeu mettant en scène une escouade de policiers dirigée par Hannah Stone, également avatar de l’audience-joueuse. Selon son studio de développement, Soleil, développer ce jeu avait pour objectif de recréer l’expérience des jeux au game design hasardeux de la période 2000-2005 (comprenant les consoles PlayStation 2, Xbox et GameCube). Oscillant entre 4 et 7 sur 10 dans les critiques, le jeu semble avoir effectivement tenu son objectif. L’expérience y est relativement décousue, incohérente et déséquilibrée. Entre des phases d’actions beaucoup trop longues et éreintantes et phases de tranches de vie, le jeu a du mal véritablement à établir un rythme. L’audience-joueuse est alors téléportée d’une cinématique, à un mini-jeu, puis de l’exploration et enfin de l’action. Cette médiocrité choisie rend difficile l’évaluation et la qualification d’un tel jeu. Certains et certaines pourraient le qualifier de navet au premier degré dans le sens où il s’agit d’un échec pour le studio de développement et d’un problème pour le publisher souhaitant se débarrasser au plus vite de cette « patate chaude » en espérant atteindre un public, quel qu’il soit. D’autres peuvent y déceler un cynisme éhonté : jouer sur la vague des ugly games (c’est-à-dire des jeux maladroits / moches / dont le game design est volontairement mauvais) pour soutirer le maximum d’argent auprès d’un public de niche, comme ce fut potentiellement le cas pour la série de films Sharknado. Enfin, quelques derniers, dont je fais évidemment presque par défaut partie, pourront ériger ce jeu sur un piédestal et s’user à le défendre afin d’en faire émerger une signification esthétique.

Derrière ce déséquilibre, que de nombreuses personnes pourraient qualifier de médiocrité, il se cache un jeu qui offre une véritable nuance par rapport à l’actualité médiatique relative à l’industrie du jeu vidéo. Étonnamment, le jeu nous fait incarner Hannah Stone, une criminelle de guerre reconvertie au sein d’une équipe de « pacification » au service d’une police, privatisée, d’un Hong Kong cyberpunk. Autrement dit, c’est elle et son équipe que l’on envoie afin de résoudre des conflits dont la conclusion est généralement un bain de sang. Derrière ce prétexte pour de l’action ultra-violente, le jeu met en scène des personnes atypiques ayant des difficultés à socialiser. Fondamentalement, le jeu joue de son image de série B. On n’a pas l’impression qu’il se prend véritablement au sérieux. Ses messages et même son récit sont particulièrement abscons. Non pas qu’il s’agisse d’une obscurité choisie comme pour les jeux From Software, mais vraiment parce qu’on a l’impression qu’il n’y a pas eu de script doctor (c’est-à-dire des personnes responsables du récit, du Lore, etc.) au sein de l’équipe. On combat alors une première faction, puis des cyborgs, puis une mafia et enfin la faction militaire d’une gigacorporation. Tout cela donne sincèrement l’impression d’une confusion totale, mais choisie faisant ainsi passer tout élément de récit au second plan.

Et il serait tout à fait légitime de s’en tenir à ça. Conclure que le jeu est défaillant, car il n’est ni ludique ni intéressant sur d’autres aspects. Même pour moi qui défendrai ce jeu, il m’est tout à fait possible de reconnaitre cela. Or si aujourd’hui j’écris à son sujet, c’est parce qu’une fois ce postulat accepté – que ce n’est peut-être pas un bon jeu – j’ai pu orienter mon regard vers l’imaginaire qu’il nous propose. Et cet imaginaire est bien plus intéressant que le jeu laisse le supposer, un peu comme si quelqu’un faisait exprès des erreurs pour masquer son talent. Les cyborgs sont en fait des humains dont on efface la mémoire et l’on fait croire au monde qu’il s’agit de robots, alors que pas du tout. Vivienne Gunsmith, présentée dans la communication autour du jeu comme une eye candy, peut être possiblement une personne autiste. Herzog, un dragueur de rue harceleur, se fait insulté en permanence. Hannah Stone parle ouvertement de sa sexualité, ce qui la rend indisponible (ou moins) à une audience qui souhaiterait la sexualiser. Ultimement, on découvre également les raisons pour lesquelles Hannah s’est retrouvée criminelle de guerre. Tout cela, ce sont des détails, des bribes d’informations que le jeu dispose au cours d’une cinématique, ou d’un document et que mon interprétation a mises en cohérence, en forme. Il ne s’agit pas du message caché du jeu, mais plutôt d’un espace de discussions potentielles.

Voilà pourquoi j’écris cet article. Le jeu, au-delà du ridicule, révèle une expressivité particulièrement riche. Il aborde, à la façon d’un film de série B, des problématiques sociétales que l’on peut totalement occulter. Son gameplay est relativement moyen. Personnellement, ses longs couloirs vides et ses vagues d’ennemis ne seront pas particulièrement mémorables. Ses boss en revanche, qui rappellent ceux de la série Metal Gear Solid, sont mémorables dans le sens où l’on aimerait les connaître plus. Ses décors rappellent des anciennes façons de penser le level design.

De fait, pourquoi parler de ce jeu ? La raison la plus simple est que cela me permet de parler de son aspect merveilleux, obstrué par sa médiocrité choisie, ou non. À titre personnel, je ne le considère pas médiocre, mais cet article n’a pas pour objectif de convaincre de l’inverse. Cet article a pour but de rappeler que l’étude de ces jeux, ceux qui sont affublés d’un tapon « médiocre, passable, 4/10 » ou encore « 6/10 » sont en réalité des objets fantastiques d’études, et ce, pour au moins deux populations. La première, celle des game developers, a intérêt à étudier ces jeux en cherchant ce qu’ils tentent pour ensuite imaginer comment faire mieux. La seconde, celle des chercheurs et chercheuses, des journalistes, a ce travail de révéler leur esthétique plutôt qu’à pointer du doigt leurs défauts. Je considère Wanted: Dead être un beau jeu, car j’ai eu le sentiment qu’il était sincère dans sa démarche, parce qu’il est respectueux de ses personnages et sa médiocrité ne saura m’empêcher de le penser comme tel. Volontairement ou involontairement, le jeu apporte des représentations inédites pour le jeu vidéo, au-delà de son expérience en somme, convenue. C’est pour tout cela qu’il est important de se concentrer sur ces jeux « cassés, moyens, mid, mauvais ». À force de ne regarder que l’excellence, on n’aboutit qu’à l’imitation. Mais en appréciant la médiocrité, on en vient à l’amélioration et l’innovation.

Kept you waiting for… huh ? – Quelques notes incohérentes sur 2022

2022 fut une année, comment dire, particulièrement éreintante. Malgré tout, je me décide tout de même, un samedi soir, veille de la nouvelle année, à écrire un article, au moins pour donner quelques nouvelles. En cela, l’académie de Lucaria illustre particulièrement bien l’état (universitaire) dans lequel je suis : je gratte des feuilles, je dessine des réseaux, j’écris et je grogne dès que quelqu’un vient m’embêter.

2022 a donc été une année épuisante. Les raisons sont simples : rédaction de la thèse, un enfant en bas âge, un burnout, des articles et des colloques en pagaille, un contexte professionnel particulier… Tout cela, inscrit dans un contexte social, politique et écologique complètement aberrant, décevant et pessimiste.

Cela étant, je peux tout de même ajouter un nouveau badge à mon veston de chercheur : j’ai été publié dans Sciences du jeu qui n’est pas une mince revue obscure :

Michael Perret et Esteban Giner, « Le bruit des controverses vidéoludiques : entre infobésité et mobilisation politique en réseaux », Sciences du jeu [En ligne], 18 | 2022, mis en ligne le 25 novembre 2022, consulté le 31 décembre 2022. URL : http://journals.openedition.org/sdj/4753 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdj.4753

C’est véritablement un bonheur de voir enfin l’article paraitre, article qui est en plus une belle conclusion au #VGCrisisTracker qui avait animé le carnet durant toute l’année 2021 (et quelle année également). A côté de cela, le colloque que je co-organisais a enfin eu lieu : « Ces petites choses vidéoludiques » fut deux merveilleuses journées passionnantes. Il va véritablement falloir que je m’occupe des captations, mais c’est un side project qui est difficile à mener avec une thèse à boucler.

De manière générale, il fut difficile de poursuivre un ensemble de projets dans tout ce marasme, le premier étant mon carnet de recherches et de notes alors que 2021 avait été une année particulièrement riche en termes de publication. Comme énoncé dans mes précédents billets, dont celui sur Shin Megami Tensei, la rédaction de mon manuscrit de thèse capte l’intégralité de l’énergie qu’il me reste après m’être occupé de ma famille et de mon emploi salarié. La bonne nouvelle est que sa rédaction avance véritablement : les deux tiers sont bouclés et je me prépare à l’envoi du dernier tiers qui conclura définitivement l’ensemble des propositions et des thèses que je soutiens… dans ma thèse. Il ne me restera plus qu’un ultime chapitre auto-ethnographique et la conclusion à rédiger entre janvier et février 2023, ce qui va aller très vite. Durant mes 7 années de thèse, je disais toujours ne vouloir faire qu’une petite thèse de 300 pages… Apparemment, elle en fera malgré tout beaucoup plus…

Quasiment le double en fait…

De fait, je n’ai pas eu beaucoup le temps d’écrire sur mes avancées ou tout simplement de partager sur les quelques jeux auxquels j’ai joué cette année. Pourtant, j’ai tout de même cumulé plus de 520h de jeux. Je le sais car je tiens dorénavant un petit carnet personnel de toutes les expériences auxquelles j’ai joué et que j’ai finies. Sur ce, j’entame mon ultime tunnel avant le dépôt de ma thèse et je reprendrai activement le carnet une fois qu’elle sera soutenue ! À l’année prochaine !

esteban grine, 2022.

Quelques pensées à propos de Shin Megami Tensei

Au cours du dernier mois, j’ai beaucoup joué à la série Shin Megami Tensei. En particulier j’ai découvert cette série avec le 5e épisode sortie sur switch et que j’ai dévoré en un peu moins d’une semaine. Dans la foulée, j’ai réussi à me dégoter une copie du 3e opus de la série, opus que je viens également de terminer. Etant donné que j’ai beaucoup de choses à dire sur ce jeu mais qu’il me manque également beaucoup de temps pour pouvoir les rédiger, je me suis dit qu’un billet comprenant quelques notes et pensées à propos de ces jeux serait déjà un bon exercice si un jour je veux entamer une véritable réflexion sur la série d’Atlus.

Avant toute chose, il semble quand même important de mentionner que ce billet contient principalement des débuts de réflexion. C’est pourquoi il ne peut m’être tenu rigueur de ne pas avoir poussé l’ensemble de ces réflexions plus loin que ce qui est présenté ici.

1. une superposition des réalités postapocalyptiques

Ce qui m’a frappé dans les 2 jeux auxquels j’ai joués, dans un premier temps, c’est le fait que la temporalité dans laquelle se déroule leurs récits n’est pas celle à laquelle on est habitué en tant que joueur et joueuse occidentaux. En effet, dans SMT5, le présent se déroule à la fois sur un plan où Tokyo est détruite et un plan ou Tokyo ne l’est pas. En parcourant le récit, on apprend que le Tokyo encore debout est en réalité une reproduction d’un Tokyo déjà détruit. Cependant, ce qui est intéressant, c’est de voir et de positionner non pas les diégèses de ces jeux comme étant des périodes linéaires mais fondamentalement comme étant des réalités qui se superposent. Les héros et héroïnes peuvent alors voyager entre ces réalités mais il n’y a pas fondamentalement de réalité plus importante qu’une autre toutes sont sur un même plan d’existence. Et C’est pourquoi je parle de réalité postapocalyptique ici plutôt que de monde ou de récits où d’histoire. Dans SMT3, le monde explorable est une bulle, un seuil ou encore une zone intermédiaire entre un monde qui vient d’être détruit et un nouveau monde au bord de la création.

Ce que je trouve de fondamentalement intéressant à travers cette conception de la temporalité, c’est qu’elle met d’égal à égal des réalités qui dans une conception peut être plus occidentale n’auraient pas les mêmes degrés d’importance. fondamentalement, il n’est pas question de discerner le vrai du faux dans la série Shin Megami Tensei. Cependant, il est question de se positionner par rapport à une vérité, ou plutôt une Raison (pour reprendre les notions présentées ans le jeu), afin d’orienter la destinée du monde.

2. De SMT3 à SMT5, faire le choix d’un rapport au monde

Dans SMT3, l’audience joueuse doit se positionner par rapport à la création d’un nouveau monde. Cette création nécessite le choix d’une raison. Cette raison orientera et structurera le nouveau monde. Ainsi, derrière des conflits armés, ce sont des raisons qui s’affrontent. Dans le jeu, 3 raisons sont proposées aux audiences. La première, Yosuga, est la raison du plus fort. Un monde créé à partir de cette raison serait un monde chaotique ou la loi du plus fort règne. La 2e, Shijima, est une raison qui prône l’ordre, où l’humanité ne fait plus état de ses émotions. Enfin la dernière raison, Musubi, valorise l’individualité avant tout Et où chacun et chacune vie de manière isolée sans l’influence d’autres personnes. Par rapport à ces 3 raisons, il est également possible de choisir de ne souscrire à aucune d’elles afin de réinstaurer un monde fait d’incertitudes. Dans SMT5, On retrouve un positionnement similaire avec une raison favorisant l’ordre (ce qui dans le jeu signifie le choix d’un seul et unique Dieu), une raison favorisant le chaos (ce qui dans le jeu fait émerger une infinité de déités en compétition les unes avec les autres) ou enfin une raison neutre qui aboutit à la fin de ce cycle de création et de destruction de monde.

Ce qui est particulièrement intéressant avec cette série de jeux vidéo, c’est qu’ils proposent à leurs audiences d’exercer leur croyances et leur morale au sein d’un espace vidéoludique à propos de ce à quoi souscrire une organisation sociale. Même si l’on ne voit jamais ce nouveau monde arriver, toute la progression du jeu et orientée de sorte à aider l’audience dans cet ultime choix en l’exposant à diverses explications légitimant ou critiquant ses raisons. À travers ce choix, la série permet à son audience de faire l’expérience d’une société idéale. De fait, Bien que les raisons exposées soient simplistes, elles permettent métaphoriquement à l’audience de modéliser un système social structurant les relations des individus qui en font partie.

On pourrait également aller plus loin dans Une interprétation socio-anthropologique dans le sens où SMT5 positionne de manière assez clair un conflit entre une religion monothéiste et une religion polythéiste. Le jeu nous laisse choisir alors vers quelle organisation religieuse pencher. Cependant, il serait difficile de ne pas voir ici, en extrapolant un peu, alors certains rapports de force entre le Japon et l’Occident, au moins depuis une perspective culturelle. Certains éléments du lore évoquent également ce rapport de force comme par exemple le fait que le Japon ne dispose pas de sa propre faction lui permettant de se protéger en dehors de l’organisation Bethel ce qui n’est pas sans rappeler la situation dans laquelle le pays s’est retrouvé après la 2nde guerre mondiale. Il est cependant nécessaire de noter que restreindre la lecture du jeu à cela ce serait qu’une erreur réductrice bien entendu.

Ouverture

Finalement ce qui est intéressant avec la série, c’est frontalement qu’elle propose un autre regard sur les récits postapocalyptiques. Plutôt que de représenter une humanité au bord de l’effondrement, plutôt que de se concentrer sur des enjeux interpersonnels, les deux jeux auxquels j’ai pu jouer ce mois-ci fondent leurs dilemmes sur l’Après. Pour cela, ces quelques notes font état de deux principes au coeur d’une certaine recette. Premièrement, c’est la simultanéité des temporalités qui permet de faire l’expérience de plusieurs réalités. Il n’est pas seulement question de recréer un monde, il est davantage question de proposer une nouvelle réalité. Dans SMT3, il s’agit d’un entre-deux. Dans SMT5, Il s’agit de plans d’existence différents mais tous réels., on pourrait reprocher au jeu de ne pas développer leurs personnages mais ce serait un reproche fait à tort tant ceux-ci ne sont que les vecteurs de discours sur la forme que devrait prendre la réalité à laquelle l’audience souscrit. Ultimement, cette série m’a marqué pour sa proposition à l’égard du postapocalyptique ainsi que les réflexions qu’elle propose à l’égard de la responsabilité de l’audience sur la diégèse. Peut-être qu’un jour je continuerais le développement de ces deux axes.

Carnet en pause ? carnet en pause.

Cela fait maintenant trois mois que je n’ai pas écrit et partagé de billet pour ce carnet de recherches. La raison est simple : je n’ai plus le temps en ce moment pour réaliser des études (et in fine des écrits) en dehors de celles consacrées à ma thèse directement.

C’est pourquoi j’écris ce post : pour dire que le carnet est temporairement en pause, le temps de la rédaction. Cependant, cela ne signifie pas qu’il n’y aura plus de publication durant les prochains mois. Cela signifie juste que je ne m’engage à aucune production et aucun rythme particulier, ni à des formats particulièrement scientifiques. C’est aussi l’occasion pour moi d’explorer d’autres types de publications, peut-être des réflexions plus personnelles sur la thèse et sa rédaction dont j’estime le bouclage entre 2022 et 2023. Sachez en tout cas que cela avance terriblement bien, je crois.

A ce jour, je vois au moins une grosse publication à venir mais celle-ci n’arrivera pas avant décembre, donc d’ici-là, portez-vous bien et n’hésitez pas à me contacter directement via twitter où je reste très actif !

esteban grine, 2021.

De GTA RPZ à Roblox : comprendre ces futurs expériences que sont les métaverses

Du 21 avril au 4 mai dernier, ZT production (l’entreprise du streamer ZeratoR) a mis à disposition un serveur Grand Theft Auto Roleplay. Il s’agit tout simplement d’un serveur hébergeant le jeu GTA Online et dont les joueurs et joueuses acceptent de jouer des rôles particuliers et non pas d’être simplement joueurs ou joueuses. En parallèle, j’explore de plus en plus des expériences qui se définissent elles-mêmes comme des métaverse. Le terme apparait pour la première fois dans Snow Crash, un romande science-fiction de Neal Stephenson :

Hiro is approaching the Street. It is the Broadway, the Champs Elysées of the Metaverse …. [I]t does not really exist. But right now, millions of people are walking up and down it …. [O]f these billion potential computer owners, maybe a quarter of them actually bother to own computers, and a quarter of these have machines that are powerful enough …. [T]hat makes for about sixty million people who can be on the Street at any given time.[1]

Il s’agit d’une notion que de nombreux éditeurs utilisent pour faire référence à leur proposition phare de sorte à la positionner humblement comme un futur du jeu vidéo. Plus généralement, il s’agit d’une notion particulièrement vague qui fait également référence à ce que pourrait être un successeur d’internet basé sur une réalité virtuelle plus ou moins ludique ou ludifiée (voir : Sweeney, 2019)[2]. Fortnite, Roblox et Minecraft sont des jeux qui nourrissent l’ambition de devenir des métaverse. Les deux derniers font actuellement partie de mon quotidien actuel et ce, sans compter les récits autour d’EVE Online ou encore Elite Dangerous qui font état de jeux ayant des systèmes politiques ou des pratiques à cheval entre ludiques, politiques, salariales, etc.

À partir de ce corpus loin d’être exhaustif, il est possible de dégager des game studies quelques constats qui peuvent venir nourrir de futurs réflexions sur les jeux vidéo en ligne. Cory Ondrejka énonce :

«[Qu’un] monde en ligne est désormais possible si ses utilisateurs ont le pouvoir de créer en collaboration le contenu qu’il contient, si ces utilisateurs reçoivent des droits étendus sur leurs créations et s’ils sont en mesure de convertir ces créations en capital et en richesse du monde réel. Ce serait le Métaverse de l’imagination de Stephenson.» (Ondrejka, 2004 : 83, ma traduction)[3]

La question central de cet article porte donc sur les façons qu’ont ces expériences d’interroger les fondements de jeux vidéo aspirant à devenir des métaverse ou plutôt des mondes virtuels multivers (multivers virtual world, Peckham 2020)[4]. Autrement dit : au-delà des définitions particulièrement sommaires que nous pouvons avoir des métaverse, est-il possible de proposer un ensemble de caractéristiques nécessaires à une expérience vidéoludique pour pouvoir prétendre au statut de métaverse ?

Afin de répondre à cela, il est cependant nécessaire d’adresser des questions plus restreintes.

Continuer la lecture de « De GTA RPZ à Roblox : comprendre ces futurs expériences que sont les métaverses »

Pourquoi Papyrus a la voix de Skeletor ? (vraie question)

En ce moment, je rédige un segment à propos de ma thèse sur ce que j’appelle la co-construction des discours. J’associe les discours à des interprétations coconstruites et issues de controverses au sein d’un réseau composé d’acteurs : le jeu, les joueur·euse·s, le studio, les audiences secondaires, etc. Tout cela se structure notamment à travers internet par la production de documents, des relations sociales et parasociales, des clusters d’intérêt, etc. Or si ma thèse se concentre effectivement sur des objets que l’on catégoriserait comme «discours», il m’est impossible de ne pas réfléchir également à la co-construction d’autres phénomènes. C’est là que je fais intervenir un principe de circulation des discours qui fonctionnent à partir de plusieurs processus dont les détournements, réappropriations, etc.

Dans tout ce lot de questions, pourtant, une est particulièrement structurante et heuristique lorsqu’il s’agit d’interroger tout cela : pourquoi et comment la communauté s’est coordonnée de sorte que la voix de Papyrus, lorsqu’il est doublé, soit toujours similairement nasillarde, avec des intonations et des expressions récurrentes ? Si la question semble ridicule, ce n’est pourtant pas la première fois qu’elle est adressée. En effet, dans un post publié sur le subreddit[1] dédié à Undertale, un internaute demandait : « pourquoi tous les acteur·ice·s de doublage s’étaient accordé·e·s pour décider d’associer la voix de Papyrus à celle de Skeletor[2] ?» Bien que le nombre d’interactions qu’ait reçu ce post[3] fut limitée, il s’agit d’une association récurrente que l’on retrouve également sur la partie communautaire de la page Steam du jeu[4] ou encore sur Tumblr[5]. Il existe également une capture vidéo du comédien de doublage de Skeletor, Alan Oppenheimer, en train de dire «I’m the great Papyrus» avec la voix de l’ennemi juré de He-Man[6].

Si l’on appréhende cette question depuis une perspective structuraliste, il est possible de faire l’hypothèse que les sons utilisés dans le jeu pour signifier le timbre, les intonations, le débit et l’intensité de la voix de Papyrus ont été codés de sorte à signifier un èthos similaire aux deux personnages. Outre leurs voix,  une étude comparée des deux personnages révèle d’autres similitudes puisque les deux squelettes sont des antagonistes[7] au personnage principal et lui tendent des pièges. Ils sont également tous les deux dans des postures paradoxales puisque bien qu’antagonistes, il leur arrive d’être considéré comme «gentil». Si pour Papyrus, c’est observable très rapidement (du fait des descriptions faites par son frère Sans), cela est moins visible pour Skeletor[8]. Leurs objectifs s’inscrivent également dans un certain alignement puisque Papyrus souhaite kidnapper l’humain, Frisk, et Skeletor souhaite tout simplement perpétrer le mal. Enfin, il est également intéressant de considérer plus largement la médiasphère et certaines productions indépendantes. Par exemple, dans la vidéo Fabulous Secret Powers (Slackcircus, 2007)[9], il est possible d’entendre Skeletor s’exclamer «Myaah !» tandis que Papyrus est connu pour son rire commençant par «Nyeh».

image issue de l’extraordinaire recherche intitulée : « pourquoi Papyrus est probablement un meilleur petit ami que Sans ». URL : https://argentdandelion.tumblr.com/post/177249398716/papyrus-is-probably-a-better-boyfriend-than-sans

Bien entendu, si l’on appréhende cette question depuis une perspective sociologique, il est nécessaire de mettre en place de nombreuses précautions en créant un protocole permettant effectivement de produire une donnée constatant que la communauté organisée autour du jeu attribue aux personnages un éthos similaire et s’accorde dans l’imaginaire collectif sur l’idée que «la voix de Papyrus est effectivement proche de celle de Skeletor». Pour cela, il faudrait constituer un échantillon représentatif des joueurs et joueuses de Undertale et leur poser cette question, formulée de sorte à ne pas non plus les influencer. On peut déjà supposer les résultats d’une telle recherche comme étant non conclusif puisque hormis les anglophones, il est tout de même peu probable qu’une personne joueuse de Undertale ait déjà entendu la voix anglaise de Skeletor. Cependant, cela n’explique pas pourquoi il y a eu une sorte de consensus entre des productions comme celle de Timber Puppers[10], les Game Grumps[11] ou encore Jacksepticeye[12] qui lui donne une voix typique d’un stéréotype de méchant. Même les doublages réalisés pour développer le personnage lors des routes génocidaires s’inscrivent dans les mêmes registres[13].

La façon qu’a Undertale d’orienter mes recherches fait que j’appréhende les discours depuis une perspective socio-constructiviste. Cette perspective positionne les discours comme étant des constructions issues de situations de communications variées entre acteurs qui peuvent être humains ou des documents comme les jeux vidéo ou des productions en ligne comme des vidéos. Par ailleurs, ces discours sont doublement situés. Ils sont situés car premièrement : ils se développent au sein d’un réseau particulier et secondement : parce que même en étant existant au sein d’un réseau, il n’est pas dit qu’un acteur va le transférer dans un autre réseau. De fait, s’il y a un discours qui est de considérer une causalité entre la voix de Skeletor et celle attribuée à Papyrus par des acteur·ice·s créateur·ice·s de contenus en ligne, alors il s’agit de situer ce discours au sein d’un réseau particulier, hypothétiquement celui des let’s play voire des communautés de shitposts. Il est plus prudent en effet de rester sur une interprétation nasillarde directement issue de la structure du jeu. Savoir si la voix nasillarde donnée à Papyrus est effectivement due à Skeletor, la structure de jeu, les let’s player ou un mix de ces acteurs (sans compter l’infinité d’autres) est un dilemme sans fin. Mais scientifiquement parlant, il m’est tout à fait acceptable d’accepter une variété infinie d’éventualités. Nyeh heh heh ! ■

Esteban grine, 2021.


[1] C’est-à-dire une page dédiée à un centre d’intérêt sur le média social Reddit.

[2] L’antagoniste principal de la série animée Les maitres de l’Univers.

[3] URL : https://www.reddit.com/r/Undertale/comments/9okwtu/why_did_all_the_voice_actors_unanimously_decide/ (consulté le 01/05/2021)

[4] URL : https://steamcommunity.com/app/391540/discussions/0/490123938435443377/ (consulté le 01/05/2021)

[5] URL : https://the-quiet-kid-dark.tumblr.com/post/629612096780386304 (consulté le 01/05/2021)

[6] URL : https://www.youtube.com/watch?v=wcN0TbhRRWE&ab_channel=SadCena (consulté le 01/05/2021)

[7] Bien que Papyrus devienne possiblement un allié en fonction des choix de l’audience joueuse.

[8] URL : https://www.youtube.com/watch?v=FjUtGTGrWfg&ab_channel=EmmaDenton (consulté le 01/05/2021)

[9] URL : https://www.youtube.com/watch?v=FR7wOGyAzpw&ab_channel=slackcircus (consulté le 01/05/2021)

[10] URL : https://www.youtube.com/watch?v=oERgRizceRs&ab_channel=TimberPuppers (consulté le 01/05/2021)

[11] URL : https://www.youtube.com/watch?v=OFi7dMq7UtQ&ab_channel=SettMetabolik (consulté le 01/05/2021)

[12] URL : https://www.youtube.com/watch?v=6k3YGxjSj6g&ab_channel=the-septic-actress (consulté le 01/05/2021)

[13] URL : https://www.youtube.com/watch?v=zt0Gc3Uc8So&ab_channel=DarkV (consulté le 01/05/2021)

Ainsi parlait probablement Iwata-San, sans pour autant en être sûr, c’est plus compliqué que cela en fait.

Ainsi parlait Iwata-San[1] (abrégé par la suite Iwata-San)est un livre recueil sorti en 2021 réunissant de nombreuses conversations avec Satoru Iwata, président de Nintendo entre 2002 et 2015, année de son décès. J’ai eu l’opportunité de le parcourir car si, en 2015, je n’avais pas été marqué par l’annonce de son décès, Satoru Iwata est devenu un personnage clef dans le cadre des recherches académiques que je mène sur les Mothertales. De fait, il était incontournable pour moi de lire ce recueil. Cette note de lecture permet alors de réunir quelques pensées que j’ai eues suite à sa lecture.

Paradoxes éditoriaux de l’homme providentiel mais humble, ou l’inverse

Sous-titré «conversations avec Satoru Iwata. Le légendaire président de Nintendo», l’ouvrage est paradoxal. D’un côté, nous avons un recueil de pensées et de propos qui semblent sincères et qui transmettent l’idée qu’Iwata était une personne particulièrement humble à l’égard de ses compétences. De l’autre, le travail d’éditorialisation de la part de Hobonichi, société de Shigesato Itoi, et les diverses traductions mettent le personnage sur un piédestal. Ce paradoxe est d’ailleurs très clairement identifié dans l’ouvrage puisqu’àprès avoir énoncé que «M. Iwata était un homme à la fois très sincère et cohérent» (p.7), la rédaction écrit : «M. Iwata lui-même n’avait jamais souhaité publier d’ouvrage de son vivant. Aussi, bien que nous ayions l’intime conviction que ce livre répond à une demande, actuelle et future, de réunir ses dires, nous devons reconnaitre qu’il s’agit là d’une décision arbitraire de notre part» (p.9).

Si je note ce paradoxe aussi fortément, c’est en raison de deux récentes lectures. En parallèle, je lis actuellement Une Histoire du jeu vidéo en France (Blanchet, Montagnon, 2021) dont l’un des argumentaires principaux pour leur recherche a été de sortir des cadrages idéalisant les acteurs du milieu du jeu vidéo. Dans un séminaire de lecture organisé par Mathieu Demory et Gabrielle Lavenir pour l’OMNSH, Alexis Blanchet expliquait sa démarche par le faite de vouloir sortir des histoires du jeu vidéo qui finalement tendaient à présenter les créateurs et créatrices (en l’occurence, particulièrement des hommes) comme des figures héroïques. Ce faisant, Blanchet faisait explicitement référence au travail notable de Marion Coville lorsqu’en 2014, elle écrivait :

 la figure hégémonique du créateur (masculine, blanche, occidentale, hétérosexuelle) et sa pratique (chronophage et sacrificielle) se retrouvent en partie dans les représentations du joueur et du héros de jeu vidéo, et donnent lieu à une image homogène évacuant les pratiques alternatives. Cette figure et ces représentations sont l’expression d’un imaginaire collectif et participent à l’écriture d’une « version particulière et hégémonique de la culture du jeu vidéo, possédant son origine propre et ses mythes, ses pères fondateurs et ses producteurs et consommateurs préférés voire idéalisés »[2]. (Coville, 2014)[3]

De fait, Iwata-San se situe dans cet entre-deux : d’un côté une héroïsation du personnage à travers un travail d’éditorialisation de ses propos et de l’autre, des textes qui dans leurs individualités sont d’avantage porteur d’une parole humble et d’une vision stratégique d’entreprise avec malheureusement une extrapolation qui n’explore pas en détail les réalités pragmatiques du quotidien du milieu professionnel du jeu vidéo.

Cependant, une fois cette précaution de lecture mise en place, le livre se retrouve plaisant à lire et suit un découpage typique de ce à quoi nous pourrions nous attendre en ouvrant les mémoires d’un patron d’entreprise : rapide biographie, le leadership, la personnalité, la façon dont Iwata est perçu, sa vision des jeux vidéo et enfin, deux témoignages de proches : Shigeru Miyamoto et Shigesato Itoi. Encore une fois émerge le paradoxe déjà mentioné dans cette note. Nous avons là une histoire racontée par «les Grands Hommes», expression classiste  utilisée ici pour constater la façon dont le milieu du jeu vidéo fait émerger des figures providentiels là où il n’y en a pas, ce qui est d’ailleurs une observation que Satoru Iwata fait également. Par exemple, il énonce : « s’il y a bien une chose que je peux affirmer, c’est que les Zelda n’ont jamais été le fruit de l’imagination d’un seul individu. Les idées naissent de l’esprit de plusieurs personnes, elles sont échangées» (p.141). C’est l’un des propos qui contraste avec certaines communautés de réception qui mettrait Shigeru Miyamoto comme «homme providentiel»[4] de Nintendo.

humilité, respect des collègues & respect des audiences

A travers l’ouvrage, quelques apprentissages semblent tout de même émerger pour une personne dirigeant des équipes ou des studios. Tout d’abord, le bonheur comme philosophie directrice pour les salariés et pour les audiences. Ce bonheur, symbolisé par l’usage du mot dans sa version anglaise, «happy», proposée par Itoi, semble définir le personnage d’Iwata dans ses intentions. On apprend qu’il effectuait à sa prise de poste de HAL Laboratory deux entretiens par an avec chacun de ses salariés (p.27) et semblait vouloir mettre leur parole au coeur de la discussion.

A ce sujet, il semble avoir été particulièrement inspiré par Shigesato Itoi pour ce qui est relatif à la notion de Respect des collègues en entreprise. Il dit : «La première fois que j’ai vu M. Itoi – de plus de dix ans mon ainé – converser respectueusement avec des gens sachant faire une chose que lui ne savait pas, je me suis dit ‘‘Quelle classe, moi aussi je veux devenir comme ça.’’ M. Itoi était simplement ému, il avait un profond respect pour ces gens, sans pour autant que cela paraisse extraordinaire» (Iwata, 2021, p.57). Cet idéal de respect à l’égard de ses collaborateurs et collaboratrices traverse l’ouvrage et par moment, cela en devient presque galvanisant : «c’est la raison pour laquelle, au sein d’une entreprise, chacun doit confier à ses collègues les tâches dont il n’a pas la responsabilité, s’en remettre à eux, et à se préparer à accepter le résultat final» (p.56). C’est aussi par rapport à ces propos qu’Iwata développe une certaine vision de ce qu’il appelle un talent : une «’’capacité à trouver sa propre récompense’’. Selon moi, être talentueux, c’est ressentir l’excitation de l’accomplissement plutôt que simplement accomplir. C’est posséder en soi un genre de circuit de découverte des récompenses.» (p.72)

C’est aussi par le prisme du respect et du bonheur qu’Iwata oriente sa vision et sa conception de ce à quoi doivent aspirer les jeux vidéo. Tout d’abord critique à l’égard des distinctions entre joueur·euse·s occasionnel·le·s et passionné·e·s, il rappelle que « les gens qui adorent les jeux vidéo, qui sont doués, ont eux aussi été des joueurs occasionnels à un moment donné» (p.133). Tout cela fait écho à la stratégie de Nintendo de donner accès aux jeux vidéo à des personnes non-joueuses. Cette stratégie, qui souffre également de nombreux défauts lorsque l’on intègre des questions d’accessibilité, a émergé dès le développement de Earthbound (1994) dont le texte publicitaire était : «les grands comme les petits, et les jeunes femmes aussi», texte qui peut être tout à fait discutable aujourd’hui. L’objectif de cet «élargissement des joueurs et des joueuses» pour Iwata n’a jamais quitté la stratégie de Nintendo d’où l’explication de certains détails comme l’appellation de la Wiimote ou télécommande Wii. Derrière cet appellation, l’intention était de rendre une manette aussi naturelle qu’une télécommande de télévision. Au fond, la démarche de Nintendo, toujours criticable, semble avoir toujours été d’oeuvrer à la démocratisation des jeux vidéo, surtout lorsqu’il s’agit de trouver de nouvelles audiences pour ce média.

Conclusion : Iwata-San était probablement sympathique

Sous une lecture plaisante, en compagnie d’un personnage sympathique, se trouve un ouvrage qui distille une certaine perception du jeu vidéo et de son milieu. Si les messages clefs comme le respect, le bonheur ou d’autres non évoquées ici comme la définition d’une idée comme solution à plusieurs problèmes, sont en somme toutes basiques, les lire dans cet ouvrage est un rappel qui n’est pas déplaisant. Ce que l’on peut regretter malgré tout, c’est un nouveau paradoxe qui se retrouve dans la prises de risque de Nintendo au travers de son histoire, et la non prise de risque dans certains propos qui auraient mérité à être plus explorés.

«L’essence même du développement d’un jeu vidéo est constituée de choix, de dilemmes et d’un jeu ‘‘diplomatique’’ entre les différents éléments. En outre, dans les productions d’aujourd’hui, les axes de développement sont multiples. Il faut toujours ‘‘ajouter, ajouter, ajouter…’’ de nouvelles choses, ce qui fait qu’à terme on étouffe un peu» (Iwata, 2021, p.140).

Voilà le genre de propos qui auraient gagné à clairement être développés, surtout lorsque l’on commence à interroger les rapports de force dans la production d’un jeu[5].

Ultimement, nous avons-là un recueil simple, facile à lire, véhicule de certaines idées mais aussi d’une certaine frustration pour celui ou celle qui aimerait avoir plus de détails. L’imprécision qui traverse l’ouvrage se rajoute à cela. Cependant, c’est aussi pertinent pour celui ou celle s’intéressant à l’histoire de Nintendo, à condition de tenir compte des critiques énoncées ici et futures. ■

Esteban grine, 2021.


[1] Iwata, S., Collectif Hobonichi, (2021). Ainsi parlait Iwata-San. Mana Books.

[2] « A particular hegemonic version of game culture complete with its own origin and myths, founding fathers and idealized or prefered producers and consumers ». Cf. John Dovey et Helen W. Kennedy, « From Margin to Center: Biographies of Technicity and the Construction of Hegemonic Games Culture » dans Patrick Williams et Jonas Heide Smith (dir.), The Players’ Realm : Studies on the Culture of Videogames and Gaming, Jefferson, McFarland Press, 2007, p. 131-153, p. 131 (traduction par l’auteure).

[3] Coville, M. (2014). Créateurs de jeux vidéo et récits de vie : La formation d’une figure hégémonique. Revue française des sciences de l’information et de la communication, 4, Article 4. https://doi.org/10.4000/rfsic.763

[4] Garrigues, J. (2012). Les hommes providentiels: histoire d’une fascination française. Seuil.

[5] Et on peut renvoyer notamment aux travaux de Callon et Latour.

Borraz, O. (1990). La science est-elle une sociologie ? À propos des travaux de B. Latour et M. Callon. Politix, 3(10), 135‑144. https://doi.org/10.3406/polix.1990.2131

Petit journal d’aventure et de pensées sur Minecraft

Minecraft (Mojang, 2011) est un jeu qui me suit depuis plus de dix ans maintenant. J’ai commencé à y jouer lors de la béta et très vite, c’est devenu un jeu que j’ai plus consommé en tant que joueur secondaire, à regarder Aypierre ou Fanta & Bob (à l’époque), plutôt qu’en tant que joueur du jeu. J’étais fasciné par les usages de la redstone, ce circuit électrique permettant de créer jusqu’à des ordinateurs complexes au sein même du jeu.

Pourtant, c’est un jeu que je n’ai fini que très récemment. La raison est simple : je n’ai tout bonnement jamais eu l’endurance pour vraiment battre l’enderdragon. Par ailleurs, le jeu, sous couvert d’une esthétique cubique et mignonne, est en réalité très difficile. En particulier lorsqu’il s’agit de mourir : on perd absolument tout, ce qui peut nous ammener à perdre des dizaines d’heures de progression en quelques instants.

Qu’à cela ne tienne, j’ai terminé le jeu le 10 avril dernier après une petite cinquantaine d’heures passées sur le serveur du Potokstan, souvent seul, mais également accompagné1.
En revisionnant les photographies que j’ai prises lors de mon aventure, j’ai cependant pensé à la perte que pouvait représenter la disparition de ce serveur. C’est pourquoi dans cet article, qui prend la forme d’un bref article composé d’un carnet de bord et de pensées. Je répertorie donc de manière parcellaire toute l’aventure que j’ai pu vivre au cours de ces nombreuses heures de jeu à travers des photographies prises ici et là.

La photo d’en-tête a été réalisée par Martin Ringot que vous pouvez suivre sur son compte twitter. Merci Martin de m’avoir accompagné pendant toutes ces heures sur ce serveur de l’enfer.

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Pourquoi Etudier la gamblification des jeux vidéo ?

Lorsque l’OMS intègra le trouble du jeu vidéo au sein de la classification internationale des maladies (CIM-11), ce fut à la fois l’aboutissement d’une controverse sur « l’addiction au jeu vidéo » et son renouvellement. En France particulièrement, certains médias sont fautifs d’avoir alimenter cette controverse en jouant sur les mots «trouble» et «addiction» qui ne signifient pas les mêmes choses. Cette décision de l’OMS fait suite à de nombreuses publications dans les recherches biomédicales à ce sujet qui illustrent cette controverse. Par exemple les travaux de Jiménez-Murcia et al (2014) observent des corrélations entre usage des jeux vidéo et gambling disorder sans pour autant que cela joue sur la sévérité du trouble . Le groupe de chercheurs et chercheuses observent également que les patients souffrant d’un gambling disorder sont «plus jeunes et présentent davantage de traits de personnalité dysfonctionnels » (Jiménez-Murcia et al, 2014)[1]. Avec ce type de conclusions, il y a un terreau propice pour des controverses scientifiques, qui passent par la dénomination des choses (Colder-Carras et al, 2018)[2], et pour des paniques morales plus générales ; paniques morales notamment dues à la casualisation des risques (Ross, Nieborg, 2021)[3].

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Quels enjeux vidéoludiques pour les blockchains ?

Le Crypto Art est un mouvement artistique récent dans lequel les artistes produisent des œuvres qui vont ensuite être distribuées par des crypto art galeries tout en s’appuyant sur une technologie blokchain. Une blockchain est une technologie de transmission d’informations dont la distribution est gérée de pairs-à-pairs. Autrement dit, il s’agit en somme d’une base de données dont les informations sont partagées au sein d’un réseau et validées directement par les utilisateurs et utilisatrices de ce réseau. Sécurisées cryptographiquement, les blockchains permettent d’offrir une alternative décentralisée à de nombreux systèmes d’informations.

Bien que la présentation de ce qu’est une blockchain soit simpliste ici, cela permet tout de même de comprendre les enjeux liés au crypto art. Une œuvre fait partie d’une blockchain lorsqu’elle est tokenisée, c’est-à-dire qu’elle a suivi un processus par lequel un set de donnée est défini par une suite de caractères randomisés. Chaque œuvre est donc associée à un seul et unique token sur une blockchain. L’intérêt de ce procédé est d’assurer une certaine rareté à l’œuvre, rareté qui est reconnue par le réseau (Finucane, 2018)[1]. Si pour une image, il n’y a qu’un seul et unique token, alors cela revient à la considérer comme étant la seule et unique véritable image et donc en somme, la seule à avoir une véritable valeur. En réalité, plus que l’image (qui peut être téléchargée, réuploadée, etc.) en tant que telle, c’est le titre de propriété qui a une valeur.

Autrement dit, pour ce qui est du marché de l’art, à l’heure de son immatérialité, les blockchains sont cruciales puisqu’elles contredisent la reproductibilité infinie, pour citer Walter Benjamin, et rendue possible par la dématérialisation de l’art (Lippard, Chandler, 1967)[2]. Par le processus de tokenisation, il est possible d’imposer une rareté dans un espace numérique et donc techniquement reproductible à l’infini. Par ailleurs, les utilisateurs et utilisatrices, pour gérer leurs possession, possèdent des wallets dans lesquels se trouvent leur token. Cela donne un caractère d’hyper-portabilité selon Franceshet et al (2019)[3]. De fait, le crypto art est particulièrement une affaire économique puisque les tokens sont comme des titres de propriété qui s’échangent sur un marché secondaire, le tout soutenu par une blockchain.

De plus en plus de ponts se tissent entre le monde du jeu vidéo et les technologies Blockchain. L’un des exemples les plus probants est CryptoKitties, une plateforme vidéoludique de collection et de reproduction de chats présentés comme uniques puisque le service et les utilisateur·ice·s passent par la blockchain Ethereum pour pouvoir échanger ces NFTs dont les plus chers sont estimés à plus de 1,5 millions d’euros (999 ETH). Au-delà d’un simple outil facilitant la collection, les blockchains peuvent représenter un enjeu pour le partage des données entre les joueur·euse·s d’un même jeu et pour le game design en général. Cet article vient donc situer depuis une perspective critique les enjeux de l’usage des blockchains et du crypto art dans le game design des jeux vidéo.

Citation conseillée pour cet article :
Grine, E., (2021). Quels enjeux vidéoludiques pour les blockchains . Les Chroniques Vidéoludiques. URL : https://www.chroniquesvideoludiques.com/quels-enjeux-videoludiques-pour-les-blockchains/

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