Ces jeux qui nous apprennent à ne pas avoir peur de l’autre

Coté vidéoludique, il est impossible de dire que 2016 n’est pas une excellente année. Si 2015 a été l’une des meilleures années du Jeu Vidéo, il n’y a aucun doute quand à la supériorité de 2016. De même, à titre personnel et dans ma vie de joueur, je n’ai jamais été aussi comblé par mon média préféré. Depuis janvier, je n’ai jamais joué à autant de jeux variés dans leur gameplay, dans les émotions qu’ils transmettent et dans les plaisirs qu’ils procurent. Entre le mastodonte OverWatch qui me permet de m’éclater dans tous les sens du terme avec mes amis et le petit jeu indépendant Cibele qui nous raconte la première rupture amoureuse d’une adolescente, on peut dire que je suis comblé.


Cependant, comme tout le monde, j’ai appris avec tristesse ce qu’il s’est passé à Nice dans la nuit du 14 au 15 juillet 2016. Je n’ai pas la prétention de dire que je comprend l’ensemble de ce qu’il se passe. J’ai beau avoir une vague idée et des opinions politiques sur le sujet que je n’aborderai pas ici, je serai bien incapable de rappeler pourquoi aujourd’hui la France est en guerre et tout aussi incapable d’expliquer en détail comment, depuis 2001, la France tente de lutter contre ce terrorisme si effrayant dans les médias. Je serai encore moins capable d’affirmer la pertinence de telles actions. Pour tout dire, c’est cette obligation de créer une dualité entre « nous » les gentils et « eux » les méchants qui m’effraie le plus pendant l’écriture de cet article.

L’article Lu <3

Cet ennemi qui nous définit.

Cette dualité, nous avons l’impression qu’elle a toujours été là, peu importe l’époque. Il nous faut un ennemi. Nous sommes tellement incapables de nous définir par nous-même que nous devons choisir un antagoniste pour au moins savoir ce que nous ne sommes pas. C’est de cette logique triste que j’essaie de m’émanciper tous les jours en lisant des essais et en jouant à des jeux qui m’interrogent sur qui je suis et comment j’interagis. Cet ennemi est aussi différent pour tous, certains vont penser que ce sont un peuple en particuliers, d’autres vont viser une communauté dont l’orientation sexuelle est différente. Les derniers penseront qu’ils s’agit de sociétés secrètes et conspirationnistes.

Ainsi, cet ennemi, si cher à notre définition, semble aussi nécessaire pour définir ce qui est ludique dans les jeux vidéo. Pendant très longtemps, l’ennemi a Waifu_Abuse_7été Russe. Ainsi, tant que nos cibles vivantes étaient soviétiques, cela ne posait pas de problème de massacrer des centaines voire des milliers de personnages non jouables. Alors oui, cela ouvre la porte de la violence dans le jeu vidéo, mais permettez-moi de la refermer gentiment. Il ne s’agit pas dans ce papier de parler de la violence. Non, nous nous intéressons ici aux idées véhiculées par les Jeux Vidéo. Implicitement, lorsqu’un jeu définit l’ennemi à abattre par sa nationalité ou encore son orientation sexuelle, sa religion, ses origines ethniques, il définit ce qui est socialement acceptable d’abattre dans la sphère du jeu. Le Jeu définit ce qui relève du ludique comme tuer un ennemi de ce qui n’est pas ludique comme tuer un concitoyen. Cette acceptation sociale est définit par sa zone géographique mais aussi par son époque. C’est pourquoi il est tout-à-fait compréhensible que l’Iran ait censuré Battlefield 3. Celui-ci met en scène une attaque sur la ville de Téhéran. Il est facile de comprendre l’absurdité de la scène : imaginer des enfants iraniens incarnant des étasuniens participant à l’assaut d’une ville iranienne.

Ainsi, nos jeux vidéo, comme tout média, véhiculent l’image de notre ennemi, notre antagoniste et alimentent sa représentation. De fait, et bien, nous ne pouvons pas décemment conclure que le Jeu Vidéo propose quelque chose de plus intéressant ou novateur que la télévision ou le cinéma. Pourtant, et fort heureusement, il existe des jeux dont les mécaniques de gameplay créent des passerelles pour comprendre l’Autre. Je dois bien avouer que sans ces jeux, je trouverais notre média favori bien terne et je soutiens qu’en ces temps difficiles pour tout le monde, il est nécessaire de mettre en avant les jeux vidéos qui favorisent le dialogue, la compréhension tout en faisant disparaitre la peur de l’Autre.

Comprendre l’Autre comme mécanique de gameplay.

Prenez Her Story par exemple. Dans ce jeu, vous vous retrouvez à visionner des extraits d’entretiens entre la police et la principale suspecte d’un meurtre conjugale. En parcourant les extraits vidéos, le joueur finit par s’attacher à cette femme qui raconte simplement sa vie. Il s’avère à la fin du jeu qu’elle est véritablement la coupable du meurtre mais en attendant, les mécaniques du jeu nous ont permis de comprendre que ce n’est plus si simple d’accuser quelqu’un. Oui, dans Her Story, cette femme est coupable et oui elle doit être punie pour son crime. Cependant le joueur ne peut s’empêcher de ressentir de l’empathie. Dans ce cas très précis, le jeu nous fait comprendre que l’on peut aussi se sentir triste pour la méchante. Si notre vision semblait manichéenne ou tout simplement tranchée, on ressort de cette expérience vidéoludique avec un regard nouveau et une compréhension plus fine du monde.

readonlymemories1Mais ce n’est pas le seul jeu éblouissant à ce titre. Les Visual Novels Va11-Hall A et Read Only Memories sont deux exemples incroyables diffusant des messages féministes et militants forts sans jam ais forcer le joueur à voir ce qui pourrait rentrer en conflit avec ses représentations. Ainsi, ces jeux introduisent le plus naturellement du monde des personnages hétérosexuels, homosexuels, transgenres, cisgenres. Et cela fonctionne. Les personnages étant cohérents avec l’univers futuriste de ces jeux, le joueur ne passe pas son temps à s’interroger sur la pertinence des choix du game designer pour « une meilleure représentativité si critiquée par les mouvements haineux comme celui du Gamer Gate » et tout de suite, il éprouve de la sympathie et de la tendresse pour des personnes qui lui sont étrangères. Dans Read Only Memories, le joueur fait plusieurs fois la rencontre d’humains génétiquement modifiés et dans le jeu il va lutter pour leurs droits à être égaux aux humains non modifiés génétiquement. Il est évident qu’il s’agit ici d’une allégorie des luttes contre le racisme et pour l’égalité des droits.

Undertale est lui aussi un cas d’école lorsqu’il s’agit de susciter la compassion et l’empathie. A ce jour, Undertale est le seul jeu de rôle où le joueur peut faire le choix de ne tuer personne. Sauf que pour cela, Undertale aurait pu simplement proposer une règle permettant d’esquiver tous les combats or, il nous oblige aussi à participer aux combats. Ainsi, le seul moyen que le jeu met à notre disposition pour ne tuer personne est une option « agir » signifiant au joueur qu’il doit installer un dialogue avec ses potentiels ennemis. Voilà l’une des forces de ce jeu. Il nous indique que les conflits peuvent toujours se résoudre par le dialogue et qu’il ne doit jamais y avoir d’escalade à la violence. Prenons un exemple simple dans ce jeu : pour éviter de tuer le premier boss, le joueur doit choisir l’option « fuir » plus de 20 fois de suite. C’est quelque chose de totalement contre intuitif dans les jeux vidéo. Tout le monde abandonnerait au bout de 2-3 essais voyant que rien ne se passe. Le jeu teste ici votre détermination à éviter les conflits. Il montre aussi que l’usage de la violence est la méthode la plus facile mais aussi celle qui génère le plus de regrets.

Ces jeux qui peuvent changer notre avenir.

Et encore, il existe tant de jeux vidéo qui nous poussent à comprendre cet Autre. J’aurais pu parler de Metal Gear Solid qui a toujours su donner une représentation complexe de la guerre et des conflits économiques impliqués. J’aurais aussi pu parler de Spec Ops : The Line qui interroge les joueurs sur ces notions de bien ou de mal. J’aurais pu évoquer l’extraordinaire Papers, Please qui propose une vision des dérives racistes d’un état autoritaire.  Il y a tellement de jeux qui proposent des messages de paix. Alors oui, bien sûr, je peux comprendre l’intérêt ludique de tuer des ennemis mais je mettrai toujours en avant des jeux qui montrent à quel point cela peut être ludique de chercher à comprendre cette ennemi et d’en faire un allié.

Finalement, la liste de jeux dont je voudrais vous parler est longue mais je ne souhaite pas écrire ce soir un livre. Ainsi, comme le jeu vidéo est un art encore peu connu pour nos femmes et hommes politiques je ne saurais que trop leur conseiller de jouer aux jeux que j’ai cités, aux quatre premiers du moins qui ne présentent pas de difficultés motrices. A Notre président, puisque celui-ci semble vouloir contrattaquer rapidement, je recommande vivement de jouer à Undertale. Il me rappelle le personnage d’Asgore, ce roi qui dans le jeu, succombe à l’escalade à la violence. Aux personnes qui pensent que la peine de mort ou tout jugement décomplexé est un mal nécessaire, je leur propose de jouer à Her Story pour comprendre que ces peines sont bien plus faciles à appliquer quand nous ne sommes pas juges. Aux personnes se revendiquant proches d’un mouvement extrémiste, il faut que vous puissiez essayer VA11-Hall A ou Read Only Memories, je parie que votre comportement dans le jeu et les sentiments que vous développerez pour certains personnages iront à l’encontre des propos que vous tenez habituellement. Pour tous les autres, cessez de glorifier les jeux qui font de la violence quelque chose de ludique. Il ne s’agit pas de les interdire loin de là, mais disons que je pense que ce serait bien si on jouait aussi à d’autres jeux, des jeux qui ne font pas des « autres » des ennemis à abattre. ■

Esteban Grine, 2016

Undertale-HD-Wallpaper

 

The Beginner’s Guide, une introduction à la pensée d’Umberto Eco

The beginner’s Guide est un jeu fantastique, non pas que son gameplay soit particulièrement incroyable. Je n’irais pas non plus jusqu’à dire qu’il s’agit d’un jeu auquel il faut avoir joué pour justifier d’une certaine culture vidéoludique. Sorti en 2015, TBG offre quelque chose de très rare et d’extrêmement précieux dans le paysage du Jeu Vidéo : il propose une vision d’auteur, une véritable réflexion sur le médium et sur la relation qu’entretient le joueur avec le développeur. Cependant, serait-il trop prétentieux de supposer qu’il n’y a qu’une seule et unique façon de comprendre TBG ? Parce que finalement, c’est contre cette idée que lutte Davey Wreden dans ce jeu. Il lutte d’ailleurs contre beaucoup de préconçus autour du jeu vidéo mais clairement, dans The Beginner’s Guide, Wreden dresse une critique acerbe de la façon dont les joueurs et les critiques récupèrent des œuvres vidéoludiques et transforment le message initial du jeu, ou du moins, tentent d’imposer une certaine vision, une certaine compréhension comme étant la seule et unique “bonne” compréhension.

BeginnersGuideSpot2Et plus je parcourais le jeu, plus je commençais à raccrocher le propos de Wreden à un très grand penseur du XXème siècle. Par le passé, lorsque j’avais parcouru pour la première fois le très intéressant Stanley Parable j’avais tout simplement aimé cette expérience. La relation que l’on développe avec le narrateur m’avait bluffé à l’époque. Cependant, je n’avais pas poussé la réflexion plus loin. J’y voyais alors un jeu qui invitait le joueur à s’interroger sur la notion de choix dans les Jeux Vidéo, comme toutes les analyses qui ont été publiées à ce moment d’ailleurs. Cependant, avec The Beginner’s Guide, l’œuvre de Wreden a fait sens nouveau. J’ai cette impression que Wreden est en train de formaliser une théorie du jeu vidéo. Alors quand je parle de “théorie” je ne pense pas qu’il s’agit d’une théorie absolue qui s’appliquerait dans toutes situations mais plutôt une certaine réflexion sur Jeu Vidéo, à l’instar de ce que Jonathan Blow est lui aussi en train de faire dans une autre direction.

Et cette réflexion, soutenue par Wreden, existe depuis quelques temps dans la recherche. En effet, je soutiens la thèse que Stanley Parable et The Beginner’s Guide sont des relectures et des adaptations vidéoludiques de deux œuvres fondamentales de la pensée d’Umberto Eco que sont respectivement Lector in Fabula et les Limites de l’interprétation. Ce qui est donc extraordinaire dans les œuvres de Wreden, c’est à quel point ses jeux présentent des similitudes avec les réflexions proposées avec les travaux d’Umberto Eco.

Le rôle du joueur-lecteur

Pour faire très simple, Lector In Fabola, sous-titré “le rôle du lecteur”, est un essai sur la participation du lecteur dans la co-construction du récit avec l’auteur. Je ne vais pas revenir sur l’intégralité de l’essai mais je vais aborder l’une des idées et théories centrales. Celle-ci concerne le concept de “Lecteur-Modèle”. En effet, dans son essai, Eco critique énormément le schéma “classique” de la communication. Ce schéma “classique” représente l’acte de communication sous la forme d’un transfert d’un message entre un émetteur et un récepteur. Adapté à la lecture, ce schéma prend la forme d’un acte de communication entre un auteur et un lecteur au travers d’un medium : le livre. Or, Umberto Eco propose de conceptualiser le lecteur comme une figure extrêmement active dans la construction d’un récit. En effet, le message transmis par l’auteur est composé de “codes”. Cependant, ces “codes” ne font pas forcément référence aux mêmes choses chez le lecteur et l’auteur. Ainsi, lorsque le lecteur décode le message d’un livre, il apporte de nombreuses références personnelles. Eco utilisait notamment la très belle expression de “promenades inférentielles” pour exprimer le fait que le lecteur puise dans son “stock” de connaissances pour décoder le message d’un livre ; et ce décodage ne correspond pas forcément aux idées de l’auteur. Dès lors et avec cette conception de la littérature, on s’aperçoit du caractère interactif de l’acte de lecture. Cette acte conduit forcément à la co-construction d’un texte final qui n’est de facto pas totalement le texte que l’auteur souhaite transmettre. Ainsi, ce dernier a pour tâche de mettre en place une stratégie discursive, un terme un peu barbare qui signifie une idée plutôt simple : une stratégie qui doit susciter l’adhésion du lecteur ciblé et le maintenir dans son acte de lecture. Donc au travers de l’œuvre, l’auteur doit mettre en place toute une stratégie dont le seul but est de s’assurer que le lecteur parcourra l’intégralité du texte.

begg3Cette idée est forcément connexe de la notion de choix dans le parcours d’une œuvre ou d’un média. Le lecteur fait le choix de “coopérer ou non” avec l’auteur afin que le récit se poursuive ; et cela suscite une question directe à notre sujet : le joueur fait-il plus de choix qu’un lecteur ? Voilà une question forcément enflammée qui est au centre de nombreux débat entre joueurs de Jeux (vidéo, de rôle, de plateaux). Ainsi, la stratégie d’un Jeu ou d’un livre est de restreindre le plus possible les choix du joueur/lecteur afin que le message transmis corresponde le plus possible à ce que souhaite transmettre l’auteur, tout en donnant l’illusion d’une très grande liberté d’action. Dans cette logique, le choix est une illusion nécessaire pour le joueur car ce sont les choix qu’il pense faire qui donnent véritablement “sens” à l’expérience. L’art du Game Designer est donc de créer de la contingence tout en créant l’illusion de la prise de décision. Nous pourrions aller plus loin en énonçant que selon Wreden, l’art du Game Design est de créer l’illusion de la contingence.

L’illusion du choix comme mécanique central chez Wreden

"Suivre l'aventure"
« Suivre l’aventure »

Cette illusion du choix et la participation volontaire et active du joueur est le cœur du gameplay de Stanley Parable. Dans ce jeu, Wreden, au travers du narrateur, propose une expérience scriptée au joueur. Cependant, contrairement à un jeu d’aventure du type TellTale,  le jeu laisse le “choix” au joueur de poursuivre ou non l’aventure selon le script prévu par le narrateur. Tout l’objectif du joueur va donc être de s’émanciper du script et de créer de l’émergence, attention spoiler : sans jamais y arriver. La thèse de Stanley Parable est donc très tranchée : le joueur ne peut pas sortir du cadre du jeu, il n’y a pas de “liberté” qui ne soient pas déjà prévues par l’auteur (cela correspond notamment à l’idée de Colas Duflo qui énonce que c’est la règle du jeu qui crée la liberté du joueur). Malgré la sensation de contrôle, c’est toujours le game designer qui est aux commandes. Cette thèse est sans compromis puisque cela remet aussi en cause l’idée de gameplay émergent. Pour Wreden dans Stanley Parable, l’émergence n’existe tout simplement pas dans une activité ludique aussi rationalisée que le jeu vidéo.

Finalement, on retrouve dans ce jeu de nombreuses idées d’Umberto Eco concernant la nécessaire participation du joueur au bon déroulement de l’histoire. Le joueur doit être “volontaire”, il doit accepter de se laissé convaincre afin de poursuivre l’œuvre. Cependant, tout le gameplay du jeu réside dans la proposition suivante : le joueur doit essayer de s’émanciper de la narration, il doit tester les limites du jeu pour constater par lui-même que la liberté dans un jeu n’est qu’une illusion. Le fait est que nous nous apercevons bien vite que toute les situations imaginées par le joueur pour “sortir” du jeu ont déjà été imaginées par le développeur. Autrement dit, toutes les actions ont déjà été prévues, déterminées. Il n’y aurait donc que des jeux à progression : où le gameplay est totalement scénarisé par le game design.

Quand les jeux « refusent » de faire progresser le joueur

On retrouve aussi cette même thématique dans The Beginner’s Guide. Cependant, celle-ci est présentée d’une autre manière. Dans Stanley Parable, la progression est relativement simple. Or, TBG propose des expériences vidéoludiques qui sont en réalité quasiment insurmontables pour le joueur. Contrairement à ce qui a été énoncé concernant la stratégie discursive d’une œuvre, les jeux de Coda, le développeur des jeux qui nous sont présentés, ont mis en place une stratégie empêchant la progression du joueur. Ce dernier ne peut avancer que grâce à la présence de Davey, le narrateur qui au fur et à mesure, nous créer des passes-droits. Encore une fois, la volonté du joueur est mise à rude épreuve car bien que parfois, il lui est possible de résoudre par lui-même les situations de gameplay et bien, nous supposons qu’il va plutôt choisir de faire confiance au narrateur pour que celui-ci lui face vivre les expériences plus rapidement. Encore une fois, Wreden soutient la thèse que le joueur ne peut quasiment rien faire sans le développeur et qu’il ne peut interagir que parce que cela a été déterminé et autorisé par le développeur. Il y a d’ailleurs dans The Beginner’s Guide des passages impossibles à passer sans que le joueur “consente” à se faire aider par le narrateur.

ss_051b1a6ffae5c8d41bee9bc85e3aa6178ff8d548-1920x1080
Ici, l’expérience proposée au joueur est extrêmement limitée, il ne fait que parcourir un « niveau en couloir » mais une fois que le narrateur « supprime les murs », le joueur découvre un dédale immense qu’il n’aurait jamais pu découvrir seul.

Ainsi, nous constatons que TBG et Stanley Parable sont de formidables incarnations vidéoludiques du concept de Lecteur-Modèle développé par Umberto Eco. Les deux œuvres proposent chacune une réflexion de Wreden sur le rôle du joueur lorsque ce dernier joue et c’est une vision finalement très marquée, volontairement ou involontairement, par la pensée d’Eco mais TBG va encore plus loin en abordant la récupération d’une œuvre par le lecteur ou le critique. On entend par “récupération” le moment un individu ajoute du sens à une œuvre qui n’est pas souhaité pour l’auteur originel de ladite œuvre. Nous abordons donc maintenant le cas de la sur-interprétation des œuvres ou le fait de les dénaturer dans le but de mettre en valeur sa personne, en tant que critique, plutôt que l’œuvre elle-même. Wreden dresse donc une critique acerbe de ce phénomène mais aussi de la critique en général. Je conseille vivement au lecteur d’aller se renseigner concernant l’analyse de la personne du “développeur” dans TBG car nous ne nous y attarderons pas ici.

The Beginner’s Guide : les limites de l’interprétation

BeginnersGuideSpot2Dans le dernier jeu de Wreden, l’histoire est la suivante : la personne de Davey nous propose d’explorer les jeux d’un développeur obscure nommé Coda. Il s’agit donc finalement d’une visite guidée puisque l’œuvre de Coda est commentée par Davey en même temps que nous la partageons. Pour continuer les parallèles que nous dressions auparavant. The Beginner’s Guide est la version vidéoludique d’une œuvre littéraire commentée dans laquelle le lecteur lit, par exemple, un livre de Zola et en même temps les commentaires de bas de pages faits pour nous aider à comprendre la diégèse ou la volonté de l’auteur. Ainsi, si le titre semblait assez abscons, on comprend ici qu’il s’agit d’une sorte de manuel d’introduction à l’œuvre d’un auteur ; Coda, dans ce cas. A mon sens finalement, il s’agit aussi d’une introduction à la pensée d’Umberto Eco. Le jeu nous propose donc un contexte similaire puisque nous ne jouons pas seuls les jeux développés par Coda. Nous sommes simplement invités à parcourir les niveaux selon l’angle du narrateur. Ainsi, au tout début du jeu, il s’agit surtout d’une expérience qui cherche à nous partager la compréhension qu’a le narrateur des œuvres de Coda.

Ainsi, nous avons vu dans les précédents paragraphes que l’expérience proposée par The Beginner’s Guide est un pari risqué. Il s’agit véritablement de quelque chose d’atypique puisque si nous devions résumer le jeu en une phrase, il s’agirait d’énoncer que TBG est un jeu qui a pour objectif de partager la compréhension d’un corpus de Jeux d’un développeur par un Critique ou tout simplement une personne appréciant le travail du-dit développeur. Cependant, le twist final du jeu nous énonce que le narrateur, le critique, a en réalité modifié les jeux du développeurs afin que ceux-ci correspondent à sa représentation, à ses théories, d’où la référence au deuxième livre d’Umberto Eco : Les limites de l’interprétation. Dans ce second livre, Eco propose une méthode pour définir ce qu’est le travail de critique et les limites que ce dernier doit se fixer afin de respecter la volonté de l’auteur. C’est ce constat qui est dressé dans The Beginner’s Guide.

031

Dans l’un des derniers niveaux du jeu, Coda s’adresse directement au narrateur en lui demandant explicitement de ne plus détourner le message originel de ses jeux. En tant que joueur, on apprend par la même occasion que le narrateur nous a menti. En effet, très tôt dans le jeu, ce dernier nous énonce que Coda conclut ses jeux en ajoutant un lampadaire dans le dernier lieu visité par le joueur de chaque expérience. Or, il apparait à la fin du jeu qu’il s’agissait en fait du narrateur qui rajoutait ces lampadaires à la fin. Nous pouvons interpréter cela de deux façons. Premièrement, nous comprenons cela comme une critique de la quête éternelle de sens de la part des fans. Au fil de leurs réflexions, ceux-ci se sentent obligés de rationaliser et de combler tous les trous laissés par l’auteur. Cela peut atteindre son paroxysme lorsque ces fans modifient les œuvres initiales pour mieux correspondre à leur représentation de l’œuvre. Secondement, et conséquence de du premier point, Wreden dresse une critique acerbe des biais de confirmation que les lecteurs-joueurs mettent en place lorsqu’ils élaborent leur théorie pour comprendre l’œuvre. Selon Wreden, ces derniers supposent automatiquement que leur représentation est la seule “bonne” représentation et une fois cette dernière élaborée, les lecteurs-joueurs vont chercher dans l’œuvre uniquement des faits confirmant leur représentation/théorie. C’est ce que l’on appelle en épistémologie un biais de confirmation. 2015-09-29_00047-noscaleC’est ce qui se produit avec Davey, le narrateur. Si au début du jeu, sa réflexion semble cohérente, On s’aperçoit rapidement qu’il ne cherche dans les jeux de Coda que des phénomènes qui viennent soutenir ses théories en occultant de nombreux pans des jeux. Wreden critique aussi le public des critiques qui ne remet pas assez en question les schèmes logiques de ces derniers. Dans le jeu, cela se traduit par la totale confiance que l’on accorde extrêmement rapidement au narrateur. Il est aussi intéressant de noter que l’on va suspend alors notre esprit critique puisque nous avons en face qui fait office d’autorité. Il a tout un discours du narrateur expliquant sa relation avec le développeur. Une brève étude du discours fait apparaitre qu’il s’agit là d’une simple stratégie cherchant à convaincre le récepteur que l’émetteur est “compétent” et que le premier peut accorder sa confiance au second.

Les jeux de Davey Wreden sont des introductions à la sémiotique.

Davey Wreden, au travers de ces deux jeux a su nous proposer une conception intéressante du jeu vidéo. Celui est un médium (un message donc si l’on souhaite faire référence à Mc Luhan) qui met en place une stratégie discursive créant de la contingence et un sentiment de liberté au joueur tout en sachant que cette dernière est fictive. Cependant, on s’aperçoit que Wreden fait finalement référence aux propos d’Umberto Eco, volontairement ou involontairement. En effet, Wreden et Eco sont tous les deux d’accord pour énoncer que le lecteur-joueur est un acteur important dans la co-construction d’un récit, d’une histoire narrée. C’est finalement ce dernier qui effectue l’action et qui poursuit l’histoire, l’écrivain et le développeur ont donc énormément besoin d’obtenir la validation du lecteur-joueur. Sans cela, le récit ne peut se mettre en place.

Wreden et Eco semblent aussi d’accord pour placer des limites à l’interprétation, cette dernière ne doit pas porter atteinte au message que l’auteur souhaite transmettre. Ainsi, bien que les deux penseurs acceptent le nombre infini de possibles interprétations, ils mettent tous deux l’accent sur le besoin d’une méthode afin de limiter ce qui peut être des biais cognitifs difficilement repérables. ■

Esteban Grine, 2016

2945422-seeing+themes+get+workshopped+over+multiple+games+is+fascinating

Sources :

Eco, U. (1985). Lector in fabula ou coopération interprétative dans les textes narratifs (trad. de l’it. par M. Bouzaher). Paris, Grasset.
Eco, U. (1992). Les limites de l’interprétation. Grasset.
Wreden, D. (2011) The Stanley Parable.
Wreden, D. (2015) The Beginner’s Guide.

 

Lieve Oma, les grands-mères sont plus cools que les trolls

Lorsque l’on souhaite commencer une critique que l’on veut intéressante, il est normalement souhaitable d’accrocher le lecteur avec une citation courte dont l’impacte se fera ressentir pendant toute la lecture. C’est pourquoi si je souhaitais parler de Lieve Oma, un petit chef-d’oeuvre vidéoludique créé par Florian Veltman et sorti en 2016, et bien je commencerais par citer le titre d’un célèbre article de Gonzalo Frasca sorti dans le premier volume de la revue scientifique Game Studies en 2001.

snapshot20160703120528“Les Grands-mères sont plus cools que les trolls”. Pour le lecteur averti, il deviendra donc évident que nous allons soutenir cette thèse puisque l’ensemble des mécaniques de gameplay de Lieve Oma n’ont pour seul objectif que de prouver cela. L’objectif de Frasca, dans cet article, était de soutenir l’idée que les jeux vidéo sont des œuvres tout à fait capables pour diffuser des émotions fortes aux joueurs et pas seulement celles liées à l’amusement, le fun et l’humour. Les jeux vidéo permettent aussi de partager la tristesse, la compassion ou tout simplement l’empathie. En 2001 donc, Frasca militait pour l’apparition de plus de jeux qui proposaient des expériences émotionnelles fortes liées au partage d’histoire de la vie ordinaire. Je vous rassure, il milite toujours pour cela mais en 2016 et avec les extraordinaires jeux que sont Paper Please, Undertale, Hyper Light Drifter, Cibele, Lieve Oma et tant d’autres, on peut dire que son vœu a été exaucé.

« Partons à la cueillette aux champignons »

Mais revenons à notre sujet. Lieve Oma vous met dans la peau d’un jeune enfant qui part à la cueillette aux champignons avec sa grand-mère suite au récent divorce de ses parents. Cependant, ce serait une erreur de penser que le jeu ne se résume qu’à cela. Il est tout d’abord intéressant de noter qu’il fait parti du genre des “Jeux Expressifs”. Ce concept, qui a  été mis en avant par Sébastien Genvo, permet de regrouper les jeux vidéo dont l’objectif est la transmission d’émotions sans imposer un discours ou une vision. Ainsi, contrairement aux Persuasive Games de Ian Bogost, les Expressive Games sont seulement là pour vous partager des émotions sans chercher à convaincre ou persuader le joueur. Ils ne vous disent pas s’il y a une bonne façon de penser ou tout simplement s’il y a une bonne façon de vivre une expérience. Ils sont là et c’est après au joueur uniquement de s’installer confortablement dans une posture réflexive. C’est ce dernier qui doit tirer ses propres conclusions. Lieve Oma fait donc partie de cette seconde catégorie. Son game design nous permet de ressentir ce qu’a vécu Florian Veltman à un moment particuliers de sa vie : le divorce de ses parents et la période de transition qui a suivi.

snapshot20160703120633Lieve Oma, derrière ses couleurs pastels, est un jeu aux thématiques graves : il s’agit de faire ressentir aux joueurs ce qu’est la perte de ses repères lorsque le cadre familiale se déconstruit. Ce jeu, c’est aussi une lettre d’amour aux relations entre grands-parents et petits-enfants. Lorsque la cellule familiale se déconstruit, les grands-parents sont là pour assurer une forme de relais dans la construction identitaire de l’enfant. Enfin, Florian Veltman voulait nous faire partager l’importance de la relation qu’il entretient avec sa grand-mère.

Un gameplay focalisé sur « Oma »

Ainsi, après avoir défini les objectifs de ce jeu, nous allons maintenant montrer comment il arrive à faire cela par son game design et son gameplay.

Tout d’abord, il est particulièrement intéressant de noter comment le gameplay du jeu est focalisé sur la Grand Mère et non sur l’avatar du joueur. Ainsi, plutôt que de centrer le cadre de l’action sur notre personnage, le jeu centre notre attention sur la grand-mère et c’est véritablement en s’éloignant que le jeu recadrera la caméra sur le personnage du joueur. Cependant, ce recadrage n’intervient qu’au tout dernier moment, lorsque l’on est le plus éloigné. Ici, implicitement, l’objectif est de nous faire comprendre que nous en tant que joueur, nous devons concentrer notre attention sur cette “Oma”. Un autre mécanisme s’ajoute à cela pour venir renforcer ce sentiment. Le jeu nous permet de courir. Cependant dès que nous sommes trop loin de notre grand-mère, nous ne pouvons plus que marcher. Ici, le jeu nous oblige à évoluer en fonction d’un certain périmètre dont le centre est “Oma”.

Ainsi, le jeu nous oblige par son gameplay à rester proche de la grand-mère. Cependant, un dernier mécanisme s’ajoute pour nous faire comprendre que nous sommes un enfant. Lorsque nous marchons tranquillement aux cotés d’Oma, nous nous apercevons que celle-ci marche plus vite que nous. Nous devons donc nous remettre à courir par à-coup pour rester au même niveau. Dans d’autres jeux, cela serait perçu comme un défaut classique, un syndrome qui fait tâche dans tous les jeux comportant des quêtes d’accompagnement. Ici, ce mécanisme est utilisé pour symboliser notre jeune âge : nous incarnons un enfant et le jeu nous rappelle ce que c’est d’en être un marchant à coté d’un adulte grâce à cela.

Tout cela permet de constater que le jeu nous installe dans une position vulnérable. Nous ne sommes pas en équilibre dans nos interactions sociales. Ce sentiment est renforcé par les couleurs utilisées par Veltman dans le character design et l’environment design de son jeu. En effet, “Lieve Oma” nous installe dans une forêt en automne. L’environnement fait parti d’un tout. Notons particulièrement les couleurs de la grand-mère. Celles-ci symbolisent la relation qu’a ce personnage avec la forêt. Le manteau d’Oma est d’ailleurs de la même couleur que celle des arbres et c’est doublement intéressant. Premièrement, cela attache forcément des connotations de longévité et de résistance au temps et aux chocs de la vie. Il devient facile d’assimiler la grand-mère à un arbre, une force de la nature, quelque chose d’immuable et qui ne peut pas s’effondrer. Secondement, Et bien cela donne le sentiment que la forêt et la grand-mère ne sont en faite qu’une seule et même entité qui accueille de manière bienveillante l’enfant que nous incarnons.

snapshot20160703120810

Les jeux de couleurs sont aussi extrêmement intéressants entre notre avatar et le reste du jeu. Nous avons démontré dans le précédent paragraphe que la forêt et notre grand-mère partageaient un ensemble de points communs or, notre personnage se retrouve en bleu. Alors bien entendu, il est facile de dire qu’il s’agit de la couleur complémentaire de l’automne et des couleurs utilisées pour la forêt. De plus, nous pouvons aussi noter que cela permet de créer un sentiment d’étrangeté. Notre avatar ne se sent pas encore à sa place dans ce nouvel environnement et cela se manifeste par sa couleur bleue qui dénote totalement du reste du jeu. Cela nous fait enfin ressentir qu’en incarnant cet enfant, nous ne nous sentons pas encore à notre place dans cette environnement, dans cette forêt, avec notre grand-mère.

La poésie dans le game design de « Lieve Oma »

Nous avons déjà bien étayé notre propos sur le jeu et pourtant, il faut maintenant que nous abordions comment la mécanique principale du jeu est amené par le game design. En effet, nous avons montré comment le jeu arrivait à nous faire comprendre que nous devions nous concentrer sur notre grand-mère et qu’en tant qu’enfant, nous ne sentions pas à l’aise dans cet environnement. Florian Veltman propose un game design tout en finesse et poésie. En effet, il veut que le joueur se comporte d’une façon très précise pour lui communiquer une certaine expérience. Très tôt dans le jeu, on nous indique par un feedback extra-diégétique qu’il faut ramasser des champignons. Ici, le jeu trompe complètement le joueur. Ce dernier va partir tête baissée à la recherche de champignons sans faire attention à la grand-mère qui poursuit quand à elle son chemin. Cependant, progressivement et grâce aux mécaniques que nous avons déjà expliquées, le joueur va moins se concentrer sur les champignons et finir par tout simplement marcher aux cotés de sa grand-mère. L’auteur, par les mécaniques qu’il a mises en place, veut nous faire vivre son jeu de cette façon précise : il veut que l’on se comporte comme un enfant courant partout au début d’une balade puis finissant par rester aux cotés des adultes. N’est-ce pas de cette façon que tout le monde s’est comporté étant enfant ? Veltman ajoute tout de même une incitation pour pousser le joueur à faire cela : lorsque ce dernier est proche d’Oma, cela déclenche des boucles de dialogues. par cette simple mécanique, le joueur est incité à resté près de sa grand-mère vidéoludique.

snapshot20160703120646Et avec ce dernier constat, nous venons de mettre l’accent sur la boucle fondamentale de gameplay : le joueur marche à coté d’Oma et les récompenses de ce comportement sont les lignes de dialogues pour enfin comprendre les enjeux de l’histoire de Lieve Oma. Au fur et à mesure des dialogue, nous apprenons, que les parents de l’enfant ont divorcé et que celui-ci, ne comprend pas véritablement pourquoi tout est en train de se déconstruire : tous ses repères s’effondrent. C’est pourquoi il décide de partager avec sa grand-mère ses inquiétudes. Ces dernières portent sur l’abandon progressif de ses anciens amis, la peur de rencontrer de nouveaux camarades et enfin, de ne plus avoir d’espace lui appartenant avec ses objets, son univers.

La diégèse du jeu prend aussi en compte cette ouverture de l’enfant à sa grand-mère. En effet, Veltman a bien su designer le moment où le joueur commence à vraiment écouter la discussion entre l’enfant et la grand-mère. En même temps, le jeu nous fait traverser plusieurs tableaux allant de l’automne  symbolisée par ses couleurs marrons orangées puis Hiver et enfin le printemps. Le jeu nous fait aussi traverser dans ce même ordre les saisons mais en incluant un écart d’une quinzaine d’années entre le premier automne que l’on traverse et l’hiver. Ainsi, c’est toute une symbolique passionnante qui se met en place : l’automne correspond au problème que l’enfant vit et sa fermeture sur le monde extérieur. L’hiver laisse beaucoup de place à l’interprétation : n’étant pas accompagné par notre “Oma”, on peut supposer que cela correspond au moment de sa (future) disparition. Enfin, le printemps est symbolisé par la venue progressive de la couleur verte dans la forêt et c’est précisément le moment où l’enfant finit d’exposer l’ensemble de ses angoisses à sa grand-mère et quand il commence à se sentir réconforté.

snapshot20160703120712

Lieve Oma, un petit trésor du Jeu Expressif

Lieve Oma est donc un petit jeu qui cache un trésor de game design. Son seul objectif est de nous faire comprendre la relation que Veltman entretient avec sa grand-mère et quelle importance elle a eu lors du divorce de ses parents. Au début du jeu, si l’on ne comprend pas bien pourquoi nous partons cueillir des champignons, il est évident après coup qu’Oma nous y a emmené pour nous faire changer d’air. Et Clairement, le jeu réussit parfaitement son objectif. Veltman s’impose aussi comme l’un des grands Game Designers de la vie ordinaire, des gens normaux et des situations banales. Lieve Oma fait partie des rares expériences à nous engager émotionnellement de manière aussi douce-amère. Ce petit roller-coaster émotionnel nous a fait traverser une forêt et une tranche de vie difficile. Il nous fait comprendre ce que vit un enfant qui doit affronter la déconstruction d’une famille pour en reconstruire une nouvelle, peut-être plus petite ou plus grande, çà, le jeu ne nous le dit pas. Cependant, il précise bien que tout finit toujours par s’arranger et qu’il y a un après. ■

Esteban Grine, 2016

snapshot20160703120937

Sources :

Frasca, G. (2001). The Sims: Grandmothers are cooler than trolls. Game Studies, 1(1).
Veltman, F. (2016). « Lieve Oma » https://vltmn.itch.io/lieve-oma

 

Hyper Light Drifter, Une allégorie de la maladie

Bonjour Internet, c’est Esteban Grine et encore une fois merci de lire ce texte issu de “Capsule Technique”, une émission francophone qui parle de Game Design.

Dans cette étude de cas, nous allons démontrer que Hyper Light Drifter peut être interprété comme une allégorie de la maladie et du parcours d’un patient en phase terminale.

 
Hyper Light Drifter est un jeu de Heart Machine sorti en 2016, son game designer est Alex Preston. Celui-ci vous fait incarner un “drifter”, c’est-à-dire un aventurier qui parcourt un monde en ruine à la recherche d’anciennes technologies. Très tôt dans le jeu, on s’aperçoit que notre avatar est souffrant et qu’en plus de technologies, il est à la recherche d’un remède à sa maladie.

Parler d’hyper light drifter est difficile. Le Jeu a complètement échoué sa campagne de communication. La stratégie pré-discursive du titre était de nous proposer une expérience ressemblant à Zelda. Les joueurs ont donc été pris au dépourvu lorsqu’ils se sont retrouvés face à un Dark Souls pixelisé.

Concernant le jeu en lui-même, hyper light drifter propose un gameplay assez conventionnel reposant sur l’alternance de phases d’exploration et de phases de combats en arène. Une fois les règles du jeu maîtrisées, celui-ci devient extrêmement plaisant à parcourir. La sensation de contrôle et de maîtrise des actions in-game est visible et une fois que tout cela est acquis, le gameplay se transforme quasiment en une danse parfaitement exécutée.

De même, l’environment design du jeu offre un pixel art somptueux qui après FEZ, définit un nouveau standard en termes de créativité et de réalisation. Chaque scène est un tableau en pixel’art. De même, il est impossible de ne pas voir Hyper Light Drifter comme un hommage au “Château dans le Ciel” et “Nausicaa” de Myazaki et du studio Ghibli.

Bref, HLD est un exercice très propre, quelque chose de parfait qui est difficilement attaquable sur sa forme. Un peu comme un devoir rendu par un premier de la classe. Aux premiers abords, le travail respire la qualité mais il faut vraiment creuser pour savoir si le jeu n’est pas qu’une application mécanique de concepts de game design.

Par contre, à la première lecture, la courbe de difficulté de HLD est assez éprouvante. Le premier boss est un pic de difficulté qui contraste énormément avec la difficulté précédemment maîtrisée par le joueur. Globalement, HLD est un Dark Souls tout en pixel Art et en mode quasiment de boss rush. cependant, il ne faut pas nécessairement voir le coté castrateur et la quête identitaire qui cela implique dans la série de Miyazaki.

Bref, une fois le jeu fini, et bien je ne savais pas trop quoi penser. Je me suis retrouvé un peu bête devant un exercice de style parfaitement mené par Alex Preston et son équipe. Et puis c’est tout, rien de plus, j’ai pensé que le jeu avait été un peu trop rapide dans sa conclusion et cela a créé un sentiment d’incompréhension avec une question en tête : “suis-je passé à coté du jeu et de son message ?”

Hyper Light Drifter, une allégorie de la maladie

Et puis plus rien, pendant 2 jours, je n’ai plus pensé à HLD. Finalement, après la lecture de quelques paratextes, j’ai appris qu’Alex Preston souffrait d’une condition au cœur et qu’il a plusieurs fois été hospitalisé pendant le développement du jeu. C’est à ce moment que je compris la volonté de Preston de partager son expérience de la maladie dans un jeu vidéo. HLD pourrait presque être considéré comme une autobiographie vidéoludique.

Mais cela pose une question fondamentale pour le game design. Comment représenter par le gameplay ce que cela fait de souffrir d’une condition similaire à celle d’Alex Preston ?

snapshot20160611121744

Et c’est à partir de ce moment que HLD devint un véritable chef-d’œuvre à mes yeux. Là où certains jeux ne représentent des émotions ou des phénomènes uniquement par l’environnement, les décors, Preston a su retranscrire la maladie dans le gameplay et notamment la courbe de difficulté du jeu.

tout d’abord, l’environment design suggère la maladie au joueur. Le monde dans lequel on évolue est détruit, il ne s’agit quasiment que d’îlots comme si la destruction se faisait à petit feu. Tout dans la diégèse du jeu suggère que ses habitants subissent une forme d’aliénation par la maladie et la destruction.

L’aliénation du corps

Chaque zone du jeu incarne une forme d’aliénation et de maltraitance. Ainsi, au nord, les corps des habitants ne leur appartiennent plus mais sous la possession d’une secte religieuse et cannibale. A l’est, les habitants sont devenus les esclaves des hommes crapauds. A l’ouest, le cristal attaquant la forêt se comporte comme un virus se propageant et enfin, la zone du sud suggère la manipulation génétique et la transformation des corps par la science et la recherche. Ainsi, chaque zone du jeu montre l’aliénation et la destruction de l’homme, un homme qui est d’ailleurs à chaque fois dépossédé de son corps.

Si la diégèse du jeu expose et suggère un rapport à la maladie et à l’aliénation, c’est surtout par le gameplay directement que le jeu propose de nous faire comprendre la maladie. Dès le début, on nous expose que notre personnage est malade. Les pertes de contrôle et les crachats de sang suggèrent une condition au poumon ou au cœur, bref quelque chose de très grave et difficilement soignable par quelques soins de fortune prodigués au début du jeu.

L’un des premiers éléments identifiables concerne la façon dont notre héros regagne de la vie : on a l’impression de voir une injection à partir d’une seringue. C’est une référence directe à ce que Preston doit faire dans la vie de tous les jours.

Les ennemis : métaphores du virus

Concernant les ennemis, il est intéressant de noter la façon dont ils apparaissent aux joueurs. Toutes les zones proposent un ennemi de base identique. Puis au fur à mesure de l’avancée du joueur dans la zone, les ennemis se diversifient et leur puissance augmente. En général, le joueur rencontre à mi-parcourt un nouvelle ennemi plus puissant avant de voir apparaître le boss.

Les ennemis et  leur agencement dans le parcours du joueur peuvent être interprètés de deux façons; Premièrement, contrairement à ce que je disais concernant les boss comme des pics de difficulté, et bien nous pouvons contraster cela en disant que la rencontre des ennemis nous prépare aux patterns des boss. Le jeu, par son game design, nous prépare de manière implicite à affronter les boss. Secondement, il est aussi intéressant de voir les ennemis comme des métaphores d’un virus. Même si celui-ci à une base commune, il se développe de manière différente en fonction de son environnement.

Les bosses, allégories des crises cardiaques

Vient maintenant la question des boss. Ceux-ci sont des pics de difficulté gigantesque par rapport à la difficulté absolue du jeu. Même si la courbe de difficulté que j’ai présenté en début de vidéo est erronée, HLD est un jeu à progression. La difficulté est donc totalement maîtrisé par le game designer.

La difficulté absolue du jeu est élevée par rapport à la moyenne des jeux actuels mais les boss représentent des pics de difficulté qui vont frustrer encore plus les joueurs. Le premier boss est particulièrement éprouvant pour celui qui n’a que quelques heures de jeu derrière lui. Mon interprétation de cette difficulté est qu’elle symbolise le fait de vivre avec la maladie.

snapshot20160611121810

En temps normal, il est plus difficile de vivre avec une condition. Les boss du jeu représentent alors les crises que peut vivre un malade. Ainsi, en connaissant un peu mieux Alex Preston, j’ai ressenti les boss comme des métaphores de crises cardiaques : des moments particulièrement éprouvants évidemment. Puis, on s’aperçoit que le game design des zones suit exactement les mêmes boucles de gameplay et d’inter-réactions. On peut interpréter cela comme la routine qui s’installe dans la maladie. Le jeu crée donc une routine qui permet au joueur de comprendre ce que c’est de vivre avec une condition au coeur, un cancer ou autre. C’est une routine de vie difficile avec son lot de crises et ses éléments annonciateurs. Il y a donc un parallèle avec la réalité des patients, conscients de cette routine et de ce qui va se reproduire par la suite.

Il est intéressant de noter que dans cette réflexion, les joueurs ayant abandonné le jeu sans avoir battu le premier boss peut presque se comprendre comme un patient abandonnant sa lutte pour rester en vie. Le Jeu nous pousse à lutter pour notre survie, à surmonter les crises auxquelles nous faisons face. Il veut nous faire un tout petit peu comprendre ce que c’est de s’accrocher à la vie, à lutter pour surpasser une crise.

Vient le moment où sans trop le comprendre, les cycles routiniers finissent par s’accélérer, les crises, symbolisées par les boss deviennent de plus en plus fréquentes. Les mini-boss de la dernières zones du jeu sont scénarisés de sorte à faire comprendre cela au joueur si celui-ci n’avait pas remarqué qu’il passait de moins en moins de temps à parcourir les zones.

Alex Preston a particulièrement su maîtriser le rythme du jeu. Bien qu’il nous installe dans une routine, les boss surviennent trop tôt par rapport aux prévisions du joueur. Il y a donc tout un dialogue entre l’installation d’une routine, les anticipations du joueur et l’effet de surprise créé par l’apparition des boss.

Lorsque l’on est souffrant, on sait qu’une crise va de nouveau se produire, on connait les signes précurseurs mais on est toujours surpris. Et ça, Preston le transcrit parfaitement dans on jeu.

Le dernier boss est aussi lourd de sens. Il est extrêmement difficile à battre mais il existe une technique qui permet de gagner presque sans rien faire. Comme si un remède miracle apparaissait trop tard. Peut-être que l’on peut y voir la découverte d’un médicament. Ce dernier boss représente la dernière crise qui vit le malade. Le fait qu’elle soit aussi rapprochée dans le temps des précédentes ainsi qu’il n’y ait pas vraiment de phases exploratoires la précédant crée son imprédictibilité.

La relation patient-médecin incarnée par le personnage du Chien Noir

Vient maintenant la question épineuse de certains objets du jeu : Le chien noir et le cristal symbolisant la quête du joueur.

Hyper Light Drifter possède une histoire qui bien que présente, laisse beaucoup de place à l’interprétation. Comment ont disparu les géants ? Pourquoi avons-nous l’impression que le monde a été créé de toute pièce par une civilisation ancienne ? Comment les habitants ont réussi à survivre depuis cette grande guerre présentée en introduction ? De nombreuses théories ont émergé car la compréhension de l’histoire du jeu passe par un véritable dialogue entre le jeu et le joueur. Bien qu’il existe Une Histoire du Jeu, le joueur va être obligé d’aller chercher des références qui lui sont propres pour pouvoir co-construire un récit qui lui est propre. Umberto Eco parlait de “promenades inférentielles”.

Une théorie qui commence à faire office de standard explique notamment qu’il faut comprendre le chien comme étant la représentation d’Anubis, déité égyptienne de la mort. De même, on peut raccrocher ce chien noir au mythe éponyme dans la culture anglo-saxonne. Ce chien, vous le connaissez déjà puisque c’est notamment celui contre lequel Sherlock Holmes se bat dans le chien des baskervilles. Ainsi, ce personnage du jeu est annonciateur de la mort future du joueur.

J’ai personnellement une autre lecture de cette métaphore. J’aime particulièrement me raccrocher à la réalité ordinaire, la vie de tous les jours. Dans ce cadre là, on peut voir le chien noir comme une métaphore du docteur indiquant à son patient les épreuves qu’il va devoir traverser pour surmonter sa maladie. La toute fin du jeu est aussi extrêmement intéressante à ce sujet. Nous nous retrouvons auprès du feu en train de mourir et le chien noir nous regarde mourir comme un médecin qui resterait au chevet de son patient. La situation aussi est particulièrement grotesque. Les feux de camps sont généralement vus comme des points de repos où les joueurs regagnent leur énergie. Or ici, il s’agit du lieu de notre mort vidéoludique. la situation est donc lourde de sens dans la grammaire vidéoludique. En détournant les codes établies depuis peut-être Golden Axe, Alex Preston crée une situation familière au joueur et lui donne un tout autre sens.

Tout ce qui vient d’être dit me pousse à penser Hyper Light Drifter comme un jeu particulièrement pessimiste. Pendant tout le long du jeu, nous tentons de nous rapprocher du cristal. Celui-ci peut être vu comme notre sauveur ou comme la cause de notre maladie. Le fait de l’atteindre puis de s’en éloigner et le fait de vaincre le dernier ennemi du jeu pourraient nous laisser penser que nous avons surmonté les épreuves nécessaires pour guérir. Or, nous finissons tout de même par mourir malgré tous nos efforts. Ici, le jeu vidéo diffuse clairement un message fataliste sur la maladie et le parcours du patient. Ce dernier est voué à une mort certaine. L’absence de true ending confirme cette volonté d’exprimer la fatalité qui s’abat sur les personnes atteintes d’une maladie.

snapshot20160611121901

Conclusion

Aux premiers abords, HLD est finalement très austère, le gameplay est basique mais rigoureux. Nous n’avons pas une palette extraordinaire de mouvements mais ceux à notre disposition doivent être parfaitement maîtrisés. Malgré toutes nos actions, il est difficile de savoir si nous avons sauvé ou tout simplement impacté l’univers du jeu. Le jeu installe une distance entre le joueur et le monde, cette distance ressentie par un patient en phase terminal.

Ma démonstration avait pour objectif d’exposer Hyper Light Drifter comme une allégorie du parcours du malade. La courbe de difficulté du jeu en est l’incarnation dans le gameplay. De même, toutes les étapes du patient sont présentées : la relation avec son docteur et cette lutte impossible contre la mort.

HLD n’est pas un jeu auquel je souhaite véritablement rejouer mais il brille par sa capacité à nous faire comprendre un peu ce que c’est de vivre en souffrant d’une maladie. Injuste, parce que nous ne choisissons pas d’être malade au début du jeu, HLD excelle dans sa capacité à nous raccrocher à la réalité ordinaire de centaines de milliers de personnes souffrant d’un cancer ou d’une condition au coeur, au poumon et tout le reste. Il s’inscrit aussi dans les nouvelles formes vidéoludiques que sont les jeux autobiographiques et les memorial games comme That Dragon Cancer. Tout cela me laisse penser que l‘objectif du Hyper Light Drifter n’est pas spécialement d’être rejouable, car personne ne souhaiterait vivre une deuxième fois la maladie telle qu’elle est dépeinte dans ce jeu.

Et pour tout cela, j’éprouve une affection sans borne pour le travail d’Alex Preston. J’espère que maintenant, vous verrez plus dans ce jeu qu’un simple Dark Souls mais une oeuvre d’art dont l’universalité du message est transcendée par son aspect vidéoludique.

Internet, encore merci du fond du coeur de m’avoir lu, n’hésite pas à me donner ton avis, je serai très heureux de pouvoir discuter avec toi. En attendant, je t’aime beaucoup et te dis à la prochaine. ■

Esteban Grine, 2016.

snapshot20160611121916

 

La difficulté, cette illustre inconnue – CT02

Ah le jeu vidéo ! Surement l’un des sujets les plus abordés sur Internet. Alors comment aujourd’hui, dans la masse d’informations, se différencier ? Et bien l’équipe de LCV va tenter de répondre à cette question de deux façons différentes. Premièrement, nous souhaitons proposer une nouvelle expérience internet. Cela se matérialise par la volonté de conjuguer le potentiel transmédia du contenu internet avec une esthétique proche du journal papier. Deuxièmement, et bien, nous faisons le choix de nous inscrire dans une démarche à forte plus-value intellectuelle.

Nous souhaitons faire de LCV la première revue de vulgarisation et de partage des études, des réflexions pro-amateurs et des diverses sciences dont l’objet principal est le jeu et le jeu vidéo. Serait-ce une démarche prétentieuse, à l’instar des cahiers du cinéma ? Oui, peut-être bien. Cependant, nous pensons que tous les contenus ont le mérite d’exister sur internet. Il ne faut surtout pas croire que LCV serait un repère de journalistes hipsters crachant sur toute la culture mainstream, bien au contraire. Ce sont des amoureux de la culture vidéoludique dans son ensemble. Nous avons fait le choix de proposer un contenu d’inspiration scientifique ici car nous pensons qu’il n’est pas assez présent et visible sur internet mais n’allez pas vous imaginer que nous ne faisons que nous prendre la tête sur le jeu vidéo.

Je le répète : nous aimons tout et considérons que tous les contenus présents sur internet ont le mérite d’exister.

Sur ce, nous vous souhaitons une passionnante lecture de notre revue mensuelle, édition spéciale : L’Essence du Jeu Vidéo. Si l’édition de ce mois vous a plu, n’hésitez pas à vous abonner en nous suivant sur twitter et facebook.

Esteban Grine

la difficulté, cette inconnue – Vidéo

Bonjour Internet et encore une fois, merci de regarder cet épisode de “Capsule Technique”, une émission francophone qui parle de Game Design.

Aaah Dark Souls, dark souls par ci, dark souls par là ! presque deux mois après sa sortie, le titre est toujours autant hypé. La série entière n’en reste pas moins appréciée. Son Game Designer, Hidetaka Miazaki, a souhaité créer une expérience particulièrement éprouvante pour le joueur. Ces jeux sont difficiles. Il demandent une exécution parfaite et une connaissance approfondie de sa diégèse et de ses mécaniques ludiques. Bref, tout le monde est d’accord pour dire que les Dark Souls sont difficiles. Mais personnellement moi, ça va en fait… je les ai trouvé bien plus faciles que… je sais pas… Spelunky, OlliOlli2, tiens ! Je les trouve même plus faciles que Monkey island !

Quoi ? Vous ne voyez pas en quoi Monkey Island est plus difficile que Dark Soul ? Et bien je vous propose alors de parler dans ce nouvel épisode de la difficulté dans les Jeux Vidéo !

La difficulté est un bien grand mot… il est souvent dévoyé pour soutenir une certaine idéologie de ce que doit être le Jeu Vidéo : genre, pour que le jeu vidéo soit un vrai jeu vidéo, il doit être difficile.

De plus, il est utilisé à tort et à travers pour comparer les jeux entre eux sans qu’il n’y ait une réflexion plus aboutie sur ce qui fait la difficulté vidéoludique. Dans cette vidéo, je souhaite donc exposer ce que l’on sait aujourd’hui au niveau de la recherche sur la difficulté vidéoludique et pour cela, je vais principalement me reposer sur les travaux de Guillaume Levieux, Chercheur et Game designer.

Comme l’énonce Jesper Juul dans ses livres “Half-Real” et “the casual Revolution”, les jeux vidéo possèdent une incohérence fondamentale : d’un coté, les game designers ont pour objectif que le joueur parcourt l’intégralité du jeu. Pour cela, ils doivent mettre en place ce qu’on appelle une stratégie discursive : c’est-à-dire un plan d’action pour être sûr à 100% que le joueur a reçu le message que l’on voulait faire passer.

De l’autre coté par contre, les jeux vidéo hardcore ou casual, peu importe, doivent apporter un sentiment de satisfaction dans la réalisation des actions : les joueurs doivent traverser des épreuves. Donc en gros, les jeux vidéo doivent empêcher le joueur d’atteindre son objectif.

Ainsi, pour résumer, d’un coté les jeux vidéo doivent permettre aux joueurs de réussir et de l’autre coté, ils doivent mettre en échec ces mêmes joueurs.

Cette incohérence explique aussi pourquoi très tôt, on s’est interrogé sur l’équilibrage du jeu. Rollings et Adams définissent l’équilibrage de la façon suivante : “un jeu équilibré est un jeu où le talent du joueur est le facteur déterminant de sa réussite”. Bon cette définition reste maigre car elle ne décrit pas ce qu’est le niveau de difficulté ni ce qu’est la difficulté… Par contre, elle permet d’évacuer l’aléatoire et de considérer les jeux reposant principalement dessus comme déséquilibrés. C’est le cas des jeux de loto ou tombola par exemple que l’on retrouve aussi parfois dans le Jeu Vidéo.

Ainsi, cet équilibrage concerne les choix sur la structure du jeu, c’est à dire ses règles constitutives qui forment selon Colas Duflo le système général de règles du jeu. La compétence du joueur revient alors à sa capacité à mettre en place des règles régulatives qui sont cette fois les moyens permettant d’arriver à ses fins. Pour résumer simplement sur la compétence du joueur, c’est en gros sa capacité à trouver et à appliquer les meilleurs strat’. Le jeu, pour être équilibré, doit donc proposer des règles constitutives qui suivent la progression du joueur et pour cela, les game designers ont 2 possibilités pour designer ce que l’on appelle la courbe de difficulté : soit la scénarisation de la difficulté, soit un équilibrage dynamique de la difficulté suivant les progrès du joueurs. Et je souhaite dire une chose : une courbe de difficulté comme ça qui n’est pas titrée : (montrer image), ça n’existe pas, mais alors pas du tout. Ca, C’est à la limite un mix entre une courbe lambda de progression du joueur et la courbe du flow de Mihalyi Csikszentmihalyi.

La difficulté est donc un élément de gameplay. En tant que tel, cela signifie qu’elle fait partie intégrante de n’importe quel jeu. Une première définition de celle-ci pourrait être : “l’effort que doit fournir le joueur pour atteindre ses objectifs et ces efforts sont mis en scène par le gameplay” (Levieux, P25).

Mais avant de poursuivre, il faut comprendre que la difficulté n’est pas un élément en soi dans un jeu, c’est plus la valeur d’une relation entre un jeu et un joueur. Ainsi, par essence, la difficulté est variable et tend à diminuer au cours du temps : Plus un joueur connaît les règles constitutives du jeu et plus il est capable de mettre en place des stratégies optimales.

Ainsi, afin de prendre en compte cette aspect relationnel de la difficulté, il est nécessaire de distinguer les notions de difficulté absolue et de difficulté relative. La première est l’effort que doit fournir un joueur-type, lambda pour atteindre les objectifs proposés par le gameplay. Cette difficulté ressemble à la courbe ci-contre.

Il est important d’aborder un peu ici de la notion de Joueur-modèle. Celui-ci est la représentation que se fait le game designer de la personne qui jouera à son jeu. En fonction de ce joueur-modèle, le Game Designer mettra en place une stratégie discursive, une façon d’amener les éléments de gameplay de manière particulière Ainsi, lorsque vous vous poserez des questions sur la stupidité d’un didacticiel ou d’une difficulté qui semble mal gérée, posez-vous toujours la question : “mais qui est le joueur-modèle auquel ce jeu est destiné ?

Voici la représentation de la difficulté absolue d'un jeu. Celle-ci a une forme d'escalier due au séquençage des jeux vidéo

Voici la représentation de la difficulté absolue d’un jeu. Celle-ci a une forme d’escalier due au séquençage des jeux vidéo.

La seconde forme de difficulté, quant à elle, prend en compte l’évolution des capacités du joueur tout au long du jeu. C’est cette seconde difficulté qui se repose sur l’équilibrage du jeu pour toujours proposer un challenge correspondant à la progression du joueur. et elle ressemble à çà (ci-dessous). On voit bien que la difficulté diminue en fonction du temps et que le jeu doit la rehausser périodiquement.

Voici la représentation de la difficulté absolue d'un jeu. Celle-ci a une forme d'escalier due au séquençage des jeux vidéoTout ce travail d’ajustement en fonction des progrès du joueur définit la courbe de difficulté d’un jeu et c’est Ed Byrne, level designer de son état, qui fut l’un des premiers à vraiment théoriser sur le sujet.

Mais vous allez me demander : “mais comment créer cette courbe de difficulté ?”

Et bien tout d’abord cela dépend du type de jeux que vous souhaitez. En effet, aujourd’hui, il existe deux types de jeux vidéo : les jeux de progression et les jeux d’émergence. Dans les premiers, les designers ont fixé le plus précisément possible le parcours du joueur : les situations rencontrés sont donc réfléchies, calibrées et encoder dans le contenu du Jeu. C’est ce que l’on appelle : scénariser le gameplay. Ces jeux sont très faciles à reconnaître : pokemon, Zelda, les campagnes solo des Call of Duty, même Yokai Watch tiens ! A l’inverse, dans les jeux émergents, les designers ne peuvent pas prévoir le contenu de chaque partie : les échecs et le football en font partie. Dans le JV, ce sont principalement des jeux multijoueurs comme Street Fighter, les multi de Battlefield, les jeux de sport et d’arcades.

Bon bien sûr, il faut comprendre que ces deux notions ne sont pas deux catégories distincte mais bien entendu les deux extrêmes d’un même axe indiquant l’intervention du game designer dans le parcours du joueur. Certains jeux allient d’ailleurs très bien la scénarisation du contenu et émergence. resident Evil 4 est un cas d’école à ce sujet puisque Shinji Mikami a 1/ scénariser l’intégralité du gameplay du jeu avec l’évolution des ennemis, la présence de boss etc. et 2/ Rend le jeu plus facile ou plus difficile en fonction des succès et échecs du joueur.

Bon, on commence à y voir vraiment plus clair concernant la difficulté et son design mais il y a une question à laquelle nous n’avons toujours pas répondue ! Monkey Island est-il plus difficile que DarkSouls3 ?

Ainsi, la difficulté sensorielle décrit l’effort que doit fournir le joueur pour obtenir des informations nouvelles sur l’état de l’univers du jeu. Il faut comprendre toute information que le joueur ne peut pas déduire de faits et règles logiques qu’il connait déjà. La difficulté sensorielle est la difficulté principale des jeux d’aventure comme les monkeys Island ou tout autres LucasArt.

La difficulté logique quant à elle décrit l’effort que doit fournir le joueur pour exploiter les informations dont il dispose, c’est à dire comprendre le fonctionnement de l’univers par l’induction, par remontée d’information et choisir la prochaine action à effectuer par déduction. On retrouve ce type de difficulté dans les premiers tomb raider où l’on devait actionner des leviers, utiliser certaines clefs pour ouvrir des portes et continuer à progresser.

Enfin, il reste la difficulté motrice. Celle-ci décrit le niveau de précision spatiale et temporelle dont le joueur doit faire preuve lorsqu’il exécute une action. C’est tout simplement la difficulté la plus facile à présenter. Elle est particulièrement présente dans les jeux de plateforme comme Mario, Spyro, Ratchet & Clank et bien entendu les titres indé comme super meat boy. Elle est présente dans tous les jeux d’action, bien évidemment dans les jeux de scoring comme les schmups et aussi dans les RTS comme Starcraft dans lesquels la rapidité d’exécution et primordiale.

Voilà !

Nous avons fait un tour d’horizon de ce qu’est la difficulté vidéoludique. Bien entendu, je n’ai pas pu parler de tout mais il faut retenir qu’il existe une difficulté absolue et une difficulté relative. Cette dernière prend en compte le gain de compétence au cours d’une partie par le joueur et afin de toujours lui proposer du challenge, le game designer doit faire un gros travail au niveau de l’équilibrage de son Jeu. Cela se formalise par la mise en place d’une courbe de difficulté qui aura une forme différente en fonction du type de jeu ; jeu dont le gameplay se situe sur un axe entre gameplay progression ou gameplay émergent. Certaines techniques de game design comme l’équilibrage dynamique de la difficulté permettent d’allier facilement les deux. Enfin, il existe 3 sphères de difficulté qui sont la sphère sensorielle, la sphère logique et la sphère motrice.

Maintenant que vous connaissez tout cela, j’espère qu’il sera plus facile pour vous de qualifier la difficulté à laquelle vous êtes confrontés. Nous n’avons pas aborder le fun qui peut être créé par la difficulté, mais je réserve cela pour une prochaine vidéo.

En attendant, comme d’habitude, je vous remercie de m’avoir écouté, je vous aime beaucoup et vous dit à la prochaine. ■

Esteban Grine, 2016.

===== Sources scientifiques de la vidéo =====

La thèse de Guillaume Levieux : Mesure de la difficulté, 2011
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00612657/document

Les références à Rolling et Adams sur la difficulté dans le Jeu Vidéo
Rollings & Adams, 2003. « Andrew Rolling and Ernest Adams on game design », https://books.google.fr/books?id=Qc19ChiOUI4C&lpg=PA359&ots=W-E5XnlL7g&dq=andrew%20rolling%20ernest%20adams%20on%20game%20design&hl=fr&pg=PP1#v=onepage&q=andrew%20rolling%20ernest%20adams%20on%20game%20design&f=false

Adams, « The Designer’s Notebook: Difficulty Modes and Dynamic Difficulty Adjustment »
http://www.gamasutra.com/view/feature/132061/the_designers_notebook_.php?print=1

Byrne, Ed, 2005, « Game Level Design », https://books.google.fr/books/about/Game_Level_Design.html?id=iX3oWHNf9hMC&redir_esc=y&hl=fr

===== Sources Audio =====

« Oomari Yama », Yokai Watch Ost
« Neshizumatta Machi », Yokai Watch Ost
« Nonbirishita Basho », Yokai Watch Ost
« Shop », Josiah McDaniel, VGM Opus 3, Undertale (Toby Fox)

===== Sources des Gameplays =====

Les gameplays ne sont pas de moi, aucune utilisation commerciale n’est faite. Retenez la run de Spelunky par Bananasaurus Rex. Une question récurrente sur la difficulté est de savoir si finalement, c’est fun ou pas ? Sans trop aborder ce sujet que nous aurons l’occasion de traiter plus tard. Et bien nous pouvons distinguer le Hard Fun du easy fun. La première notion est permise grâce à la résolution d’objectifs tandis que la seconde est plus accès sur la compréhension du monde, de la découverte du monde et ce, indépendamment de la réussite (voir Lazarre sur le sujet entre autre).

Uncharted : les relations houleuses entre le Cinéma et le Jeu Vidéo

Bonjour Internet, ce pixel d’opinion est une réponse faite à l’article «“Uncharted 4”: et le jeu vidéo dépassa le cinéma » de Herwan Higuinen, paru le 16 mai 2016 sur le site des Inrocks. Je vous conseille donc de le lire avant de continuer ici 😉

Tout d’abord, je souhaite préciser qu’en aucun cas il ne s’agit d’une critique du jeu ou une critique de l’auteur dont j’avais apprécié certains articles comme « La Vieillesse dans le Jeu Vidéo ». Je précise aussi que malgré la critique faite, l’article de Herwan Higuinen n’en reste pas moins intéressant.

Maintenant que cela est dit, je vais donc pouvoir approfondir mon propos qui ne se résume pas à un tweet un peu sauvage « LoL Non » assez putassier, je le reconnais. (Je présente aussi mes excuses à l’auteur car il est vrai que sur twitter, j’ai tendance à me comporter de manière plus méchante et vindicative qu’à l’habituelle).

Critique de l’essentialisme dans le Jeu Vidéo

La grosse critique que je fais à l’article de Higuinen concerne l’idéologie (volontairement ou involontairement) soutenue concernant la représentation de ce que doit être le Jeu Vidéo. Celle-ci propose une vision essentialiste du Jeu Vidéo à laquelle je m’oppose fermement ; et certains de mes collègues vidéastes savent déjà à quel point je peux être tenace sur ce point.

Lorsque l’on évoque le JV, l’un des gros problèmes récurrents que j’observe est le fait de l’encastrer uniquement au sein des formes médiatiques tout en délaissant son aspect d’Objet Ludique. Par sa nature « double », le Jeu Vidéo doit être perçue et comme un média (un Art) et comme un phénomène communicationnel entre des individus (voir entre autres Habermas, Jakobson, Huizinga, Caillois, Henriot et bien entendu Eco). Ainsi, l’objectif du Jeu Vidéo ne doit pas être le « dépassement d’une autre forme d’art » aux objectifs distincts. Même des jeux extrêmement proches du cinéma (comme les productions de David Cage) ne fonctionneraient pas, une fois les mécaniques ludiques soustraites. Tout comme certaines œuvres cinématographiques qui une fois soustraites de leur grammaire cinématographique, perdent tout leur intérêt. Sur le vif, je pense par exemple à « Memento » de Christopher Nolan qui s’il était monté de manière chronologique comme un film lambda, perdrait tout la spécificité de sa narration et ne proposerait qu’une histoire banale et mal écrite d’une vengeance.

Le titre de l’article prête aussi à confusion concernant la volonté de la stratégie pré-discursive de l’auteur. S’agit-il du Jeu vidéo « Uncharted » qui dépasse le cinéma ou s’agit-il du Jeu Vidéo en général ? A la lecture de l’article, il semblerait que cela soit ce second point de vue qui est défendu. Or, dans ce cas, l’article tient un propos essentialiste sur ce à quoi doit ressembler le Jeux Vidéo pour être considéré comme Jeu Vidéo. Dans ce cas, il s’agit d’une représentation du Jeu Vidéo proche des codes du cinéma. Cependant, de nombreux exemples démontrent l’absence de liens facilement observables entre le Jeu Vidéo et le 7ème art. Je pense notamment à de nombreux jeux se passant de cinématiques voir à l’extrême des jeux qui s’émancipent totalement d’interfaces représentant une diégèse réaliste : c’est le cas des aventures vidéoludiques textuelles ou encore des roguelikes comme NetHack qui passent par une représentation en ASCII de leur monde.

nethack
L’un des tableaux de NetHack. Hormis l’angle de la caméra qui offre une vision panoptique, dire que le jeu s’inspire du cinéma dans la représentation de sa diégèse est un peu fort. Cependant, Il s’agit tout de même d’un jeu d’aventure/exploration partageant de nombreux points communs avec Uncharted.

Bien entendu, je ne renie pas l’apport du langage cinématographique dans le jeu vidéo ni les liens entre les deux. La place de la caméra et des angles de vues sont d’ailleurs extrêmement importants pour les jeux vidéo ayant une diégèse réaliste. Des auteurs comme Alexis Blanchet ont d’ailleurs travaillé sur les relations entretenues entre le cinéma et le JV. Mais le langage cinématographique n’est qu’un outil pour le JV qui ne sert ni les mêmes objectifs que le cinéma, ni transfert les mêmes émotions. Par exemple, le jeu vidéo est capable de transmettre par sa grammaire vidéoludique un sentiment de culpabilité mais celui-ci n’est possible que par l’inter-réaction entre le joueur (son attitude ludique et ses inputs), le gameplay et les cinématiques quand elles existent.

Critique de la cohérence d’Uncharted

Concernant plus précisément les propos tenus sur Uncharted, je suis en désaccord avec certains points. Premièrement, bien que le titre cherche à se rapprocher de la réalité ordinaire dans ses cinématiques (vie de tous les jours, parcours de vie détruits/déconstruits), considérer le titre « cohérent » est une erreur. Naughty Dog reconnait lui-même qu’il ne l’est pas du tout entre ses cinématiques et son gameplay puisque l’existence d’un succès « dissonance ludonarrative » existe. Par ailleurs, notons que le terme « dissonance ludonarrative » est un terme qui a émergé du fait d’une critique du premier Uncharted par un Game Designer d’Ubisoft mais Jesper Juul parlait bien avant « d’incohérences » inhérentes à la nature même des Jeux Vidéo dans son livre « Half-Real ». Concernant la présence de Crash Bandicoot, j’interprète aussi cela comme un aveu de Naughty Dog sur son titre. A bien des égards, Uncharted est la même formule de parcours de niveaux en couloir que ce que proposait Crash Bandicoot déjà en 1997.

ludonarr dissonance uncharted
Un succès du jeu explicite sur le contenu de ce dernier 😉

Secondement, concernant l’écriture et la mise en forme du récit dans le Jeu Vidéo, il a plusieurs fois été démontré que le JV ne propose rien de plus que la littérature, même concernant la co-construction des récits grâce à la collaboration du lecteur-joueur. Cela a déjà été travaillé par Espen Aarseth en 1997 dans son livre CyberText. D’ailleurs, ce livre arrive finalement à une impasse dans la définition du Jeu Vidéo comme forme littéraire distincte des autres. Umberto Eco avec son concept de Lecteur-Modèle a lui aussi démontré l’importance de la posture active du lecteur (dans  » Le Rôle Du Lecteur » entre autre). Aujourd’hui, les chercheurs dont l’objet est le JV ne cherchent plus à le distinguer par la mise en forme du récit. Par exemple, Karhulahti dans son papier « Defining the Videogame » propose de définir le JV de manière totalement contre-intuitive en rejetant l’aspect interactif du medium (qui ne lui est pas spécifique). Celui-ci ne définit le JV que par le fait que cet objet ludique évalue de manière autonome la compétence du joueur.

bon je commence à m’égarer un peu dans mes élucubrations, je vais donc m’arrêter. Cependant, je souhaite revenir sur la conclusion de l’article qui me plait, en fait. J’aime l’idée que le JV et le cinéma peuvent se nourrir l’un et l’autre. Cependant, placer l’un en tant que donneur de leçon de l’autre… cela peut sembler présomptueux et cela suppose aussi que les deux médias ont les mêmes objectifs, ce qui se discute comme je l’ai expliqué.

Esteban Grine, mai 2016. <3

Merci beaucoup d’avoir parcouru cet article, n’hésitez pas à le partager sur vos réseaux sociaux et à venir en discuter avec moi dans les commentaires, sur Facebook ou Twitter.

 

Jouer, c’est marrant ou pas ? – CT01

Jouer, c’est marrant ou pas ? – Vidéo

Bonjour Internet, c’est Esteban Grine et bienvenue dans Capsule Technique, une émission qui parle de game design sur internet.

Lorsque l’on parle de jeu vidéo, tout le monde a son opinion sur le sujet : comment le définir ? Est-ce que c’est un art ? Quels sont ses Chefs d’œuvre ? Bref, tout le monde a son idée sur les sujets évoqués. Et c’est chouette, je veux dire, je trouve ça génial que le Jeu Vidéo soit devenu un tel sujet de discussion. Sauf que voilà, depuis que j’ai commencé sérieusement mon activité de vidéaste, et bien j’ai discuté pas mal de ces sujets avec des amis, des collègues de travail ou d’autres pairs et j’ai constaté beaucoup de récurrences lorsqu’il s’agit de parler de Jeu vidéo : celui-ci est un média, il a des liens avec le cinéma, bla, bla, bla.

Cependant, ce que j’ai remarqué aussi, c’est à quel point on oublie que le jeu vidéo est un objet ludique et que donc, il est nécessaire de le recontextualiser par rapport aux autres objets ludiques comme les jouets, les jeux de société ou encore les jeux de rôle.

Mais ce n’est pas tout ! le Jeu est aussi un acte communicationnel et donc il est nécessaire de le recontextualiser en tant que fait de communication entre des individus. Donc aujourd’hui Internet, il sera question de recontextualiser le Jeu et le Jeu vidéo dans son environnement ludique et communicationnel !

1938 est une année importante concernant la recherche sur le Jeu. C’est en effet la sortie de l’essai “Homo Ludens” de Johan Huizinga. Les premiers phrases du livre posent clairement que le fait de jouer est un acte de communication entre deux individus. En effet, Huizinga énonce que le jeu est observable chez les animaux, ceux-ci ne possédant pas de culture, il énonce que le fait de jouer est donc antérieur au développement d’une culture chez l’homme.

En gros, Huizinga définit le jeu comme un cercle au sein duquel les participants se mettent d’accord pour respecter les règles qui ont été établies. Ni plus, ni moins. Il n’y a donc aucune causalité obligatoire entre ce qui est relatif au ludique de ce qui est relatif au fun et de l’amusement et ce, dès les premières définitions du jeu qui sont encore pertinentes aujourd’hui.

Donc il faut retenir çà : il faut visualiser le jeu comme un cercle partiellement ou complètement déconnecté de la réalité et où les individus à l’intérieur fixent des règles et se mettent d’accord pour les respecter. Ce dernier point est important car c’est ce qui permet le jeu. Sans règle, il n’y a pas de jeu. Souvenez-vous de votre enfance : ceux qui ne respectent pas les règles sont des “tricheurs”. Huizinga est très clair dessus et explique que c’est « l’attitude ludique » qui permet le respect des règles. Donc, je suis un humain, j’ai donc une attitude ludique qui me permet de respecter les règles établies dans une zone précise qu’est le jeu. C’est donc l’attitude ludique de l’homme, sa volonté à respecter les règles, qui permet le jeu. C’est pourquoi Huizinga définit l’homme comme « Homo Ludens » plutôt que Sapiens Sapiens. Au niveau communicationnel, il faut retenir une chose : tous les actes à l’intérieur du jeu sont associés au message : “ceci est un jeu” ou dans sa version plus complète : “ce que je fais en ce moment fait parti du jeu et normalement, je ne le ferai pas dans une autre situation qui n’est pas le jeu”.

Si on revient sur le Jeu Vidéo, et bien on peut les distinguer en deux catégories. D’un coté, il y a les jeux qui vous disent “je suis un jeu”, ce sont les jeux que nous allons définir comme normaux, standards même si en soi, cela n’a pas vraiment de sens de dire qu’un jeu est “normal”. Ce sont les « Mario, les Tomb Raider, les Fifa, les Call of Duty et les Crash Bandicoot », bref tous les jeux qui ne questionnent pas vraiment l’idée que l’ont se fait du jeu. Puis vient la seconde catégorie de Jeux qui demande aux joueurs “est-ce que je suis un jeu ?” Et qui pose clairement la question de leur statut aux individus qui y participent. C’est le cas par exemple de Papers Please. Ah, Papers Please, voilà un jeu extraordinaire. Certains s’amusent, d’autres ne comprennent pas pourquoi…

C’est un jeu qui fait débat sur ce que doit être un jeu vidéo ! Pour rappel, dans Papers Please, on doit appliquer une politique d’immigration d’un pays… et on choisit ou pas dans le jeu d’appliquer des règles issues d’un racisme systémique, procédurier, étatique et administratif ! et certains s’amusent à faire ça… Je me suis amusé à faire ça ! Mais cela pose quand même pas mal de questions… le jeu m’a fait réfléchir sur mon comportement, il m’a posé la question : “hey toi ! Esteban ! Qu’aurais-tu fait si tu vivais dans une dictature fasciste ?” Gonzalo Frasca, un game designer et penseur parle du jeu vidéo comme un objet politique ! et çà, ce n’est pas rien ! Papers Please est autant un jeu vidéo qu’un support d’un message politique ! mais bon je divague.

Bref ! Donc oui, bien entendu, il faut contextualiser le jeu vidéo par rapport aux autres médias, mais il faut aussi le ré-encastrer dans la famille des objets ludiques. C’est d’ailleurs pour cela que l’appellation de 10ème art uniquement réservé au Jeu Vidéo me pose problème. Et oui ! pourquoi ne pas parler du 10ème en faisant référence simplement au Jeu, et donc incluant Jeux Vidéo, jeux de société, jeux de rôle, etc.

Pour revenir à ce que je disais tantôt, lorsque l’on ne parle que du Jeu vidéo comme média, on fait abstraction de tout ce qui est relatif à la communication. En effet, lorsque l’on joue, d’un coté, nous avons le “Jeu”, le « Game » c’est à dire l’objet matériel ou immatériel et de l’autre, nous avons le jeu, le « Play » qui est le fait de jouer, l’acte, l’action.

Mais ce n’est pas tout ! Il ne faut pas restreindre le jeu uniquement à quelque chose qui est relatif à l’amusement. Bien sur que la plupart des Jeux ont pour objectif d’amuser… mais c’est tout de même trop restrictif pour englober tous les jeux et jeux vidéo ! Il y a une très belle expression qui énonce que jouer, c’est “rêver de manière éveillée”. C’est un peu cette zone intermédiaire d’expérience de Winnicott : le joueur est à la fois à l’intérieur du jeu mais aussi en même temps à l’extérieur. Il est ancré dans la réalité et en même temps en dehors de la réalité. Et dans cette zone, les joueurs s’obligent à respecter des règles. pensez à ces enfants qui jouent au jeu du “sol est de la lave”. Il ne font que respecter une règle de gameplay : “si tu touches le sol, tu meurs !”. Maintenant, dès que l’un d’eux veut sortir du jeu… il va tout simplement dire “Pouce” et la zone de Jeu disparaît.

Ainsi, il faut vraiment comprendre que le jeu, le ludique, se retrouve dans toutes les sphères de la vie. Et cela, on peut le constater notamment par le langage et les expressions que l’on utilise. Par exemple, le théâtre utilise beaucoup le champ lexical du jeu : « le jeu de scène, le jeu des acteurs ». En économie, on aime bien parler de « jeu d’écriture » en faisant référence aux activités bancaires. Même la politique use de mots faisant référence au Jeu : on parle de « jeu démocratique », on parle de « jeu d’acteur, du jeu du pouvoir, de jeux d’alliance ». Cela se retrouve aussi dans la langue anglais, “a play” est une pièce de théâtre, le titre de fantasy “a Game Of Thrones” est une métaphore des manigances des personnages pour récupérer le pouvoir. “House Of Cards” dans un sens fait lui aussi référence au Jeu. Toutes ces sphères que j’ai évoquées montrent à quel point il peut y avoir des enjeux… Oui… des enjeux, des choses qui comptent donc, dans toutes ces sphères… Et pour ces enjeux, on fait référence à un vocabulaire issu du ludique. Tout cela montre à quel point le Jeu a de multiples facettes. Et pourtant, on observe un point commun central à tout ce que j’ai citer : la présence des règles ! C’est fondamentalement la mise en place de règles qui permet de créer le Jeu. Et c’est l’attitude ludique de l’homme qui permet le maintien de ces règles. D’ailleurs, on dit bien de quelqu’un qui ne respecte pas les règles qu’il ne “joue pas le jeu”. Il y a donc bien un accord sur ces règles.

Et c’est tout ! Il ne faut pas chercher plus loin. Tout ajout à cela viendrait contraindre ce que doit être le jeu à une certaine représentation. C’est pourquoi il faut s’arrêter ici. Dire qu’un Jeu doit être fun, c’est contraindre l’idée du jeu à une représentation et cela ne résiste pas à la méthode scientifique car il y a alors connotation normative à ce que doit être cette forme d’Art.

Vous avez même des choses qui sont totalement contre-intuitives dans la philosophie du Jeu. Vous avez par exemple Colas Duflo qui énonce que c’est la mise en place de règles qui permet la liberté. Notamment car de l’autre coté, nous pensons que c’est la Loi d’un pays qui restreint la liberté des gens. C’est quelque chose qui semble totalement contraire à ce que l’on peut normalement penser. Mais dans les jeux et encore plus dans les jeux vidéo, ce sont par exemple les règles établies par les game designer qui permettent le gameplay casual de devenir gameplay émergent comme dans les speedruns !

Ainsi donc, il faut donc bien comprendre que le ludique n’est pas le fun ou l’amusement. Pareil pour le Jeu vidéo, j’ai évoqué Papers Please tout à l’heure qui bien que ludique n’arrive pas à mettre tout le monde d’accord sur son coté fun et amusant. Les gens ont tellement de difficulté à s’entendre sur les notions elles-mêmes que cela montre à quel point ce n’est pas avec ces notions qu’il faut définir le jeu et le jeu vidéo dans leurs essences. Mais en tant que forme d’art, le jeu et le jeu vidéo permettent de transmettre des émotions par le gameplay et les règles de game design que le joueur va choisir de respecter ou parfois desquels il va s’émanciper. Dans cette nouvelle série de vidéo et d’articles, je vais donc analyser principalement le game design et comment celui-ci transmet des émotions au joueur, parfois en expliquant des concepts et parfois en faisant des études de cas. Parce que finalement, qu’est ce que le jeu vidéo sinon une formidable illusion… Tiens donc, illusion, illusion… Comme dans « In Ludus » ? ■

Esteban Grine, 2016.

===== Sources =====
Duflo, 1997, Jouer et philosopher
Huizinga, 1938, Homo Ludens
Schell, 2014, The art of game design, second edition
Suits, 1978, The Grasshopper: Games, Life and Utopia
Winnicott, 1975, Jeu et réalité, l’espace potentiel

Concernant Gonzalo Frasca
http://www.gamesforchange.org/play/se…
http://www.ludology.org/my_games.html
https://killscreen.com/articles/gonza…
Sylvie Zérillo, « De l’illusion à la culture ou le regard de Winnicott sur la créativité », Éducation et socialisation [En ligne], 32 | 2012, mis en ligne le 01 septembre 2013, consulté le 20 avril 2016. URL : http://edso.revues.org/324
Ecritures comptables cunéiformes
https://www.flickr.com/photos/cvalett…
Existence de Cultures animales
http://www.huffingtonpost.fr/pierre-s…
J’évoque rapidement Habermas, Buhler, Shannon, Jakobson et Wittgenstein dans la vidéo… allez-y, ils sont tous très bon !

===== Musique =====
DisasterPeace : « Home », « Majesty », FEZ
Koji Kondo : « Astral Observatory », Zelda Majora’s Mask
Josiah McDaniel, « Outset Island », Zelda Wind Waker, VGM Opus 3

Art & Industrie – LCV Mars 2016

Même si la question ne semble pas nécessaire ni même fondamentalement pertinente, elle reste au centre de débats autour du Jeu Vidéo. Ce dernier est-il un art ou simplement une industrie ? Plus que tout autre sujet, ce (faux) débat cristallise les différences d’opinions entre joueurs et entre les joueurs et les non joueurs. Même au niveau générationnel, on se rend compte de la fracture qui existe entre les différentes communautés de représentations.

Parallèlement, la réalité économique du Jeu Vidéo montre à quel point celui-ci peut avoir de multiples facettes. Du simple Jeu développé par un jeune développeur comme Toby Fox au Jeu développé par des dizaines d’équipes à des budgets s’approchant de la centaine de millions de dollars, tout nous laisse penser que le spectre du Jeu Vidéo est suffisamment large pour que plusieurs grilles de compréhension et systèmes de valeurs s’installent. Même l’esprit le plus averti risque d’être mis en difficulté lorsqu’on lui demandera de prendre position sur la question. C’est pourquoi, nous avons décidé ce mois-ci à LCV de sélectionner trois vidéos qui proposent trois visions des choses autour de ce sujet. Ainsi, l’ami Olbius revient sur la notion d’industrie culturelle et pourquoi le Jeu Vidéo en est une. Ixost, déjà publié dans l’édition de février 2016, revient quant à lui sur ce qui caractérise fondamentalement l’art vidéoludique et ses critères propres. Enfin, Esteban Grine ne s’embarrasse pas de ce débat et explique pourquoi il préfère l’appellation de « média » plutôt qu’« Art » ou « Industrie ».

Voilà ! Tout est dit ! Bon visionnage 😉

«Nous devons donc considérer les industries culturelles comme des usines de production, à flots continus, de représentations du monde qui prennent en compte, d’une manière ou d’une autre, la diversité des publics (c’est-à-dire la somme d’individus complexes qu’il s’agit “d’intéresser”) et la diversité des points de vue tels qu’ils apparaissent configurés au sein de la sphère publique, en fonction de la capacité des acteurs à rendre “visibles” leurs définitions des choses et leurs visions du monde», « Penser la médiaculture », 2005.

La Kulturindustrie, comme son auteur allemand l’appelle alors à l’époque, désigne les entreprises « produisant selon des méthodes industrielles des biens dont l’essentiel de la valeur tient dans leur contenu symbolique » (wikipédia). Autrement dit, ce contenu symbolique que nous pouvons raccourcir en « bien culturel » est créé, manufacturé, par des entreprises composées d’une multitude d’agents.

Ainsi, c’est avec un certain regard critique que le philosophe et musicologue allemand Theodor Adorno qualifie les méthodes de production de la culture. Pire, la thèse d’Adorno va jusqu’à énoncer que le monde entier est façonné par l’industrie culturelle et les médias de masse. Cela s’applique-t-il aussi au Jeu Vidéo ?

Probablement, regardons en tant soit peu l’offre actuellement proposée, qu’observons-nous ? Et bien que le jeu vidéo ne propose que très peu de sujets ou de réflexions sortant du cadre sport-guerre-aventure-voiture. Déjà dans les années 80, le Jeu Vidéo diffusait sans vergogne une certaine représentation de la masculinité : un homme musclé, armé, blanc et prêt à tout résoudre par la violence. Notons la forte propension de celui-ci à être par ailleurs américain. Voici l’un des nombreux exemples de valeurs diffusées par le Jeu Vidéo. C’est donc aujourd’hui le rôle des nouveaux développeurs de proposer de nouvelles représentations de monde à travers le Jeu Vidéo. Je vous rassure, c’est déjà en marche.

« Il faut arrêter de distinguer les deux ! » Voilà ce que répondit Samai Cédlart à la vidéo d’Esteban Grine. Bon en vrai, elle répondit « Sérieux, mais pourquoi, POURQUOI vouloir séparer art et industrie ? NON les deux peuvent être liés intrinsèquement ! « .

Et techniquement, force et de reconnaitre qu’elle n’a pas tort. Le mouvement Pop Art des années 60 s’inspirait déjà profondément des techniques industriels. Le travail de Warhol est là pour en attester. Ainsi donc, le débat art-industrie ne se pose pas fondamentalement, puisque « La dualité art/industrie est inhérente au JV. Si elle est inhérente, elle est donc acquise, ou devrait être acquise et ce depuis longtemps » (Samai Cédlart). Le Jeu Vidéo est Art & industrie. Il n’est pas pertinent de discuter de cela. Mieux ! Gardons l’appellation « d’Art Industriel » si cela hérisse trop les poils de certains. Cependant, un objet de recherche peut parfaitement avoir plusieurs identités en fonction de ses angles d’étude. Par ailleurs, il ne faut pas non plus oublier que l’acte de jouer est un acte de communication. Pour les sciences de l’information et des communications (SIC), lorsqu’un individu joue, il envoie l’information « ce que je fais fait parti d’un jeu » ou plus simplement « ceci est un jeu ».

L’acte de jouer (le « play »), bien qu’en lien avec l’imaginaire, est extrêmement ancré dans la réalité. C’est ce qui permet notamment de distinguer le Jeu du Rêve. Ainsi, le support d’un jeu (le « game ») est un objet de médiation entre les individus participant au Jeu. D’où son appellation de « média » par les SIC. Finalement, il n’y a sûrement pas une bonne réponse à la question « qu’est-ce que le Jeu Vidéo ? » Déjà, dans notre numéro de février, nous parlions de la multiplicité de ses identités. Ce qui est important, c’est finalement que chaque angle de recherche apporte une nouvelle réflexion sur cet objet et ce, toujours sans « s’accaparer » celui-ci. Souvenons-nous qu’il n’y a pas si longtemps, le Jeu Vidéo aurait pu devenir le seul objet de la narratologie car « celui-ci est le support d’un texte » (voir Aarseth et son livre « Cybertext »). Alors faisons en sorte que le JV reste un objet pluridisciplinaire tel qu’il l’est déjà dans son essence. ■

Esteban Grine, 2016.

L’Essence du Jeu Vidéo – LCV Février 2016

Voilà Internet ! Voilà le premier numéro de la revue LCV. Alors, pour que cela soit marquant, nous avons décidé de démarrer le projet avec une première édition dont le sujet nous concerne tous : comment définir le jeu vidéo ? Et tout d’abord, qu’est ce qu’un jeu ? Il s’est passé du temps depuis les premiers travaux de Johan Huizinga et pourtant il est toujours très difficile de se mettre d’accord sur la notion de jeu, alors, définir le jeu vidéo serait un exercice encore plus complexe.

Cette complexité finalement sémiologique et ontologique peut en partie être expliquée par le fait que tout le monde a une expérience du jeu. Dans les discussions de tous les jours, il est plus facile d’être en accord avec un objet d’étude éloigné de l’expérience des individus. Aucun Quidam par exemple, ne s’amuserait à remettre en cause le savoir du chercheur en physique nucléaire.

Or, pour le jeu, c’est différent. Tout le monde a une expérience du jeu et peut donc potentiellement proposer une définition personnelle.

Malgré cela, on observe assez rapidement les limites d’une réflexion peu aboutie sur le sujet. Il est en réalité très difficile de différencier le jeu vidéo d’une autre forme médiatique comme la lecture. Et cela va même plus loin. Certains chercheurs se consacrent davantage à définir le jeu vidéo par rapport aux autres objets médiatiques car ils jugent trop difficile de définir le jeu vidéo par rapport à lui-même. Bref Internet, la question qui se pose aujourd’hui dans LCV est : Comment Définir le Jeu Vidéo ?

Esteban Grine


En ludologie, les chercheurs aiment bien parler « d’objet ludique » lorsqu’ils font référence à un jouet, un jeu ou encore un jeu vidéo. Chacun est alors capable de différencier par l’exemple un jeu d’un jouet. Cependant, il existe des cas où la distinction est bien plus difficile : par exemple, le flipper est en réalité très difficile à positionner dans telles ou telles catégories. Selon Karhulahti, un jeu vidéo est capable d’évaluer de manière autonome la compétence du joueur, or, n’est-ce pas ce que fait le flipper ?

Et bien, pour supprimer cette difficulté logique, nous pouvons faire appel au principe d’analogie d’Alan Turing. Selon ce principe, tout ce qui est numérique n’est que la reproduction de ce qui est analogique mais avec une puissance de calcul bien supérieure. Ce qui nous pousse à nous demander : les jeux vidéo ne sont-ils que des flippers améliorés ?

Définir le Jeu vidéo

Skepticus : J’ai encore besoin de toi Criquet !
Criquet : Oui ?
S : Pourrais-tu résumer notre dialogue en 350 mots ?
C : Désolé Skepticus, j’ai peur de ne pas comprendre. Pourquoi voudrais-tu que je fasse une chose pareille ?
S : En faite, je viens juste de me souvenir que notre article doit comprendre un résumé de 350 mots et je sais que tu excelles dans le papotage.
C : Oh mon Dieu… tu dois savoir que réduire notre dialogue à 350 mots ne permettra pas au lecteur de comprendre notre objectif qui était de ne PAS définir le jeu vidéo mais de participer au processus de sa définition.
S : Bien sur que je suis au courant… Mais les règles sont les règles ! Tout article scientifique doit comprendre un résumé.
C : Ok, cela me convient. Pourquoi alors ne pas suggérer que c’est l’évaluation de la performance qui permet de distinguer le jeu vidéo des jeux en général ?  S : Je pense que les lecteurs veulent en savoir plus.
C : Alors, il faut juste dire que tu emploies la rhétorique des dialogues de Socrate et que tu fasses appel à quelques arguments épistémologiques pour justifier cela dans un papier académique.
S : Es-tu sûr pour la dernière partie ? Pour être honnêtes, on n’a pas trop fait appel à ces « arguments ».
C : Je suppose alors que l’article lui-même est cet « argument épistémologique », tant que le lecteur trouve cela intéressant… Et puis c’est un journal sur le jeu vidéo, vrai ? Je suis sûr par ailleurs qu’ils comprendront l’importance d’explorer l’actuelle ludification de la culture dans la recherche académique.
S : J’y penserai. Cependant, peut-être que je devrais aussi mentionner la partie où l’on discute du fait que ce sont des « artefacts computationnels » qui permettent l’évaluation de la performance, ou peut-être aussi la partie sur la question de « gagner » ou « perdre » dans un jeu vidéo.
C : Je te laisse y réfléchir mais rappelle-toi qu’il ne faut pas sous-estimer l’importance du résumé… après tout, ce sont les sections les plus lues de tous les articles scientifiques.

Karhulahti, 2015, extraits de « Defining the Videogame », trad. Esteban Grine

karhulahti_rajaus_480pxVeli-Matti Karhulahti est chercheur « post-doc » à l’université de Turku, département des Sciences des Médias, Finlande.[/fusion_text][fusion_text]

Source de l’article en cliquant ici.

 

https://youtu.be/zo6urlBm2HI
Le Jeu vidéo est un objet d’étude passionnant mais pas seulement pour ses valeurs intrinsèques. Il s’agit d’un objet complexe qui peut être abordé depuis de nombreux angles différents : les sciences humaines, la narratologie, les sciences de l’information et des communications, etc.

Cependant, une erreur prévisible serait de tenter une définition de Jeu Vidéo à partir d’un seul pan de recherche. C’est pourtant ce que l’on observa dans les années 1990. En effet, il se trouve que la narratologie a la mauvaise habitude de s’accaparer de nombreux objets d’étude. Même si cela permet une base de recherche, cela ne reste pas suffisant. C’est notamment pour cela qu’Espen Aarseth, après son livre « Cybertext », a très vite fait savoir qu’il fallait plus que seulement les outils d’analyse littéraire pour comprendre véritablement le Jeu Vidéo.

Cependant, il faut bien reconnaitre que les deux sont bien utiles. En effet, à l’instar de la lumière qui peut être considérée comme une onde ou des amas de particules, le Jeu Vidéo peut être considéré comme un objet « jeu » (objet d’étude construit par la ludologie) et comme un « récit » (objet d’étude construit par la narratologie). Cependant, restreindre le jeu à : « soit l’un soit l’autre en fonction du champ de recherche », c’est aussi nier la nature complexe du jeu. Donc, les deux approches séparées se sont relevées insuffisantes pour rendre compte du Jeu Vidéo (Rueff, 2009).C’est pourquoi, afin de dépasser les limites de ces deux sciences, il est nécessaire d’aborder le Jeu Vidéo « dans un esprit interdisciplinaire » tel que le préconise la méthode complexe d’Edgar Morin. C’est donc le concept de « Game Studies » qui permet de transcender les limites de la narratologie et de la ludologie. En effet, ces Cultural Studies se définissent comme le point de rencontre de nombreuses disciplines chacune accompagnée de sa méthode d’analyse. Ainsi, on retrouve dans les Game Studies des disciplines dites « constituées » : l’histoire, la sociologie, la psychologie et l’anthropologie mais aussi des disciplines « transversales » : sémiotique, narratologie et bien entendu ludologie.

Pour aller plus loin :
Marti, Baroni, 2014, « De l’interactivité du récit au récit interractif », Cahiers de Narratologie, vol 27.
Rueff, 2008, Où en sont les « Game Studies »?. Revue Réseaux, vol 26, no 151, p. 139-166.

Undertale et Life Is Strange

2015 a été marquée par de nombreux et excellents jeux. Aucun doute sur 2016 qui devrait être elle aussi remplie de sorties intéressantes pour le 10ème art (même si le terme ne fait pas consensus). Cependant, au lieu de tomber dans le marronnier du début d’année, LCV préfère revenir sur deux titres de 2015 qui ont tous les deux, à leur manière, questionné les limites du Jeu Vidéo avec les autres formes d’arts. Nous parlons ici de deux titres qui proposent une aventure en mettant en avant la narration et l’empathie.

Il s’agit bien entendu d’Undertale et de Life Is Strange. Car oui, les deux ont exactement les mêmes objectifs : questionner le joueur sur son humanisme, sur sa capacité à ressentir l’émotion et comprendre autrui. Pourtant l’un d’entre eux le fait avec brio tandis que l’autre est plus bancal. Et pour en parler, rien de mieux que deux Critiques ayant rédigé deux avis extrêmement bien argumentés. LCV vous invite donc à vous relaxer et apprécier les vidéos d’Ixost et de Pseudoless sur les sujets.

Et finalement la rédaction est assez d’accord avec les avis de Pseudoless et Ixost sauf que malgré tout, il nous est impossible de totalement détester Life Is Strange (aux défauts bien trop nombreux pour les citer). Cependant, ce qui nous intéresse ici est de montrer qu’en réalité, la volonté de ces deux jeux est identique : proposer une fiction où le joueur s’identifie énormément au personnage principal et éprouve de l’empathie pour les pnj. Cependant, une fois la volonté commune passée, les deux jeux ont emprunté des voies radicalement opposées.

Notons tout de même que nous avons ici deux jeux qui tentent de s’émanciper de leur condition en proposant une nouvelle relation entre le joueur et le média. Undertale impressionne par ses nombreux niveaux de lectures oscillant entre la thèse « l’homme est fondamentalement bon » et une critique acerbe de la posture du joueur.

Le cas The Order 1886

Si une chose n’était pas prévue dans cette édition, c’était bien d’intégrer cette seconde vidéo de Pseudoless… Et pourtant, force est de constater que cette critique fait agréablement écho à la vidéo « Comment définir le Jeu Vidéo » (Grine, 2016). Ce qu’il faut retenir de cette vidéo, c’est que Pseudoless considère que The Order 1886 ne propose pas assez de gameplay pour être un jeu. Pourtant, cela vient contredire les propos d’Aarseth qui considère les Jeux Vidéo comme de la littérature ergodique où un effort non trivial même minimal est requis pour avancer dans le récit ; cela contredit aussi les propos de Karhulahti qui définissent les Jeux Vidéo comme des objets ludiques capables d’évaluer la performance des joueurs et où ce dernier peut ressentir le sentiment « je suis en train de battre le jeu » (« to beat the game »). Or, il n’y a pas vraiment d’évaluation dans The Order. Finalement, que nous dit Pseudoless ? Et bien que The Order 1886 ne donne pas le sentiment au joueur de gagner ni de faire un véritable effort pour progresser… Du coup, selon cette vidéo, The Order 1886 n’est pas un jeu vidéo. CQFD.

Par ailleurs, le constat de Pseudoless est révélateur d’un phénomène qui a notamment été étudié par Zagal (Ludoliteracy: Defining, Understanding, and Supporting Games Education, 2010), à savoir la progression de littératie ludique chez les joueurs. Cette dernière caractérise la capacité d’un individu à évoluer de façon critique dans l’environnement vidéoludique. Nous reviendrons dessus dans une prochaine édition.

S’il existe bien un terme galvaudé par le temps dans le champ lexical vidéoludique, c’est bien celui de « Jeu Vidéo ». Il est vrai qu’en temps normal, personne ne s’amuserait spécialement à le remettre en cause mais la sortie du très récent A Blind Legend vient remettre la chose en cause. En effet, on s’aperçoit que finalement, le terme « Jeu Vidéo » englobe beaucoup de concepts différents.

Et pourtant, cela fait longtemps que la multiplicité de Jeux informatiques existe. Déjà en 1974, Atari proposait le jeu Touch Me, une espèce de Simon Says où ce sont des signaux audio qui indiquent quoi faire au joueur. Sans forcément revenir sur d’autres exemples, cela montre qu’en même temps que le marché du Jeu Vidéo, se sont développés des marchés (bien inférieurs en quantité) parallèles : celui des Jeux Audio et celui des Jeux Haptiques. Alors comment distinguer les trois ? Et bien c’est assez simple. On peut jouer aux Jeux Vidéo sans son alors que nous ne pouvons pas y jouer sans vidéo. Cette caractéristique permet de le différencier des Jeux Audio où le son est crucial mais pas la vidéo et des Jeux Haptiques qui se reposent principalement sur le toucher.Skeptikus : Finalement, nous avons plutôt bien discuté, mais toi du coup, tu penses quoi de Undertale, Life is strange et The Order 1886 ? Ce sont des Jeux Vidéo ou pas ?
Criquet : et bien, si je devais uniquement me référer au corpus théorique que nous avons vu, je te répondrais que oui. Tous autant qu’ils sont, sont des Jeux Vidéo.
S : Mais pourtant, il y a des gens qui ne serons pas d’accord avec toi ! Il y en aura toujours un pour considérer « Jeu Vidéo », un objet qui selon toi ne le sera pas.
C : Oui c’est bien vrai… Ce qui me pousse à me demander si nous nous sommes posé la bonne question dans ce dossier ?
S : Pardon ? J’espère que tu ne penses pas vraiment ce que tu dit ! Le lecteur a dû mettre environ 1h30 pour parcourir l’édition de LCV et j’estime que l’auteur a au moins dû y passer une cinquantaine d’heures, et ce, uniquement pour ses productions !
C : Oui… Je comprends les enjeux, mais malheureusement, je maintiens ma question. Attention, je n’ai pas dit que ce n’est pas utile de savoir tout cela. Je dis juste que peut-être ce n’est finalement pas important.
S : Il va falloir que tu développes. Je ne peux pas te quitter sur ces propos, Criquet !
C : Vois-tu, peut-être que lorsque nous avons en face un objet ludique assimilable à un Jeu Vidéo, nous devrions d’abord nous demander si l’expérience qui s’en dégage est intéressante. Tu vois, jamais nous n’arriverons à mettre d’accord tout le monde pour définir des critères objectifs qui font d’un objet, un Jeu Vidéo. Alors, peut-être devrions-nous seulement nous poser la question « est-ce intéressant ? »
S : Je reste un peu sur ma faim…
C : Alors je précise ma pensée. Vois-tu, dans les critiques que nous avons vues, c’est ce qui ressortait le plus, n’est-ce pas ? Par exemple, finalement, on s’en fiche que The Order soit un jeu ou pas puisque dans tous les cas, il n’est et ne sera jamais intéressant.
S : D’accord, en fait, il faut d’abord savoir si c’est intéressant. Mais il y a encore quelque chose qui m’embête. Vois-tu, la revue nous propose plusieurs définitions du Jeu Vidéo. Laquelle faut-il retenir à ton avis ?
C : En fait, je crois qu’il faut toutes les envisager. Le Jeu Vidéo a de multiples facettes alors pourquoi pas ses définitions ? En fonction des problèmes qui te seront posés, ce sera à toi d’utiliser la définition la plus appropriée pour y répondre.
S : Finalement, il faut envisager le Jeu Vidéo comme un objet complexe comme le voudrait Edgar Morin.
C : Exactement. Et permets-moi de faire le parallèle avec la lumière qui peut soit être une onde ou un amas de particules en fonction de la théorie nécessaire à la résolution d’un problème. Il doit en être de même pour le Jeu Vidéo. ■

Esteban Grine, 2016.