Pour celles et ceux qui me suivent sur les réseaux sociaux, cela ne les étonnera pas. Pour les autres, on peut dire que mon activité a fonctionné au ralenti ces deux derniers mois. Du moins, c’est mon activité sur internet qui s’est particulièrement fait absente. La raison à cela est qu’entre juin et juillet, j’ai donné 2 communications et transmis 3 articles, tous censés être d’une qualité scientifique. Hormis pour les communications, j’ai été systématiquement en retard, de quelques jours jusqu’à une semaine pour chacune des publications. Cela a été à chaque fois des moments angoissants.
C’est pourquoi à plusieurs moments, durant ces périodes de retard, je me suis posé la question : « dois-je abandonner cet article ? » L’idée est simple. Plutôt que de m’éparpiller, je fais l’hypothèse qu’en réduisant le nombre de travaux à produire, j’améliore grandement la qualité d’une autre production. Tout cela n’est qu’une petite anecdote qui annonce un phénomène qui m’a marqué. Durant, ces périodes de stress, j’ai essayé de trouver sur internet des expériences similaires à la mienne. Rien du tout. J’ai essayé de chercher via Google et d’autres moteurs : aucune expérience d’aucun doctorant ou doctorante relatant les soucis existentiels qu’une personne peut traverser lorsqu’elle se pose la question de l’abandon ou non d’un article. Le vide intersidéral que j’ai trouvé a amplifié ce sentiment de solitude, tout comme mon désarroi.
Avec ce court billet, je souhaite donc proposer un endroit, sur internet, pour tout doctorant et doctorante se posant ou s’étant déjà demandé s’il fallait « laisser tomber » l’écriture d’un papier. J’ai précisément trois objectifs : (1) ce n’est pas grave d’abandonner, (2) ce n’est pas grave de demander un délai et (3) vous n’êtes pas seul ou seule. Je vais donc écrire ici ce que j’aurais aimé lire lors de mes moments d’incertitude.
Délayer le rendu de son article
Surement la partie la plus « facile » de ce billet. De mon expérience, deux moments sont particulièrement importants. Premièrement, il s’agit d’accepter de ne pas être « capable » de respecter la date limite. Secondement, ne pas rester isoler : contacter le comité et en parler à des proches. Le plus tôt, le mieux, forcément. Idéalement, tout le monde dirait qu’il faut envoyer un courriel au moins une semaine avant. Non. S’il faut le faire le jour même, tant pis. Dans tous les cas, cela ne signifie pas que le comité va immédiatement voir le mail envoyé.
L’une des frayeurs qui peut survenir concerne principalement le rejet de l’article. De mon expérience, ce n’est pas encore arrivé et j’ai un doute quand à la probabilité que cela arrive. Tout d’abord, l’objectif d’une relecture par les pairs est d’abord d’améliorer les propositions avant de fournir le verdict final. De fait, c’est à l’issue de la première relecture (voire la deuxième) qu’un article est potentiellement rejeté. Ensuite, dans la majeure partie des cas que j’ai vécus, il ne m’est arrivé qu’une seule fois de devoir déposer l’article sur une plateforme et même dans ce cas, il n’y a pas eu de problème concernant le retard. Autrement dit : le dépôt d’un article pour une revue n’est pas la même chose que le dépôt d’un projet ANR ou tout autre production de cette envergure. Les délais et les retards font partie du processus scientifique. Sans cautionner, il est important de se dédouaner et de ne pas considérer cela comme une erreur ou un échec insurmontable.
Voici ci-dessous un exemple de mail que j’ai rédigé afin de présenter mes excuses et le retard que j’allais alors causer :
Esteban Grine
Rien d’extraordinaire dans ce mail, mais je retiens deux-trois choses en guise de conseils :
- Pas besoin d’expliquer le retard ;
- Présenter ses excuses au comité d’organisation ET au comité scientifique ;
- Donner / proposer une date en guise de nouvelle échéance.
Le mieux est de reprendre une conversation déjà en cours (celle qui a démarré par la réponse du comité notamment) mais s’il est nécessaire d’envoyer un nouveau mail, n’oubliez pas le titre du mail. Pour ma part, j’utilise le même format depuis un peu plus d’un an maintenant pour que cela soit le plus clair possible :
NOMDELAREVUE // Proposition NOMDELAUTEUR – Appel « titre de l’appel »
Dans tous les cas, encore une fois, il ne faut pas considérer cela comme irréparable. Régulièrement, plusieurs auteurs sont en retard pour la même deadline : vous n’êtes pas seul·e·s à ce moment. Si vous avez la possibilité, n’hésitez pas à discuter de cela autour de vous, c’est arrivé à tous le monde et ça arrivera encore. C’est toujours mieux de prévenir un peu en avance mais personne ne peut réellement tenir rigueur surtout lorsque le délai demandé est de quelques jours. Le plus long que j’ai demandé a été de deux semaines l’an dernier.
Abandonner l’écriture d’un article scientifique pour une revue ou un colloque
C’est probablement le plus grand tabou de l’univers des doctorants puisque je n’ai quasiment rien trouvé avec les mots-clefs « abandon, article scientifique ». Dès lors, cela donne l’impression que dès qu’une proposition d’article est acceptée, il y aurait comme un engagement marital avec le futur numéro de telle ou telle revue. Essayons malgré tout de détricoter l’ensemble, en prenant en compte que même si j’y ai pensé de nombreuses fois, cela ne m’est pas encore arrivé personnellement.
Tout d’abord, le plus simple : abandonner un colloque. De ce que j’ai constaté, le plus important est de l’annoncer tôt afin de permettre aux organisateurs et organisatrices de proposer un programme qui leur convient au mieux. Un « trou » lors d’une table peut permettre de repenser les interactions entre les communicants. Il est donc important de permettre au comité de réorienter si besoin. J’ai notamment pu constater l’annonce d’une annulation 3 jours avant un colloque et malheureusement, le comité n’a pas forcément apprécié. Cependant, il serait difficile pour moi de critiquer car un milliard (au moins) de raisons peut justifier l’absence d’une personne un jour particulier. Que cela soit personnel ou professionnel, je n’ai pas observé d’absence d’empathie de la part d’un ou d’une organisatrice. Donc, ce n’est pas grave, même si c’est le jour J, cela ne peut pas être grave. Les reproches qui peuvent être faits concernent notamment l’engagement de frais de votre université (pour payer votre billet de train par exemple).
L’abandon d’un article scientifique semble être la pire des choses qui puissent être dans le milieu de la recherche. Surtout pour un doctorant. Encore une fois, il est important de savoir si à un moment donné, on se sent capable de pouvoir rendre ou pas, et si un délai permet de résoudre cela. Dans le cas où un délai potentiel permettrait de rendre l’article, toutes les personnes avec qui j’ai discutées à ces moments m’ont toujours conseillé de rendre quelque chose, quitte à accepter qu’il ne s’agit pas d’un papier extraordinaire. La première relecture sera là pour redresser le tir (la deuxième également, etc.).
Dans le cas où l’abandon est inévitable, il me semble important de prévenir le comité de cela car la présence ou non d’un article conditionne le travail de relecture. Les causes de l’abandon peuvent varier de l’absence de temps jusqu’au rejet de la proposition par son auteur (parce qu’entre temps, de nouvelles lectures ont généré des contradictions, etc). Dans tous les cas, même si je n’ai pas trouvé d’exemple en particulier pour cette situation, je fais l’hypothèse que le comité ne pourra pas tenir rigueur à l’auteur, surtout à ce moment précis de la préparation de la publication. Il ne s’agit donc pas d’abandonner après une deuxième relecture mais fondamentalement d’un abandon avant toute démarche.
Le meilleur moment moment pour abandonner, il me semble, est avant l’envoi pour la première relecture. A ce moment de la publication de la revue, techniquement, d’autres acteurs (les pairs) ne sont pas encore engagés dans les corrections. L’abandon juste avant la validation définitive par contre peut envoyer un mauvais signal, surtout si la personne agissant de la sorte proposait son article à un autre appel. Là, on se retrouve dans un comportement plutôt malhonnête.
C’est pourquoi il ne me semble pas aberrant de supposer que l’abandon n’est pas punitif tant qu’il se fait avant l’envoi de l’article aux pairs. Lors de mes errances de juillet, j’aurais aimé lire qu’abandonner est une possibilité et qu’il ne faut pas considérer cela comme un échec. Il ne faut pas non plus penser que cela pourrait abîmer l’image que l’on donne en tant que doctorant. Plein de raisons rendent légitime l’abandon d’un article. Et ce n’est pas grave. Rien n’est grave. Le doctorat est une formation à la recherche, l’erreur ne peut être reprochée lors d’un apprentissage. ■
Esteban Grine, 2018.