Étiquette : game design

  • CAPITALISME, SOCIALISME ET VIDEOLUDISME (I)

    CAPITALISME, SOCIALISME ET VIDEOLUDISME (I)

    S’il y a bien une lecture qui manque encore aujourd’hui des jeux vidéo, c’est celle de la socioéconomie. En effet, il est pertinent dans les game studies de mobiliser la sociologie, l’anthropologie et bien entendu le game design mais il semble qu’encore peu d’économistes et de socioéconomistes ne se soient emparés de la question tout en proposant une grille de lecture des jeux vidéo et des représentations qui y sont contenues. Pourtant, il apparait intéressant de faire cette exercice et ce, en prenant en compte plusieurs questions. Premièrement, à partir des concepts économiques, de quelle façon pouvons-nous définir ce qui relève du ludique ? Deuxièmement, dans quelle mesure analyser le comportement d’une audience, joueuse ou pas, d’un jeu vidéo d’un point de vue économique ? Enfin, dans quelle mesure est-il possible de proposer de nouvelles pistes d’exploration pour le jeu vidéo ? Les éléments de réponses que nous apporterons nous permettrons de conclure à la pertinence ou non de mobiliser la socioéconomie et son utilisation dans le cadre des game studies. Pendant toute cette série de billets de blog, je vais donc m’attacher à discuter le game design et les jeux vidéo en les abordant par le prisme de la socioéconomie, en commençant par la rationalité et les asymétries d’information.

    Les joueurs comme des agents rationnels

    Penser les jeux vidéo depuis l’économie nous invite à repenser ce qui définit le caractère ludique de ces objets mais aussi notre façon d’expliquer les comportements des joueurs durant l’acte de jouer. Il semble plus facile de commencer par ce deuxième point pour ensuite étayer le premier. Dans une perspective économique, nous pouvons définir les joueurs comme des agents rationnels qui recherchent une certaine satisfaction pour un effort relatif, ou du moins cohérent avec la satisfaction visée en tant qu’objectif. Dès lors, l’activité ludique s’explique par un raisonnement logique proche d’un calcul coût/opportunité. A partir de cela, il devient possible de définir plusieurs profils de joueurs qui ne vont pas évaluer l’expérience vidéoludique de la même façon. Dans cette perspective, le hardcore gamer, terme générique et vague définissant un joueur jouant beaucoup, devient un joueur prêt à « payer » beaucoup, à accepter un coût très élevé pour son activité avec la promesse d’en tirer une grande satisfaction. Un joueur casual, va quant à lui avoir un calcul coût/opportunité pauvre : l’activité vidéoludique ne satisfait pas beaucoup, mais à défaut, ne consomme pas non plus énormément. Ainsi, la première conclusion que nous pouvons avoir est que la rationalité des joueurs va se faire en fonction des calculs coût/opportunités qu’ils font et si ceux-ci sont cohérents avec leurs objectifs vidéoludiques.

    Un autre point qui devient particulièrement intéressant lorsque l’on observe le game design depuis l’économie est que finalement, un bon game design doit rechercher le point d’équilibre : c’est-à-dire le niveau accepté globalement par les joueurs de satisfaction vidéoludique par rapport à l’effort vidéoludique. Nous pouvons alors représenter ce point avec la rencontre de deux droites sur un hypothétique marché du « plaisir vidéoludique ». Cependant, il convient de supposer que les joueurs vont toujours rechercher la satisfaction maximale pour le moindre effort tandis que les game designer, pour créer l’expérience la plus intense, ou la plus addictive (pour que le joueur reviennent jouer) vont solliciter énormément de ce dernier. Nous nous retrouvons alors avec deux fonctions : la fonction joueurs (gamers) dont la satisfaction vidéoludique est inverse à l’effort requis et la fonction game designers qui propose une satisfaction fonction de l’effort. Il convient aussi de préciser que dans ce modèle, la satisfaction est propre à chacun des agents : la fonction gamer se réfère à la satisfaction des joueurs et la fonction game designer se réfère à la satisfaction des créateurs. Nous nous retrouvons alors avec cette proposition  de modélisation :

    Le marché de la satisfaction vidéoludique, E. Giner, 2017

     

    Dès lors, il est à la fois amusant et intéressant de montrer de manière pragmatique la façon que nous avons ici de considérer un « bon game design ». Celui-ci se définit alors comme la rencontre entre la satisfaction espérée, compte-tenu de l’effort envisagé, du joueur et du game designer. Ce qui est encore plus intéressant est que cette modélisation permet de nous extraire de toutes les idéologies et les dogmes luttant pour déterminer quel est le genre vidéoludique le plus parfait, le plus propre à la définition et à l’essence du jeu vidéo (si quelqu’un la trouve, qu’il me fasse signe, cela sera fort sympathique). Ainsi donc, un « bon » game design se résume à la rencontre d’un jeu avec son public, ni plus, ni moins. Notons au passage que cela légitime certains comportements conservateurs : il faut tout le temps qu’il y ait un point de rencontre. Tout le reste, qui dépasse donc la logique économique, ne peut être considéré comme rationnel.

    Les asymétries de l’information pour expliquer les comportements du joueur

    Les asymétries d’information (Akerlof, 1978) sont un concept en économie particulièrement important puisqu’elles expliquent comme le manque d’information influence la situation d’un marché. En l’occurrence, il convient de s’interroger sur la façon dont ces asymétries viennent discuter le plaisir vidéoludique. Si l’on définit les jeux comme des récits, il existe alors une asymétrie fondamentale entre le joueur et le game designer. En l’occurrence, ce dernier connait plus le récit tandis que le joueur non. Si nous nous placions dans le modèle MDA (Hunicke, Leblanc & Zubeck, 2004), nous dirions que le game designer connait mieux les mechanics, dynamics & aesthetics (mécaniques, dynamiques, esthétiques).

    A l’inverse, le joueur joue pour révéler progressivement ces « strates de compréhension ». Il agit donc pour réduire ces asymétries. Une chose intéressante issue de cela est que nous pouvons alors catégoriser les joueurs et les joueuses en fonction des intentions qu’ils et elles ont pour ce qui est de réduire les asymétries d’information. Pour cela, le modèle MDA est intéressant à mobiliser puisqu’il stratifie une forme de continuum communicationnel entre le game designer et le joueur. Le game designer « comprend » le jeu par les mécaniques tandis que le joueur le comprend par l’esthétique. La différentiation que l’on peut faire correspond alors au niveau de compréhension et de maitrise que veut atteindre un joueur. J’observe alors trois profils types qui peuvent donner un éclairage sur cette question :

    1. Le joueur casual dont l’objectif est de comprendre l’esthétique de l’œuvre sans chercher à comprendre ni les dynamiques, ni les mécaniques (qui correspondent dans le modèle MDA au code informatique) ;
    2. Le pro player dont l’objectif est d’atteindre une parfaite maitrise des dynamiques (l’intégralité des boucles d’inter-réactions, etc.) ;
    3. Le super player ou le speedrunner ou le glitch hunter dont les objectifs sont d’exploiter et de comprendre directement le code informatique pour pouvoir abuser de sa permissivité.

    La différence des profils est alors fonction de la volonté des joueurs et des joueuses, constatable par des comportements, à vouloir réduire les asymétries d’information avec le game designer. Nul doute aujourd’hui que certains joueurs connaissent « mieux » les jeux que les créateurs eux-mêmes. Cependant, cela demande un haut niveau de compétence par rapport au jeu vidéo en tant que logiciel informatique.

    Conclusion

    Voilà un premier billet qui se termine, ou plutôt qui inaugure toute une série de pensées que je vais développer progressivement. Mélanger le game design et l’économie – ou du moins intégrer l’économie aux game studies ­– est une sujet qui me passionne et qui me tient à cœur. Dans un prochain billet, je poursuivrais notamment sur la question de l’utilité et la façon dont celle-ci s’amenuise en fonction du nombre de jeux auxquels nous jouons.

    Esteban Grine, 2018.

     

    Bibliographie indicative

    Akerlof, G. (1978). The market for “lemons”: quality uncertainty and the market mechanism*. In P. Diamond & M. Rothschild (Éd.), Uncertainty in Economics (p. 235‑251). Academic Press. https://doi.org/10.1016/B978-0-12-214850-7.50022-X

    Hunicke, R., Leblanc, M., & Zubek, R. (2004). MDA: A Formal Approach to Game Design and Game Research. ResearchGate, 1. Consulté à l’adresse https://www.researchgate.net/publication/228884866_MDA_A_Formal_Approach_to_Game_Design_and_Game_Research

     

  • Le chemin se fait en marchant.

    Le chemin se fait en marchant.

    Une question absolument incroyable à poser aux joueuses et joueurs de jeu vidéo est la suivante : « pourquoi cours-tu ? » Quel est l’impératif qui nous pousse à courir dans un jeu qui ne nous récompense pas pour la rapidité de nos actions ? La course semble être généralement la seule façon de se déplacer envisagée par le ou la joueuse, sauf dans de rares jeux comme ceux d’épouvantes.

    Pourtant, avant de courir ou de voler, il faut marcher mais c’est une mécanique régulièrement délaissée autant par les créateurs et les créatrices que par les joueurs et les joueuses. Cependant, les observations qui peuvent être faites à partir de la façon dont la marche a été designée sont passionnantes. D’un point de vue purement pragmatique, « marcher » dans un jeu permet de tester ce qui est possible ou non de faire comme par exemple dans Mario Odyssey ou dans « a hat in time ». Autant dans l’un que dans l’autre, la plupart des combinaisons et des techniques sont réalisables uniquement en marchant et cela permet en particulier de comprendre pourquoi dans ces jeux « l’air control » est réellement au centre de leur gameplays respectifs. Par exemple dans « a hat in time » on s’aperçoit que la vitesse « en l’air » n’est pas uniquement conditionnée par l’inertie acquise au sol. Ce saut en est évocateur : bien que je sois en train de marcher, j’arrive à exécuter les actions nécessaires pour atteindre la plateforme d’en face.

    « Marcher » permet aussi de tester les limites techniques des jeux. Dans le dernier Zelda, certaines choses n’ont pas été pensées pour la vitesse de marche. On se retrouve parfois coincé en souhaitant réaliser des actions au demeurant banales. On peut alors en marchant illustrer la façon dont sont codées certaines interactions. En effet, le rythme forcément lent invite le ou la joueuse à focaliser son attention sur le plus grand nombre de détails observables. Dans Horizon Zero Dawn, c’est en marchant que l’on peut s’apercevoir de la rotation saccadée de Aloy. Dans Zelda, c’est en marchant que l’on peut voir les errements du code pour ce qui est de la gestion des jambes de notre avatar lorsque nous montons les escaliers. Dans Metal Gear Solid, c’est en marchant que l’on s’aperçoit que même un petit rocher devient un obstacle insurmontable.

    « Marcher » dans les jeux vidéo est passionnant. Les quelques exemples que je viens d’évoquer ne sont qu’une partie de la face visible de ce que cette action reflète. Pourtant c’est une mécanique laissée de côté alors qu’en prenant le temps de « marcher », on peut alors comprendre toutes les intentions des game designers sur l’ambiance qu’ils et elles veulent donner à leurs jeux. A partir de la marche, il est possible de comprendre et d’analyser les jeux. « Montre-moi ta façon de marcher, je te dirais qui tu es », voilà la proposition que je fais ici. A partir d’un corpus de jeux actuels, je vais donc proposer une série de constats permettant de conclure que le fait de marcher n’est absolument pas neutre dans les jeux vidéo et témoigne de l’atmosphère et de l’éthos du jeu, c’est-à-dire la façon dont il se présente au joueur.

    Dans Metal Gear Solid, la posture de Snake lorsqu’il marche est celle d’un guerrier à l’affût. Dos penché, regard fixe, les bras balancent mais restent proches des armes. Marcher n’est ni plaisant, ni de tout repos. La posture est celle d’une personne prête à se cacher, à sauter au sol. En marchant, on remarque que les épaules de Snake ne sont pas dans l’axe du bassin, que le pied droit est plus ouvert que le pied gauche. Tout nous invite à penser qu’il s’agit d’un pas guerrier, sur le qui-vive. L’absence d’animations autres que celles décrites fait que tout apparaît calculé, dans un état de concentration militaire maximale. Tout cela nous est indiqué dans cette posture. Posture que l’on retrouve aussi chez Aloy qui se penche en avant aussi lorsqu’elle marche. Cependant, celle-ci laisse plus de place à la surprise et l’émerveillement. La tête qui regarde et suit des éléments, une prise de parole régulière et une finesse dans l’animation sont des constats de cela. L’exemple des mains d’Aloy caressant les hautes herbes témoigne de cette dualité entre guerrière investie d’une mission et exploratrice découvrant un nouveau monde.  A l’approche d’un ennemi, celle-ci se saisit automatiquement de son arc, rappelant alors son métier de chasseuse.

    Il est intéressant de noter que ni Snake, ni Aloy, tous deux avatars du ou de la joueuse, avancent en terrain conquis. Il s’agit d’une posture de marche qui reste aux aguets. Cela rend l’ensemble cohérent avec les représentations contenues dans ces œuvres. Le ou la joueuse agit seul·e contre tous dans un territoire hostile et cela se retrouve complétement dans la façon de marcher. Cependant, tous les jeux nous mettant dans cette situation ne transmettent pas cela dans la façon de marcher des avatars. L’avatar du joueur dans Bloodborne, au contraire, avance d’un pas serein et assuré. Le léger mouvement d’ouverture des genoux donne une démarche étrangement similaire de l’imaginaire du film western. L’ouverture des bras et des mains gardant systématiquement des armes sans pression nécessaire de la part du joueur sur la manette ne transmettent pas la précision d’un Venom Snake ou la vivacité d’Aloy. Au contraire, il s’agit là d’une personne sûre d’elle, d’un tueur  avançant en terrain conquis à la recherche de ses proies. Si cette façon de marcher est incohérente avec le ou la joueuse commençant une partie, au fur et à mesure de la session, il ou elle acquière cette assurance déjà présente et observable dans son avatar. Cette posture de marche devient alors un objectif à atteindre : le joueur doit avancer de la même façon que son avatar, en terrain conquis.

    Ainsi, ces trois premiers exemples nous permettent d’observer des propositions relativement guerrières de marcher. Ou plutôt ce sont des postures qui définissent la façon dont les joueurs et les joueuses interagissent avec le monde et ce, sur plusieurs gradients. Si « marcher » dans Bloodborne indique uniquement des intentions meurtrières plutôt romancées par une mise en scène empruntant au western, « marcher » dans Metal Gear Solid invite plutôt à la froideur chirurgicale de la méthode militaire. Enfin, « marcher » dans Horizon Zero Dawn présente plutôt un mélange entre exploration émerveillée et chasse sauvage.

    Dans Breath Of The Wild, la façon de marcher est bien plus neutre dans le sens où elle ne sous-entend pas une recherche ou une attente de conflits. Le dos droit, les bras près du corps, les jambes n’indiquent pas un éveil des sens aux dangers environnants. On appréhende le monde tel qu’il se présente à nous. L’idée est véritablement de redécouvrir un Hyrule déjà foulé, avec un œil nouveau, celui d’une personne ayant perdu la mémoire. C’est une promenade sans jugement du monde qui nous entoure. Les chemins se dessinent en marchant : « Tout passe et tout demeure mais notre affaire est de passer en traçant des chemins » aurait pu dire Antonio Machado. Les armes toujours rangées, l’emphase est alors mise sur la découverte et l’exploration. « Marcher » dans Breath Of The Wild amène aussi à repenser le temps d’une manière plus longue. Ses vastes plaines, ses paysages dégagés sont une invitation à la réflexivité. De même, on se retrouve à observer de nombreux petits détails comme le sens du vent, les fleurs qui jonchent littéralement et complétement les hautes herbes. En marchant, les temporalités ne sont plus du tout les mêmes. Il m’a fallu un peu plus de deux jours ingame, soit environ une heure temps réel, pour atteindre le village Cocorico depuis le Grand Plateau. Cela laisse finalement beaucoup de temps à la réflexion. Des surprises nous rappellent parfois l’animosité des ennemis, d’autres nous rappellent l’état de nature dans lequel nous nous trouvons. La posture de Link se distingue en grande partie par cette façon de marcher, tel celui qui découvre et s’émerveille.

    A la vue des jeux évoqués, « Marcher » est particulièrement propice aux jeux d’aventures ou du moins ceux qui proposent un contexte avec une grande liberté d’exploration. Pourtant, « marcher » peut amener à redécouvrir des jeux proposant des gameplays allant à l’opposé. C’est le cas de Mario Odyssey dans lequel le fait de « marcher » peut porter préjudice à la panoplie d’actions. La « marche » n’est pas particulièrement appropriée aux jeux de plateformes nécessitant réflexes mais aussi les phénomènes de momentum, d’inertie, etc. Dès lors, s’il est possible de marcher, le game design a plutôt intérêt à susciter aux joueuses et joueurs l’envie de courir. La posture de Mario dans Odyssey est particulièrement neutre. Cette neutralité apparaît comme une véritable invitation à ne pas marcher pour préférer la course. Cet exemple amène un constat ou plutôt une hypothèse : il est possible de définir ce qui est ludique de ce qui ne l’est pas en observant la façon dont est game designé le fait de marcher puis de le comparer au fait de courir. Dans Odyssey, « marcher » n’est pas ludique mais courir l’est. Dans Bloodborne, « marcher » n’est pas connoté négativement. Par contre, dans A Hat In Time, Hatkid marche en roulant un peu ses épaules. On ressent une sorte de sautillement : « marcher », c’est ludique. Dans la trilogie Crash Bandicoot sortie en 2017, l’animation de Crash constate aussi cela. Sautillements, balancement des bras : on retrouve un imaginaire autour du « mec cool » d’un lycée étasunien, prêt à sortir son manteau en cuir, son peigne et sa gomina. Dans ces deux derniers jeux, « marcher » suscite le ludique car les animations des avatars font référence non pas à l’appréhension du monde mais à des attitudes déjà considérées comme appartenant à un imaginaire collectif humoristique, caricatural et théâtral. De tout cela, l’animation de la marche de l’avatar apparaît donc comme un élément ludique supplémentaire. Contrairement à Metal Gear Solid V¸ Horizon Zero Dawn et Bloodborne, « marcher » est ici utilisé pour transmettre un constat supplémentaire de l’aspect ludique de l’expérience.

    « Marcher » dans un jeu vidéo n’est pas neutre. A partir du corpus de jeux que j’ai mobilisé, je conclue que les façons de designer la marche sont des éléments importants servant à définir ce qui est ludique de ce qui ne l’est pas dans un jeu. En plus de l’atmosphère, le fait de marcher détermine aussi l’attitude et la personnalité des avatars que nous incarnons. Le pas des avatars dépasse alors la question de la part de réalisme dans le ludique ou la part de ludique dans des comportements précis et calculés. Au même titre que tout autre élément de la structure du jeu, « marcher » transmet des représentations et suscitent aux joueurs et joueuses d’adopter certains comportements plutôt que d’autres : froids et assurés dans Bloodborne, punk issu d’une comédie musicale façon Grease pour Crash Bandicoot ou encore la bonhomie de Hatkid.

    « Marcher », plus généralement, invite à repenser la temporalité et le rythme des jeux. Si la question « pourquoi courons-nous dans les jeux vidéo » reste sans réponse, « pourquoi ne pas marcher »  semble proposer de nombreuses ouvertures sur la façon de penser ce qui est ludique, sur la façon de penser ce qui est jeu.

    Esteban Grine, 2018.

  • Un battement, une éternité – Far From Noise

    Un battement, une éternité – Far From Noise

    Un battement, une éternité – Far From Noise

    De nombreuses fois il m’est arrivé de me trouver dans un entre deux, un moment hors du temps dans lequel je me retrouve bloquer entre plusieurs volontés incohérentes. D’un côté je souhaitais faire marche arrière, en essayant vainement d’annuler ce que j’avais déclenché et de l’autre, je souhaitais embrasser ce futur effrayant car inconnu.

    « Far From Noise » raconte cela, en poétisant le rapport que l’on a avec la peur de l’inconnu mais aussi avec la peur du monde qui nous entoure. De nombreux sujets. Oui, c’est sûr, ce jeu aborde de nombreuses problématiques : peur des étrangers, déconstruction personnelle, acceptation du fait que le monde ne tourne pas autour de nous. Il y a de nombreuses leçons de vie dans ce jeu et son auteur, Georges Batchelor, les aborde aux détours d’une discussion que le ou la joueuse entretient avec un cerf, apparition du fantastique dans un récit pragmatique. Serait-ce une hallucination ? Une déité ? Le jeu n’y répond jamais. De manière générale, le jeu ne propose aucune réponse aux questions soulevées par la conductrice, égarée, entre terre et mer.

    Au fur et à mesure de la discussion, le cerf déconstruit nos arguments en les dissolvant dans une philosophie relativiste et absolue. Tout est relatif, alors pourquoi ne pas embrasser cela ? Voilà l’une des propositions du jeu. Accepter le fait de ne pas être maître de son seul destin et que ce n’est pas grave si demain, tout s’arrête. Ce n’est pas grave pour le monde qui lui, par l’horizon, restera beau, immuable, un tout absolu.

    Far From Noise est beau, pas seulement dans ses graphismes mais bien dans le message qu’il porte. Il faut défaire les préjugés que nous avons, en relativisant notre situation et ce, pour ne plus avoir peur de l’inconnu mais aussi des inconnus. C’est un autre message que le jeu nous propose ici. Ponctuellement surpris par l’irruption de nouveaux animaux, c’est à chaque fois la peur qui déclenche une réaction de la conductrice et c’est en prenant le temps d’observer pour mieux les comprendre qu’elle finit par éprouver de la sympathie pour ces créatures. Je ne suis pas plus importante qu’elles. On peut s’arrêter ici mais l’on peut aussi y voir un message de paix ainsi qu’une méthode : comprendre l’autre et prendre conscience de son existence, c’est un premier pas vers un monde meilleur.

    C’est aussi un premier pas nous permettant de comprendre, qu’au bord du ravin, entre naissance et mort, que nous ne sommes pas si importants que cela et c’est par les relations avec les autres que nous pouvons alors comprendre notre vie. Accepter ce relativisme dont le cerf est l’allégorie, c’est ne plus avoir peur de l’inconnu, c’est accepter la fatalité des choses et notre petitesse, lorsque nous sommes face à face avec l’éternité, sous un ciel étoilé. Et tout cela ne rend le monde que plus beau à mes yeux. ■

    Esteban Grine, 2017.

  • Identifier les apprentissages et évaluer les potentiels pédagogiques des jeux vidéo

    Identifier les apprentissages et évaluer les potentiels pédagogiques des jeux vidéo

    Pour citer ce poster : Esteban Giner. Identifier les apprentissages et évaluer les potentiels pédagogiques des jeux vidéo. 39e session d’études de l’Association pour le développement des méthodologies d’évaluation en éducation (ADMEE-Canada), Nov 2017, Québec, Canada. 〈hal-01636221〉

    L’émergence soudaine des jeux vidéo dans la pédagogie remonte au début des années 2000 avec l’apparition de nouveaux mots-valises comme « gamification » et « serious game ». Bogost, pour observer cette tendance ou plutôt ce nouveau genre de jeux, qualifia les jeux contenant un message et dont l’objectif était de convaincre ses joueurs de « persuasive game » (Bogost, 2006). A ce moment, il intégrait dans cette catégorie de nombreux jeux dont les « serious games ». Ces jeux se définissent de la sorte aujourd’hui car ils contiennent des messages soutenus par des institutions. En parallèle de ce nouveau marché qui s’ouvrait pour les développeurs, ce sont développés les jeux indépendants, mot-valise lui-aussi ne faisant que référence à des jeux produits et édité en dehors des entreprises de référence sur le marché : Ubisoft, Blizzard, Activision, etc. Ces jeux indés proposaient pour certains des expériences moins dirigistes pour les joueurs. Par ailleurs, on commence à voir apparaitre des témoignages d’enseignants, tous niveaux concernés, à propos d’apprenants questionnant la véracité des propos tenus dans les jeux à leurs enseignants ou inversement, questionnant les propos du pédagogue en les comparant à ceux des jeux vidéo (Lalu, Vincent, 2017). La question de l’identification des apprentissages et l’évaluation de ces objets culturels n’en est que plus légitimé.

    La méthode que nous proposons a plusieurs objectifs orientés premièrement vers l’éducation au média « jeu vidéo » et secondement, à la détermination de leur pertinence dans un cadre pédagogique plus ou moins formalisé. Ainsi, il s’agit de pouvoir catégoriser les discours et les approches pédagogiques mobilisés par le game designer pour transmettre un message, puisque dans notre cas, le jeu est considéré comme une forme communicationnelle (Bateson, 1977). Par ailleurs, il est aussi nécessaire d’observer la réception de ces discours afin d’évaluer le potentiel pédagogique d’un jeu vidéo.

    Le triangle pédagogique des jeux vidéo

    Dans le cadre de notre proposition, nous pouvons considérer les jeux vidéo comme présentant des situations potentielles d’apprentissages formalisées à partir de la définition de Houssaye du triangle pédagogique. Dans ce cadre-là, l’expérience vidéoludique est considérée comme une forme de communication dans laquelle trois acteurs sont présents : l’étudiant-joueur, le gameplay-savoir et enfin l’enseignant-game design.  Le premier est celui supposé apprendre. Le second correspond à l’ensemble des connaissances contenues dans le jeu. Nous restons volontairement vague à ce sujet puisque nous incluons véritablement l’ensemble des éléments permettant au jeu d’exister (les assets¸ les décors, les mécaniques, le code informatique, etc.). Enfin le dernier est celui qui scénarise l’expérience du joueur. On évoque ici uniquement le game design puisque nous supposons que jouer à un jeu vidéo est une forme de communication asynchrone et intermédiée mais il s’agit surtout du game designer auquel nous faisons référence. Le triangle pédagogique est intéressant dans le sens où celui-ci suppose qu’une relation entre deux acteurs est privilégiée par rapport aux deux autres. En observant le jeu tout comme le joueur, leurs caractéristiques et les contextes, il devient possible d’établir un ensemble de marqueurs pragmatiques permettant d’inférer sur les intentions de chacun.

    Les boucles pédagogiques dans les jeux vidéo

    Dès les premiers ouvrages consacrés au game design, le concept de « boucle » est apparu. Il fait notamment référence aux « boucles informatique » (loop) qui permettent à un programme de répéter un ensemble d’action. La boucle pédagogique que nous proposons est quand-à-elle calquée sur la « boucle de gameplay » qui retient les 3 éléments suivant : un objectif, un challenge et une récompense. Pour notre boucle, nous faisons intervenir cette fois un objectif pédagogique, des éléments de gameplay et enfin une récompense ou une punition. Il est important de comprendre que même si les jeux vidéo peuvent contenir des objectifs pédagogiques formalisés, dans notre méthode, ces objectifs sont déterminés a posteriori par le joueur (le chercheur, l’enseignant ou l’apprenant) et il est nécessaire d’aller observer leur orientation puisqu’en fonction de cette dernière, ils seront différents. Ces objectifs sont alors liés à des éléments vidéoludiques manipulables ou non par le joueur et apparaissant selon une certaine mise en récit de l’acte de jeu par le game design.

    L’événement d’apprentissage-enseignement intervient après, lorsque le joueur manipule les éléments de gameplay et qu’il obtient une rétroaction formalisée dans le jeu par une punition ou une récompense. Cependant, malgré la rétroaction, l’apprentissage n’est pas forcément constatable dans le sens où notre chemin prend en compte la pluralité des contextes pragmatiques (Genvo, 2013). Ce concept prend en compte le lieu et la temporalité dans lesquels l’acte de jouer apparait mais aussi le joueur, son niveau de compétence, sa littératie vidéoludique (c’est-à-dire sa compétence à analyser les jeux vidéo comme des objets culturels, Zagal, 2010) ainsi que son parcours et ses préférences en termes d’expériences de jeux recherchées.

    Ainsi, avec la boucle pédagogique, nous proposons un outil de cadrage permettant de formaliser et d’analyser la façon dont un apprentissage peut apparaitre dans le cadre d’une session de jeu. Cependant, nous rappelons qu’il s’agit là d’une situation potentielle d’apprentissage dont l’apparition prend en compte les éléments que nous proposons. Par ailleurs, cela donne aussi des indices sur quel facteur nous pouvons infléchir en tant qu’accompagnateur ou formateur.

    Qualifier la liberté du joueur dans son apprentissage

    Après avoir formalisé la façon dont un apprentissage potentiel peut apparaitre en jouant à un jeu vidéo, il convient de revenir sur les événements d’apprentissage-enseignement (EAE) puisque c’est à partir de cette grille de lecture que 1/ nous allons pouvoir définir le discours contenu dans un jeu à propos d’un phénomène et 2/ nous allons pouvoir aussi proposer des directions à l’accompagnateur dans la posture qu’il doit avoir dans l’acte de jouer de l’apprenant.

    Pour observer les EAE, nous nous basons sur la grille de lecture proposée par Poumay & Leclerc (2008). Celle-ci est pertinente puisqu’elle nous permet de qualifier les intentions pédagogiques d’un·e game designer à partir du game design. Dès lors, nous pouvons représenter les différentes situations rencontrées par le joueur sur un continuum persuasivité-expressivité. Selon Bogost (2006), un jeu persuasif est un jeu qui contient un message et qui cherche à convaincre (persuader) son joueur tandis que jeu expressif est un jeu proposant des situations permettant aux joueurs d’expérimenter des phénomènes qui ne lui serait pas forcément possible dans sa vie personnelle (genvo,2016). Par exemple, si nous prenons le cas d’un jeu ne proposant que des phases d’exploration, alors nous pouvons faire l’hypothèse que le game designer ne cherche pas à imposer le discours que le jeu contient. A l’opposé, un jeu ne proposant que des phases d’exercisation est quand-à-lui persuasif dans le sens où l’apprentissage est dirigiste. C’est par exemple le cas de certains jeux thérapeutiques utilisés dans certains programmes de rééducation.

    Observer les EAE permet dans un premier temps de définir la façon dont les joueurs vont potentiellement apprendre les objets définis par les objectifs pédagogiques. Dans le cadre d’un terrain mené en juin 2017 en situation formelle d’apprentissage (un TD mené avec des étudiants de L1 en sciences de l’information et de la communication, nous avons constaté que les EAE proposant une plus grande liberté au joueur étaient plus approprié à des situations informelles de jeu et donc inadapté dans le cadre d’un cours formel mobilisant un jeu. Cependant, nous faisons l’hypothèse que cette apprentissage, lorsqu’il survient, abouti à des questionnements plus pérennes dans le temps chez les joueurs.

    De manière plus général à propos de ce terrain mené, nous pouvons formuler quelques premières hypothèses. Premièrement, nos observations semblent confirmer les hypothèses de Zagal (2010), à savoir qu’il y aurait une corrélation entre la compétence du joueur et les situations d’apprentissages qu’ils peuvent observer et recenser. Deuxièmement, nous observons une corrélation entre les apprentissages et le contexte dans lequel la session de jeu se produit. Les apprentissages ne sont pas forcément moindres dans une situation par rapport à une autre mais ils seraient orientés différemment et fonction des objectifs du joueur et des contextes de jeu. Dernièrement et dans les sessions durant lesquelles des joueurs observent d’autres joueurs, il apparait que l’observation en miroir permet d’interroger sa propre expérience du jeu joué.

    Conclusion

    Les différentes modélisations que nous avons proposées dans ce poster nous permettent, dans une démarche d’éducation aux médias mais aussi d’analyse critique, d’observer et de qualifier les apprentissages potentiels issus d’une situation de jeu. Les premiers résultats constatent que si les jeux recèlent un potentiel, il apparait nécessaire de proposer une situation de jeu encadrée par un·e accompagnteur·ice en fonction des EAE observés. Lorsque le jeu est expressif, l’accompagnateur devra peut-être canaliser ou du moins susciter des pistes de réflexion à l’apprenant. Au contraire, lorsque le jeu est plutôt persuasif, l’accompagnateur devra soit renforcer les apprentissages potentiels dans le jeu s’il souhaite maintenir un certain alignement avec le message du jeu ,soit permettre une distanciation du joueur avec le jeu potentiellement dans une perspective d’éducation aux médias. ■

    Esteban Grine, 2017.

    Bibliographie

    Bogost, I. (2007). Persuasive Games: The Expressive Power of Videogames. Cambridge, MA: The MIT Press.
    Genvo, S. (2016). Defining and designing expressive games: the case of Keys of a gamespace | Kinephanos. Consulté à l’adresse http://www.kinephanos.ca/2016/defining-and-designing-expressive-games/
    Houssaye, J., & Collectif. (2009). Pédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui. Issy-les-Moulineaux: ESF Editeur.
    Leclercq, Poumay. (2008). Le Modèle des Evénements d’Apprentissage – Enseignement.
  • Sisyphe, l’enfer et Scanner Sombre

    Sisyphe, l’enfer et Scanner Sombre

    Sisyphe, l’enfer et Scanner Sombre

    Scanner Sombre est un jeu qui pose la question suivante : serions-nous plus heureux si comme Sisyphe, nous parvenions à comprendre que notre monde est absurde, à accepter notre destin et pourtant à rester heureux ? Dans ce jeu, notre avatar est un géologue professionnel ou amateur qui explore un ensemble de grottes. La découverte progressive de l’environnement nous permet de comprendre ce qu’il s’est passé : nous incarnons une personne morte a côté de son dernier campement après être descendu trop profondément. Notre progression en tant que joueur est en fait le chemin qu’a parcouru ce géologue avant de mourir : le jeu illustre par son level design le regret de notre incarnation en nous proposant donc revenir sur nos pas, de parcourir à rebours notre dernier voyage, loin de notre famille.

    C’est donc son regret qui l’enchaîne au lieu de sa mort et il essaie tant bien que mal a obtenir une forme de rédemption. En tout cas, le jeu nous met a sa place lors d’une de ses tentatives de libération dont la sortie de la grotte en est la métaphore. le souvenir de sa famille est l’incarnation de son regret, de son attache matérielle et cela qui lui ferme les portes de sa rédemption.

    Il n’y a pas grand chose d’autre à dire sur ce jeu mais ce qui m’a frappé, c’est que l’on y voit ici une illustration du mythe de Cisyphe, motif récurrent dans les jeux vidéo. A la fin du jeu, une cinématique se déclenche et vient nous suggérer qu’une force divine nous oblige a retourner au point de notre mort. Le paradis nous est interdit, lecture mythologique qui donne sens à nos actions effectuées lors de notre parcours. Tout ce que nous avions fait est vain puisque soumis à un éternel recommencement.

    Les jeux vidéo mettent ponctuellement cette idée de cycle au cœur de leur narration. Le joueur a une action qui déroule une narration linéaire mais qui s’intègre dans une boucle répétitive : c’est linéaire pour nous mais cyclique lorsque l’on prend du recul. Il n’y a donc ni début ni fin à ces jeux. En tant que joueur, nous attrapons le train en marche, pensant qu’il s’agit du dernier, alors que les concepts de « début » et de « fin » ne s’appliquent plus depuis bien longtemps.

    The Witness propose lui aussi cette lecture d’éternel recommencement, de nirvana interdit au joueur. Arrivé à l’une des fins du jeu, la première pour la majorité, le jeu nous place dans un état similaire à celui de Scanner Sombre, notre avatar flotte et traverse l’ensemble des environnements que nous avons parcouru, défait tout ce que nous avons fait puis nous replace à notre point de départ.

    Dans cette perspective, il apparait que certains jeux vidéo reproduisent des systèmes aliénants dans lesquels des sujets-joueurs sont obligés de recommencer inlassablement les mêmes actions, les mêmes tâches. Nous pourrions aller plus loin en supposant que c’est finalement le cas de tous les jeux vidéo : à chaque nouvelle partie, nous recommençons, toujours, inlassablement, les mêmes actions avec quelques différences dont nous sommes les seuls à pouvoir observer. Pour ces deux jeux, c’est clairement explicite et cela nous pousse à nous interroger sur ce que c’est finalement que de jouer. Scanner Sombre et The Witness nous suggèrent que ce comportement n’est finalement pas si éloigné de ce que faisait Sisyphe, voué à amener une pierre en haut d’une colline pour qu’elle redescende immédiatement, l’obligeant alors à recommencer.

    Continuer à jouer à un jeu vidéo n’est finalement rien d’autre que cela : des comportements répétitifs mais sur lesquels on décide arbitrairement d’y associer un sens ludique, comme si cela excusait notre incapacité à accepter nos aliénations. Le fait que cela soit explicite dans Scanner Sombre et The Witness nous fait comprendre pourquoi il devient nécessaire de s’arrêter de jouer : nos actions sont vouées à être défaites puis répétées comme dans un enfer dans lequel nous serions obligés d’effectuer encore et toujours les mêmes travaux. ■

    Esteban Grine, 2017.

  • Pour Undertale, l’humain est bon, pas le joueur.

    Pour Undertale, l’humain est bon, pas le joueur.

    Pour Undertale, l’humain est bon, pas le joueur

    Undertale est un jeu sorti il y a bientôt deux ans maintenant. A la suite d’une campagne réussie sur Kickstarter, son créateur, Toby Fox, a pu se lancer pleinement dans la réalisation de son jeu. Le développement aboutit alors sur l’objet que l’on connait aujourd’hui. Sitôt sorti, sitôt encensé, le jeu a connu un succès immédiat et sa communauté a très vite grandit jusqu’à être aujourd’hui l’une des plus bavardes sur son jeu de prédilection autant sur les réseaux qu’en termes de création de contenus « fanmade ».

    Pourtant, aujourd’hui, je ne vois toujours pas d’analyse approfondie du jeu hormis quelques théories sérieuses ou complotistes venant étayer certaines représentations que certains joueurs ont sur le jeu. Plutôt que d’attaquer ces théories, je préfère donc proposer la mienne qui comme cela fut le cas pour mes articles sur Majora’s Mask (2001) ou The Witness (2016) ne vient pas imposer une vision ou une compréhension du jeu. Ainsi, dans ce papier je vais soutenir la thèse suivante : pour Undertale (et Toby Fox), l’humain est bon, mais pas le joueur. Je présente la thèse sous cette forme paradoxale (le joueur est forcément humain donc bon et mauvais) car il me semble que cela incarne au plus profond ce que le jeu veut transmettre et questionner : l’éthique et la morale des joueurs. Ce faisant, je me positionne en contradiction des personnes l’ayant attaqué sur sa simplicité scénaristique. Je soutiens au contraire que le jeu est bien plus subtil et bien plus doux-amer que laisse paraitre sa première lecture, son premier parcours.

    Pour argumenter ma position, je vais principalement m’appuyer sur des textes et articles de pédagogie et de game design. Ainsi, dans une première partie de cet article, nous verrons la façon qu’Undertale  a de diffuser les systèmes de représentations et de valeurs. Dans une deuxième partie, il sera nécessaire d’illustrer la façon qu’a le jeu d’orienter le comportement réflexif du joueur : comment celui-ci, en jouant au jeu, réfléchit sur ses comportements et sur sa façon d’interagir en société ? Enfin, nous verrons dans une dernière partie par quelle méthode le jeu manipule le joueur pour lui faire ressentir le regret et le remord.

    Entre expressivité et persuasion, l’objectif de Toby Fox

    Undertale est un jeu dont les inspirations remontent aux jeux de rôle japonais. Nombreuses sont les personnes à avoir déjà pointé du doigt earthbound comme étant le père spirituel du jeu. Toby Fox est originaire d’une communauté de fan et de modders. Dans un entretien donné Joël Couture, Toby Fow expliquait qu’en plus de mother, l’auteur s’inspirait aussi de Shin Megami Tensei. Les prémisses de l’aventure sont simples : un ou une héro amnésique se retrouve dans un donjon (l’underworld) et doit le parcourir afin de terminer l’aventure.

    Undertale est un jeu qui est à cheval entre son côté expressif et son côté persuasif. En effet, il propose au joueur de ne pas combattre, ou plutôt d’éviter les conflits avec les différents monstres composant le bestiaire du jeu. Pour ce faire, l’option Act lors des moments de combats propose un menu avec des choix plutôt humoristiques afin de résoudre les combats de manière pacifiste. Ce faisant, le gameplay du jeu se rapproche alors du genre expressif dans le sens où il n’impose pas un discours particulier au joueur et n’oblige à aucun moment ce dernier de se comporter d’une façon précise. Cependant, cela vient en contradiction avec le discours tenu par certains personnages dont Toriel, deuxième PNJ rencontré après l’antagoniste principal du jeu qui nous demande de manière plutôt formelle de ne pas tuer de monstres vivant dans l’underworld. D’entrée de jeux donc, undertale enseigne au joueur selon une approche réceptive (Leclerc & Poumay, 2008) de ne pas commettre de crime puis nous laisse expérimenter et faire l’exercice de cela de manière libre. De même tout au long du jeu, il n’y aura pas véritablement de punition ou de game over lié à un mauvais choix à un mauvais moment du joueur. Les seuls moments véritables de mort vidéoludique ont lieu durant les combats rencontrés et ceux-ci sont directement liés à la compétence du joueur. Une fois, la première proposition faite par Toriel de ne pas tuer, le game design ne revient plus sur cela et laisse le joueur faire comme bon lui semble. C’est là où le côté procédural et algorithmique de l’histoire devient particulièrement intéressant puisque le joueur se retrouve sanctionné positivement ou négativement sans que cela soit clairement formel. De même, la punition n’est pas immédiate. Cela a pour conséquence de duper le joueur jusqu’au moment où un twist scénaristique apparait tout en le faisant prendre conscience que plus durement de son comportement. Nous avons déjà montré dans un précédent article sur la réflexivité la façon qu’avait le game design de responsabiliser le joueur de ses actes vidéoludiques.

    Undertale est un jeu profondément humaniste. Il nous invite à interroger notre façon de jouer et ce que nous considérons de ludique. En ce sens, finalement, Toby Fox développe un game design et une pensée proche de celle de Miguel Sicart notamment. Ce dernier considère le fait de jouer comme un acte moral et éthique pour le joueur, non pas forcément que le jeu change le système moral du joueur mais plutôt que ce dernier engage son système éthique et moral dans sa façon de jouer. Ainsi, les actions qui ont lieu durant le jeu sont le reflet, le constat visible et observable de l’éthique et de la morale du joueur. Dès lors, l’idée centrale d’undertale en se présentant comme un RPG dans lequel nous pouvons éviter le meurtre d’ennemis est de dresser une critique générale sur les jeux vidéo actuels. Ces derniers, au contraire, engagent le joueur dans des actions immorales (même si elles n’ont aucun impact). L’objectif du game designer dans undertale est alors de proposer autre chose que la ludoformation de la mise à mort.

    Undertale comme critique du comportement de joueur

    Ainsi, dans ce jeu, il y a une première critique de notre façon de jouer. Toby Fox, volontairement ou involontairement, critique le fait que nous, joueurs et joueuses, puissions-nous amuser à mettre à mort des personnages fictifs sous prétexte que le côté ludique de l’activité excuse la morbidité de cet acte. Mais ce n’est pas tout. Une deuxième critique de notre façon de jouer se dresse de manière plus fine en filigrane de nos actions dans le jeu. En effet, si cela aura échappé au joueur, il apparait tout de même important de mentionner que le jeu undertale invite son joueur à ne pas accumuler. Autrement dit, undertale est aussi un jeu de rôle qui rejette toute forme d’accumulation capitalistique. Cela est particulièrement intéressant notamment lorsque l’on s’aperçoit que les jeux critiquant le capitalisme, de près ou de loin, reproduisent des schèmes et des modèles de fonctionnement (des règles structurées dans ce cadre-là) reproduisant notre société capitalistique. Undertale nous invite donc à ne pas conserver particulièrement de l’argent, où en tout cas à le dépenser régulièrement et uniquement sur ce qui est nécessaire : de la nourriture principalement et qui en plus est produite localement (on saluera ici la prise en compte des circuits courts mais aussi du respect de la saisonnalité des produits). Par ailleurs, deux fois dans le jeu, il nous est proposé de financer des causes humanitaires : la protection des araignées. Enfin, Fox profite d’un rapide passage pour dresser une critique du coût exorbitant des études aux Etats-Unis, de la précarité des étudiants mais aussi du manque de débouchés à la sortie du diplôme en présentant le personnage du vendeur Temmie. Celui-ci, ou celle-là, travaille pour financer ces études dans le magasin du village Temmie. Le joueur peut l’aider pour financer ses études (en payant un prix exorbitant et qui nécessite que le joueur effectue des tâches répétitives pendant un certain temps). A son retour des études, Temmie reprend son poste de vendeur comme si de rien n’était : aucune progression sociale ne semble permise alors, malgré l’obtention d’un diplôme.

    Ces deux critiques faites à l’encontre des jeux vidéo se retrouve tout d’abord dans les combats que nous verrons plus loin mais surtout dans un seul élément du jeu qui pour nous vient constater cela. Undertale cristallise ses critiques de la violence vidéoludique et des logiques capitalistiques dans sa gestion des points d’expérience. En effet, in fine, avec tous les messages qui nous sont envoyés lors du jeu mais principalement par Toriel, au tout début, on nous invite à ne pas commettre de meurtre. Or, en règle générale, le fait de combattre des ennemis apportent de l’expérience si on les tue. Le fait de passer des niveaux relève en effet d’une logique d’accumulation (de points). Mais dans undertale, le fait de résoudre des conflits de manière pacifique n’en n’apporte pas. Ainsi, si l’on souhaite mener une « route pacifiste », notre avatar restera toujours au premier niveau sans franchir le second. Avec cette lecture, le message est clair : être pacifiste, c’est ne pas accumuler plus que nécessaire. On pourrait même pousser cette réflexion en rapprochant le gameplay du jeu comme l’un des premiers gameplay incarnant des logiques de décroissance. Dans cette perspective, le jeu de Toby Fox prend alors une dimension bien plus importante dans l’histoire du jeu vidéo.

    Un dernier point qui semble constater notre hypothèse  sur cette lecture anticapitaliste concerne les différents impacts que peut avoir le joueur sur l’environnement vidéoludique par rapport aux RPGs orthodoxes et les jeux vidéo en général. En effet, dans la plupart des jeux, les joueurs peuvent explorer des univers mis à leur disposition en tant que potentielle ressource exploitable. Par exemple, dans les jeux Final Fantasy, un joueur peut entrer dans la maison d’un PNJ, fouiller les rangements disposés ici et là (on peut supposer un lien de propriété en calquant les règles régissant notre réalité à la diégèse du jeu) et, finalement, obtenir des objets. Dans les jeux Oblivion & Skyrim, le joueur peut faire du commerce avec n’importe quel marchand, peu importe le besoin de ce dernier. Enfin, les ressources s’inscrivent généralement dans des mécanismes de développement durable et de non exclusivité : dans Pokémon Go, il n’y a pas un nombre fini de pokémons par exemple. Cependant, dans undertale, quasiment tous les objets, hormis les objets de restauration de la santé (hamburgers, nourriture variées), sont contenus dans un ensemble fini de ressources. Dès lors, le joueur ne peut exploiter son environnement comme bon lui semble et comme dans tout autre jeu vidéo. Très tôt, en début de partie, le joueur va arriver devant un saladier rempli de bonbons. Le jeu fait la demande de n’en prendre qu’un seul, or, il est possible de se resservir. Le jeu va alors graduellement faire comprendre que ce n’est pas un bon comportement à avoir jusqu’à ce que le saladier se renverse sur le sol, rendant la ressource inutilisable. Il est ici intéressant de reformuler ce qu’il se passe dans cette situation de la façon suivante : la surexploitation d’une ressource la rend à terme inexploitable de manière durable et détériore l’environnement dans lequel elle se trouve. On retrouve aussi cet ensemble fini de ressources dans le nombre de monstres par zone du jeu : il n’y a pas de griding possible dans undertale. Au bout d’un certain nombre de combat, les zones deviennent vides : voici un nouvel exemple de la surexploitation du joueur sur l’environnement vidéoludique. C’est aussi à ce moment que le game design doit nous interroger sur la morale et l’éthique des comportements que nous avons en jouant : de quoi ces comportements sont-ils le reflet ? Une première interprétation serait qu’ils reflètent nos us et coutumes capitalistique et d’exploitation dans le monde physique.

    Nous venons donc de proposer une interprétation décroissante d’undertale dans le sens où le gameplay illustre une critique de la violence et de certaines logiques capitalistiques. Ainsi, il ne faut pas non plus trop se soucier du terme employé de « décroissance ». Au contraire, il faut simplement retenir qu’undertale se pose comme l’un des représentants, peut-être le parangon ultime, d’une façon de jouer « hétérodoxe » dans le sens où le jeu propose autre chose que ce qui forme l’orthodoxie vidéoludique, à savoir la reproduction ludifiée des schèmes et des logiques néo-libérales et capitalistiques.

    Combats, mises à mort & empathie pour notre prochain

    Nous avons constaté notamment qu’undertale critique les comportements habituels des joueurs dans le sens où ceux-ci s’inscrivent dans des logiques oppressives. Il convient maintenant de revenir plus en détail sur  son système de combat et comment celui-ci diffuse les valeurs souhaitées par Toby Fox. Encore mieux, il convient de revenir sur la mise en récit, précisément, de l’antagonisme vidéoludique. Encore une fois, undertale dresse une critique des systèmes de combat usuels des RPGs. Le premier élément qui doit sauter aux yeux est qu’à aucun moment le jeu oblige le joueur à agir d’une certaine façon. Mieux, le game design met l’ensemble des éléments à égalité en affichant les quatre boutons d’actions sur une même ligne et de taille égale. Par exemple, c’est le contraire de ce que l’on trouve dans les jeux Pokémon récents qui mettent clairement en avant le choix d’attaquer. Ici, les options sont d’égals à égals et seul le bouton « Mercy » changera de couleur pour nous signaler que le combat peut se terminer en épargnant le ou les antagonistes. Par ailleurs et comme je l’ai déjà montré dans mon article scientifique sur la réflexivité (Giner, 2017), le jeu alterne les rythmes des séquences dans ces combats en misant sur l’humour et le potache lorsqu’il s’agit de résoudre les conflits de manière pacifique. C’est pourquoi nous n’allons pas nous y attarder outre mesure ici. Par contre, il convient d’aborder plus en détail l’attitude du joueur et la façon qu’a ce dernier de se refermer sur ses vieilles habitudes. Undertale est un jeu qui dès le début a été présenté comme un RPG dont les combats peuvent se conclure par la non-violence du joueur. Or, comme le rappelle Joël Couture dans son livre « Fallen Down » (2017), les joueurs n’arrivent pas forcément à voir les opportunités et les possibilités puisque ceux-ci n’arrivent pas forcément à sortir de leurs habitudes. Cela est particulièrement flagrant à la fin de zone de didacticiel lorsque nous devons affronter Toriel (qui est un jeu de mots pour « tutorial », « ‘torial », « Toriel »). Lors de ce combat, le joueur doit sans cesse choisir l’option « mercy » pour enfin avoir la possibilité d’épargner ce personnage. Le problème est que l’on ne voit pas immédiatement l’impact que le choix répété de « mercy » : autrement dit, il n’y a pas de feedbacks immédiats. Ainsi, malgré tous les paratextes que l’on a pu avoir ainsi que les messages dans le jeu, on a l’impression de se retrouver bloqué et d’être obligé à tuer Toriel. L’échec ressenti par le joueur jouant en souhaitant appliquer la proposition d’undertale  n’est donc pas de « perdre un combat » mais de solder un combat par la mort de son opposant. Chose qui arrive malgré tout fréquemment lors des premières runs se concluant en « neutral route ».

    Encore une fois, il s’agit là d’illustrer la critique que fait undertale des habitudes et des réflexes des joueurs. Couture (2017) soutient la thèse, avec laquelle je suis d’accord, que le jeu et son game design parviennent à créer des liens affectifs envers les personnages non-joueurs. Il s’agit là bien entendu à une affection éprouvée pour des personnages de fiction, chose finalement assez banalisée dans les œuvres culturelles. Or, là où le jeu se distingue concerne la façon dont il arrive à faire ressentir une douleur émotionnelle réelle liée à un comportement du joueur se concluant sur la mort d’un personnage apprécié. Le jeu a ce génie de construire tout son game design sur la notion de regret, émotion ressentie par le joueur.

    Le regret comme moteur de la thèse du jeu

    Le regret est une émotion importante dans les jeux vidéo puisque c’est l’une des seules émotions qui peut être uniquement ressentie en jouant. Cependant, il convient de spécifier un peu ce que nous entendons par « regret ». Ainsi, nous considérons uniquement le regret uniquement en rapport à la fiction. Cela signifie que la personne ressentant cette émotion doit avoir eu un comportement formalisé dans la fiction qu’il parcoure. De plus, il faut que ce comportement et ses conséquences soient irréversibles. Or, généralement dans les jeux vidéo, toute action peut être rendue nulle. C’est alors à partir de ce point de départ et de ce qui a précédemment été constaté dans ce papier que Toby Fox a bâti son piège.  

    Undertale est un jeu qui piège son joueur à cause de ses réflexes et de son attitude ludique et grâce au regret que cela va lui causer. Pour construire mon raisonnement cependant, nous avons besoin d’étayer mon propos autour de la construction narrative du jeu. Undertale propose une histoire qui ne se découvre que de manière très progressive et sur plusieurs runs, c’est-à-dire sur une répétition du début à la fin du jeu – nous reviendrons dans un prochain papier sur l’utilisation des cycles et des répétitions dans les jeux vidéo pour diffuser des messages et des discours. Autrement formulé, il faut comprendre que le récit, la narration, dévoile l’histoire générale sur trois parcours du jeu. Le joueur doit donc refaire le jeu au minimum deux fois et selon certaines spécificités pour atteindre les 100% de complétion et véritablement pouvoir dire « j’ai fini le jeu ». Ainsi, généralement, la première run se conclut par une fin neutre. Le jeu nous propose ensuite de refaire le parcours pour atteindre la « true pacifist ending ». A la toute fin de cette route, Flowey, l’antagoniste principal du jeu, apparait pour prévenir le joueur de ne pas poursuivre sa complétion du jeu sous prétexte que les personnages sont maintenant heureux. Recommencer n’aurait alors pas d’impact et qu’il y aura un reset complet. Il s’agit là du véritable test du jeu. Tout le game design et la critique du jeu vidéo orthodoxe qui est faite progressivement conduit à ce moment fatidique du choix. Ce choix peut être formulé de la manière suivante : le jeu nous demande de manière quasi formelle d’arrêter d’être joueur, ou du moins, d’être un joueur normal dont la pratique s’inscrit dans l’orthodoxie vidéoludique. J’avais déjà constaté, à travers les Sessions Innocentes (des sessions de jeu durant lesquelles je filme des personnes jouant peu à des jeux vidéo), qu’il était plus facile pour une personne de respecter son système de valeurs durant l’activité vidéoludique. Ainsi, l’hypothèse que je formule ici et que lorsque le discours d’un jeu entre en conflit avec le système de valeur d’un non-joueur relatif (dans le sens où il ou elle joue très peu), ce dernier va facilement terminer sa session de jeu avec l’idée qu’il ne veut pas aller dans le sens du jeu : le conflit entre le joueur et le game designer (à travers le jeu) se solde par le refus du joueur à poursuivre / à jouer.

    Pour résumer ma pensée, ou plutôt la reformuler, j’interprète undertale comme une critique de nos habitudes vidéoludiques. Celles-ci sont orthodoxes car elles dérivent de notre société orientée capitaliste et néo-libérale, ce qui se retrouve dans les jeux vidéo mainstream mais aussi malgré tout dans les plus petites productions. Le moment durant lequel Flowey nous invite à ne plus jouer, le joueur sait déjà plus ou moins que pour continuer à dévoiler l’histoire, il devra exécuter la genocide route. Or, cela signifie faire table rase de tout ce qui a été déjà parcouru et surtout, cela signifie revenir à une conception orthodoxe du jeu vidéo où les personnages ne sont rien de plus que des ressources exploitables par le joueur. Si ce dernier choisit de parcourir la genocide route, alors il émet une préférence pour son plaisir vidéoludique plutôt que pour le respect d’une demande formelle (et indirecte de la part du game designer). Le test que présente Toby Fox est donc fait pour savoir si, après la true pacifist ending, le joueur va reprendre un comportement oppressif et habituel dans les jeux vidéo.

    La Genocide Route, ultime alerte avant la punition finale

    Ainsi, dans la lecture que je propose, la genocide route n’existe finalement que pour piéger un certain profil de joueur de jeu vidéo : ceux qui font preuve et qui maintienne leur attitude ludique malgré tous les messages et les invitations faites au joueur pour justement ne pas poursuivre  l’aventure. En ce sens, chacun des nouveaux éléments de gameplay amenés lors de ce parcours peuvent être interprétés comme des éléments testant la volonté du joueur à poursuivre et que nous pouvons lister. Premièrement, le maintien de ce parcours nécessite la mise à mort de tous les monstres de chaque zone. De même, il faudra aussi mettre en terme aux vies des personnages secondaires de l’intrigue : Toriel, Papyrus, Undyne et Sans qui sont chacun des pics de difficulté obligeant le joueur à essayer à de multiples reprises pour enfin réussir. « Stay determined » est le message apparaissant à chacune des morts et si lors des neutral routes et de la true pacifist run, cela pouvait nous remplir d’espoir, lors de la genocide route, il cache un piège pervers puisqu’il nourrit l’esprit guerrier et ludique du joueur : il doit battre les bosses se présentant devant lui, peu importe le coût que cela aura. Deuxièmement, l’ambiance proposée devient pénible et lourde à supporter : les décors sont vide, plus aucun PNJ ne se présente et tout ce qui faisait la saveur des runs neutres et pacifistes disparait : le joueur est laissé seul à lui-même avec pour seule mécanique de se battre de manière répétée et perpétuelle. Undertale devient un jeu orthodoxe et ce, dans sa plus simple expression : coloniser des territoires et abattre des éléments considérés « ennemis ».

    Pourtant, il ne s’agit pas non plus pour Toby Fox de critiquer uniquement les jeux mainstream mais plutôt d’atteindre le joueur autrement. Pour rappel, l’objectif de Fox est, dans notre lecture de l’œuvre,  de critiquer les pratiques normées, standardisées des joueurs. Pour ce faire, il nous propose de parcourir une première fois le jeu. A la fin de celle-ci, un premier groupe de joueur totalement convaincu peut s’arrêter après avoir compris le message, un deuxième groupe continu. Ce groupe parcours une seconde fois le jeu en rendant tout « mieux » lors de la true pacifist route, objectif alors visé par ce groupe. A la fin de cette run, il y a à nouveau deux groupes : ceux qui vont arrêter de jouer car ils ont été suffisamment touchés par le message proposé par le jeu (qui pour rappel est que jouer est un acte moral et avec des conséquences) et ceux qui malgré toutes les mises en garde, veulent poursuivre et parcourir la genocide route. La seule stratégie, et à notre sens la plus pertinente à ce niveau de Toby Fox, est alors de faire ressentir à ces joueurs (ceux qui n’ont jamais arrêté) les émotions les plus fortes pouvant être ressenties en jouant : le regret et la culpabilité.

    Cycles et châtiment du joueur pour ses méfaits

    La genocide route n’existe que pour culpabiliser et susciter le regret chez les joueurs n’ayant toujours pas compris le message de Toby Fox. Le piège dressé par ce dernier pour leur faire comprendre n’en devient que plus intéressant et pertinent à étudier d’un point de vue critique et scientifique puisque cela interroge directement le rapport que peut avoir une audience à la fiction elle-même. L’une des caractéristiques les plus intéressantes des jeux vidéo, par rapport à d’autres médias, est sa capacité à nous faire ressentir soit de la fierté, soit du regret par rapport aux éléments d’une fiction. En effet, en nous obligeant à prendre part à l’action, les émotions suscitées sont différentes. L’une des spécificités des jeux vidéo (si elles existent) serait alors de penser ces objets comme des outils créant des passerelles émotionnelles directes avec les éléments fictionnels. Autrement formulé, l’une des spécificités du jeu vidéo serait de créer un sentiment de responsabilité de l’audience vis-à-vis de la fiction. Ainsi, si undertale avait été un film, le meurtre de Toriel nous aurait probablement peinés, attristés, sans plus. Or, le fait que nous soyons l’auteur de ce meurtre transforme l‘expérience et notre rapport à la fiction. l’objectif serait de créer un rapport à la fiction différent du cinéma ou de la littérature ou de toutes formes narratives. Les émotions suscitées sont alors différentes. « Nous » sommes les meurtriers qui perpétuons des comportements oppressifs dans les jeux vidéo.  De notre point de vue cependant et malgré la puissance de ces émotions et leur capacité à nous toucher, les jeux vidéo orthodoxes nous déresponsabilise vis-à-vis de ce qui se produit dans la fiction – les jeux sont comme des cercles magiques dans lesquels les actions produites n’ont pas d’impact en dehors. Là où se distingue undertale, encore une fois, réside dans le fait qu’il ne déresponsabilise pas ses joueurs et ce, en intégrant la notion d’héritage, presque au sens schumpétérien du terme : nous laissons des traces et le jeu se souvient de toutes nos actions, même celles que nous regrettons et que nous aimerions bien effacer. Sur ce sujet, Joël Couture explique bien le sentiment de regret qu’ont pu avoir les joueurs en tuant certains personnages non-joueurs. Si le joueur ne comprend pas le message de Toby Fox pendant le jeu, la genocide route existe pour lui faire comprendre a posteriori. Contrairement à d’autres jeux, notamment les titres de Telltales, qui ôte le poids de la culpabilité à son joueur en l’invitant à rejouer la fiction autrement, undertale ne pardonne jamais les crimes commis par le joueur. Après la genocide¸ le joueur ne pourra plus jamais atteindre la true pacifist ending. A la toute fin de cette dernière, si elle est parcourue après une la genocide, l’avatar change et nous observe par un regard camera glaçant : le jeu se souvient de nos actions, de nos torts. Toby Fox fait alors de son jeu un véritable miroir de l’âme du joueur. Au fond, celui-ci est un monstre et n’accédera pas à la rédemption généralement offerte par les jeux orthodoxes.

    Le joueur, cette monstruosité aux yeux d’Undertale

    Alors le joueur, empli de regret, se retrouve devant un choix. Soit il décide de défausser le message du jeu sous prétexte que « ceci est un jeu » (Bateson, 1977), auquel cas le game design du jeu aura définitivement échoué à transmettre le message de Fox. Soit le joueur accepte son statut de « monstre » et décide de remédier à cela et changeant son comportement dans les futurs jeux auxquels il jouera. En commençant notre article, nous avions pour objectif de soutenir la thèse qu’undertale questionne le comportement éthique du joueur. Reformulé, undertale nous interroge et propose une réponse à la question : « qu’est-ce que jouer de manière éthique ? ». La réponse que nous pourrions ébaucher serait alors la suivante : jouer de manière éthique à undertale, c’est parcourir le jeu en respectant les exigences de la true pacifist route. Plus généralement, Toby Fox nous invite à interroger la façon dont nous jouons et les comportements que nous avons lors de nos sessions vidéoludiques. Les conclusions de Fox semblent proches de celles de Miguel Sicart lorsque ce dernier, dans Play Matters, dit que nous transposons nos systèmes éthiques et moraux dans les façons que nous avons de jouer. Partant de ce propos, si nous jouons à tuer des cibles considérées ennemis dans un jeu, c’est parce que finalement nous reconnaissons une certaine forme ludique au meurtre dans notre société. Fox et Sicart reconnaissent donc les jeux vidéo comme des supports d’expression de nos systèmes de valeurs. Il ne s’agit alors pas de questionner les impacts que peuvent avoir les jeux vidéo mais plutôt de faire éclater au grand jour les vérités fondamentales du jeu vidéo. Pour Fox, ces dernières reposent sur la violence, l’oppression, la pensée capitaliste et les comportements coloniaux. Si les Humains, malgré cela, restent bons, c’est parce qu’en l’absence d’une attitude ludique fortement marquée, ils arrêtent de jouer lorsqu’ils comprennent le message du jeu ou lorsque celui-ci entre en contradiction avec leur système de valeurs. Les joueurs, par contre, maintienne leur attitude ludique et ce, peu importent les comportements atroces commis ou qu’ils s’apprêtent à commettre. C’est en ce sens, que je pense pouvoir affirmer que pour undertale¸ l’humain et bon, pas le joueur. ■

    Esteban Grine, 2017.

     

  • Le sens caché de The Last Of Us – CT05

    Le sens caché de The Last Of Us – CT05

    Que ferons-nous le jour de la fin du monde ? En supposant déjà que nous survivions les premiers de ces derniers jours. Comment la vie s’organiserait dans les anciennes villes conquises par la végétation ?

    S’il y a bien eu une catastrophe dans The last of us, celle-ci s’est terminée il y a bien longtemps après le début de notre périple. On découvre alors une société humaine qui tente, tant bien que mal, de se réorganiser. On se retrouve alors dans une dystopie dans laquelle les civils doivent jongler entre le peur de l’armée et la peur des bandes organisées. Ce n’est pas cela qui me frappé, ni même ces nouvelles créatures vraisemblablement apparues pour venger la planète de l’espèce humaine.

    The last of us est tâché de ce motif de fiction récurrent autant dans les œuvres occidentales qu’orientales. Je parle ici du voyage en Occident ou du moins vers l’ouest, le Far West de l’Amérique. C’est cette recherche d’une terre d’asile, d’un Eldorado qui ancre le récit de Joël et Élie dans un imaginaire prophétique puisque il s’agit aussi de deux noms évocateurs de la mythologie biblique. Élie est le prophète qui annonce le retour du messie à la fin des temps et Joël est lui aussi porteur d’un parole religieuse. Puis vient le motif de la rédemption. Joël, ayant échoué à protéger sa fille lors du démarrage de l’épidémie se retrouve avec une nouvelle personne à protéger, métaphore du parent qui doit assurer le futur de sa progéniture. Enfin, le dernier motif est celui de l’héritage. Deux générations dont l’une qui doit promettre et permettre un monde meilleur à la suivante. L’échec d’une génération humaine à fournir un niveau de vie durable à la suivante.

    On retrouve ainsi donc les éléments qui font les récits à succès. Une quête, intergénérationnelle, d’un être protégeant un autre et in fine le sort du monde. Plus encore que cette quête de rédemption, the last of us est un récit qui raconte la fin d’une ère. Malgré toutes ces créatures étranges, horrifiques et zombifères, il s’agit du récit de l’affaissement de notre civilisation sur elle-même. Et l façon dont les humains restants ont tenté vainement du survivre alors que tout repère disparaissait.

    Durant notre voyage vers l’ouest, nous traversons des dizaines de maisons et de lieux. Tous racontent qui étaient leurs occupants et comment ils tentèrent vainement de fuir.

    Tout au long du jeu, des éléments symbolisant la traversée vont marquer notre voyage et en être les objectifs. Dès le début du jeu, le pont est le symbole de cet objectif. Il faut traverser le fleuve, qu’il soit le Styx ou un autre. Sarah dans ses bras, le pont devient l’objectif du joueur. Mais il n’y arrive pas à ce moment. Plus tard dans le jeu, nous retrouvons ce pont, à nouveau objectif des protagonistes. Le jeu fait de nombreuses références à son propre récit. On l’aperçoit en fond puis, on le revoit dans un cabinet d’architecture, probablement celui qui l’a construit. Puis nous y arrivons enfin mais celui-ci est cassé, l’empêchant de remplir son office. À de nombreuses reprises, le joueur doit bâtir et traverse des cours d’eau : il oscille entre la vie et la mort. D’abord à la centrale où la coopération est nécessaire pour le traverser puis à l’hôpital. Moment clef de l’intrigue puisque Élie y perd connaissance. Elle passe alors de l’autre côté. Puis à la toute fin du jeu, en l’incarnant, nous traversons un ruisseau ridicule comme si le jeu nous narguait : « ce n’était pas si compliqué vois-tu ». Nous revenons alors dans le monde des vivants, auprès de la ville de Tommy, seul bastion autonome et pérenne que l’on croise. Le jeu joue beaucoup sur cette idée de cours d’eau à traverser. Impossible de ne pas y voir une métaphore des allers et retours que font Joël et Élie entre le monde des vivants et celui des morts.

    Impossible aussi de ne pas voir que les cours d’eau que l’on veut traverser se font de plus en plus petits au fur et à mesure de notre avancée dans le jeu. On peut y voir l’évolution psychologique des personnages. En voyageant ensembles, les obstacles auparavant insurmontables redeviennent envisageables. Ce n’est qu’une lecture d’un détail, critiquable mais qui fait sens dans cette analyse.

    Les morts, nous en croisons des centaines. Comme ces cadavres que l’on trouve dans les maisons, dans les salles de bains mais aussi parfois dans leur lit ou dans l’une des pièces de leur ancienne maison. Et ces monstres difformes, qui étaient-ils ? Probablement les habitants mêmes des lieux que nous traversons. Le jeu nous donne des indices sur qui ils étaient. Comme ce cadavre que l’on découvre à la fin de l’automne devant un égout que l’on s’apprête à traverser. En regardant ce corps misérable, on s’interroge sur la personne qui mourut de cette manière,  isolée. Puis l’on se souvient que plus tôt, nous avions visité une épave dans laquelle une note nous indiquait que son propriétaire s’était décidé à revenir sur terre. Voilà un mystère résolu, le pauvre marin a du se faire attaquer par des bandits ou des claqueurs et son histoire s’est arrêtée de manière brutale, immédiate.

    The last of us peut d’ailleurs se résumer à cela : nous explorons des lieux qui ont auparavant été vivants. En voyageant, nous découvrons leurs histoires et celles de leurs occupants. Difficile de ne pas s’imaginer quelles ont pu être les personnes y ayant vécu ? En s’arrêtant pour observer les environnements, on découvre l’histoire de ces familles décomposées. On remarque que ce couple venait ou allait avoir un nouveau-né. On comprend que cette chambre appartenait à un adolescent. On en vient à ressentir de l’empathie pour ces personnes qui ont disparu. On remarque que cela bureau appartenait à quelqu’un affirmant un côté lubrique. On remarque sur cet autre bureau qu’il appartenait à une personne aimant sa conjointe. On remarque qu’Elie récupère un jouet afin de l’offrir à un enfant qu’elle rencontre. On finit par comprendre que de nombreux monstres que nous tuons sur le chemin étaient probablement les occupants originels de ces lieux, de ces maisons que nous traversons.

    En ce sens, la traversée des égouts habités devient l’une des séquences les plus poignants que le jeu nous offre. En arrivant, on découvre une poupée. On se demande immédiatement comment elle a pu atterrir ici. Le jeu nous prépare à la découverte d’un campement. Arrivé devant une porte colorée et bariolée, on s’imagine qu’il s’agissait d’un campement d’enfants. Les règles du groupe nous confortent à ce moment dans cette lecture : mal écrire et sur des détails qui peuvent paraître insouciant. Très vite, les environnements et les quelques bribes d’informations que nous trouvions ici et là nous font comprendre que des adultes étaient présents et que ce campement reproduisait une organisation sociale avant l’épidémie. Il devient alors possible de récolter les morceaux de l’histoire de ces lieux uniquement par l’observation. Le travail devait probablement être organisé de manière collective entre l’alimentation, l’entretien des vêtements, la récupération de l’eau et l’éducation des enfants.

    C’est dans ce mieux que sont clairement évoqué des enfants ayant survécu à l’épidémie. De plus, vu les lieux, ils avaient probablement la tâche d’assurer la cohésion sociale : c’était le lien qui maintenait les adultes et leur donner un objectif commun.

    On découvre plus tard que cette tentative a été un échec puisqu’en entrant dans une salle, proche de la sortie, on découvre les cadavres des enfants à côté de l’adulte leur ayant donné la mort avant de lui-même se suicider. Encore une fois, cela conforte la lecture de ce jeu comme une lettre d’excuse d’une génération humaine n’ayant pas réussi à protéger la suivante.

    La fin de cette séquence est tout aussi marquante et mode de sens. Nous rentrons dans ces lieux par une grille qui ne peut être ouverte par quelqu’un d’autre qu’un humain. On s’aperçoit que la sortie à elle aussi être condamnée par d’autres survivants. Cela nous suggère que les monstres que nous tuons sont en réalité les anciens habitants de ces lieux. Rien ne se perd, tout ce transforme. C’est l’une des observations les plus importantes à prendre en compte. Tous les claqueurs et les coureurs que nous abattons ont été des êtres humains et pour la plupart, les habitants, les propriétaires ou les locataires de ces maisons que nous traversons.

    L’imagerie est d’autant plus forte que nous incarnons des personnes porteuses de noms bibliques. Sans aller dans la surinterprétation, il y a un certain goût d’expiation des péchés que l’homme a commis. Comme s’il était temps, non pas de perpétuer ou de guérir un monde en ruine mais plutôt, tel que Noé, bâtir une arche afin de protéger quelques individus choisis comme Élie dont la miraculeuse guérison n’est jamais expliquée : intervention du divin dans un monde brutal et sanglant.

    Cette lecture est constatée par le choix que fait Joël à la toute fin du jeu. En mentant à Élie, il faut le choix d’abandonner l’ancien monde. On peut d’ailleurs y voir une référence à la bande dessinée « the watchmen » qui se conclut aussi par un mensonge sur lequel sera bâtie la nouvelle organisation humaine. Bref, l’humain a échoué, il ne sert à rien de vouloir rafistoler les morceaux restants. En ce sens, pour une rare fois dans le jeu vidéo, on voit une proposition progressiste si rompt avec le conservatisme ambiant. En mentant Joël fait le choix de rompre avec l’ancienne civilisation qui est dans le jeu incarné par l’autocratie au début du jeu et par les lucioles dont la logique manichéenne créé des doubles standards : pour eux, c’est par le meurtre que l’on sauvera l’humanité.

    L’histoire de the last of us dépasse donc un manichéisme orthodoxe pour offrir une vision plus pessimiste mais aussi plus nuancée de la nature humaine. Il faut avancer, peu importe les pertes, une espèce de grands Bond en avant, obligatoire et destructeur. Chaque saison se conclut par la mort ou la disparition d’un personnage clef de l’intrigue. Le monde des vivants se referme petite à petit sur le duo central qui ne survit qu’à travers une relation symbiotique : la vie de l’un n’a pas de sens si l’autre meurt. Une génération humaine n’a de sens que si la suivante survit. On comprend alors pourquoi Joël fait le choix de sauver Elie tout en lui mentant. Jusqu’au bout, il la protégera.

    The Last Of Us raconte donc cette histoire. Une génération qui acceptera de vivre moins bien que ce qu’elle a connue pour sauver et protéger la suivante. Sans concession, Joël réalise cela avec son périple. Etre parent n’a pas de sens si nos enfants vivront plus mal. Il y a beaucoup de chose à critiquer dans The Last Of Us, mais son message, le sens caché que je lui trouve, en font une fable de notre époque, de la façon dont les dernières générations humaines ont tiré un trait sur les suivantes et leur recherche de rédemption quand il sera trop tard, dans 100 ans, quand nous serons tous morts. ■

    Esteban Grine, 2017.

     

  • Le joueur, ce rouage mécanique – Café Philo

    Le joueur, ce rouage mécanique – Café Philo

    Retranscription d’une discussion ayant eu lieu le 18/04/2017 sur le discord de la revue LCV ! Venez nous voir ! <3

    https://discord.gg/unbNmbW

    Le joueur, ce rouage mécanique

    Café Philo – Acte 1, scène 1

    Esteban

    Je conseille aussi la lecture de David Sudnow : Pilgrim in the Microworld, (1983) qui raconte l’histoire d’un pianiste devenu accro aux jeu vidéo sur Atari ! Et qui compare la pratique du JV à la pratique de son instrument ! Je pense que Vled le connait déjà !

    Vled

    Je connaissais pas mais je trouve la comparaison pertinente et raccord avec la science !

    Esteban

    Oui !

    Damastès

    La science ? Mais non, c’est surtout une très belle histoire ! Sans cœur de scientifique huhuhu…

    Gaga

    Surtout qu’à l’époque, il n’y avait pas de jeux musicaux donc le rapprochement n’était surement pas très évident pour les gens.

    Esteban

    Apparemment, c’est une grosse référence pour ceux qui l’ont lu.. pas encore pour ma part… Mais il raconte son expérience, presque au sens d’un témoignage. Il a quasiment vu l’existence du speedrun presque 20 ans avant son apparition, genre le speedrun comme étant le fait de jouer « à la perfection ». Il émet l’hypothèse aussi qu’il existerait aussi pour chaque jeu une « partition » permettant de jouer parfaitement et cette partition devrait être exécutée par le joueur.

    Damastès

    Et que fait-il de l’interprétation ? Les pianistes ne sont pas des interprètes ?

    Esteban

    Oui je pense qu’il en parle… comme je le disais, je n’ai pas encore lu le bouquin. Mais en vrai… la place du joueur et son véritable impact dans l’acte de jouer à un jeu vidéo… y’a un vrai gros gros débat en fait. Est-ce que le joueur s’exprime vraiment ? ou n’est-ce qu’un rouage de la machine-récit ?

    Gaga

    Tout dépend du jeu aussi tu diras !

    Esteban

    Non pas forcément Gaga, même ceux laissant une grande potentialité d’expressions. Certains hardcores te disent que tant que tu restes dans ce qu’accepte le code du jeu, tu restes dans un espace délimité de comportements possibles prévus. En gros, tant que tu ne softlock pas le jeu, tu restes dans l’espace prévu par le game design, mais c’est un extrême hein.

    Damastès

    Je pense cependant qu’il n’y a pas meilleur espace que le jeux vidéo pour questionner et mettre en pratique la désobéissance.

    Gaga

    Hum je suis pas d’accord, dans un jeu, tu peux très bien créer ton propre jeu, complètement différent de ce pourquoi le jeu à été créé à la base, l’espace n’est pas si limité que ça : tu peux jouer en évitant le meurtre par exemple ou en finissant le plus rapidement possible. Moi je vois plus le jeu comme un langage et le joueur comme l’écrivain.

    Esteban

    Aaah oui bien sûr ! Je ne faisais que relater une posture théorique !

    Gaga

    Damastès le voyou !

    Esteban

    Personnellement, dans le cadre de mes recherches, je pose l’hypothèse que justement le JV permet aux joueurs de s’exprimer et d’exprimer leurs systèmes de représentations, etc. Mais c’est tout à fait discutable comme point de départ haha. En fait, pour reprendre ton propos Gaga, même si tu prends un exemple du style minecraft, tout ce que font les joueurs même les trucs les plus extravagants restent dans un espace fini de potentiels : la barrière étant le crash du jeu ou son softlock. C’est un peu difficile à expliquer mais en gros même si les développeurs ne connaissent pas tous les potentiels, bah ils connaissent par contre l’espace dans lequel ils sont contenus. Cette pensée s’apparente beaucoup à nos compréhension de l’infini.

    Baptiste

    Je suis pas d’accord, maintenant je m’en vais.

    Esteban

    Genre, on sait ce que représente un ensemble infini mais on connait pas tous ses éléments.

    Vled

    J’ai hâte de parler de l’œuvre ouverte c’est carrément dans le sujet haha.

    Esteban

    C’est aussi pourquoi la notion « d’émergence » est vachement critiquée.

    Baptiste

    Non, en vrai pour moi le fait de dire « oui mais c’était déjà prévu » c’est non.

    Esteban

    Ah mais c’est passionnant l’œuvre ouverte.

    Baptiste

    A partir du moment où le joueur choisit comment il veut jouer il modifie l’expérience de jeu.

    Vled

    Oui Esteban !

    Baptiste

    Et donc il est l’interprète comme précédemment énoncé.

    Esteban

    Bon faut que je le lise mais je suis toujours sur lector in fabula et les limites de l’interprétation.

    Gaga

    Moi, je vois que la barrière n’existe potentiellement pas. Rien qu’à voir le TAS de mario world où le type reprogramme le jeu pour que sa devienne un pong et un autre jeu donc je pense qu’il soit possible de trouver un bug dans tous les jeux qui permet de faire ça de toute façon, et ça, c’est pas possible de le penser en tant que développeur.

    Esteban

    La barrière, elle est délimitée par les softlocks mais cela montre aussi le moment où l’auteur ne maîtrise plus totalement son œuvre puisqu’il ne connaît pas lui-même chacun des éléments et des solutions, alternatives comprises dans l’espace de potentiels qu’il a créé. Honnêtement, le pire, c’est que les éléments théoriques sur lesquels se repose cette posture sont ultra béton. Le pire du pire, c’est que je postule l’inverse dans mes recherches hahaha.

    Baptiste

    C’est chiant les trucs théoriques. Baser ce qu’on dit juste sur des faits précis et tout je trouve ça tellement pas intéressant. C’est pour ça que j’ai du mal avec « le créateur a tout prévu et pis c’est tout ».

    Esteban

    Non non, je précise bien que le créateur n’a absolument pas tout prévu…

    Baptiste

    Nan mais c’est pas contre ce que tu dis, c’est contre la théorie que tu énonçais avant !

    Esteban

    … Juste que l’objet final est limité par son code dans tous les cas.

    Baptiste

    Oui c’est ce que je voulais dire.

    Discussion entre Baptiste.L, Gaga, Damastès, Vled Tapas & Esteban Grine, 2017.

     

  • Vivre dans un monde post Zelda Breath Of The Wild – Lettre Ouverte

    Vivre dans un monde post Zelda Breath Of The Wild – Lettre Ouverte

    Vivre dans un monde post Zelda Breath Of The Wild – Lettre Ouverte

    Bonjour Internet,

    Un mois après la sortie de Breath of the Wild, le monde ne semble pas s’être encore remis de la sortie du dernier Zelda. De mon côté, ne possédant ni de Switch ni de Wii U, je n’ai pas pu poser mes mains sur le jeu. Je n’y ai d’ailleurs toujours pas joué et je résiste le plus possible à toutes tentations spoliant ma future découverte du jeu (qui devrait avoir lieu en décembre prochain).

    En parallèle, j’ai attendu très longtemps Horizon Zero Dawn, premier jeu développé par Guerilla Game auquel je joue et étonnament, c’est un jeu qui ressemble, à bien des aspects, au dernier Zelda. Dans ces deux jeux, nous incarnons un/e héro/ine qui évolue dans un monde post-apocalyptique avec des machines zoomorphiques. Dans les deux, nous découvrons un monde hostile pour l’être humain. Dans les deux, nous devons aussi chasser et cueillir pour améliorer nos équipements ou se restaurer la santé. N’ayant pas joué à Zelda, il me serait bien impossible de pousser la comparaison plus loin. Déjà là, je projette énormément les quelques représentations que j’ai de Zelda BOTW qui me reste encore presque totalement inconnu. Par contre, je commence à très bien connaitre Horizon (abrégé HZD) puisque en peu moins de 20 heures, j’ai, disons, découvert environ 25% du jeu. Je tiens aussi à formuler que ce jeu m’émerveille, je le trouve excellent, même avec son scénario convenu. HZD réussit tous ses paris : proposer un monde ouvert, dans lequel on peut explorer à loisir, le système de quêtes est classique mais efficace. Un petit système de crafting est présent. La progression du personnage du type levelling n’est pas non plus un écran de fumée. BREF, tout est bon dans ce jeu. Même plus, les game designers ont vraiment eu le soucis du détail. De même, on ressent la volonté de proposer un discours inclusif : le jeu représente des personnages fortes et forts et de toutes les origines géographiques.

    Cependant, il existe un problème avec ce jeu, malheureusement : il est sorti en même temps que le dernier Zelda et c’est terrible pour plusieurs raisons. Premièrement, HZD risque de tomber dans le puits sans fond des triple A sympas mais normés. Secondement, tous ses défauts éclatent au visage du joueur qui dorénavant a une certaine compétence vidéoludique en matière de jeu en monde ouvert et qui connait l’existence de BOTW. Dernièrement et je vais être clair : c’est bien fait pour lui ! Tanpis ! HZD n’a pas eu de chance, Zelda semble tellement meilleur que la moyenne que n’importe lequel de ses concurrents ne fait pas le poids ! Alors, il faut tout de même convenir que ces arguments ne reposent sur hypothèse assez lourde : le fait que BOTW révolutionne le genre et çà, seul le temps, disons au minimum 5 ans pour être gentils, nous dira s’il y aura vraiment eu un avant et un après Zelda Breath Of The Wild.

    Mais maintenant, comment doit se comporter le joueur sachant que son jeu en monde ouvert ne tient pas la route lorsqu’il est comparé au dernier jeu de Nintendo ? Tout d’abord, c’est injuste de dire cela, formulons cela de la façon suivante : comment jouer à un jeu open world post Zelda avec un jeu open world ante Zelda ?

    HZD a fait de nombreux efforts pour proposer une expérience vidéoludique honnête. Et c’est le cas, en plus de son monde et de son gameplay, le jeu propose de nombreux paramètres afin de personnaliser son expérience du jeu. C’est ainsi que je me suis retrouvé à désactiver l’intégralité des paramètres qu’il m’était possible de cacher. Je ne vois aucune information à l’écran, sauf quand j’effleure le pavé tactile de la manette, ce qui a pour conséquence d’afficher les éléments certains éléments du HUD : la boussole, la barre de vie, l’équipement, etc. Je qualifie d’ailleurs dorénavant les HUD comme des formes de « pollutions visuelles vidéoludiques ». Entre temps, j’ai joué à Assassin’s Creed Unity qui possède un HUD surchargé et cela a été très pénible. En 2017, il est peut être temps de se rééduquer soi-même en ôtant toutes ces informations rendant n’importe quel monde ouvert linéaire au possible. Dans HZD, j’ai désactivé toutes les quêtes. Lorsqu’une nouvelle se lance suite à une discussion avec un PNJ, je fais l’effort d’aller dans le menu pour de suite la désactiver car sinon, un marqueur extra-diégétique indiquant l’objectif de la quête reste affiché : une plaie, laissez moi me perdre comme un grand. Bref : j’ai tout désactivé et je joue en difficulté maximale. Je ne vois même plus mon viseur lorsque je tire à l’arc. Il se trouve que j’ai découvert sa forme en regardant la dernière vidéo de Game Next Door ! Enfin, je passe une grande partie de mon temps de jeu avec l’appareil photo. L’usage que j’en fais a d’ailleurs évolué. Si au début, je m’en servais pour documenter mon exploration et pour en faire un usage esthétique (la recherche du beau, etc.), je l’utilise de plus en plus maintenant pour observer et pouvoir me déplacer librement dans une situation de jeu qui devient alors une « scène » dans laquelle je peux observer tous ses détails : avez-vous déjà fait un zoom sur les libellules de HZD ? Avez-vous trouver des angles de vues qui anthropomorphisent certains bâtiment ? C’est un véritable jeu dans le jeu.

    https://horizonlogbook.tumblr.com/post/159411700966/from-a-certain-perspective-these-buildings-found

    Cette façon de jouer complexifie volontairement l’expérience de jeu mais je peux dorénavant tirer quelques conclusions qui vont totalement à rebours de certains témoignages de joueurs de HZD. Tout d’abord, je me perds sans arrêt et c’est un bonheur. Il m’est impossible d’associer ce jeu à un quelconque aspect linéaire. A chaque fois que je suis perdu, je dois aller voir ma carte dans les menus, à replanifier ma route et repartir. La temporalité nécessaire pour terminer une quête n’est alors plus du tout la même. Par ailleurs, mes objectifs n’étant plus affichés à l’écran, je passe mon temps à les oublier et à me détourner du chemin pour faire d’autres choses. Mon expérience du jeu est alors tout sauf linéaire. Certains ont pu dire que l’environnement du jeu était finalement oubliable. Je suis totalement en désaccord avec cela. Le fait de ne pas afficher les objectifs, d’utiliser l’appareil photo du jeu fait que je me souviens particulièrement bien des endroits que j’ai parcouru. Ce qui est vrai par contre est que j’ai une méconnaissance (aberrante pour certains) du monde dans lequel j’évolue : je ne connais pas les noms des lieux que j’explore, je me souviens très peu des noms des différents PNJ, monstres et autres ennemis. Plusieurs fois, il m’est arrivé d’oublier que j’avais des points à dépenser pour acquérir de nouvelles compétences (le maximum a été de 8 points accumulés au total). L’une des plus grosses difficultés que je rencontre est que je n’affiche pas le viseur de mon arc. De cela, j’ai retenu que j’étais particulièrement nul à distance, mais je progresse et je ressent cette progression. Jamais dans un jeu vidéo, il ne m’était arrivé d’être aussi heureux d’avoir fait mouche. La difficulté maximale du jeu accentue tout ce que je dis : j’évite énormément d’ennemis. Lorsque je dois me battre contre l’un d’eux, je dois me montrer extrêmement vigilant car la mort est quasi immédiate si je me fais toucher.De même, je n’ai aucune stratégies orthodoxes pour me battre contre certains ennemis. Je ne connais quasiment pas les machines, leurs points faibles, ni même leurs points de vie : pour ces derniers, je compte en « nombre de coups donnés ». Par exemple, il me faut 4 coups pour abattre un Watcher, pour mettre à terre une machine « dent de sabre » (je ne connais pas son vrai nom), je dois d’abord l’étourdir avec un cable électrique puis lui faire une attaque lorsqu’il est au sol et je dois répéter cela entre 4 et 5 fois.

    Tous ces détails font que mon expérience de Horizon Zero Dawn est l’une des plus plaisantes que j’ai en monde ouvert. A l’issue de ma réflexion, voici donc la conclusion que je propose. Après la sortie du dernier Zelda, il est dorénavant plus que temps de se rééduquer à la façon qu’il faut pour appréhender un jeu open world. Je pense qu’il m’est aujourd’hui nécessaire de désactiver le plus d’informations possibles venant m’assister dans mon expérience. Ensuite, je désactive tout ce qui peut être une forme de pollution visuelle : les marqueurs de quêtes entre autres. Enfin, mettre la difficulté au maximum fait que je suis beaucoup plus précautionneux lorsque je me lance dans la découverte d’un nouveau territoire : je suis contraint par le gameplay et mes actions ont beaucoup plus d’impacts sur mon parcours de jeu (une petite erreur peut avoir pour conséquence ma mort vidéoludique). Tout cela transforme la temporalité de l’acte de jouer. Celle-ci est marquée par une progression plus lente mais l’expérience finale ne se retrouve pas à être quelque chose « aussitôt consommée, aussitôt oubliée ». ■

    Esteban Grine, 2017.

  • [EN] What Reigns are made of. The building and breaking of a medieval political simulator.

    [EN] What Reigns are made of. The building and breaking of a medieval political simulator.

    Note de l’auteur : cet article a été rédigé dans la langue de Tim Schaeffer Shakespeare afin de pouvoir constituer un compte-rendu de la séance du séminaire InGame de mars dernier pour mes camarades du groupe Facebook Historical Game Studies Network, dont la plupart sont anglophones.

    What Reigns are made of.

    The building and breaking of a medieval political simulator.

     

    A lot has been said about Reigns (Nerial, 2016). The game is a best seller, a popular and critical hit, won various awards and prizes and stands out as one of the best games of the year. That’s why I will be assuming that the reader of this article has played the game, and I’ll not explain all of its mechanics in details.

    But whitin this avalanche of feedbacks, the silence of historians -or at least people that have an interest in an historical approach and understanding of videogames- always seem deafening. Is this great piece of game design really unable to bear some kind of historical argument about the past ? Is it saying something about the medieval era at all, or more generally something about history, politics or the past ?

    I don’t know if many historically oriented game criticism has emerged about this particular game yet, but I’ll propose to bring my two cents. And I do it with quite a bit of confidence since I’m not an expert nor a pioneer, and I’m adressing a larger audience of scholars and non-scholars that find it fruitful to think the overlap of videogames and historical discourse.

    To build (or not) to break. The making of Reigns

    My approach and research interest deals essentially with the construction of the videogames, and the ways various elements are chosen, transformed, sewed together in order to be functional as both games and historical argument and discourse. A process I call, drawing from E. Aarseth’s expression, ludoformation.

    Thanks to a friend of mine and fellow Ph.D student (Guillaume Grandjean, coordinator extraordinaire) I had the occasion to be invited to a students’ seminar (séminaire d’élèves) held at the Ecole Normal Supérieure in Paris. The purpose of this seminar is each month or so to invite a game designer to present the game he/she made, and to engage in a conversation with a scholar/expert/critical support, along with the audience. On March 14th, the game was Reigns, the invited author was François Alliot, and I was the guest/co-host.

    During the course of this seminar, I was pleased to see that François really was incline to engage in a critical reflexion on his creation, more especially in terms of political and historical meaning. Although he reaffirmed several times that « it’s just a game » after all, he acknowledges that games do have an expressive potential, as games. And that’s why all of us were gathered here.

    My first interventions were about his historical influences. A broad topic, which was quicky precised to his literary, « scientific » knowledge of history. He did study a bit of history in high school, and uses his recollections of (medieval) history as an inspiration. The term here is really important : more than a pile of knowledge and a vast literature review, what was the most significant in the making of Reigns was his historical understanding, an interest in the mechanics more than in the collection of facts. Actually, he explained that the core mechanic of the game came first.

    The idea was to build a game based on a very basic binary interaction : swipe left, of swipe right to make a choice. The historical subject of Reigns is choice, reduced to its simplest (and maybe more effective ?) expression. But is « choice » per se an historical element ? The past is filled with political decisions, tactical manoeuvres, tales of romance, betrayal and glory, but depicting such typical – a-historical ?- types of events is not necesserily depicting « the past ». That’s why the attention to the specific context of such kind of events, and to recreate for the player not just « choice », but the kind of choice an historical agent could be presented to.

    I presented my first contact with the game by talking about the « historical games » I’ve been playing since I was a teenager : huge interfaces, rich backgrounds full of details and historical data (dates, events, characters, weapons…). Heavy on the toggles, buttons and switches. A ludic experience I’m still quite fond of, but I must admit that I really wasn’t familiar with a game like Reigns, a game that realizes the fusion of « Game of Thrones and Tinder », as our host said.

    Breaking Reigns to build history

    And as François explained later on, building Reigns was largely a matter of deconstruction. At a certain level of development, he went into a phase where he planned to « break Reigns », in order to make it a better game. Since he was building a game about choice, strategic and political thinking, the idea was to take out visibility and information in the interface to really make it a game where the focal point is on the decision process itself. And in my opinion it is a crucial point for a historical game such as Reigns to be efficient.

    I strongly agree with the game designer’s position : playing a game is not solely about finding out an optimum, a perfect set of moves. It’s not about the mathematical theory of games, where games structures are bound to be broken and resolved (try to engage in a game of chess with an opponent that has a perfect comprehension of the patterns to apply !). It really seem to be about decision in uncertainty, about the expression of contingency, the anticipation of consequences and the possibility to play again, to play differently. While the first version of Reigns integrated numerical information about the precise consequences and the choice the player was about to make, driving his/her attention to the sole numbers, the final version sets an imperative for the player to actually… Play the move. And that’s also why the portraits of the characters are so minimalistic.

    This also can be seen through the way randomness is implemented into the game’s narrative. Rather than a classic « branching paths » narrative, closing multiple choices as the player in engaging into one of the branches, Reigns is constructed using a « probabilistic-driven narrative ». By choosing one of the two possibilities (left or right, yes or no…) he will be oriented not only towards a single choice that necessarily follows the previous one (a card that is presented to him), but to a complete pool of choices. In that pool of new choices, one will me randomly selected, but the thing is that some of the choices in that pool are more likely to happen than others. There’s a combination that we can see right in the formal building of the game, that’s an argument about the past as a matter of decision, for an agent that is both free and constrained, facing determination, randomness and the possibility of free choice.

    And all of this is functioning as the player remains free, because he thinks about his actions as an expression of his freedom. A freedom that we could define as « an action in the ignorance of the causes that determine them ». Spinoza is just a few swipes away from where we stand.

    Historical mechanics. The balancing of powers in Reigns

    More than just a specific medieval simulation, is Reigns something like a machiavellian political simulation ? What is reminiscent of Machiavel’s political thinking in the game is not that you have to plan evil schemes, betray or lie contantly -despire to popular opinion, that’s not what the florentine theorician was suggesting. The gameplay is an invitation for the agent (the player and/as the king) to disconnect moral sense and political sense, what is the tactical move and what’s the strategical move. Reigns is not about capitalizing points or currencies, but deals with the conservation of a fragile equilibrium.

    Therefore I can’t help but thinking about the evolution of the term saggitator in the political thinking’s lexicon, in terms of signification. While originally the figure of the saggitator whas supposed to refer to a tempered and contant sovereign, to the king as a balanced ruler.

    He utilizes his bow and arrow as a shooter measuring each of his strikes, pondering upon the consequences of him hitting the target. He has responsibilities, must be trained, both morally and and physically. But the word is later used in a different perspective. As we progress through the late Middle Ages, this figure tends to stand more and more for an allegory of the king as a modern politican, who deploys schemes and strategies in order to succeed in his actions, who’s a keeper of the arcana imperii, the power’s secrets.

    In other words, the conscient bearer of arms has become a tactician and a sharp shooter that pays more and more attention to the target(s).

    The player can obviously think about what’s the thing that should be done in order to be a loyal, caring and moral king. But there’s also and more importantly what’s the decision that must me taken in the moment, in order to survive. One can’t do much good if one’s dead. In Machiavel’s words, the gameplay in Reigns deals with the necessity of keeping the power stable. The duty of the monarch and his reason for being is to be virtuous, that is to say to rule, guided by a capacity to confront opposition, to prevent potential disasters, to catch opportunities… To sit on the throne next to the fortune.

    There’s a multiple level of strategic thinking in Reigns : the strategic move the king has to make as the player of his game, a game in which he has to survive. His time within the structure (his play) will eventually determine which kind of player he is.

    We are almost touching what’s « historical » in a videogame such as Reigns. To some extend, a game is « historical » as he’s able to present that, in « the past », was « present », a situation of agents, acting within structures, facing challenges, contingency and feeling engaged in the pursuit of a goal. Though they are contextually and chronologically distinct, what we are referring to as « the past » may not be fundamentally and ontologically different than our present, or at least there are elements of continuity between the two.

    The system of the past that Reigns is describing is not a « perfect system ». As François described it, a « perfect system », containing a single solution, an optimum to find, is putting the player into a prison. The history that’s to be read in a videogame, actually is not to be read, but to be played : therefore it’s an unbalanced system, a structure that allow room for decision or indecision, good and bad choices, short and long term consequences.

    Conclusion. What Reigns are made of.

    To conclude, I’ll just try to sum up my thoughts about historical perspectives in game studies based on what I learned in the course of the seminar, and drawing from the case of Reigns.

    The shift that I think is happening in (historical) game studies is that :

    First, historians are more and more interested in investigating the field of games studies with the disciplinary tools and methods ; and as a consequence are more likely to find historical questions and issues in videogames, integrating them in the meantime in the field of historical genres.

    Secondly, while thinking about games as historical discourse, they tend to focus a bit more on why and how is a said game history, and not only why it is not. We evolved in the idea that regarding history, between academic knowledge and videogames it’s the rupture that was significant, not the continuity, the things in common. This may be changing as I write these lines.

    Finally, somehow developing historical videogames -or writing history in the form of videogames- could be quite an efficient form of counterfactual/« what if » history. Judging from what I’ve been told, and based upon my experience of the game, even though it’s not filled with accurate dates, places and precise representations of the middle ages that are depicted in our books and articles, Reigns is definitely saying something about the past. Something like : the past is a human process, it’s not bound to be linear, teleological. If we are to seek ways to understand the past, videogames might be on to something.

    And yet, « it’s just a game » also meant to me that videogames not here to replace anything like books or articles. They’re not the perfect and long awaited form to answer the historical question that hasn’t be addressed yet, nor the miracle way to learn all about past eras. Videogames are an efficent way to present something quite specific about the past.

    Are the claims they bear about the past true or false, scientific, philosophical, historical knowledge ? It’s debatable as always. But it’s definitely something that shouldn’t be swiped away. ■

     

    Julien Bazile.

    Université de Lorraine / Université de Sherbrooke

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