Étiquette : game design

  • The Beginner’s Guide, une introduction à la pensée d’Umberto Eco

    The Beginner’s Guide, une introduction à la pensée d’Umberto Eco

    The beginner’s Guide est un jeu fantastique, non pas que son gameplay soit particulièrement incroyable. Je n’irais pas non plus jusqu’à dire qu’il s’agit d’un jeu auquel il faut avoir joué pour justifier d’une certaine culture vidéoludique. Sorti en 2015, TBG offre quelque chose de très rare et d’extrêmement précieux dans le paysage du Jeu Vidéo : il propose une vision d’auteur, une véritable réflexion sur le médium et sur la relation qu’entretient le joueur avec le développeur. Cependant, serait-il trop prétentieux de supposer qu’il n’y a qu’une seule et unique façon de comprendre TBG ? Parce que finalement, c’est contre cette idée que lutte Davey Wreden dans ce jeu. Il lutte d’ailleurs contre beaucoup de préconçus autour du jeu vidéo mais clairement, dans The Beginner’s Guide, Wreden dresse une critique acerbe de la façon dont les joueurs et les critiques récupèrent des œuvres vidéoludiques et transforment le message initial du jeu, ou du moins, tentent d’imposer une certaine vision, une certaine compréhension comme étant la seule et unique “bonne” compréhension.

    BeginnersGuideSpot2Et plus je parcourais le jeu, plus je commençais à raccrocher le propos de Wreden à un très grand penseur du XXème siècle. Par le passé, lorsque j’avais parcouru pour la première fois le très intéressant Stanley Parable j’avais tout simplement aimé cette expérience. La relation que l’on développe avec le narrateur m’avait bluffé à l’époque. Cependant, je n’avais pas poussé la réflexion plus loin. J’y voyais alors un jeu qui invitait le joueur à s’interroger sur la notion de choix dans les Jeux Vidéo, comme toutes les analyses qui ont été publiées à ce moment d’ailleurs. Cependant, avec The Beginner’s Guide, l’œuvre de Wreden a fait sens nouveau. J’ai cette impression que Wreden est en train de formaliser une théorie du jeu vidéo. Alors quand je parle de “théorie” je ne pense pas qu’il s’agit d’une théorie absolue qui s’appliquerait dans toutes situations mais plutôt une certaine réflexion sur Jeu Vidéo, à l’instar de ce que Jonathan Blow est lui aussi en train de faire dans une autre direction.

    Et cette réflexion, soutenue par Wreden, existe depuis quelques temps dans la recherche. En effet, je soutiens la thèse que Stanley Parable et The Beginner’s Guide sont des relectures et des adaptations vidéoludiques de deux œuvres fondamentales de la pensée d’Umberto Eco que sont respectivement Lector in Fabula et les Limites de l’interprétation. Ce qui est donc extraordinaire dans les œuvres de Wreden, c’est à quel point ses jeux présentent des similitudes avec les réflexions proposées avec les travaux d’Umberto Eco.

    Le rôle du joueur-lecteur

    Pour faire très simple, Lector In Fabola, sous-titré “le rôle du lecteur”, est un essai sur la participation du lecteur dans la co-construction du récit avec l’auteur. Je ne vais pas revenir sur l’intégralité de l’essai mais je vais aborder l’une des idées et théories centrales. Celle-ci concerne le concept de “Lecteur-Modèle”. En effet, dans son essai, Eco critique énormément le schéma “classique” de la communication. Ce schéma “classique” représente l’acte de communication sous la forme d’un transfert d’un message entre un émetteur et un récepteur. Adapté à la lecture, ce schéma prend la forme d’un acte de communication entre un auteur et un lecteur au travers d’un medium : le livre. Or, Umberto Eco propose de conceptualiser le lecteur comme une figure extrêmement active dans la construction d’un récit. En effet, le message transmis par l’auteur est composé de “codes”. Cependant, ces “codes” ne font pas forcément référence aux mêmes choses chez le lecteur et l’auteur. Ainsi, lorsque le lecteur décode le message d’un livre, il apporte de nombreuses références personnelles. Eco utilisait notamment la très belle expression de “promenades inférentielles” pour exprimer le fait que le lecteur puise dans son “stock” de connaissances pour décoder le message d’un livre ; et ce décodage ne correspond pas forcément aux idées de l’auteur. Dès lors et avec cette conception de la littérature, on s’aperçoit du caractère interactif de l’acte de lecture. Cette acte conduit forcément à la co-construction d’un texte final qui n’est de facto pas totalement le texte que l’auteur souhaite transmettre. Ainsi, ce dernier a pour tâche de mettre en place une stratégie discursive, un terme un peu barbare qui signifie une idée plutôt simple : une stratégie qui doit susciter l’adhésion du lecteur ciblé et le maintenir dans son acte de lecture. Donc au travers de l’œuvre, l’auteur doit mettre en place toute une stratégie dont le seul but est de s’assurer que le lecteur parcourra l’intégralité du texte.

    begg3Cette idée est forcément connexe de la notion de choix dans le parcours d’une œuvre ou d’un média. Le lecteur fait le choix de “coopérer ou non” avec l’auteur afin que le récit se poursuive ; et cela suscite une question directe à notre sujet : le joueur fait-il plus de choix qu’un lecteur ? Voilà une question forcément enflammée qui est au centre de nombreux débat entre joueurs de Jeux (vidéo, de rôle, de plateaux). Ainsi, la stratégie d’un Jeu ou d’un livre est de restreindre le plus possible les choix du joueur/lecteur afin que le message transmis corresponde le plus possible à ce que souhaite transmettre l’auteur, tout en donnant l’illusion d’une très grande liberté d’action. Dans cette logique, le choix est une illusion nécessaire pour le joueur car ce sont les choix qu’il pense faire qui donnent véritablement “sens” à l’expérience. L’art du Game Designer est donc de créer de la contingence tout en créant l’illusion de la prise de décision. Nous pourrions aller plus loin en énonçant que selon Wreden, l’art du Game Design est de créer l’illusion de la contingence.

    L’illusion du choix comme mécanique central chez Wreden

    "Suivre l'aventure"
    « Suivre l’aventure »

    Cette illusion du choix et la participation volontaire et active du joueur est le cœur du gameplay de Stanley Parable. Dans ce jeu, Wreden, au travers du narrateur, propose une expérience scriptée au joueur. Cependant, contrairement à un jeu d’aventure du type TellTale,  le jeu laisse le “choix” au joueur de poursuivre ou non l’aventure selon le script prévu par le narrateur. Tout l’objectif du joueur va donc être de s’émanciper du script et de créer de l’émergence, attention spoiler : sans jamais y arriver. La thèse de Stanley Parable est donc très tranchée : le joueur ne peut pas sortir du cadre du jeu, il n’y a pas de “liberté” qui ne soient pas déjà prévues par l’auteur (cela correspond notamment à l’idée de Colas Duflo qui énonce que c’est la règle du jeu qui crée la liberté du joueur). Malgré la sensation de contrôle, c’est toujours le game designer qui est aux commandes. Cette thèse est sans compromis puisque cela remet aussi en cause l’idée de gameplay émergent. Pour Wreden dans Stanley Parable, l’émergence n’existe tout simplement pas dans une activité ludique aussi rationalisée que le jeu vidéo.

    Finalement, on retrouve dans ce jeu de nombreuses idées d’Umberto Eco concernant la nécessaire participation du joueur au bon déroulement de l’histoire. Le joueur doit être “volontaire”, il doit accepter de se laissé convaincre afin de poursuivre l’œuvre. Cependant, tout le gameplay du jeu réside dans la proposition suivante : le joueur doit essayer de s’émanciper de la narration, il doit tester les limites du jeu pour constater par lui-même que la liberté dans un jeu n’est qu’une illusion. Le fait est que nous nous apercevons bien vite que toute les situations imaginées par le joueur pour “sortir” du jeu ont déjà été imaginées par le développeur. Autrement dit, toutes les actions ont déjà été prévues, déterminées. Il n’y aurait donc que des jeux à progression : où le gameplay est totalement scénarisé par le game design.

    Quand les jeux « refusent » de faire progresser le joueur

    On retrouve aussi cette même thématique dans The Beginner’s Guide. Cependant, celle-ci est présentée d’une autre manière. Dans Stanley Parable, la progression est relativement simple. Or, TBG propose des expériences vidéoludiques qui sont en réalité quasiment insurmontables pour le joueur. Contrairement à ce qui a été énoncé concernant la stratégie discursive d’une œuvre, les jeux de Coda, le développeur des jeux qui nous sont présentés, ont mis en place une stratégie empêchant la progression du joueur. Ce dernier ne peut avancer que grâce à la présence de Davey, le narrateur qui au fur et à mesure, nous créer des passes-droits. Encore une fois, la volonté du joueur est mise à rude épreuve car bien que parfois, il lui est possible de résoudre par lui-même les situations de gameplay et bien, nous supposons qu’il va plutôt choisir de faire confiance au narrateur pour que celui-ci lui face vivre les expériences plus rapidement. Encore une fois, Wreden soutient la thèse que le joueur ne peut quasiment rien faire sans le développeur et qu’il ne peut interagir que parce que cela a été déterminé et autorisé par le développeur. Il y a d’ailleurs dans The Beginner’s Guide des passages impossibles à passer sans que le joueur “consente” à se faire aider par le narrateur.

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    Ici, l’expérience proposée au joueur est extrêmement limitée, il ne fait que parcourir un « niveau en couloir » mais une fois que le narrateur « supprime les murs », le joueur découvre un dédale immense qu’il n’aurait jamais pu découvrir seul.

    Ainsi, nous constatons que TBG et Stanley Parable sont de formidables incarnations vidéoludiques du concept de Lecteur-Modèle développé par Umberto Eco. Les deux œuvres proposent chacune une réflexion de Wreden sur le rôle du joueur lorsque ce dernier joue et c’est une vision finalement très marquée, volontairement ou involontairement, par la pensée d’Eco mais TBG va encore plus loin en abordant la récupération d’une œuvre par le lecteur ou le critique. On entend par “récupération” le moment un individu ajoute du sens à une œuvre qui n’est pas souhaité pour l’auteur originel de ladite œuvre. Nous abordons donc maintenant le cas de la sur-interprétation des œuvres ou le fait de les dénaturer dans le but de mettre en valeur sa personne, en tant que critique, plutôt que l’œuvre elle-même. Wreden dresse donc une critique acerbe de ce phénomène mais aussi de la critique en général. Je conseille vivement au lecteur d’aller se renseigner concernant l’analyse de la personne du “développeur” dans TBG car nous ne nous y attarderons pas ici.

    The Beginner’s Guide : les limites de l’interprétation

    BeginnersGuideSpot2Dans le dernier jeu de Wreden, l’histoire est la suivante : la personne de Davey nous propose d’explorer les jeux d’un développeur obscure nommé Coda. Il s’agit donc finalement d’une visite guidée puisque l’œuvre de Coda est commentée par Davey en même temps que nous la partageons. Pour continuer les parallèles que nous dressions auparavant. The Beginner’s Guide est la version vidéoludique d’une œuvre littéraire commentée dans laquelle le lecteur lit, par exemple, un livre de Zola et en même temps les commentaires de bas de pages faits pour nous aider à comprendre la diégèse ou la volonté de l’auteur. Ainsi, si le titre semblait assez abscons, on comprend ici qu’il s’agit d’une sorte de manuel d’introduction à l’œuvre d’un auteur ; Coda, dans ce cas. A mon sens finalement, il s’agit aussi d’une introduction à la pensée d’Umberto Eco. Le jeu nous propose donc un contexte similaire puisque nous ne jouons pas seuls les jeux développés par Coda. Nous sommes simplement invités à parcourir les niveaux selon l’angle du narrateur. Ainsi, au tout début du jeu, il s’agit surtout d’une expérience qui cherche à nous partager la compréhension qu’a le narrateur des œuvres de Coda.

    Ainsi, nous avons vu dans les précédents paragraphes que l’expérience proposée par The Beginner’s Guide est un pari risqué. Il s’agit véritablement de quelque chose d’atypique puisque si nous devions résumer le jeu en une phrase, il s’agirait d’énoncer que TBG est un jeu qui a pour objectif de partager la compréhension d’un corpus de Jeux d’un développeur par un Critique ou tout simplement une personne appréciant le travail du-dit développeur. Cependant, le twist final du jeu nous énonce que le narrateur, le critique, a en réalité modifié les jeux du développeurs afin que ceux-ci correspondent à sa représentation, à ses théories, d’où la référence au deuxième livre d’Umberto Eco : Les limites de l’interprétation. Dans ce second livre, Eco propose une méthode pour définir ce qu’est le travail de critique et les limites que ce dernier doit se fixer afin de respecter la volonté de l’auteur. C’est ce constat qui est dressé dans The Beginner’s Guide.

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    Dans l’un des derniers niveaux du jeu, Coda s’adresse directement au narrateur en lui demandant explicitement de ne plus détourner le message originel de ses jeux. En tant que joueur, on apprend par la même occasion que le narrateur nous a menti. En effet, très tôt dans le jeu, ce dernier nous énonce que Coda conclut ses jeux en ajoutant un lampadaire dans le dernier lieu visité par le joueur de chaque expérience. Or, il apparait à la fin du jeu qu’il s’agissait en fait du narrateur qui rajoutait ces lampadaires à la fin. Nous pouvons interpréter cela de deux façons. Premièrement, nous comprenons cela comme une critique de la quête éternelle de sens de la part des fans. Au fil de leurs réflexions, ceux-ci se sentent obligés de rationaliser et de combler tous les trous laissés par l’auteur. Cela peut atteindre son paroxysme lorsque ces fans modifient les œuvres initiales pour mieux correspondre à leur représentation de l’œuvre. Secondement, et conséquence de du premier point, Wreden dresse une critique acerbe des biais de confirmation que les lecteurs-joueurs mettent en place lorsqu’ils élaborent leur théorie pour comprendre l’œuvre. Selon Wreden, ces derniers supposent automatiquement que leur représentation est la seule “bonne” représentation et une fois cette dernière élaborée, les lecteurs-joueurs vont chercher dans l’œuvre uniquement des faits confirmant leur représentation/théorie. C’est ce que l’on appelle en épistémologie un biais de confirmation. 2015-09-29_00047-noscaleC’est ce qui se produit avec Davey, le narrateur. Si au début du jeu, sa réflexion semble cohérente, On s’aperçoit rapidement qu’il ne cherche dans les jeux de Coda que des phénomènes qui viennent soutenir ses théories en occultant de nombreux pans des jeux. Wreden critique aussi le public des critiques qui ne remet pas assez en question les schèmes logiques de ces derniers. Dans le jeu, cela se traduit par la totale confiance que l’on accorde extrêmement rapidement au narrateur. Il est aussi intéressant de noter que l’on va suspend alors notre esprit critique puisque nous avons en face qui fait office d’autorité. Il a tout un discours du narrateur expliquant sa relation avec le développeur. Une brève étude du discours fait apparaitre qu’il s’agit là d’une simple stratégie cherchant à convaincre le récepteur que l’émetteur est “compétent” et que le premier peut accorder sa confiance au second.

    Les jeux de Davey Wreden sont des introductions à la sémiotique.

    Davey Wreden, au travers de ces deux jeux a su nous proposer une conception intéressante du jeu vidéo. Celui est un médium (un message donc si l’on souhaite faire référence à Mc Luhan) qui met en place une stratégie discursive créant de la contingence et un sentiment de liberté au joueur tout en sachant que cette dernière est fictive. Cependant, on s’aperçoit que Wreden fait finalement référence aux propos d’Umberto Eco, volontairement ou involontairement. En effet, Wreden et Eco sont tous les deux d’accord pour énoncer que le lecteur-joueur est un acteur important dans la co-construction d’un récit, d’une histoire narrée. C’est finalement ce dernier qui effectue l’action et qui poursuit l’histoire, l’écrivain et le développeur ont donc énormément besoin d’obtenir la validation du lecteur-joueur. Sans cela, le récit ne peut se mettre en place.

    Wreden et Eco semblent aussi d’accord pour placer des limites à l’interprétation, cette dernière ne doit pas porter atteinte au message que l’auteur souhaite transmettre. Ainsi, bien que les deux penseurs acceptent le nombre infini de possibles interprétations, ils mettent tous deux l’accent sur le besoin d’une méthode afin de limiter ce qui peut être des biais cognitifs difficilement repérables. ■

    Esteban Grine, 2016

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    Sources :

    Eco, U. (1985). Lector in fabula ou coopération interprétative dans les textes narratifs (trad. de l’it. par M. Bouzaher). Paris, Grasset.
    Eco, U. (1992). Les limites de l’interprétation. Grasset.
    Wreden, D. (2011) The Stanley Parable.
    Wreden, D. (2015) The Beginner’s Guide.

     

  • Lieve Oma, les grands-mères sont plus cools que les trolls

    Lieve Oma, les grands-mères sont plus cools que les trolls

    Lorsque l’on souhaite commencer une critique que l’on veut intéressante, il est normalement souhaitable d’accrocher le lecteur avec une citation courte dont l’impacte se fera ressentir pendant toute la lecture. C’est pourquoi si je souhaitais parler de Lieve Oma, un petit chef-d’oeuvre vidéoludique créé par Florian Veltman et sorti en 2016, et bien je commencerais par citer le titre d’un célèbre article de Gonzalo Frasca sorti dans le premier volume de la revue scientifique Game Studies en 2001.

    snapshot20160703120528“Les Grands-mères sont plus cools que les trolls”. Pour le lecteur averti, il deviendra donc évident que nous allons soutenir cette thèse puisque l’ensemble des mécaniques de gameplay de Lieve Oma n’ont pour seul objectif que de prouver cela. L’objectif de Frasca, dans cet article, était de soutenir l’idée que les jeux vidéo sont des œuvres tout à fait capables pour diffuser des émotions fortes aux joueurs et pas seulement celles liées à l’amusement, le fun et l’humour. Les jeux vidéo permettent aussi de partager la tristesse, la compassion ou tout simplement l’empathie. En 2001 donc, Frasca militait pour l’apparition de plus de jeux qui proposaient des expériences émotionnelles fortes liées au partage d’histoire de la vie ordinaire. Je vous rassure, il milite toujours pour cela mais en 2016 et avec les extraordinaires jeux que sont Paper Please, Undertale, Hyper Light Drifter, Cibele, Lieve Oma et tant d’autres, on peut dire que son vœu a été exaucé.

    « Partons à la cueillette aux champignons »

    Mais revenons à notre sujet. Lieve Oma vous met dans la peau d’un jeune enfant qui part à la cueillette aux champignons avec sa grand-mère suite au récent divorce de ses parents. Cependant, ce serait une erreur de penser que le jeu ne se résume qu’à cela. Il est tout d’abord intéressant de noter qu’il fait parti du genre des “Jeux Expressifs”. Ce concept, qui a  été mis en avant par Sébastien Genvo, permet de regrouper les jeux vidéo dont l’objectif est la transmission d’émotions sans imposer un discours ou une vision. Ainsi, contrairement aux Persuasive Games de Ian Bogost, les Expressive Games sont seulement là pour vous partager des émotions sans chercher à convaincre ou persuader le joueur. Ils ne vous disent pas s’il y a une bonne façon de penser ou tout simplement s’il y a une bonne façon de vivre une expérience. Ils sont là et c’est après au joueur uniquement de s’installer confortablement dans une posture réflexive. C’est ce dernier qui doit tirer ses propres conclusions. Lieve Oma fait donc partie de cette seconde catégorie. Son game design nous permet de ressentir ce qu’a vécu Florian Veltman à un moment particuliers de sa vie : le divorce de ses parents et la période de transition qui a suivi.

    snapshot20160703120633Lieve Oma, derrière ses couleurs pastels, est un jeu aux thématiques graves : il s’agit de faire ressentir aux joueurs ce qu’est la perte de ses repères lorsque le cadre familiale se déconstruit. Ce jeu, c’est aussi une lettre d’amour aux relations entre grands-parents et petits-enfants. Lorsque la cellule familiale se déconstruit, les grands-parents sont là pour assurer une forme de relais dans la construction identitaire de l’enfant. Enfin, Florian Veltman voulait nous faire partager l’importance de la relation qu’il entretient avec sa grand-mère.

    Un gameplay focalisé sur « Oma »

    Ainsi, après avoir défini les objectifs de ce jeu, nous allons maintenant montrer comment il arrive à faire cela par son game design et son gameplay.

    Tout d’abord, il est particulièrement intéressant de noter comment le gameplay du jeu est focalisé sur la Grand Mère et non sur l’avatar du joueur. Ainsi, plutôt que de centrer le cadre de l’action sur notre personnage, le jeu centre notre attention sur la grand-mère et c’est véritablement en s’éloignant que le jeu recadrera la caméra sur le personnage du joueur. Cependant, ce recadrage n’intervient qu’au tout dernier moment, lorsque l’on est le plus éloigné. Ici, implicitement, l’objectif est de nous faire comprendre que nous en tant que joueur, nous devons concentrer notre attention sur cette “Oma”. Un autre mécanisme s’ajoute à cela pour venir renforcer ce sentiment. Le jeu nous permet de courir. Cependant dès que nous sommes trop loin de notre grand-mère, nous ne pouvons plus que marcher. Ici, le jeu nous oblige à évoluer en fonction d’un certain périmètre dont le centre est “Oma”.

    Ainsi, le jeu nous oblige par son gameplay à rester proche de la grand-mère. Cependant, un dernier mécanisme s’ajoute pour nous faire comprendre que nous sommes un enfant. Lorsque nous marchons tranquillement aux cotés d’Oma, nous nous apercevons que celle-ci marche plus vite que nous. Nous devons donc nous remettre à courir par à-coup pour rester au même niveau. Dans d’autres jeux, cela serait perçu comme un défaut classique, un syndrome qui fait tâche dans tous les jeux comportant des quêtes d’accompagnement. Ici, ce mécanisme est utilisé pour symboliser notre jeune âge : nous incarnons un enfant et le jeu nous rappelle ce que c’est d’en être un marchant à coté d’un adulte grâce à cela.

    Tout cela permet de constater que le jeu nous installe dans une position vulnérable. Nous ne sommes pas en équilibre dans nos interactions sociales. Ce sentiment est renforcé par les couleurs utilisées par Veltman dans le character design et l’environment design de son jeu. En effet, “Lieve Oma” nous installe dans une forêt en automne. L’environnement fait parti d’un tout. Notons particulièrement les couleurs de la grand-mère. Celles-ci symbolisent la relation qu’a ce personnage avec la forêt. Le manteau d’Oma est d’ailleurs de la même couleur que celle des arbres et c’est doublement intéressant. Premièrement, cela attache forcément des connotations de longévité et de résistance au temps et aux chocs de la vie. Il devient facile d’assimiler la grand-mère à un arbre, une force de la nature, quelque chose d’immuable et qui ne peut pas s’effondrer. Secondement, Et bien cela donne le sentiment que la forêt et la grand-mère ne sont en faite qu’une seule et même entité qui accueille de manière bienveillante l’enfant que nous incarnons.

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    Les jeux de couleurs sont aussi extrêmement intéressants entre notre avatar et le reste du jeu. Nous avons démontré dans le précédent paragraphe que la forêt et notre grand-mère partageaient un ensemble de points communs or, notre personnage se retrouve en bleu. Alors bien entendu, il est facile de dire qu’il s’agit de la couleur complémentaire de l’automne et des couleurs utilisées pour la forêt. De plus, nous pouvons aussi noter que cela permet de créer un sentiment d’étrangeté. Notre avatar ne se sent pas encore à sa place dans ce nouvel environnement et cela se manifeste par sa couleur bleue qui dénote totalement du reste du jeu. Cela nous fait enfin ressentir qu’en incarnant cet enfant, nous ne nous sentons pas encore à notre place dans cette environnement, dans cette forêt, avec notre grand-mère.

    La poésie dans le game design de « Lieve Oma »

    Nous avons déjà bien étayé notre propos sur le jeu et pourtant, il faut maintenant que nous abordions comment la mécanique principale du jeu est amené par le game design. En effet, nous avons montré comment le jeu arrivait à nous faire comprendre que nous devions nous concentrer sur notre grand-mère et qu’en tant qu’enfant, nous ne sentions pas à l’aise dans cet environnement. Florian Veltman propose un game design tout en finesse et poésie. En effet, il veut que le joueur se comporte d’une façon très précise pour lui communiquer une certaine expérience. Très tôt dans le jeu, on nous indique par un feedback extra-diégétique qu’il faut ramasser des champignons. Ici, le jeu trompe complètement le joueur. Ce dernier va partir tête baissée à la recherche de champignons sans faire attention à la grand-mère qui poursuit quand à elle son chemin. Cependant, progressivement et grâce aux mécaniques que nous avons déjà expliquées, le joueur va moins se concentrer sur les champignons et finir par tout simplement marcher aux cotés de sa grand-mère. L’auteur, par les mécaniques qu’il a mises en place, veut nous faire vivre son jeu de cette façon précise : il veut que l’on se comporte comme un enfant courant partout au début d’une balade puis finissant par rester aux cotés des adultes. N’est-ce pas de cette façon que tout le monde s’est comporté étant enfant ? Veltman ajoute tout de même une incitation pour pousser le joueur à faire cela : lorsque ce dernier est proche d’Oma, cela déclenche des boucles de dialogues. par cette simple mécanique, le joueur est incité à resté près de sa grand-mère vidéoludique.

    snapshot20160703120646Et avec ce dernier constat, nous venons de mettre l’accent sur la boucle fondamentale de gameplay : le joueur marche à coté d’Oma et les récompenses de ce comportement sont les lignes de dialogues pour enfin comprendre les enjeux de l’histoire de Lieve Oma. Au fur et à mesure des dialogue, nous apprenons, que les parents de l’enfant ont divorcé et que celui-ci, ne comprend pas véritablement pourquoi tout est en train de se déconstruire : tous ses repères s’effondrent. C’est pourquoi il décide de partager avec sa grand-mère ses inquiétudes. Ces dernières portent sur l’abandon progressif de ses anciens amis, la peur de rencontrer de nouveaux camarades et enfin, de ne plus avoir d’espace lui appartenant avec ses objets, son univers.

    La diégèse du jeu prend aussi en compte cette ouverture de l’enfant à sa grand-mère. En effet, Veltman a bien su designer le moment où le joueur commence à vraiment écouter la discussion entre l’enfant et la grand-mère. En même temps, le jeu nous fait traverser plusieurs tableaux allant de l’automne  symbolisée par ses couleurs marrons orangées puis Hiver et enfin le printemps. Le jeu nous fait aussi traverser dans ce même ordre les saisons mais en incluant un écart d’une quinzaine d’années entre le premier automne que l’on traverse et l’hiver. Ainsi, c’est toute une symbolique passionnante qui se met en place : l’automne correspond au problème que l’enfant vit et sa fermeture sur le monde extérieur. L’hiver laisse beaucoup de place à l’interprétation : n’étant pas accompagné par notre “Oma”, on peut supposer que cela correspond au moment de sa (future) disparition. Enfin, le printemps est symbolisé par la venue progressive de la couleur verte dans la forêt et c’est précisément le moment où l’enfant finit d’exposer l’ensemble de ses angoisses à sa grand-mère et quand il commence à se sentir réconforté.

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    Lieve Oma, un petit trésor du Jeu Expressif

    Lieve Oma est donc un petit jeu qui cache un trésor de game design. Son seul objectif est de nous faire comprendre la relation que Veltman entretient avec sa grand-mère et quelle importance elle a eu lors du divorce de ses parents. Au début du jeu, si l’on ne comprend pas bien pourquoi nous partons cueillir des champignons, il est évident après coup qu’Oma nous y a emmené pour nous faire changer d’air. Et Clairement, le jeu réussit parfaitement son objectif. Veltman s’impose aussi comme l’un des grands Game Designers de la vie ordinaire, des gens normaux et des situations banales. Lieve Oma fait partie des rares expériences à nous engager émotionnellement de manière aussi douce-amère. Ce petit roller-coaster émotionnel nous a fait traverser une forêt et une tranche de vie difficile. Il nous fait comprendre ce que vit un enfant qui doit affronter la déconstruction d’une famille pour en reconstruire une nouvelle, peut-être plus petite ou plus grande, çà, le jeu ne nous le dit pas. Cependant, il précise bien que tout finit toujours par s’arranger et qu’il y a un après. ■

    Esteban Grine, 2016

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    Sources :

    Frasca, G. (2001). The Sims: Grandmothers are cooler than trolls. Game Studies, 1(1).
    Veltman, F. (2016). « Lieve Oma » https://vltmn.itch.io/lieve-oma

     

  • La difficulté, cette illustre inconnue – CT02

    La difficulté, cette illustre inconnue – CT02

    Ah le jeu vidéo ! Surement l’un des sujets les plus abordés sur Internet. Alors comment aujourd’hui, dans la masse d’informations, se différencier ? Et bien l’équipe de LCV va tenter de répondre à cette question de deux façons différentes. Premièrement, nous souhaitons proposer une nouvelle expérience internet. Cela se matérialise par la volonté de conjuguer le potentiel transmédia du contenu internet avec une esthétique proche du journal papier. Deuxièmement, et bien, nous faisons le choix de nous inscrire dans une démarche à forte plus-value intellectuelle.

    Nous souhaitons faire de LCV la première revue de vulgarisation et de partage des études, des réflexions pro-amateurs et des diverses sciences dont l’objet principal est le jeu et le jeu vidéo. Serait-ce une démarche prétentieuse, à l’instar des cahiers du cinéma ? Oui, peut-être bien. Cependant, nous pensons que tous les contenus ont le mérite d’exister sur internet. Il ne faut surtout pas croire que LCV serait un repère de journalistes hipsters crachant sur toute la culture mainstream, bien au contraire. Ce sont des amoureux de la culture vidéoludique dans son ensemble. Nous avons fait le choix de proposer un contenu d’inspiration scientifique ici car nous pensons qu’il n’est pas assez présent et visible sur internet mais n’allez pas vous imaginer que nous ne faisons que nous prendre la tête sur le jeu vidéo.

    Je le répète : nous aimons tout et considérons que tous les contenus présents sur internet ont le mérite d’exister.

    Sur ce, nous vous souhaitons une passionnante lecture de notre revue mensuelle, édition spéciale : L’Essence du Jeu Vidéo. Si l’édition de ce mois vous a plu, n’hésitez pas à vous abonner en nous suivant sur twitter et facebook.

    Esteban Grine

    la difficulté, cette inconnue – Vidéo

    Bonjour Internet et encore une fois, merci de regarder cet épisode de “Capsule Technique”, une émission francophone qui parle de Game Design.

    Aaah Dark Souls, dark souls par ci, dark souls par là ! presque deux mois après sa sortie, le titre est toujours autant hypé. La série entière n’en reste pas moins appréciée. Son Game Designer, Hidetaka Miazaki, a souhaité créer une expérience particulièrement éprouvante pour le joueur. Ces jeux sont difficiles. Il demandent une exécution parfaite et une connaissance approfondie de sa diégèse et de ses mécaniques ludiques. Bref, tout le monde est d’accord pour dire que les Dark Souls sont difficiles. Mais personnellement moi, ça va en fait… je les ai trouvé bien plus faciles que… je sais pas… Spelunky, OlliOlli2, tiens ! Je les trouve même plus faciles que Monkey island !

    Quoi ? Vous ne voyez pas en quoi Monkey Island est plus difficile que Dark Soul ? Et bien je vous propose alors de parler dans ce nouvel épisode de la difficulté dans les Jeux Vidéo !

    La difficulté est un bien grand mot… il est souvent dévoyé pour soutenir une certaine idéologie de ce que doit être le Jeu Vidéo : genre, pour que le jeu vidéo soit un vrai jeu vidéo, il doit être difficile.

    De plus, il est utilisé à tort et à travers pour comparer les jeux entre eux sans qu’il n’y ait une réflexion plus aboutie sur ce qui fait la difficulté vidéoludique. Dans cette vidéo, je souhaite donc exposer ce que l’on sait aujourd’hui au niveau de la recherche sur la difficulté vidéoludique et pour cela, je vais principalement me reposer sur les travaux de Guillaume Levieux, Chercheur et Game designer.

    Comme l’énonce Jesper Juul dans ses livres “Half-Real” et “the casual Revolution”, les jeux vidéo possèdent une incohérence fondamentale : d’un coté, les game designers ont pour objectif que le joueur parcourt l’intégralité du jeu. Pour cela, ils doivent mettre en place ce qu’on appelle une stratégie discursive : c’est-à-dire un plan d’action pour être sûr à 100% que le joueur a reçu le message que l’on voulait faire passer.

    De l’autre coté par contre, les jeux vidéo hardcore ou casual, peu importe, doivent apporter un sentiment de satisfaction dans la réalisation des actions : les joueurs doivent traverser des épreuves. Donc en gros, les jeux vidéo doivent empêcher le joueur d’atteindre son objectif.

    Ainsi, pour résumer, d’un coté les jeux vidéo doivent permettre aux joueurs de réussir et de l’autre coté, ils doivent mettre en échec ces mêmes joueurs.

    Cette incohérence explique aussi pourquoi très tôt, on s’est interrogé sur l’équilibrage du jeu. Rollings et Adams définissent l’équilibrage de la façon suivante : “un jeu équilibré est un jeu où le talent du joueur est le facteur déterminant de sa réussite”. Bon cette définition reste maigre car elle ne décrit pas ce qu’est le niveau de difficulté ni ce qu’est la difficulté… Par contre, elle permet d’évacuer l’aléatoire et de considérer les jeux reposant principalement dessus comme déséquilibrés. C’est le cas des jeux de loto ou tombola par exemple que l’on retrouve aussi parfois dans le Jeu Vidéo.

    Ainsi, cet équilibrage concerne les choix sur la structure du jeu, c’est à dire ses règles constitutives qui forment selon Colas Duflo le système général de règles du jeu. La compétence du joueur revient alors à sa capacité à mettre en place des règles régulatives qui sont cette fois les moyens permettant d’arriver à ses fins. Pour résumer simplement sur la compétence du joueur, c’est en gros sa capacité à trouver et à appliquer les meilleurs strat’. Le jeu, pour être équilibré, doit donc proposer des règles constitutives qui suivent la progression du joueur et pour cela, les game designers ont 2 possibilités pour designer ce que l’on appelle la courbe de difficulté : soit la scénarisation de la difficulté, soit un équilibrage dynamique de la difficulté suivant les progrès du joueurs. Et je souhaite dire une chose : une courbe de difficulté comme ça qui n’est pas titrée : (montrer image), ça n’existe pas, mais alors pas du tout. Ca, C’est à la limite un mix entre une courbe lambda de progression du joueur et la courbe du flow de Mihalyi Csikszentmihalyi.

    La difficulté est donc un élément de gameplay. En tant que tel, cela signifie qu’elle fait partie intégrante de n’importe quel jeu. Une première définition de celle-ci pourrait être : “l’effort que doit fournir le joueur pour atteindre ses objectifs et ces efforts sont mis en scène par le gameplay” (Levieux, P25).

    Mais avant de poursuivre, il faut comprendre que la difficulté n’est pas un élément en soi dans un jeu, c’est plus la valeur d’une relation entre un jeu et un joueur. Ainsi, par essence, la difficulté est variable et tend à diminuer au cours du temps : Plus un joueur connaît les règles constitutives du jeu et plus il est capable de mettre en place des stratégies optimales.

    Ainsi, afin de prendre en compte cette aspect relationnel de la difficulté, il est nécessaire de distinguer les notions de difficulté absolue et de difficulté relative. La première est l’effort que doit fournir un joueur-type, lambda pour atteindre les objectifs proposés par le gameplay. Cette difficulté ressemble à la courbe ci-contre.

    Il est important d’aborder un peu ici de la notion de Joueur-modèle. Celui-ci est la représentation que se fait le game designer de la personne qui jouera à son jeu. En fonction de ce joueur-modèle, le Game Designer mettra en place une stratégie discursive, une façon d’amener les éléments de gameplay de manière particulière Ainsi, lorsque vous vous poserez des questions sur la stupidité d’un didacticiel ou d’une difficulté qui semble mal gérée, posez-vous toujours la question : “mais qui est le joueur-modèle auquel ce jeu est destiné ?

    Voici la représentation de la difficulté absolue d'un jeu. Celle-ci a une forme d'escalier due au séquençage des jeux vidéo

    Voici la représentation de la difficulté absolue d’un jeu. Celle-ci a une forme d’escalier due au séquençage des jeux vidéo.

    La seconde forme de difficulté, quant à elle, prend en compte l’évolution des capacités du joueur tout au long du jeu. C’est cette seconde difficulté qui se repose sur l’équilibrage du jeu pour toujours proposer un challenge correspondant à la progression du joueur. et elle ressemble à çà (ci-dessous). On voit bien que la difficulté diminue en fonction du temps et que le jeu doit la rehausser périodiquement.

    Voici la représentation de la difficulté absolue d'un jeu. Celle-ci a une forme d'escalier due au séquençage des jeux vidéoTout ce travail d’ajustement en fonction des progrès du joueur définit la courbe de difficulté d’un jeu et c’est Ed Byrne, level designer de son état, qui fut l’un des premiers à vraiment théoriser sur le sujet.

    Mais vous allez me demander : “mais comment créer cette courbe de difficulté ?”

    Et bien tout d’abord cela dépend du type de jeux que vous souhaitez. En effet, aujourd’hui, il existe deux types de jeux vidéo : les jeux de progression et les jeux d’émergence. Dans les premiers, les designers ont fixé le plus précisément possible le parcours du joueur : les situations rencontrés sont donc réfléchies, calibrées et encoder dans le contenu du Jeu. C’est ce que l’on appelle : scénariser le gameplay. Ces jeux sont très faciles à reconnaître : pokemon, Zelda, les campagnes solo des Call of Duty, même Yokai Watch tiens ! A l’inverse, dans les jeux émergents, les designers ne peuvent pas prévoir le contenu de chaque partie : les échecs et le football en font partie. Dans le JV, ce sont principalement des jeux multijoueurs comme Street Fighter, les multi de Battlefield, les jeux de sport et d’arcades.

    Bon bien sûr, il faut comprendre que ces deux notions ne sont pas deux catégories distincte mais bien entendu les deux extrêmes d’un même axe indiquant l’intervention du game designer dans le parcours du joueur. Certains jeux allient d’ailleurs très bien la scénarisation du contenu et émergence. resident Evil 4 est un cas d’école à ce sujet puisque Shinji Mikami a 1/ scénariser l’intégralité du gameplay du jeu avec l’évolution des ennemis, la présence de boss etc. et 2/ Rend le jeu plus facile ou plus difficile en fonction des succès et échecs du joueur.

    Bon, on commence à y voir vraiment plus clair concernant la difficulté et son design mais il y a une question à laquelle nous n’avons toujours pas répondue ! Monkey Island est-il plus difficile que DarkSouls3 ?

    Ainsi, la difficulté sensorielle décrit l’effort que doit fournir le joueur pour obtenir des informations nouvelles sur l’état de l’univers du jeu. Il faut comprendre toute information que le joueur ne peut pas déduire de faits et règles logiques qu’il connait déjà. La difficulté sensorielle est la difficulté principale des jeux d’aventure comme les monkeys Island ou tout autres LucasArt.

    La difficulté logique quant à elle décrit l’effort que doit fournir le joueur pour exploiter les informations dont il dispose, c’est à dire comprendre le fonctionnement de l’univers par l’induction, par remontée d’information et choisir la prochaine action à effectuer par déduction. On retrouve ce type de difficulté dans les premiers tomb raider où l’on devait actionner des leviers, utiliser certaines clefs pour ouvrir des portes et continuer à progresser.

    Enfin, il reste la difficulté motrice. Celle-ci décrit le niveau de précision spatiale et temporelle dont le joueur doit faire preuve lorsqu’il exécute une action. C’est tout simplement la difficulté la plus facile à présenter. Elle est particulièrement présente dans les jeux de plateforme comme Mario, Spyro, Ratchet & Clank et bien entendu les titres indé comme super meat boy. Elle est présente dans tous les jeux d’action, bien évidemment dans les jeux de scoring comme les schmups et aussi dans les RTS comme Starcraft dans lesquels la rapidité d’exécution et primordiale.

    Voilà !

    Nous avons fait un tour d’horizon de ce qu’est la difficulté vidéoludique. Bien entendu, je n’ai pas pu parler de tout mais il faut retenir qu’il existe une difficulté absolue et une difficulté relative. Cette dernière prend en compte le gain de compétence au cours d’une partie par le joueur et afin de toujours lui proposer du challenge, le game designer doit faire un gros travail au niveau de l’équilibrage de son Jeu. Cela se formalise par la mise en place d’une courbe de difficulté qui aura une forme différente en fonction du type de jeu ; jeu dont le gameplay se situe sur un axe entre gameplay progression ou gameplay émergent. Certaines techniques de game design comme l’équilibrage dynamique de la difficulté permettent d’allier facilement les deux. Enfin, il existe 3 sphères de difficulté qui sont la sphère sensorielle, la sphère logique et la sphère motrice.

    Maintenant que vous connaissez tout cela, j’espère qu’il sera plus facile pour vous de qualifier la difficulté à laquelle vous êtes confrontés. Nous n’avons pas aborder le fun qui peut être créé par la difficulté, mais je réserve cela pour une prochaine vidéo.

    En attendant, comme d’habitude, je vous remercie de m’avoir écouté, je vous aime beaucoup et vous dit à la prochaine. ■

    Esteban Grine, 2016.

    ===== Sources scientifiques de la vidéo =====

    La thèse de Guillaume Levieux : Mesure de la difficulté, 2011
    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00612657/document

    Les références à Rolling et Adams sur la difficulté dans le Jeu Vidéo
    Rollings & Adams, 2003. « Andrew Rolling and Ernest Adams on game design », https://books.google.fr/books?id=Qc19ChiOUI4C&lpg=PA359&ots=W-E5XnlL7g&dq=andrew%20rolling%20ernest%20adams%20on%20game%20design&hl=fr&pg=PP1#v=onepage&q=andrew%20rolling%20ernest%20adams%20on%20game%20design&f=false

    Adams, « The Designer’s Notebook: Difficulty Modes and Dynamic Difficulty Adjustment »
    http://www.gamasutra.com/view/feature/132061/the_designers_notebook_.php?print=1

    Byrne, Ed, 2005, « Game Level Design », https://books.google.fr/books/about/Game_Level_Design.html?id=iX3oWHNf9hMC&redir_esc=y&hl=fr

    ===== Sources Audio =====

    « Oomari Yama », Yokai Watch Ost
    « Neshizumatta Machi », Yokai Watch Ost
    « Nonbirishita Basho », Yokai Watch Ost
    « Shop », Josiah McDaniel, VGM Opus 3, Undertale (Toby Fox)

    ===== Sources des Gameplays =====

    Les gameplays ne sont pas de moi, aucune utilisation commerciale n’est faite. Retenez la run de Spelunky par Bananasaurus Rex. Une question récurrente sur la difficulté est de savoir si finalement, c’est fun ou pas ? Sans trop aborder ce sujet que nous aurons l’occasion de traiter plus tard. Et bien nous pouvons distinguer le Hard Fun du easy fun. La première notion est permise grâce à la résolution d’objectifs tandis que la seconde est plus accès sur la compréhension du monde, de la découverte du monde et ce, indépendamment de la réussite (voir Lazarre sur le sujet entre autre).