Étiquette : jeu vidéo

  • Mindwave, son esthétique et les enfants d’internet

    Mindwave, son esthétique et les enfants d’internet

    Nous sommes dans un futur proche. Dans une ville resplendissante, où les néons et les lanternes font briller le ciel de mille feux. Pandora, une jeune femme déambulant dans la rue, s’approche de la tour Mindwave. On a l’impression qu’il s’agit d’une méga-Corporation futuriste et qui maintient probablement la ville sous son règne (en plus d’éditer le jeu, au nom éponyme, le plus joué au monde). Ou alors il s’agit d’un trope similaire.

    Une fois à l’intérieur, l’audience joueuse comprend qu’un événement à la façon d’un Battle Royal s’y prépare. Pandora patiente alors lentement dans les files d’attente jusqu’à ce qu’elle sorte un ticket « platinum », symbole d’une autorisation lui permettant de candidater à ce qui serait potentiellement une compétition (mortelle ?).


    Mindwave est un jeu ou plutôt un prototype de jeu. Sorti début 2025 dans le cadre d’une campagne de financement participatif, le titre propose d’incarner Pandora. Pour une raison encore inconnue de l’audience, cette jeune femme a décidé de s’inscrire à un grand concours organisé par Mindwave. A l’intérieur, elle rejoint un lobby qui doit être peuplé de milliers de participants et participantes.

    Une fois le tutoriel passé, on comprend que ce jeu va nous proposer de participer à un tournoi dont les combats se déroulent dans les esprits de leurs participants. En quelque sorte, le gameplay s’inscrit dans une tradition typique des jeux de rythme comme Wario Ware ou encore Rythm Paradise. Très tôt on comprend donc qu’il va être question d’un jeu assez exigeant puisque contrairement aux deux titres cités, Mindwave utilise de nombreuses mécaniques et oblige ces joueurs et joueuses à changer de contrôleurs. On passe alors d’un mini-jeu qui se joue par exemple à la souris à un mini jeu qui se joue au clavier puis les deux en même temps, on répète et on recommence.


    Cela étant, Mindwave nourrit une ambition bien plus grande qu’incarner une nouvelle version, un nouvel état de l’art, du jeu de rythme. En effet, le jeu se dote de séquences typiques de Visual Novel. Le fait qu’il y a même un journal permettant d’accéder à l’ensemble des dialogues appuie cette idée que le titre mettra l’emphase particulièrement sur une histoire élaborée et des relations entre les personnages complexes.


    Dès que j’ai vu les premières images du titre sur les réseaux sociaux, j’ai tout de suite su que je ferai partie de sa cible. Étonnamment, son pixel art fait référence à la fois à des jeux récents comme Pizza Tower mais également à une certaine esthétique pixelisée datant de la fin des années 90 et du début des années 2000. Personnellement, cette esthétique me rappelle les jeux auxquels j’ai pu jouer et qui était vendus avec des magazines du style à proposer un fascicule et un CD contenant des centaines et des centaines de petites expériences plus ou moins bien conçues.

    Mindwave est un jeu qui s’adresse définitivement aux enfants d’internet : celles et ceux qui au gré de leurs pérégrinations sur les réseaux ont développé une affection particulière pour une esthétique flirtant entre la nostalgie d’une époque n’ayant jamais existé, certains jeux vendus sur cédérom durant les années 1990, et des courants artistiques comme l’Internetcore, le Dreamcore, etc. Les séquences de jeu alternent entre les registres et les esthétiques. Si l’on ne connait encore que trop rien de ce qu’il souhaitera partager en termes de récits et d’expériences, il ne fait aucun doute que le collectif derrière Mindwave a su poser les bases d’une expérience qui pourra devenir une référence de l’internet futur, comme l’ont été des jeux comme Va11-Hall A, Undertale et Omori. Je serai d’ailleurs prêt à parier que ces trois jeux (et d’autres comme Yume Nikki) font partie des références du studio.

    Il ne serait pas non plus étonnant que sous son vernis disco, se cachent des thèmes et des sujets bien plus quotidiens sur la santé mentale, le capitalisme tardif et consorts. Aucun doute sur le fait qu’il faudra s’attarder de nouveau sur ce jeu lors de sa sortie en 2027. ■

    esteban grine, 2025.

    Le lien vers le kickstarter du projet : https://www.kickstarter.com/projects/holohammer/mindwave/description

  • Jeux vidéo & digital labor

    Jeux vidéo & digital labor

    En attendant les robots, le dernier ouvrage d’Antonio A. Casilli (publié en 2019) porte sur les enjeux de ce qu’il nomme le digital labor. Cette notion définit selon lui le travail « du doigt ». Plus spécifiquement, il opère par cette notion une nouvelle forme de division sociale du travail. Originellement, cette division s’est faite par métier au sein des sociétés puis au sein d’un même métier. Casilli présente ce digital labor comme une forme de travail rémunéré ou non à la tâche. Cependant, les tâches étant tellement morcelées que celles-ci ne définissent dorénavant que des séries de manipulations d’un clavier ou de clics. Dans un chapitre d’ouvrage antérieur, il définissait de manière ouverte le digital labor de la façon suivante :

    Par digital labor, nous désignons les activités numériques quotidiennes des usagers des plateformes sociales, d’objets connectés ou d’applications mobiles. Néanmoins, chaque post, chaque photo, chaque saisie et même chaque connexion à ces dispositifs remplit les conditions évoquées dans la définition: produire de la valeur (appropriée par les propriétaires des grandes entreprises technologiques), encadrer la participation (par la mise en place d’obligations et contraintes contractuelles à la contribution et à la coopération contenues dans les conditions générales d’usage), mesurer (moyennant des indicateurs de popularité, réputation, statut, etc.) (Casilli 2015:25).

    C’est cette définition que nous retiendrons pour la suite de ce billet. Ce qui attire particulièrement notre regard, c’est que le digital labor décrit un processus de captation des richesses (informationnelles, etc.) créées par des usagers d’un service. Ces usagers peuvent être rémunérés ou non, comme dit précédemment. Dans la suite de ses travaux, Casilli questionne alors les formes d’aliénations plus ou moins heureuses auxquelles les technologies contribuent mais ce n’est pas la direction que je veux aborder maintenant. La question qui anime ce billet est la suivante : quelles sont les formes du digital labor qui sont aujourd’hui associées à nos pratiques vidéoludiques ?


    Article mis à jour le 10/03/2019 : corrections orthographiques et grammaticales. Merci à Ryker pour sa relecture.


    La plateformisation des écosystèmes et des jeux

    Le marché actuel du jeu vidéo semble se concentrer autour des stores (Steam, Epic, Origin, Uplay, Itch, Ps Store, Twitch, Discord, etc.). En se basant sur les travaux de Casilli, nous énonçons que ces stores sont des plateformes dans le sens où ce sont des mécanismes multifaces. Elles ont la charge de coordonner, par algorithmes, et de mettre en relation des usagers produisant de la valeur. Ces usages sont alors réunis en catégories en fonction de ce qu’ils viennent chercher en utilisant ces plateformes.

    Pour entreprendre une proposition de réponse, il convient de reprendre l‘explication de Casilli sur le monopole qu’exercent aujourd’hui ces plateformes de ventes dématérialisées. Casilli part d’un double constat. Premièrement, il observe une défaillance de la part des entreprises traditionnelles à extraire et analyser les données que les individus consommateurs produisent. Secondement, il considère que les marchés typiques ne permettent pas la meilleure allocation des ressources. Autrement dit, il y a une « production » (d’informations) non exploitée autant par les entreprises que par les marchés. Les plateformes sont alors des phénomènes permettant de valoriser ce qui était des pertes sèches causées par les entreprises et les marchés traditionnels. Typiquement, une situation telle que cela dans le jeu vidéo correspondrait à la période 1990-2006 puisque durant cette période, aucune production d’information n’arrivait à être captée par les éditeurs de jeux : une fois la copie d’un jeu acheté, plus personne ne se souciait donc de ce qu’il pouvait arriver (nous raccourcissons les traits ici). Dorénavant, des phénomènes comme l’intégration de méta-games tels que les succès sont une façon pour les propriétaires des plateformes de capter les informations produites en jouant.

    Rétrospectivement, il est possible de supposer que l’enjeu organisationnel des éditeurs de jeux à partir de 2006 (et donc de la septième génération de consoles) a été de transformer leur activité par une plateformisation de leurs contenus. Cette plateformisation est notamment passée par la mise en place de « launcher » uniques pour les jeux d’un même éditeur. Valve, Origins, Epic et Uplay sont les grands représentants commerciaux mais nous pouvons aussi évoquer Battle.net qui fait l’office pour la société Activision-Blizzard. Ainsi, avec ces launchers, il devient plus aisé d’observer les comportements des joueurs et des joueuses, mais aussi leurs productions.  Ce que l’on entend alors par productions, dans ce cas précis, concerne les évaluations, les notations, l’animation des communautés organisées autour d’un jeu et bien entendu, les contenus vidéoludiques sous la forme de mods ou d’add-ons.

    En tout état, il semble que les plateformes sont aujourd’hui les lieux de rencontres principaux entre les acteurs concernés par le jeu vidéo : éditeurs, créateurs, créatrices, joueurs et joueuses. Cette réflexion tient aussi pour les consoles puisque sans parler de stores, il est bien question de médiacenters dont l’environnement permet au propriétaire de capter toutes les formes de digital labor réalisées par les joueuses et les joueurs en jouant. Ainsi donc, dans ce billet, nous soutenons l’idée que si les jeux n’ont pas fondamentalement changé (dans le sens où il n’y a eu que peu de ruptures), ce sont surtout les écosystèmes de jeux vidéo qui ont été plateformisés.

    Dès lors, penser les stores et d’une manière général les écosystèmes vidéoludiques comme des plateformes permet de considérer l’acte de jouer (par le biais de ces plateformes) à des jeux vidéo comme des formes de digital labor (Rayna Stamboliyska évoquait le #playbor (notion empruntée à Bruno Vétel) pour parler de cela dans une conversation sur le réseau twitter). Ou plutôt, l’acte de jouer à un jeu vidéo contient désormais une part non négligeable de digital labor, c’est-à-dire une forme de travail qui n’est pas obligatoirement rémunérée reposant sur la production d’informations produites par les joueurs et les joueuses, informations alors captées et traitées par les entreprises.

    Le jeu comme digital labor

    Casilli identifie trois formes de digital labor : le microtravail, le digital labor à la demande et le travail social en réseau. Dans la suite de cet article, nous allons voir la façon dont s’articulent ces formes de travaux appliqués aux jeux vidéo, notamment en incluant dans notre réflexion les recherches de Bruno Vétel et de Mathieu Cocq qui font aujourd’hui référence sur le sujet.

    Le travail social en réseau est potentiellement la forme de digital labor la plus facile à associer à notre objet, le jeu vidéo. Casilli associe cette forme à la production de contenus et à leur partage au sein d’une communauté. On peut alors identifier des pratiques qui rentrent alors dans ce cadre. Par exemple, Steam se repose principalement sur ses features communautaires centralisés sur les pages « hub de la communauté ». Ces pages rassemblent l’ensemble des productions faites par les joueurs : partage des photos prises en jeu, billets sur le forum du jeu, mais aussi des guides, les évaluations, etc. Aucune de ces productions, faites sur la base du volontariat, n’est rémunérée. Il y a alors une confusion ou une difficile distinction entre ce qui relève du travail rémunéré et du travail non rémunéré (hobbys, jeux, etc.). Pour rappel :

    la sociologie du travail a de longue date montré le lien qui pouvait unir passion et travail (Loriol et Le Roux, 2015 ; Sarfati, 2012), et c’est dans ce cadre qu’ont pu être pensées les activités des vidéastes sur YouTube ou des blogueur-euses (Flichy, 2010) (Cocq 2018:3).

    En jeu, certaines mécaniques mettent en scène des actes productifs dans le seul but d’alimenter des contenus disponibles dans le jeu. Par exemple, Red Dead Redemption 2 propose un mode photo fortement contraignant puisque relié au Social Club de Rockstar. Assassin’s Creed Odyssey propose aussi cela et je me suis retrouvé à prendre plaisir à photographier et à partager des clichés qui apparaissent sur la carte du monde d’autres joueurs qui peuvent à leur tour signaler leur appréciation par un like. Ces exemples de digital labor communautaire sont le constat de nouvelles formes de valorisation de capitaux possédés par des personnes qui décident de mettre ces capitaux à disposition des plateformes. Lorsque je partage une photo prise d’Assassin’s Creed Odyssey, dans le jeu ou auprès de mes réseaux (Twitter, Facebook, etc.), je m’inscris dans une volonté de partage mais aussi dans une recherche d’une valorisation d’une de mes productions.

    Dans tous les cas, les plateformes et les jeux eux-mêmes mobilisent des mécanismes incitant au digital labor communautaires. Mathieu Cocq apporte cependant un éclairage particulièrement intéressant pour expliquer les rapports commerciaux implicites ou explicites qui peuvent s’instaurer entre les producteurs de contenus et les plateformes. A partir d’une analyse des mécanismes de Twitch, il met en exergue la notion de capital communautaire qu’il définit comme :

    la réputation et la relation de proximité construite par chaque streamer auprès de son audience, matérialisées dans des indicateurs et métriques fournis par la plateforme et gérés par le streamer. Le concept nous permet de comprendre la manière dont l’audience, mais plus encore la relation de proximité avec l’audience du streamer est réifiée (Cocq 2018:11).

    Il semble donc plausible que la rémunération de ce digital labor soit fortement corrélée au capital communautaire d’une personne. Ce qui peut expliquer le comportement des personnes non rémunérées, en revanche, peut alors être le fait de vouloir partager (dans une perspective candide donc) et le hope labor, « c’est-à-dire la participation volontaire sur les plateformes dans l’espoir ( hope) d’opportunités professionnelles ultérieures » (Cocq 2018:7).

    Le digital labor à la demande et le microtravail sont potentiellement plus complexes à saisir dans le cadre des stores vidéoludiques et des jeux vidéo. Pourtant, des travaux sur ces sujets ont déjà été menés et méritent une attention toute particulière. Pour poursuivre notre réflexion, nous allons principalement nous reposer sur Bruno Vétel. Dans le cadre de ses recherches de thèse, Vétel a observé les farmers, c’est-à-dire des joueurs et de joueuses qui se consacre à des actions répétitives dans le jeu pour ensuite revendre le fruit de ces actions. Cela peut-être des loots, mais aussi d’autres valeurs incrémentales propres à un jeu : de l’expérience ou encore des quantités de monnaies diégétiques (2016). En 2018, il publie une enquête ayant porté sur la situation de joueurs de dofus qui revendent la monnaie diégétique sur des marchés parallèles à des joueurs et des joueuses ne souhaitant pas farmer :

    Cette monnaie est revendue sur internet contre des euros à la fraction des joueurs qui ne veulent pas « farmer » pour progresser. Ceux-ci veulent surpasser plus facilement d’autres joueurs, ou tenir le rythme de progression qu’un groupe qui consacre plus de temps qu’eux à jouer en collectif. Sans ce service lucratif, ces joueurs moins persévérants seraient contraints d’abandonner le jeu et en conséquence de cesser de payer leur abonnement mensuel, perdant l’accès complet à ce jeu freemium. (Vétel 2018:209).

    Les recherches de Vétel nous permettent de constater que les mécanismes de farming (l’accumulation d’une valeur diégétique) et de grinding (gain d’expérience, etc.) sont des mécaniques particulièrement propices à l’émergence de microtravaux, et donc de digital labor. Bien que nous n’ayons pas fondamentalement exploré le digital labor à la demande, on peut cependant aisément constater son existence. Le jeu vidéo Guild Wars était un terreau pour ces pratiques puisque certains joueurs « haut level » se rendaient spécifiquement dans les premières zones du jeu pour proposer aux joueurs débutants leurs services : accompagnement dans les quêtes, découvertes de nouveaux lieux permettant par la suite de s’y téléporter, etc. Nous faisons ici l’hypothèse que l’instauration d’un système économique dans le jeu est susceptible d’aboutir à des formes de digital labor dans le jeu principalement, mais aussi à des pratiques qui peuvent dépasser le cadre du jeu pour devenir des échanges commerciaux en devise.

    En attendant la conclusion

    Dans le cadre de ce billet, il semblait important d’illustrer la porosité entre actes vidéoludiques et digital labor. Partant de la typologie des digital labor proposée par Casilli, nous avons tenté de constater la façon dont ce phénomène s’intégrait à l’acte de jouer. Les travaux de Cocq et Vétel, mobilisés ici, sont aussi le constat d’un engouement pour ces questions dans le cadre des game studies. En parallèle, l’actualité de 2018, pour le jeu vidéo, a particulièrement été marquante avec les constats de dérives au sein des studios de production : que cela soit en termes de crunch mais aussi en termes de harcèlements au travail. MissMyu et Thomas Versaveau, deux vidéastes ont particulièrement travaillé ces sujets pour aboutir à des productions médiatiques consacré sur ce versant « producteur » (MissMyu, 2018 ; Game Spectrum, 2019). Dans ce billet, je me suis attaché à intégrer aux game studies les problématiques posées par le digital labor. Aujourd’hui, le play design se doit de permettre de penser les jeux vidéo (et les plateformes) comme des espaces dans lesquels des richesses sont créées afin de pouvoir qualifier les rapports de force entre les éditeurs et les joueurs, entre les producteurs de jeux et les producteurs d’informations.

    Esteban Grine, 2019.

    Bibliographie :

    • Casilli, A. A. (2015) « Digital labor : travail, technologies et conflictualités », in D. Cardon & A. A. Casilli Qu’est-ce que le digital labor ?, Paris, Editions de l’INA, pp. 10-42.
    • Casilli, A. A. (2019). En attendant les robots. Seuil.
    • Cocq, M., (2018). « Constitution et exploitation du capital communautaire », La nouvelle revue du travail [En ligne], 13 | 2018
    • Vétel, B., (2018), « Les travailleurs pauvres du jeu vidéo », Réseaux, vol. 2, n°208-209, p. 195-228.
    • Vétel, B., (2016). À quoi jouent les « farmers » ? La construction sociotechnique des activités répétitives des joueurs en ligne. Séminaire : “Étudier les cultures du numérique : approches théoriques et empiriques”.

    Vidéographie

  • Ce que les isekais disent des jeux vidéo

    Ce que les isekais disent des jeux vidéo

    Figure 1 : Un lapin à corne, premier ennemi des vrmmo.

    Depuis quelques temps, je concentre ma lecture de mangas sur le genre de l’isekai. Il s’agit d’un sous-genre de la bande dessinée d’aventure qui base ses ressorts scénaristiques sur les jeux vidéo de rôle. Dès lors, le point de départ de ces aventures est généralement le fait qu’un ou une joueuse achète un jeu du genre des vrmmo (des jeux massivement multijoueurs en réalité virtuelle) et  l’on va suivre progressivement ses péripéties comme c’est le cas dans Only Sense Online. Un deuxième ressort est d’amener pour une raison ou une autre le fait que ce joueur ou cette joueuse se retrouve bloqué·e. C’est le cas dans sword Art Online. Un autre ressort scénaristique est de transférer le personnage principal d’un monde à un autre, soit parce qu’il a été invoqué comme dans le cas de Tate no Yūsha no Nariagari, Konjiki no Word Master ou encore Overlord soit parce qu’il est décédé dans son monde originel comme dans Re : Monster et Kono Subarashii[1]. Je pourrais encore continuer en mentionnant d’autres œuvres, je pense par exemple au manwa ½ Prince. A partir de ce corpus d’œuvres, je souhaite mettre en exergue la façon dont ces objets représentent les jeux vidéo et ainsi que les intéractions entre les joueurs et les règles de gameplay.

    Figure 2 : Le lapin à corne est étrangement une créature récurrente de l’isekai.

    L’une des premières choses qui m’a frappé lors de la lecture de ces mangas est la façon dont le héros est présenté comme ayant des compétences cheatées. Il y a dès le début de ces récits un déséquilibre fondamental lorsque l’histoire se prétend sérieuse. A l’inverse, l’absence de compétence particulière rendant le héros atypique peut devenir un ressort humoristique comme c’est le cas dans Konosuba. Globalement, l’ensemble des personnages principaux sont présentés avec des compétences qui déséquilibrent l’intégralité des interactions. Dans Konjiki no Word Master, Okamura Hiiro (qui fait référence au mot anglais « hero », yuusha en japonais) possède le pouvoir de matérialiser tout ce qu’il écrit à la pointe de ses doigts. Après l’une des premières utilisations qu’il fait de son pouvoir, il conclut lui-même qu’il s’agit d’une forme de triche (figure 2).

    Figure 3 : Hiiro à propos de son propre pouvoir.

    Dans Overlord aussi le personnage principal est présenté comme un joueur expérimenté lui donnant un avantage conséquent par rapport aux autres personnages. De même, dans Re : Monster, celui qui devient central à l’intrigue, Tomokui Kanata, se présente au lecteur comme étant quelqu’un ayant déjà une compétence cheatée dans son monde d’origine (à savoir l’acquisition de caractéristiques propres à celui ou celle qu’il dévore). Si au début cela n’aboutit pas à la mise en place d’un écart entre lui et le reste des protagonistes, cela va très vite devenir un élément distinctif.

    Figure 4 : Kanata s’adressant directement au lecteur pour expliquer un élément scénaristique.

    Ainsi dans ces cas, le grinding n’est pas forcément quelque chose d’important. A l’instar d’autres mangas, comme One Piece[2]¸il ne s’agit pas d’une étape intéressante à illustrer : il est plus important de se concentrer sur les faits d’armes des personnages. Cela peut très bien se comprendre d’un point de vue du rythme de l’œuvre mais aussi des émotions que les auteurs et autrices veulent susciter. Dans le cadre des isekai, les émotions recherchées semblent être clairement les sentiments galvanisants liés au dépassement de l’individu sur ce qui l’entoure. Pourtant, il ne s’agit pas d’associer cette galvanisation à celle que l’on peut ressentir dans les nekketsu tels que Naruto ou Bleach.

    Il est intéressant d’observer à ce moment un premier lien direct avec les jeux vidéo qui est la compréhension des mécaniques de gameplay. Les isekais se concentrent énormément sur de nombreuses explications. Celles-ci sont généralement transmises par le personnage principal dans de nombreux monologues. C’est quelque chose de particulièrement frappant dans Toaru Ossan No Vrmmo Katsudouki. Dans ce light novel adapté en manga, le personnage principal dont l’avatar est nommé Earth s’adresse régulièrement au lecteur afin d’expliquer directement les règles du jeu.

    Figure 6 : L’explication de Earth 2/2.

    Figure 5 : L’explication de Earth 1/2.

    Cela relève alors de la métalepse, c’est-à-dire de l’information extra-diégétique, dans un jeu vidéo se trouve formalisé sous la forme d’un aparté directement adressée au lecteur dans une bande dessinée. J’en observe deux dans les isekais. (1) Les métalepses adressées aux personnages de la fiction comme dans Re : Monster où le personnage principal entend une voix dans sa tête ou comme dans Konjiki no Word Master où des interfaces de gestions et de didacticiels apparaissent lorsqu’elles sont invoquées par les personnages et (2) les métalepses directement adressées aux lecteurs et qui sont extra-diégétiques à la fiction contrairement aux premières.

    Figure 7 : la voix interne de Rou lui annonçant avoir acquis un objet.

    Figure 8 : konjiki No Word Master et son système de métalepses à l’intérieur du récit.

    Dans les deux cas, il y a une forme de contrat entre le lecteur et l’auteur pour considérer cela comme faisant partie de la fiction : le héros s’adresse directement au lecteur en l’intégrant dans la fiction bien que simultanément, il y ait bien un mouvement depuis le récit vers ce qui n’en relève pas : le lecteur. Les mangas emploient très fréquemment ce type de méthodes pour faire de l’exposition. Il ne s’agit donc pas de quelque chose de propre à l’isekai mais je relève surtout ici que ce qui relève de moments extra-diégétiques actés par la machine devient une adresse directe au lecteur. Le didacticiel d’un jeu n’est alors qu’une explication ou l’exposition de ce que le ou la personnage principale comprend du monde qui l’entoure.

    Dès lors, ce qui est mis en exergue dans ces œuvres n’est ni la mise en scène, ni les rencontres avec des opposants toujours plus puissants. Au contraire, c’est fondamentalement la compréhension et la préparation des combats en amont qui sont ici valorisées et ce, dans une tradition proche des écrits de Sun Tzu dans l’art de la guerre.

    On s’aperçoit que de nombreux récits font un parallèle entre les classes de personnages et les classes sociales en encastrant ces premières dans des considérations sociales. En effet, on retrouve cela par exemple dans Only Sense Online lorsque Yun, le grand frère peu joueur incarnant une crafteuse[3], se fait critiqué par sa petite sœur, joueuse régulière, pour le choix de son build (ses compétences).

     

    Figure 9 : Yun se faisant critiquée par sa soeur.

    Dans Tate No Yuusha No Nariagari, le personnage principal comprend son désavantage lorsque personne ne décide de le rejoindre pour l’accompagner dans ses aventures. Dans les lectures que j’ai à ce jour, les personnages principaux choisissent des classes et des compétences qui sont globalement en retrait par rapport aux canons plutôt guerriers valorisés par les joueurs. C’est là pour un moi un point particulièrement flagrant des isekais : ils soutiennent l’idée que le plaisir de jeu acté ou observé provient de la compréhension, de la combinaison et de la manipulation des règles.

    Figure 10 : le désavantage observé par le Héro au bouclier.

    L’enjeu n’est alors pas d’observer des combats entre joueurs mais de lire la façon dont un joueur particulier lutte contre la machine, ou plutôt, affine sa compréhension et crée des connaissances à partir des règles de gameplay. Il s’agit alors aussi de révéler ces mécaniques puisque les personnages prennent régulièrement la parole où sont illustrés en train de découvrir.

    Alors oui, j’aurais pu évoquer la façon dont les technologies sont présentées pour jouer à ces vrmmo : des casques qui par une pirouette scénaristique prennent aussi en compte l’odorat et ce qui relève du tactile.  J’aurais pu aussi évoquer la façon dont les personnages comparent leur vie de tous les jours avec celle qu’ils ont en jouant.

    Ce sera pour un prochain billet peut-être. En attendant, voici donc les enseignements que je retiens de l’isekai : ceux-ci sont des œuvres plutôt optimistes et évangéliques qui traduisent sous la forme d’une bande dessinée l’intérêt porté à l’immersion absolue dans un jeu. Si ceux-ci sont joués en multijoueur, on retrouve pourtant généralement des personnages solitaires qui découvrent le monde. Métaphore finale de ce que sont finalement les jeux vidéo : des expériences individuelles partagées collectivement. ■

    Esteban Grine, 2018.

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    Figure 11 : La classe absolue.


    • Bibliographie indicative

    Allain S. et Szilas N., (2012). Exploration de la métalepse dans les « serious games » narratifs, STICEF, n°19

    Delbouille, J., & Barnabé, F. (2017). Jeu, narration et réflexivité : le rôle de l’avatar. Consulté à l’adresse https://orbi.uliege.be/handle/2268/214959
    • Ressources vidéo de personnes ayant déjà parlé de l’isekai
    Ryo Va Vous Causer ! (s. d.). Gamers! ne parle pas de jeu vidéo, mais c’est tout de même bien. Consulté à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=7o0q4osD8Hg&feature=youtu.be&list=PLoJN8llqsKOVrfPYXL4GnpUBOhIaCkpqo
    Teromik. (s. d.). Dissert’ 13 (3.1/3) : Dragon Ball et introduction à l’Isekai. Consulté à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=biWufbPFC0w
    • Notes de bas de pages

    [1] abrégé Konosuba

    [2] qui par deux fois, au moins, fait des ellipses pour signifier la montée en puissance de Luffy sans avoir à l’expliquer : on peut notamment penser à l’arc Water Seven dans lequel Luffy utilise pour la première fois le Gear2 et le Gear3. On peut aussi évoquer l’ellipse de deux années après la mort de Portgas D. Ace, période durant laquelle Luffy apprend à maitriser le Aki.

    [3] c’est-à-dire une artisane.

  • Il faut abattre la spécificité du jeu vidéo.

    Il faut abattre la spécificité du jeu vidéo.

    Bien que je sois en vacances, j’ai quand même pu me connecter et suivre quelques discussions qui se donnaient sur les jeux vidéo dont une qui fit quelques références à la fameuse spécificité du médium. Je prends d’écrire ma pensée aujourd’hui pour que celle-ci me soit utile dans le futur ou pour quelqu’un d’autre.

    La spécificité du médium « jeu vidéo » est une question épineuse qui ne se résout pas en un court texte. Elle mérite un travail bien plus fourni que cela et des recherches bien plus poussées que ce que les pistes de réflexions que j’ai et que je vais évoquer maintenant.

    Lorsque l’on souhaite proposer une réflexion sur les spécificités d’un médium, il s’agit surtout de proposer des caractéristiques qui le différencient d’un autre objet. De fait, on s’attache régulièrement à faire des tentatives de distinctions entre le jeu vidéo et les autres médias comme le cinéma, mais aussi la littérature (on pourrait aussi évoquer les arts picturaux et plastiques bien entendu). Aujourd’hui, on sait par exemple qu’il est plutôt difficile de distinguer les jeux vidéo de la littérature puisque selon certains penseurs reconnus, les jeux vidéo seraient un sous-ensemble des textes (des cybertextes selon Aarseth). Cependant, il ne s’agit là que d’une partie du problème qui concerne le jeu vidéo. En effet, celui-ci s’inscrit dans plusieurs phénomènes et objets d’étude dont les jeux et l’acte de jouer, les sports, les phénomènes communicationnels et enfin les médias. Ainsi, chercher afin de définir la spécificité du jeu vidéo, il devient donc impossible d’uniquement vouloir le différencier des autres médias. Il faut aussi s’attacher à les différencier par rapport à d’autres phénomènes. C’est par exemple ce qu’avait commencer à faire Karulahti lorsqu’il proposait de différencier les jeux vidéo des jeux en général par leur système de sanction des joueurs : celui-ci est automatique, algorithmique et s’inscrit dans le jeu lui-même (le code informatique pour être plus précis) contrairement aux autres formes de jeux nécessitant soit un acteur externe au jeu (un arbitre) soit un système de sanction par les joueurs eux-mêmes. L’exercice reste ouvert et à faire pour ce qui concerne la distinction entre le jeu vidéo et le sport.

    On s’aperçoit donc que la question de la spécificité du médium est donc bien plus complexe que seulement vouloir distinguer le JV du cinéma, par exemple. Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là. Prenons par exemple les liens entretenus entre le jeu vidéo et l’art. Pour de nombreuses personnes, les jeux vidéo sont une forme artistique (ce que je n’attaque pas ici bien entendu). Une minorité va même jusqu’à parler avec abus du « 10ème art », en oubliant que plusieurs formes artistiques se battent pour ce titre (dont la bande dessinée). En pensant le jeu vidéo comme un média, cela fait sens de l’inscrire en tant que forme artistique. Le problème vient du fait que sa nature de jeu vient discuter les relations qu’il entretient avec l’art. En effet, des penseurs comme Kendall Walton, peu évoqué en France, mais plutôt important chez les anglophones, voient les arts comme des formes ludiques (des outils pour nourrir l’imagination pour être précis). De facto, avec ces lectures contradictoires, le jeu vidéo serait « ensemble » et « sous-ensemble » en même temps et en fonction du point de vue choisi par la personne réfléchissant à ce sujet. Voici une difficulté qui s’ajoute par rapport à celles déjà évoquées.

    Enfin, il convient maintenant de clairement attaquer la façon dont certains proposent de différencier les jeux vidéo des autres phénomènes. L’exemple et la caractéristique la plus fréquemment évoquée comme élément distinctif est l’interactivité. Je vais donc me reposer sur celle-ci pour faire valoir mon argumentaire. Certains penseurs font fréquemment référence à l’interactivité proposée par les jeux vidéo pour les différencier des autres médias (ce qui pose déjà problème par rapport à ce que j’ai évoqué). Cependant, à mon sens, les seules façons dont nous sommes capables de proposer des éléments distinctifs reposent sur des seuils (et leurs fixations), comme c’est le cas pour l’interactivité. En somme, à partir d’un certain seuil, on considère qu’un objet est un jeu vidéo et en dessous, il ne le serait pas. Dès lors, n’ayant pas de possibilité de fixer ces seuils objectivement, les façons de définir la ou les spécificités des JV ne peuvent être pertinente que dans un cercle très restreint de pensée (entre pairs donc). Selon moi, cet argument fonctionne aussi pour tous les seuils que certains essaient d’imposer pour définir les spécificités du JV. Ainsi, plutôt que les valeurs choisies par untel ou un autre (gameplay, interactivité, narration, etc), j’attaque la construction même de ces réflexions qui me semblent immédiatement erronées pour s’attaquer au problème de la spécificité du médium vidéoludique. Si une recherche de la spécificité doit se faire (pourquoi ?), elle ne peut en aucun cas passer par la mise en place de seuils, de niveaux, d’échelles graduées ou de barèmes. Surtout que tel que je le vois depuis ShangHai où je suis actuellement, ces seuils sont aussi affaires de contextes socio-culturels, rien de plus difficile lorsque l’on souhaite apporter scientifiquement une réponse.

    Ainsi, après avoir dit tout cela, il semble que la spécificité du jeu vidéo soit une recherche vaine. Or au contraire, il me semble qu’après avoir exclu tout cela, il reste encore de nombreuses choses et caractéristiques à débroussailler. Je travaille actuellement à ce sujet dans un coin de ma tête mais ce n’est pas ici que je souhaite le partager. Finalement, ce que j’attaque et critique, c’est un peu cette façon de concevoir mathématiquement la spécificité du JV : « au-dessus de 10, un objet a la moyenne et devient un JV ». Avec cette dernière phrase, il me semble avoir déjà dévoilé une partie de ma stratégie et de mes pistes de recherches sur la spécificité du jeu vidéo, au lecteur de voir où je veux en venir. ■

    Esteban Grine, 2017.

     


     

    Note : je garde ce texte pour plus tard, j’aimerais bien l’enregistrer pour une vidéo !

  • Jeu Vidéo : La critique

    Jeu Vidéo : La critique

    Rarement j’ai ressenti quelque chose d’aussi fort qu’en jouant à ce jeu. Un peu comme si une balle, vous transperçait le crâne par la gauche puis ressortait par la droite, sans éclaboussure. Rarement, je n’ai vu pareils émotions dans une seule production vidéoludique et rarement j’ai autant ressenti de tristesse, d’empathie mélangées à un bonheur sans fin et un amour illimité pour des personnes qui ne sont finalement que des morceaux de codes issus d’un programme informatique.

    Aujourd’hui, je vais vous parler d’un jeu, peut-être le jeu de l’année mais qui dans tous les cas a mis tout le monde d’accord grâce à son esthétique, sa direction artistique, ses cadres et tout le reste. Aujourd’hui, je vous parle du jeu.

    Mais avant de parler de sa musique incroyable, de son audace dans l’installation de son scénario mais aussi du gameplay qu’il propose, il faut que je vous parle du studio derrière tout cela, mais surtout, du game designer qui a fait émerger l’idée de cet incroyable jeu. Le studio est récent, ses précédentes productions n’ont pas été de véritables œuvres, le public les a plutôt délaissées même. Pourtant, c’est avec cette nouvelle création qu’il ont totalement été propulsés au devant de la scène, rejoignant ainsi les grands noms comme Hayao Miyazaki et Miyamoto. C’est incroyable qu’en si peu de temps, des jeunes créatifs ont réussi, avec un simple projet, dont les idées tiennent à peine sur une page, à réaliser un si grand jeu qui passera clairement à la postérité.

    Mais parlons-en maintenant du jeu. La première chose qui m’a frappé, c’est son gameplay, ni trop équilibré, ni trop simple, il installe le player dans le flow de l’action. Celui-ci ne fait alors plus qu’un avec son activité, quand j’y jouais, c’est comme si la manette ne faisait plus qu’un avec mes mains, il n’y avait plus d’interface, de HUD, tout se passait comme si j’étais seul, dans le noir, avec la lumière de l’écran. La courbe de difficulté oblige le joueur à monter en compétence mais, c’est toujours juste. Il y a bien des pics de difficulté mais ce n’est que pour signifier au joueur que là : « ça ne passera pas si tu n’est pas digne de moi ». Et tout le gameplay du jeu peut se résumer à cela : « montre-toi digne de moi ». Pas de sélection de la difficulté, on ne prend pas par la main le joueur, ou alors, il ne s’en apercevra pas. Car rarement, j’ai été aussi manipulé facilement par le game design d’un jeu. Pourtant, je pense largement avoir  les compétences ludiques pour décrypter ce qu’il se passe sous mes yeux mais là, l’équipe de développement a tellement été excellente, que j’ai totalement été berné par l’esthétique, le gameplay mais aussi le level design.

    Tiens, parlons-en du level design. Ici, c’est juste incroyable. Les décors sont somptueux. Ils montrent clairement que la team de développement éprouve un amour sans fin pour l’univers qu’ils ont créé. La direction artistique montre clairement la maitrise des graphistes à proposer un monde cohérent autant par son gameplay que par son esthétique : pas de dissonance ludonarrative donc. On se retrouve à parcourir un monde tout entier sans jamais véritablement percevoir les limites du décors. Après les dizaines d’heures que j’ai passées jusqu’à l’écriture de cette critique, je reste encore incapable de définir les limites du monde que l’on peut parcourir. Quand je disais que l’on se fait manipulé, je faisais référence à cela. Par de nombreux moments, on parcourt des milieux plutôt restreints, mais nous ne nous en apercevons jamais. Tout simplement parce que le level design est tellement brillant que l’on n’a pas envie d’aller dans les zones inaccessibles. Pour moi, c’est ça véritablement l’art du jeu vidéo : imposer des règles et manipuler des joueurs sans qu’ils ne s’en aperçoivent. Ce qui est incroyable aussi, ce que le jeu parvient à nous proposer de nombreux embranchements de sorte que l’on peut toujours choisir la route que l’on veut prendre, et ça, c’est une vraie preuve que notre média favori devient mature tout en maitrisant de mieux en mieux sa propre grammaire.

    On a parlé du gameplay, du level design mais qu’en est-il de la narration ? Encore une fois, le studio a su s’entourer des meilleurs auteurs. La mise en récit de ce jeu est un véritable ascenseur émotionnel, on est parfois heureux et parfois malheureux. Mais ce sont toujours des beaux sentiments et surtout, il n’y a jamais de fausse note. Comment expliquer cela ? Tout simplement par le rythme incroyable du jeu qui nous fait alterner entre des séquences lentes et émouvantes et des séquences d’actions effrénées. Ces dernières reprennent les classiques du genre donc on arrive en terrain connu mais le gameplay propose de nouveaux arrangements et de nouvelles situations, ce qui fait que l’on est toujours surpris par l’ingéniosité des game designers. Malheureusement, je ne vous en dirai pas plus de l’histoire car je ne veux pas vous spoiler. C’est un jeu qui mérite d’être joué.

    Voilà Internet, je pense avoir donné mon opinion de critique vidéoludique sur ce jeu, j’espère que cela t’a convaincu et n’hésite pas à laisser un commentaire pour dire si tu es d’accord. ■

    Estebae Grine, 2017.

  • La Bulletin de Janvier 2017 de la Revue LCV

    La Bulletin de Janvier 2017 de la Revue LCV

    Témoignages d’Amours et de Raisons – Bulletin

    Vous souhaitez rédiger un bulletin pour LCV ? Rien de plus simple ! Tout le monde peut le faire. Il suffit de trouver un thème sur lequel vous allez choisir entre 4 et 6 vidéos et pour lesquelles vous devez écrire un court paragraphe. Merci de contacter @EstebanGrine pour l’organisation, la planification, etc.

     

    Ah, janvier, premier mois de l’année et tu nous amènes déjà des productions et des vidéos instaurant un nouveau standard. Surtout, Janvier, c’est l’occasion de parler avec son coeur, avant que la raison ne nous rattrape, serait-ce déjà trop tard ? Probablement. Alors, pour ce premier bul-le-tin, la revue propose de découvrir des créateurices (et leurs vidéos) ayant réalisé des témoignages d’Amour et de Raisons au Jeu Vidéo. Et surtout, c’est l’occasion d’interroger. D’interroger sur la façon dont on tient des discours sur les jeux vidéo. Comment sont-ils ? Comment les critiques analysent les jeux auxquels iels jouent ? Faut-il recontextualiser ou détacher une œuvre du corpus de l’auteur ? Avec cette sélection, LCV apporte des éléments de réflexions. Jamais de réponses absolues : la re-la-ti-vi-té.

    Comment créer du discours sur le Jeu Vidéo – Dial Up

    Cela commence avec Pier-re et Damastès, deux créateurs aux chaines youtube extraordinaires qui nous proposent un nouveau format : un dialogues par messages vocaux interposés. C’est brillant, sincère et plus de douceur pour le Jeu Vidéo. De plus, ils mettent le doigts sur de nombreux concepts de manière totalement claire, intelligible et convaincante. Comment analyse-t-on ? Pour Damastès, cela part d’une opinion personnelle, quelque chose qui vient du coeur. Non pas que cela soit la bonne façon, mais plutôt que c’est celle qu’il considère le plus.

    Sonic 1er – Pier-re

    La seconde vidéo, c’est une Madeleine. Pier-re, en solo, cette fois, nous parle de Sonic 1, le tout premier, sur Megadrive. Il a bien raison sur de nombreux points, Sonic dépasse le raisonnement logique. C’est un souvenir heureux en chacun de nous qui dépasse toutes rationalités. Pier-re n’a pas de message. Il ne vous dit pas : « oui, blah blah blah, Sonic, c’est un héros, c’est une icône blah blah ». Ses propos dépassent la Raison pour ne se concentrer que sur le Hic et le Nunc : l’instant présent qui reste dans notre mémoire. C’est pertinent, c’est convaincant : son discours dépasse la Méthode pour se concentrer sur un ressenti, un amour éternel dédié au hérisson.

    L’éternelle fin des Temps – ArmulhTeam X Ikakura

    La Méthode, c’est ce qui caractérise les vidéos de l’ArmulhTeam et dont la dernière, présente dans ce bulletin, a été réalisée par Ikakura et Cramulh. Nous avons là une construction cartésienne, suivant une logique bien huilée et caractéristique des productions de ces créateurs. Ici, le Jeu, son message, est absolu. Peu importe le profil du joueur, le message transmis est le même. La production de cette équipe est remarquable pour plusieurs points paradoxaux. La logique cartésienne du propos est fortement contrasté par la forme de la vidéo qui nous installe dans une ambiance propice à nous convaincre.

    Regard Détourné

    Tifor propose lui-aussi une expérience similaire et se concentre sur ce que lui évoque les masques présents dans Majora. Il construit sa pensée à partir d’un jeu pour questionner philosophiquement l’individu, son essence, son être et son identité. Comment comprendre « le masque » ? Est-il le reflet de notre identité ? N’est-ce qu’une façade pour nous protéger de l’inconnu ? Ce témoignage privilégie un rythme lent : c’est l’atmosphère qui prime et qui nous installe dans une disposition mélancolique mais attentive.

    Contradictions épistémologiques

    Vient enfin les toutes deux excellentes vidéos de Pseudoless et Olbius, chacun ayant analysé le jeu « The Last Guardian ». Pourquoi avoir choisi ces deux vidéos ?  Ce qui me frappa en regardant chacune d’elles, c’est qu’ils ont tous les deux raison. Pourquoi ? Serait-ce uniquement moi qui ne sait pas choisir ? Non, nous avons là de manière frappante deux choix épistémologiquement différents pour construire deux réflexions différentes, opposées et pertinentes. Ce qui m’intéressa dans le témoignage d’Olbius, c’est son choix de ne pas trop recontextualiser l’œuvre de Fumito Ueda dans dans sa ludographie. Il propose ainsi une vision plus proche et sensible, libre de toutes attaches. Or, c’est précisément ce qui me passionna chez Pseudoless qui accorde la moitié de sa vidéo à « Ico » et « Shadow Of The Colossus », retraçant avec brio l’évolution du-dit Game Designer . En regardant ces deux vidéos, j’ai personnellement appris quelque chose : il existe de nombreuses méthodes d’analyses des jeux vidéo, parfois extrêmement codifiées comme les Tests et parfois très libres comme les critiques. Le Choix de rejouer ou de ne pas rejouer aux précédents jeux du même auteur permet d’avoir des visions différentes d’un même jeu, ce qui nous amène peut-être, j’ose le croire, à une réflexion plus objective lorsque l’on en fait la synthèse.
              

    Ouverture

    Les auteurs que nous avons présentés se placent dans une vision procéduraliste de l’analyse des jeux vidéo. C’est-à-dire qu’iels supposent que les jeux vidéo diffusent des messages (par leur mécaniques notamment) et qu’iels ont compris ces messages. En proposant leurs productions, iels militent pour leurs compréhensions des jeux qu’ils affectionnent ou pas. Nous remarquons que ces compréhension peuvent parfois être contradictoire. Alors, l’opposition de ces visions nous amène à considérer ces mêmes messages comme étant présents ou non, énonçant quelque chose pour l’un et son contraire pour l’autre. Ce que je pense avoir montré dans ce bulletin, c’est que les discours qu’iels tiennent sont de formidables témoignages des expériences vidéoludiques et qu’il est nécessaire d’en voir le plus possible pour comprendre ces objets. ■

    Esteban Grine, 2017.