Bien que je sois en vacances, j’ai quand même pu me connecter et suivre quelques discussions qui se donnaient sur les jeux vidéo dont une qui fit quelques références à la fameuse spécificité du médium. Je prends d’écrire ma pensée aujourd’hui pour que celle-ci me soit utile dans le futur ou pour quelqu’un d’autre.
La spécificité du médium « jeu vidéo » est une question épineuse qui ne se résout pas en un court texte. Elle mérite un travail bien plus fourni que cela et des recherches bien plus poussées que ce que les pistes de réflexions que j’ai et que je vais évoquer maintenant.
Lorsque l’on souhaite proposer une réflexion sur les spécificités d’un médium, il s’agit surtout de proposer des caractéristiques qui le différencient d’un autre objet. De fait, on s’attache régulièrement à faire des tentatives de distinctions entre le jeu vidéo et les autres médias comme le cinéma, mais aussi la littérature (on pourrait aussi évoquer les arts picturaux et plastiques bien entendu). Aujourd’hui, on sait par exemple qu’il est plutôt difficile de distinguer les jeux vidéo de la littérature puisque selon certains penseurs reconnus, les jeux vidéo seraient un sous-ensemble des textes (des cybertextes selon Aarseth). Cependant, il ne s’agit là que d’une partie du problème qui concerne le jeu vidéo. En effet, celui-ci s’inscrit dans plusieurs phénomènes et objets d’étude dont les jeux et l’acte de jouer, les sports, les phénomènes communicationnels et enfin les médias. Ainsi, chercher afin de définir la spécificité du jeu vidéo, il devient donc impossible d’uniquement vouloir le différencier des autres médias. Il faut aussi s’attacher à les différencier par rapport à d’autres phénomènes. C’est par exemple ce qu’avait commencer à faire Karulahti lorsqu’il proposait de différencier les jeux vidéo des jeux en général par leur système de sanction des joueurs : celui-ci est automatique, algorithmique et s’inscrit dans le jeu lui-même (le code informatique pour être plus précis) contrairement aux autres formes de jeux nécessitant soit un acteur externe au jeu (un arbitre) soit un système de sanction par les joueurs eux-mêmes. L’exercice reste ouvert et à faire pour ce qui concerne la distinction entre le jeu vidéo et le sport.
On s’aperçoit donc que la question de la spécificité du médium est donc bien plus complexe que seulement vouloir distinguer le JV du cinéma, par exemple. Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là. Prenons par exemple les liens entretenus entre le jeu vidéo et l’art. Pour de nombreuses personnes, les jeux vidéo sont une forme artistique (ce que je n’attaque pas ici bien entendu). Une minorité va même jusqu’à parler avec abus du « 10ème art », en oubliant que plusieurs formes artistiques se battent pour ce titre (dont la bande dessinée). En pensant le jeu vidéo comme un média, cela fait sens de l’inscrire en tant que forme artistique. Le problème vient du fait que sa nature de jeu vient discuter les relations qu’il entretient avec l’art. En effet, des penseurs comme Kendall Walton, peu évoqué en France, mais plutôt important chez les anglophones, voient les arts comme des formes ludiques (des outils pour nourrir l’imagination pour être précis). De facto, avec ces lectures contradictoires, le jeu vidéo serait « ensemble » et « sous-ensemble » en même temps et en fonction du point de vue choisi par la personne réfléchissant à ce sujet. Voici une difficulté qui s’ajoute par rapport à celles déjà évoquées.
Enfin, il convient maintenant de clairement attaquer la façon dont certains proposent de différencier les jeux vidéo des autres phénomènes. L’exemple et la caractéristique la plus fréquemment évoquée comme élément distinctif est l’interactivité. Je vais donc me reposer sur celle-ci pour faire valoir mon argumentaire. Certains penseurs font fréquemment référence à l’interactivité proposée par les jeux vidéo pour les différencier des autres médias (ce qui pose déjà problème par rapport à ce que j’ai évoqué). Cependant, à mon sens, les seules façons dont nous sommes capables de proposer des éléments distinctifs reposent sur des seuils (et leurs fixations), comme c’est le cas pour l’interactivité. En somme, à partir d’un certain seuil, on considère qu’un objet est un jeu vidéo et en dessous, il ne le serait pas. Dès lors, n’ayant pas de possibilité de fixer ces seuils objectivement, les façons de définir la ou les spécificités des JV ne peuvent être pertinente que dans un cercle très restreint de pensée (entre pairs donc). Selon moi, cet argument fonctionne aussi pour tous les seuils que certains essaient d’imposer pour définir les spécificités du JV. Ainsi, plutôt que les valeurs choisies par untel ou un autre (gameplay, interactivité, narration, etc), j’attaque la construction même de ces réflexions qui me semblent immédiatement erronées pour s’attaquer au problème de la spécificité du médium vidéoludique. Si une recherche de la spécificité doit se faire (pourquoi ?), elle ne peut en aucun cas passer par la mise en place de seuils, de niveaux, d’échelles graduées ou de barèmes. Surtout que tel que je le vois depuis ShangHai où je suis actuellement, ces seuils sont aussi affaires de contextes socio-culturels, rien de plus difficile lorsque l’on souhaite apporter scientifiquement une réponse.
Ainsi, après avoir dit tout cela, il semble que la spécificité du jeu vidéo soit une recherche vaine. Or au contraire, il me semble qu’après avoir exclu tout cela, il reste encore de nombreuses choses et caractéristiques à débroussailler. Je travaille actuellement à ce sujet dans un coin de ma tête mais ce n’est pas ici que je souhaite le partager. Finalement, ce que j’attaque et critique, c’est un peu cette façon de concevoir mathématiquement la spécificité du JV : « au-dessus de 10, un objet a la moyenne et devient un JV ». Avec cette dernière phrase, il me semble avoir déjà dévoilé une partie de ma stratégie et de mes pistes de recherches sur la spécificité du jeu vidéo, au lecteur de voir où je veux en venir. ■
Esteban Grine, 2017.
Note : je garde ce texte pour plus tard, j’aimerais bien l’enregistrer pour une vidéo !