The Last Of Us Part 2 (2020) est un jeu qui a été présenté par son studio, Naughty Dog, comme une expérience qui interroge son audience sur ses principes moraux et éthiques. Sur la boîte du jeu, en guise de 4ème de couverture, il est écrit : « remettez en cause vos notions du bien et du mal en vivant les conflits moraux que vous impose la quête de vengeance d’Ellie ». Non, The Last Of Us Part 2 (abrégé TLOU2 par la suite) n’est rien de tout cela.
Attention, spoils mineurs dans l’article.
Ceci est un mensonge, car en 2020, cinq années après la sortie d’Undertale (Toby Fox, 2015) et presque quinze années après le premier opus de la série Mass Effect (BioWare, 2007), il faut bien plus qu’un récit narrant une énième vengeance pour interroger la morale et l’éthique des joueurs et joueuses. Il faut laisser l’audience faire des choix et non pas leur imposer une solution aboutissant à des violences si réalistes qu’à titre personnel, plusieurs fois le jeu a déclenché mes trigger warnings m’obligeant alors à poser la manette pour m’aérer. En 2020, il faut pouvoir proposer plusieurs fins voire plusieurs routes à la façon d’Undertale pour pouvoir prétendre interroger la morale de la personne qui joue. TLOU2 ne fait pas ça. TLOU2 impose un récit violent complètement dépassé par les tendances actuelles en termes de game design et de récit en général. Aucune question ne trouve de réponse étant donné qu’à aucun moment, le jeu ne prend le temps de poser ces questions.
Non, après 25 heures de jeu, la seule et unique question que m’a posé TLOU2, le seul dilemme que j’ai vécu au cours de ces longues et pénibles heures est : « le récit mérite-t-il de sacrifier son bien-être afin de voir la fin du jeu ? ».
La réponse est un non affirmatif et surtout définitif. Peut-être que la vengeance d’Ellie aurait été pertinente dans un cadre cinématographique et sur une durée typique d’un long-métrage. Tout comme Undertale ou même Death Stranding, le message de TLOU2, à savoir « la violence, c’est mal », est profondément simpliste. Avons-nous besoin d’avoir ce message martelé pendant 25 heures ? Probablement pas. Avons-nous besoin de voir le meurtre d’une femme enceinte ? Non plus. Faut-il montrer un génocide à l’écran ? Encore moins. Faut-il montrer à quel point la quête de vengeance d’Ellie est destructrice pour elle et pour les autres ? Peut-être, mais pas de cette façon. Par exemple, il aurait été plus intéressant de faire l’expérience de cette vengeance en incarnant Dina : «dois-je ou non accompagner Ellie ? Dois-je ou non la soutenir dans cette violence ?». Le jeu ne décolle déjà véritablement que lorsque nous incarnons Abby, d’abord présentée comme antagoniste, mais dont l’humanité transcende TLOU2 au cours de la dizaine d’heures à l’incarner.
The Last Of Us Part 2 est une formidable goutte d’eau dans la mer. Techniquement irréprochable, le jeu se complet dans son réalisme. Il accompagne désormais toute une série de regrets sur les choix qui ont été faits. Car le cœur du problème se trouve fondamentalement là : le jeu est particulièrement explicite sur le fait qu’il représente exactement les intentions du studio. En ce sens, le jeu est une réussite totale. Cependant, il m’est difficile de ne pas lâcher un : « Ok boomer, pas besoin de venir nous expliquer ce que l’on sait déjà mieux que toi ».
Le pire dans tout cela, c’est que le jeu se donne un éthos progressiste, notamment par la diversité de représentations de son cast. Or, le discours de TLOU2, « la violence, c’est mal », est quand même fondamentalement consensuel. Il n’y a aucun risque pris sur le fait d’interroger la violence de cette façon. Et surtout, cela ne pardonne pas le jeu de ruiner son « progressisme » dans une séquence de fin avec des propos lesbophobes. La plus belle séquence, celle qui avait émerveillé de nombreux commentateurs et commentatrices : la séquence du baiser entre Ellie et Dina lors d’une fête, cette séquence est ruiné car Naughty Dog a cru bon de (1) la mettre à la fin du jeu, une fois que l’audience est complètement épuisée mentalement, et (2) d’instrumentaliser ce baiser pour lâcher une insulte lesbophobe pour ensuite recentrer le récit sur la rélation entre Ellie et Joël.
Tellement fier de lui, TLOU2 ne remarque pas l’ironie de son récit qui reprend intégralement les thèmes d’Electre et d’Antigone (notamment la version D’Anouilh). Tellement fier de lui, TLOU2 ne remarque pas que son épilogue singe complètement celui de Red Dead Redemption 2 avec un setting (une ferme ou un ranch) et des péripéties relativement similaires (Sadie Adler et Tommy qui viennent informer notre avatar de la position de « l’ennemi à abattre »). Tellement fier de lui, TLOU2 ne remarque pas qu’il saborde son propre bateau en ne proposant aucune progression, aucun développement à son personnage principal. Tellement fier de lui, TLOU2 ne comprend pas que sa vision de l’être humain est profondément fausse et débunkée depuis longtemps. Tellement fier de lui, TLOU2 fanfaronne avec sa morosité, là où on a tellement besoin de hope punk et au solar punk.
Ok TLOU2, je n’ai jamais eu besoin de toi pour comprendre tout ce que tu évoques. Je suis tellement dépité par ce jeu qu’au début, je comptais rédiger une véritable critique pour finalement n’arriver qu’à un texte à charge. Je n’ai pas la force de défendre des éléments ici et là d’un jeu dont la violence dessert le propos (sur la violence, quelle ironie).
Il y a bien des moments où le jeu devient merveilleux : les flashbacks, le tiers du jeu avec Abby. Cependant, à chaque début d’envolée poétique, lyrique et esthétique, le jeu nous rappelle à la violence, à son gameplay qui ravira les fans d’armements. C’est là tout mon problème finalement, j’aurai aimé faire l’expérience de ce que c’est que de vivre dans ce monde, à Jackson en suivant Ellie ou a Seattle en suivant Abby. J’aurai aimé que The Last Of Us Part 2 soit un imaginaire d’une vie post-apocalyptique. Il n’est qu’une vision arriérée et pessimiste de l’être humain. ■
esteban grine, 2020.