Temps mort et Coup de fourchette
Akaash (un bot pourrait faire ça)
Quand j’ai lu l’appel à participation je n’avais jamais fait l’expérience d’une « madeleine vidéoludique ». Je n’y avais même jamais pensé, est-ce que c’est seulement possible ? Je me suis mis à repenser à tous les jeux auxquels j’ai pu jouer dans mon enfance, mon adolescence, l’année précédente et celle d’avant, hier, le mois dernier. J’ai alors joué. À la recherche de cette sensation, de ce retour en arrière, j’ai joué. J’ai joué beaucoup et j’ai joué à tous ces jeux qui m’ont accompagné, à tous ces jeux dont je me souvenais, dont je savais avoir une histoire, un souvenir marquant, me reliant à eux. J’ai joué pour tenter de raviver des souvenirs, des sensations, des émotions.
Méthodiquement, régulièrement, j’ai rejoué pour me souvenir. J’ai rejoué aux Schtroumpf sur Game Boy, mon tout premier jeu vidéo, longtemps mon unique jeu vidéo. J’ai rejoué à Pokémon Or pour me souvenir du choc que j’avais eu en admirant ces couleurs, vives, saturées, magnifiques. J’ai rejoué à Sonic Shuffle pour tenter de faire revivre une amitié éteinte depuis de longues années. J’ai rejoué à Golden Sun commencé dans le train en direction des vacances d’été et finis pendant le retour à l’école. J’ai rejoué à Super Mario Bros. 3 que je jouais uniquement chez mes grands-parents. J’ai rejoué à Subway Surfer, le premier jeu qui m’a été conseillé par ma sœur que je ne savais pas joueuse. J’ai rejoué à Counter Strike pour me souvenir du parfum de l’école buissonnière avec les copains. J’ai joué à Kirby’s Dream Land, à Doshin the Giant, à Time Splitter 3, à Ape Escape, à Tekken 3, à Final Fantasy Dissidia, j’ai rejoué à tous ces jeux qui ont jalonnés ma vie, dans l’espoir de faire ressurgir le passé.
Mais le souvenir est resté lointain et flou. La « madeleine » n’est pas arrivé, pire, j’ai eu l’impression de fabriquer de nouveaux souvenir avec ces jeux. J’ai eu la sensation d’effacer les contextes heureux dont je me souvenais par cette quête de la recherche du souvenir. J’ai eu peur d’effacer ces souvenirs précieux et de perdre à tout jamais la possibilité de les faire revivre. J’ai arrêté de chercher cette « madeleine ».
Et finalement c’est arrivé. De façon inattendu : c’est en regardant une vidéo que c’est arrivé. peut-être que mon esprit cherchait encore, peut-être que ce fut un simple hasard. C’était une simple vidéo sur youtube que j’ai regardé en fin d’après-midi. Je n’étais pas forcément très concentré et je crois que je pensais surtout à ce que j’allais manger le soir même. Il a fallu peut-être une image, peut-être une séquence de gameplay, pour me projeter instantanément une année en arrière. J’ai enfin expérimenté ce retour des émotions et des souvenirs tant désirés. Et pourtant quand c’est arrivé j’aurais voulu que ça n’arrive pas.
J’ai été projeté lors de ma rencontre avec Downwell.
J’ai été projeté pendant ma dépression.
Ironiquement, c’est une vidéo qui m’a poussé à acheter Downwell, je ne me souviens plus précisément laquelle, pendant cette période j’en regardais énormément. Des vidéos, des films, des séries. Je les regardais parce que ça me permettait d’être ailleurs, de ne pas penser, d’être absent. Le corps inerte et l’esprit entièrement absorbé par ce qui se passait sur l’écran. Je me souviens que je privilégiais surtout les séries : de longues heures où je regardais sans voir le temps passer. De longues heures sans l’angoisse du retour à la réalité, passant simplement d’un épisode à un autre. En repoussant encore et encore ce moment où « c’est fini », ce moment où je me remets à exister, où la dépression inondait le flux de mes pensées. Le corps plus ou moins inerte, l’angoisse tiraillant l’estomac, sensation de vertige, de vide, détestations.
Ce sont toutes ces émotions, ces sensations, ces tiraillements qui me sont revenus en regardant la vidéo. J’avais oublié ce que ça faisait, quand c’est aussi fort, quand c’est aussi présent. Ça m’a submergé en un instant. J’ignore ce qui est à l’origine de ce retour en arrière. peut-être est-ce l’image de ce personnage blanc sur un fond noir. peut-être est-ce voir Downwell en vidéo, peut-être que c’est une séquence de gameplay, peut-être la musique, ou autre chose. Je l’ignore.
Bien sûr, avant ça, je me souvenais très bien avoir joué à Downwell. C’est d’ailleurs un jeu que j’ai souvent recommandé à des amis. Je savais avoir joué longtemps. Je me souvenais parfaitement du jeu, mais j’avais oublié le contexte.
Et si le retour de ce souvenir a été effrayant dans l’instant, il m’a fait comprendre l’importance qu’a eu ce jeu dans la rémission de ma dépression et m’a fait comprendre pourquoi j’ai une affection particulière pour lui malgré le contexte de la rencontre. Ça m’a fait comprendre, pourquoi, je continuais de le recommander et pourquoi je m’en souvenais, au contraire de tous les films, toutes les vidéos et toutes les séries que j’ai regardées au même moment.
Je jouais à Downwell sporadiquement, par session courte, sur mon téléphone. Souvent quand je perdais je relançais une, peut-être deux, parties et j’arrêtais. Il y avait toujours un film en même temps, en continu, parfois au centre de mon attention, parfois simplement en fond quand je jouais. J’ignore pourquoi Downwell m’a autant captivé. peut-être que j’y ai trouvé une métaphore de ma situation, peut-être que les niveaux sombres ne me faisait pas mal aux yeux, peut-être que j’ai simplement aimé la simplicité apparente du gameplay. Je ne m’en rappelle plus.
Mais je me souviens y avoir beaucoup joué. Descendre dans le puits, perdre, recommencer, encore et encore. Plus je faisais de parties et mieux j’appréhendais les monstres. Je contrôlais mes atterrissages sur leurs dos, je contrôlais de mieux en mieux ma descente, de plate-forme en plate-forme. J’avais mes upgrades préférés. Et après de très nombreuses tentatives, je suis enfin passé au deuxième niveau, puis en encore plus de temps, au troisième. Rétrospectivement, je crois que plus j’arrivais à passer les obstacles et les niveaux, plus je reprenais confiance en moi. Progressivement, petit à petit, sans m’en rendre compte. J’arrivais à quelque chose, même si ce fut dans un jeu vidéo, même si ce fut aussi insignifiant que de passer un ennemi, j’arrivais à faire quelque chose. Je faisais quelque chose et je réussissais.
Plus je progressais dans les niveaux et plus j’avais « l’habitude » des premiers niveaux. Je les passais alors avec toujours plus d’aisance. Je jouais ces niveaux machinalement, presque mécaniquement, et dans ces moments, je n’étais pas entièrement absorbé par le jeu et je laissais mon esprit divaguer. Dans ces moments-là, j’étais dans un état qui me permettait de me projeter dans l’avenir, de recommencer, timidement, à imaginer des projets, de retrouver l’envie de faire quelque chose, le temps de passer quelques ennemis prévisibles. Je reprenais le contrôle petit à petit.
Je n’ai jamais rejoué à Downwell et je n’ai jamais atteint le boss final. Je ne me souviens pas de la « fin » de ma dépression et je ne me souviens pas non plus du moment où j’ai désinstallé le jeu. peut-être que je me suis lassé du jeu, peut-être l’ai-je désinstallé en me disant que « comme ça, j’arrêterais de passer autant de temps à jouer ». L’ingratitude du joueur n’ayant pas, encore, conscience de ce que le jeu lui a apporté.
Je cherchais à me souvenir des bon moments, des moments que je savais fort et agréables, et pourtant cette « madeleine vidéoludique » est arrivé d’un recoin que j’ai cherché à oublier et m’a rappelé à quel point le jeu a été important pour moi. Les jeux vidéo ont jalonnés et continuent de jalonner ma vie, mais je crois qu’aucun autre jeu n’aura eu autant d’impact sur ma vie que Downwell.