Un battement, une éternité – Far From Noise
De nombreuses fois il m’est arrivé de me trouver dans un entre deux, un moment hors du temps dans lequel je me retrouve bloquer entre plusieurs volontés incohérentes. D’un côté je souhaitais faire marche arrière, en essayant vainement d’annuler ce que j’avais déclenché et de l’autre, je souhaitais embrasser ce futur effrayant car inconnu.
« Far From Noise » raconte cela, en poétisant le rapport que l’on a avec la peur de l’inconnu mais aussi avec la peur du monde qui nous entoure. De nombreux sujets. Oui, c’est sûr, ce jeu aborde de nombreuses problématiques : peur des étrangers, déconstruction personnelle, acceptation du fait que le monde ne tourne pas autour de nous. Il y a de nombreuses leçons de vie dans ce jeu et son auteur, Georges Batchelor, les aborde aux détours d’une discussion que le ou la joueuse entretient avec un cerf, apparition du fantastique dans un récit pragmatique. Serait-ce une hallucination ? Une déité ? Le jeu n’y répond jamais. De manière générale, le jeu ne propose aucune réponse aux questions soulevées par la conductrice, égarée, entre terre et mer.
Au fur et à mesure de la discussion, le cerf déconstruit nos arguments en les dissolvant dans une philosophie relativiste et absolue. Tout est relatif, alors pourquoi ne pas embrasser cela ? Voilà l’une des propositions du jeu. Accepter le fait de ne pas être maître de son seul destin et que ce n’est pas grave si demain, tout s’arrête. Ce n’est pas grave pour le monde qui lui, par l’horizon, restera beau, immuable, un tout absolu.
Far From Noise est beau, pas seulement dans ses graphismes mais bien dans le message qu’il porte. Il faut défaire les préjugés que nous avons, en relativisant notre situation et ce, pour ne plus avoir peur de l’inconnu mais aussi des inconnus. C’est un autre message que le jeu nous propose ici. Ponctuellement surpris par l’irruption de nouveaux animaux, c’est à chaque fois la peur qui déclenche une réaction de la conductrice et c’est en prenant le temps d’observer pour mieux les comprendre qu’elle finit par éprouver de la sympathie pour ces créatures. Je ne suis pas plus importante qu’elles. On peut s’arrêter ici mais l’on peut aussi y voir un message de paix ainsi qu’une méthode : comprendre l’autre et prendre conscience de son existence, c’est un premier pas vers un monde meilleur.
C’est aussi un premier pas nous permettant de comprendre, qu’au bord du ravin, entre naissance et mort, que nous ne sommes pas si importants que cela et c’est par les relations avec les autres que nous pouvons alors comprendre notre vie. Accepter ce relativisme dont le cerf est l’allégorie, c’est ne plus avoir peur de l’inconnu, c’est accepter la fatalité des choses et notre petitesse, lorsque nous sommes face à face avec l’éternité, sous un ciel étoilé. Et tout cela ne rend le monde que plus beau à mes yeux. ■
Esteban Grine, 2017.